Pourquoi il faut réduire massivement le transport aérien

lundi 29 août 2022, par Dominique Bonnet, Laurence Boubet

Le transport aérien est un marqueur social fort. Élément clef de la mondialisation, accélérateur d’échanges, il permet aux populations les plus aisées du globe et aux marchandises de se déplacer vite et loin, à un rythme soutenu. Si, chez nous, son imaginaire est souvent lié au voyage et à la découverte, il faut pourtant constater que l’usage de l’avion est aujourd’hui fortement exclusif socialement, et insoutenable pour la planète.

En France, le gouvernement met en avant de fausses solutions qui ne permettront pas au transport aérien d’atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050. La pandémie de la Covid-19 a donné le signal d’une nécessaire sobriété : il faut maintenant l’amplifier !

Cet article est adapté du dossier « Aérien, ouvrir le chemin d’une transition écologique juste » du numéro de janvier 2021 de notre trimestriel Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États ont largement promu, par différentes mesures, le transport aérien qui permet une forte réduction des temps de voyage. Ainsi, depuis 1944 et la Convention internationale de Chicago, le secteur aérien bénéficie d’une exemption de taxe sur le kérosène, qui n’a pas été remise en cause jusqu’à aujourd’hui. De même, dans le protocole de Kyoto de 1997, le secteur n’est pas concerné par les mesures de réduction de gaz à effet de serre (GES) par pays : la question des émissions de GES est traitée au sein de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), qui dépend de l’ONU.

Un mode de transport inégalitaire

Si la déréglementation du transport aérien a démarré aux États-Unis dans les années 1980, la libéralisation du secteur en Europe a été achevée en avril 1997. Celle-ci a provoqué l’émergence de compagnies à bas coût qui se sont rapidement développées en s’appuyant d’abord sur la limitation des coûts de fonctionnement : utilisation d’un seul type d’avion, escales rapides, liaisons point à point (sans correspondance), employés polyvalents avec des salaires réduits.

Ce modèle est aussi basé sur un service minimum pour les passagers avec des prix d’appel très bas mais une facturation de prestations complémentaires (suppléments pour les bagages, frais d’enregistrement, frais pour le paiement du ticket, prestations à bord). Ces compagnies ont ainsi ouvert de nouveaux marchés et contribué à une très forte intensification aérienne : elles représentent 25% du trafic mondial et plus de 40 % du trafic en Europe. De surcroît, elles influencent les prix des autres compagnies, les contraignant à réduire leurs coûts pour offrir des billets moins chers et à se lancer dans la spirale des restructurations et des réductions d’effectifs.

Avant la crise sanitaire, les perspectives de croissance du secteur étaient fulgurantes : le trafic passagers doublait tous les 15 ans avec une croissance différenciée selon les régions (l’Asie domine désormais avec 36% du trafic mondial) et cette dynamique devait se poursuivre. Selon les prévisions réalisées par Boeing et Airbus, les compagnies aériennes devaient transporter plus de 8 milliards de passagers par an à l’horizon 2037-2038 – soit deux fois le nombre actuel. Pour cela, la flotte d’avions devait elle aussi doubler pour compter plus de 48 000 avions dans les airs en 2038.

Pourtant, l’utilisation de l’avion reste le privilège d’une minorité. Les vols à bas coûts ont certes permis aux personnes issues de la classe moyenne de prendre l’avion, mais ils ont surtout permis aux plus aisés de multiplier les vols internationaux de quelques jours, qui sont les plus polluants. En 2017, 30% des Français n’avaient jamais pris l’avion.

L’aviation : un transport polluant

En 2018, 4,2 milliards de passagers ont parcouru chacun en moyenne environ 2 000 km. À raison de 3 kg de CO2 dégagés par litre de kérosène, dont 0,5 kg pour sa production et 2,5 kg pour sa combustion, les 360 milliards de litres brûlés en 2018 ont émis plus d’1 milliard de tonnes de CO2, à comparer aux 40 milliards de tonnes annuelles de l’activité humaine. Cela représente 2,6% des seules émissions mondiales de CO2 d’origine fossile [1].

