Walden Bello, un infatigable combattant altermondialiste

jeudi 6 juin 2024, par Isabelle Bourboulon

Le Forum social mondial se tenait cette année à Katmandou (Népal) du 15 au 19 février. Environ 8 000 participant.es venus principalement d’Inde et du Népal représentaient quelque 1 300 organisations. Nous y avons rencontré Walden Bello, sociologue et écrivain engagé, ami de longue date d’Attac.

Ce texte est tiré du numéro d’avril de notre trimestriel, Lignes d’Attac (janvier 2024), disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Lorsque vous avez créé Focus on the Global South en 1995, vous n’imaginiez pas que le « Sud global » deviendrait un acteur autonome de la géopolitique mondiale. Quel sens lui donniez-vous à l’époque ?

Lorsque nous avons créé Focus on the Global South, nous trouvions que le terme de « tiers-monde » n’était plus approprié. À ce moment-là, la notion de Sud commençait à s’imposer, mais avec le risque pour les gens de la confondre avec l’Amérique du Sud. C’est pourquoi nous avons préféré « Sud global ». C’était un terme qui n’était pas encore à la mode, c’est vrai.

Et aujourd’hui, comment le Sud global peut-il faire entendre sa voix dans le nouvel ordre géopolitique mondial ?

Le Sud global est avant tout une autorité morale en raison des 500 ans d’exploitation que les pays et sociétés du Nord lui ont fait subir. Ensuite, le monde est devenu plus compliqué. Le rôle de l’Union soviétique qui consistait autrefois à faire contrepoids aux États-Unis est aujourd’hui assumé par la Chine. Or, celle-ci a permis aux pays du Sud de gagner une certaine indépendance économique, grâce en particulier à ses programmes d’aide massive. Malheureusement, ce sont encore de vieux programmes orientés vers le développement avec des répercussions négatives sur l’environnement.

Nous assistons aujourd’hui à une offensive du capitalisme telle que nous n’en avons peut-être jamais connue auparavant. Pensez-vous qu’il soit encore possible de lutter et avec quels moyens ?

Nous n’avons pas le choix. Quelles que soient les conditions, nous devons nous battre. Mais nous devons aussi faire preuve d’intelligence dans ce combat. Par exemple, bien analyser les raisons pour lesquelles l’extrême droite gagne du terrain. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire, comme dans les années 1930, que c’est à cause du capitalisme monopolistique et que les fantassins d’extrême droite sont manipulés par les fascistes. Il y a des raisons idéologiques très profondes.

La réponse consiste à construire une coalition solide entre les groupes qui souffrent le plus de l’oppression - les minorités, les immigrés, le mouvement des femmes, le mouvement LGBTQ, le Sud global et des éléments clés de la classe ouvrière du Nord. Je pense aussi que nous devons apprendre certaines des choses que la droite nous montre. Regardez comment elle a réussi à mobiliser ses électeurs grâce au potentiel d’Internet. Je suis stupéfait de voir que Narendra Modi, par exemple, est en train de se faire des dizaines de millions de followers sur Internet, alors que le parti du Congrès a à peine commencé à construire son réseau. Autre chose que nous devons apprendre, c’est le rôle des émotions en politique. Quand on constate que des secteurs importants de la classe ouvrière sont passés à droite alors que c’est contre leurs intérêts, je pense qu’il y a des limites au rationalisme en politique.

Dans votre discours pendant la session d’ouverture du FSM, vous avez beaucoup insisté sur la situation en Palestine. Pensez-vous que la Palestine doit être la priorité absolue de notre solidarité ?

Pour l’instant, je pense que oui. Parce qu’il s’agit du génocide de tout un peuple, avec le soutien des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest. En même temps, la lutte des Palestinien·nes montre qu’il est possible de défier le mastodonte et que l’oppression peut être remise en question. C’est pourquoi lorsque je dis « La Palestine a besoin de nous », j’ajoute aussi « nous avons besoin de la Palestine ».

La guerre en Ukraine conduit à une remilitarisation, y compris dans des pays comme l’Allemagne. Que pensez-vous de cette situation ?

Je ne suis pas du tout convaincu que l’agression russe en Ukraine puisse s’étendre à d’autres pays, voire à l’ensemble de l’Occident. Dans certains secteurs de l’establishment européen, on a interprété les récentes déclarations de Trump comme si les États-Unis se désolidarisaient de l’Europe. Il s’agit d’un faux débat car les intérêts des élites mondiales sont fondamentalement les mêmes : préserver à tout prix l’hégémonie du Nord.

Le Népal est un petit pays situé entre deux géants, l’Inde et la Chine. Quel sens donnez-vous au choix du Népal pour l’organisation du FSM cette année ?

D’abord un FSM en Inde est impossible et je doute fort que les autorités chinoises l’autorisent. Donc, oui l’organisation du FSM 2024 au Népal a un sens. Je reste tout de même préoccupé par l’avenir du Forum social mondial. Comment l’inscrire dans la continuité ? Doit-il s’institutionnaliser pour devenir plus qu’une force d’idées ? Cette année, il est très « palestinien » : les déclarations qui en sortiront diront la nécessité absolue d’arrêter le génocide.

Propos recueillis par Isabelle Bourboulon

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