Tombée le 30 décembre 2020, l’annonce d’un « accord de principe » entre l’UE et la Chine sur un accord global sur l’investissement (Comprehensive Agreement on Investment, ou CAI, en anglais), après 8 ans et 35 cycles de négociation particulièrement opaques et secrets, a suscité un tollé : pourquoi l’UE délivre-t-elle un blanc-seing à la Chine malgré sa politique répressive envers les Ouïghours, les Tibétains et les opposants politiques, y compris ceux de Hong Kong ?
L’analyse du contenu de l’accord et de ses annexes ne peut que nourrir ce constat : peu d’engagements nouveaux du côté de Pékin, beaucoup de renoncements, que Bruxelles ne peut expliquer par aucun bénéfice économique sérieux. La Chine a surtout réussi à renforcer sa position géopolitique, mais n’a rien cédé sur l’essentiel : Pékin et Bruxelles ont bien pris soin de s’assurer que les droits sociaux et environnementaux des populations et le « développement durable » ne feront jamais obstacle à leurs investissements respectifs.
Selon Amélie Canonne, co-auteure de ce décryptage et experte en politiques commerciales, « avec cet accord, l’UE espérait sans doute contrer la montée en puissance industrielle et technologique de la Chine ». « En réalité, poursuit-elle, le traité montre qu’elle a mis sa diplomatie au service d’une poignée de grands chefs d’entreprise qui estiment au fond que l’accès au marché chinois leur est dû : or non seulement le traité n’offre aucune garantie d’application des dispositions sur les transferts de technologie ou la concurrence, par exemple, mais en plus la Chine a montré ces derniers jours que l’UE n’est pas en mesure de lui imposer quoique ce soit ».
Alors que Bruxelles ne cesse d’affirmer qu’elle souhaite faire du CAI la pierre angulaire de ses relations avec la Chine, les représailles immédiates que la Chine a dégainées suite aux sanctions européennes contre des responsables chinois pour les violations des droits humains au Xinjiang montrent l’inverse : incontournable sur le plan économique et géopolitique, Pékin affirme qu’elle ne cédera rien en matière de respect des droits humains et démontre les limites de la stratégie européenne.
Selon Maxime Combes, co-auteur du décryptage et économiste, « cet accord montre que rien ne saurait empêcher Bruxelles d’essayer d’avoir des relations économiques privilégiées avec Pékin, quitte à reléguer au second plan toutes les préoccupations en matière de travail forcé, de droits humains ou d’obligation de vigilance des grandes entreprises ». « Comme si Bruxelles, ainsi que Paris, finissaient toujours par sacrifier les droits humais aux intérêts économiques des multinationales européennes » précise-t-il.
Les marchandises et les investissements circulent déjà très largement entre la Chine et l’UE, et conditionner la conclusion de cet accord au respect des accords internationaux protégeant les droits humains et les libertés publiques n’aurait mis aucune entreprise sur la paille. En revanche, placer au second plan les enjeux du « développement durable et des droits humains » a des effets politiques majeurs : Pékin en ressort plus fort, plus légitime, et c’est sur tous les opposants que s’abattront la force et la légitimité nouvelles conférées par cet accord.
Ce décryptage, aussi exhaustif que possible compte tenu des informations disponibles, comprend de nombreuses synthèses, générale et partielles, afin d’en faciliter la lecture. L’AITEC et Attac France poursuivront leur travail d’expertise et de mobilisation sur le CAI, avec leurs partenaires.