À cela il faut aussi ajouter les effets physiques des traînées des avions, qu’analysent les dernières études scientifiques, basées sur le forçage radiatif (différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise dans un système climatique donné). Ces dernières ont montré que les effets de la vapeur d’eau, des autres gaz émis, dont le méthane et les oxydes d’azote, ainsi que ceux des microparticules de suie et de l’augmentation de la concentration d’ozone sont équivalents à deux fois ceux de la production de CO2 par combustion par les avions.

Entre 1940 et 2018, la contribution cumulée de l’aviation au réchauffement climatique était de 3,5% du total. Aujourd’hui elle est proche de 6% par an et cette part ne cessera d’augmenter avec la croissance du transport aérien, bien supérieure à celle des autres secteurs d’activité. En France, en ne comptabilisant les vols internationaux que pour moitié, les 172 millions de passagers de 2018, qui ont emprunté 1,6 million de vols et parcouru en moyenne 1 600 kilomètres, ont émis 22,7 millions de tonnes de CO2. Ce chiffre représente 5% des émissions totales du pays (463 Mt) ou 15% de celles des transports (155Mt).

La nécessaire réduction du transport aérien

En s’appuyant sur Airbus notamment, la France est la deuxième économie aéronautique au monde. La construction aéronautique représente le fleuron de l’industrie française. Structurellement liée à l’industrie militaire, elle représente le premier contributeur au solde positif du commerce extérieur. Cette croissance s’est concentrée sur quelques régions, tout particulièrement l’Occitanie. Dans la région toulousaine, l’aéronautique tient un rôle industriel et économique absolument majeur.

Cette situation provoque de vives résistances à toute mesure qui mettrait en cause le développement du secteur. Cette position impose pourtant à la France de montrer l’exemple en adoptant une stratégie globale de transition, dédiée notamment à la réduction de l’empreinte carbone du secteur et de ses autres impacts (pollution atmosphérique, bruit, etc.), tout en incitant ses partenaires européens à faire de même. Or la stratégie nationale du transport aérien 2025, publiée en mars 2019, n’envisage à court terme qu’une croissance neutre en carbone à partir de 2020, en s’appuyant essentiellement sur des mécanismes de compensation.

Ce ne sont pas les fausses solutions technologiques qui limiteront sérieusement l’impact de l’aérien à court terme : la seule solution pour résorber son empreinte carbone est de réduire fortement le trafic aérien. Les acteurs du secteur (gouvernements et entreprises) ont pour l’instant refusé d’agir concrètement face à la nécessité et l’urgence de cette réduction, se cachant derrière des solutions inopérantes ou aux effets beaucoup trop tardifs.

De leur côté aussi les citoyens doivent réaliser l’urgence de la situation. Le transport aérien est devenu au fil des ans un marqueur fort d’une situation sociale : au même titre que posséder un iPhone ou un SUV, partir en week-end en avion au Maghreb ou en Europe est devenu le signe d’une certaine réussite sociale dans les classes moyennes. Or, la décroissance du transport aérien va nécessiter un changement des pratiques et des modes de vie. C’est ainsi une bataille culturelle qui s’engage, mais qui jamais ne devra éclipser la situation des salariés du secteur, ou encore celle des régions impactées par la mutation du tourisme. C’est notre rapport au transport de voyageurs, et de marchandises, qui doit être repensé.

Ainsi, le secteur aérien est emblématique d’une reconversion, rendue impérative pour des raisons écologiques, qui se conjugue à la nécessité de préserver ou transformer ses emplois en développant ceux de la transition écologique et sociale. Il est indispensable de ne pas laisser le « marché » gérer ce potentiel marasme social et économique et de permettre aux salariés de participer activement à l’évolution du secteur. Des initiatives sont déjà prises pour réfléchir à ces solutions justes, dans des collectifs associant salariés et citoyens.

Laurence Boubet et Dominique Bonnet

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