Les États du G20 ont annoncé qu’ils allaient les 15 et 16 novembre prochains adopter des mesures fortes pour mettre un terme aux pratiques fiscales les plus agressives des entreprises multinationales, qui font perdre chaque année des centaines de milliards d’euros aux pays développés et aux pays en développement. Parmi celles-ci figure le reporting pays par pays, c’est-à-dire l’obligation pour les entreprises de rendre des comptes sur les richesses qu’elles créent et les impôts qu’elles payent dans chacun des pays où elles sont présentes.
Or ces informations ne sont pour l’instant destinées qu’aux administrations fiscales ; les rendre publiques est non seulement une condition incontournable de leur efficacité mais surtout n’a plus rien d’une utopie : les banques européennes vont devoir s’y soumettre en 2015, et les banques françaises ont été les premières à le faire en 2014.
C’est ce que montre l’étude rendue publique aujourd’hui par la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires : cette obligation de transparence est possible, et permet de mettre en lumière l’éventuel recours aux paradis fiscaux, information précieuse à la fois pour les citoyens, les instances de régulation, les législateurs, les administrations fiscales et les investisseurs.
Ce que montrent les premiers chiffres publiés par les cinq plus grandes banques françaises [1] :
En 2014, les banques ont été tenues de publier des informations concernant les activités de leurs filiales ainsi que leur chiffre d’affaires (Produit net bancaire, PNB en jargon financier) dans chacun des pays où elles sont implantées.
Malgré ces données encore partielles (les bénéfices et les impôts versés seront publiés à partir de 2015) et ne reposant que sur une seule année, 7 enseignements clés peuvent déjà être tirés :
- Un tiers des filiales étrangères des 5 plus grandes banques françaises se trouvent dans des paradis fiscaux [2].
- 26% du chiffre d’affaires international des grandes banques françaises est réalisé dans les paradis fiscaux (15% si on se base sur la liste des paradis fiscaux de la Cour des Comptes américaine).
- Dans les paradis fiscaux, les filiales sont essentiellement spécialisées en solutions de placement, financement structuré ou gestion d’actifs. L’activité de détail est très minoritaire (2 fois moins qu’ailleurs pour la BNP-Paribas, 3 fois moins pour le Crédit agricole)
- En termes de chiffre d’affaires réalisé, les salariés des banques situés dans les paradis fiscaux sont au minimum 2 fois plus productifs que les salariés situés dans les autres territoires : plus de 3 fois pour la Société générale et 13 fois pour le salarié irlandais de la BPCE.
- Le Luxembourg est le paradis fiscal préféré des banques françaises, on y décompte 117 de leurs filiales. Elles y enregistrent en effet près du quart du chiffre d’affaires qu’elles réalisent dans les paradis fiscaux (viennent ensuite la Belgique, Hong Kong et la Suisse)
- Les Iles Caïmans constituent le trou noir des activités bancaires : des chiffres d’affaires très disparates (parfois négatifs), une quinzaine de filiales pour les grandes banques françaises, mais… aucune n’y a d’employés, au motif qu’ils sont localisés dans d’autres pays, ou que les activités réalisées sont imposées dans d’autres territoires. Ne serait-ce pas un aveu d’activité offshore ?
- Les paradis fiscaux sont plus attractifs que les pays émergents : les banques françaises réalisent 3 fois moins de chiffre d’affaires dans les BRICS [3] que dans les paradis fiscaux.
« Ces chiffres, même partiels, confirment que le recours au paradis fiscaux, loin d’être anecdotique, est au cœur du fonctionnement des banques ayant des stratégies internationales » indique Grégoire Niaudet, du Secours Catholique - Caritas France, co-auteur de l’étude. « La situation est très probablement similaire pour les banques d’autres pays ainsi que pour les entreprises multinationales. A l’instar de la France, qui a montré l’exemple, et de l’Union européenne les autres pays doivent exiger cette transparence de leurs banques, mais aussi de l’ensemble des entreprises multinationales. »
« Les États du G20 ne doivent pas se contenter de mesures a minima s’ils veulent réellement lutter contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales. Pour permettre à tous les pays, y compris les pays en développement, premières victimes de ces phénomènes, de récupérer des recettes fiscales, il leur revient d’exiger que le reporting pays par pays public soit inscrit dans le plan d’action de l’OCDE lors du sommet des 15 et 16 novembre prochains. » déclare Lucie Watrinet du CCFD - Terre Solidaire, co-auteure de l’étude.
Le reporting pays par pays est une revendication historique des organisations de la société civile engagées dans la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales. Il s’agit d’obliger les entreprises à publier des informations précises concernant leurs activités (chiffre d’affaires, profit, nombre d’employés, impôts payés…) et les impôts qu’elles payent dans chaque territoire où elles sont implantées de manière à mesurer si les impôts versés correspondent à la réalité de l’activité économique de l’entreprise sur place.
Exiger une transparence comptable pays par pays et la publication de ces informations permet de répondre à trois objectifs :
- exercer un effet dissuasif sur les entreprises qui se livrent à des abus en matière de délocalisation artificielle de leurs bénéfices ;
- donner des outils aux administrations fiscales pour identifier les entreprises qui présentent un risque d’évasion fiscale élevé ;
- permettre aux parties prenantes (investisseurs, clients ou salariés) de l’entreprise de mieux connaître la position des différentes filiales vis-à-vis du reste du groupe et l’exposition du groupe à différents risques (géopolitiques, juridiques, financiers, etc.).