1 - Articulation du plan de relance français avec le plan de relance européen (NGUE)
Après de longues et difficiles négociations, l’Union européenne a décidé (en juillet 2020) suite à la pandémie de mettre en place un plan de relance médiatisé sous l’appellation "Next Generation EU" (NGUE) et financé par un emprunt mutualisé de 750 milliards.
L’abondement du principal programme de ce plan, lié à la crise du covid et intitulé « Facilité pour la reprise et la résilience », distingue l’octroi de subventions pour un montant (maximum) de 312,5 milliards d’euros et l’octroi de prêts pour un montant (maximum) de 360 milliards d’euros.
La répartition initiale des subventions entre les États a été réalisée selon les clés de répartition proposées par la Commission, établies en fonction de critères économiques, et principalement l’évaluation de la diminution du PIB pour les années 2020-2021. Une subvention européenne de 37,4 milliards d’euros (prix 2018) a été initialement octroyée à la France à ce titre. Dans ce cadre il appartenait à la France, comme à chaque État membre, de soumettre un plan national d’utilisation de ces aides aux instances européennes (Commission et Conseil de l’Union européenne), pour validation. Le projet de "plan de relance et de résilience" (PNRR) présenté par la France laisse apparaître (selon le Trésor) une demande de subvention de 41 milliards d’euros.
Cette subvention européenne (décaissements intervenant de 2021 à 2026) participera au financement des 100 milliards d’euros du plan "France Relance". Le plan national de relance et de résilience (PNRR) représente la partie ainsi subventionnée de "France Relance".
En bon élève parmi les pays européens, le France inscrit son PNRR dans le cadre prévu par Bruxelles en allant au delà des conditions exigeant que 37% minimum des plans soient destinés aux investissements et aux « réformes » écologiques (comprendre en grande partie l’amplification du capitalisme vert) et que 20% minimum le soient aux investissements et aux « réformes » numériques. Le PNRR y consacre ainsi respectivement 50,6% et 25,1%.
2 - Un lien étroit avec le semestre européen
Le PNRR s’attache à prouver qu’il répond aux demandes du semestre européen, ce avec le mérite de la plus grande clarté : "La stratégie de réformes et d’investissements de la France s’inscrit en pleine cohérence avec les recommandations spécifiques par pays adressées à la France par le Conseil, notamment en 2019 et 2020, ainsi qu’avec les recommandations du Conseil les plus récentes concernant la politique économique de la zone euro ... Nous proposons ci-dessous un recensement des réformes et investissements clefs qui répondent aux priorités déterminées dans le cadre du Semestre européen."
Ne cessant à chaque item traité de faire le lien avec ces recommandations pour 2019 et pour 2020 concernant la France, ce qui évoque irrésistiblement une actualité récente ou présente, l’addition du "repas" apparaît plutôt salée :
- 1) "redressement des finances publiques permettant de stabiliser puis de faire décroître le ratio de la dette" passant par la "mise en place d’une règle en dépenses comme règle de pilotage et l’extension des prérogatives du Haut Conseil sur les Finances Publiques" (dépouillant d’autant les possibilités d’action du Parlement ... et allant à coup sûr dans le sens d’une diminution des dépenses publiques dont on connaît les conséquences sociales) ;
- 2) "baisse massive et pérenne des impôts de production de 10 Md€ par an... qui permettra de réduire à court terme les dépenses contraintes des entreprises" ;
- 3) réforme des retraites ; on rappellera ici la recommandation du semestre européen 2019 "réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes" ;
- 4) renforcement des "incitations au travail pour les salariés" (en clair réforme de l’assurance chômage) et amplification "du dispositif d’activité partielle de longue durée" (en clair, de façon conforme à la définition du "plein emploi" en vigueur dans l’UE, augmentation du nombre de travailleurs pauvres) ;
- 5) "rationalisation à la bruxelloise" du système de santé, avec développement de la télémédecine mais sans embauche de personnel ou maintien des structures hospitalières de proximité annoncés ;
- 6) développement accéléré du tout numérique (la 5G, entre autres problèmes ainsi potentiellement posés, n’apparaît donc pas discutable dans le corset du semestre européen).
- 7) mesures de transition écologique ne devant pas faire illusion, leur mise en œuvre de nature néolibérale étant porteuse de conséquences hautement discutable en termes … écologique et de bien-être des territoires (par exemple l’amplification de l’interconnexion des réseaux d’énergie).
3 - La stratégie du choc en action
Nous vivons actuellement un exemple concret de ce qu’est la stratégie du choc : profiter de toute catastrophe climatique, économique, ou sanitaire, etc. pour effacer des décennies de conquêtes sociales et pour imposer une politique néo-libérale. La situation économique créée par la crise sanitaire permet à la Commission et au Conseil d’accentuer le contrôle des politiques économiques nationales par des mesures technocratiques gestionnaires. Cette logique confisque tout débat démocratique qui permettraient de créer l’adhésion autour de politiques économiques alternatives.
La déclinaison française du plan de relance et de résilience s’inscrit très clairement dans ce cadre. On notera que son contenu, élaboré sur le fond depuis plusieurs mois, entre plusieurs fois en contradiction avec les déclarations de Macron, notamment lorsqu’il se montre "hésitant" sur la date de mise en œuvre de certaines réformes, notamment celle des retraites. Or, la demande de l’UE est précise, et le plan français est clair : la réforme des retraite est bien prévue en 2021, tout comme celle de l’indemnisation chômage !
Pourtant, des choix différents auraient pu être faits. Il n’est que de comparer les plans états-uniens avec les plans européens. Le premier plan Biden (1.900 milliards $) a entièrement été orienté vers l’aide aux ménages. En relançant la consommation par des aides directes aux plus démunis, Biden a permis que les personnes en fragilité soient prises en compte. Son second plan (2.000 milliards $) en direction des entreprises et des administrations, laisse entrevoir la prévision d’investissements à plus long terme. Bilan : le redémarrage de l’économie américaine est déjà flagrant.
Dans l’Union Européenne, nous subissons clairement les effets de choix politiques dogmatiques, néolibéraux, et socialement violents. Hélas, ces choix sont relayés par nos dirigeants sans résistance de leur part.
Last but not least, ce plan de relance européen et ses déclinaisons nationales permettent à l’UE de faire un pas supplémentaire vers une intégration fédérale. La Commission européenne sort renforcée de cette séquence. La dimension supranationale devient plus présente, et pas uniquement dans le domaine économique. Un réel danger pour la démocratie dans le cadre des traités européens !