Pour en finir avec les "champions" du CAC40

Attac et l’Observatoire des multinationales ont publié fin mai Super Profiteurs, un livre pour déconstruire le mythe des « champions nationaux », selon lequel les succès et profits engrangés par les géants du CAC40 seraient une bénédiction pour la France.

Nous publions ici une version adaptée de l’introduction de ce livre que vous pouvez commander sur le site d’Attac.

Qu’est-ce qu’un "champion national" ? Ce terme a souvent été utilisé en référence aux grands programmes technologiques et industriels des années 1960 et 1970 – le TGV, le nucléaire, le Concorde, la fusée Ariane -, et aux entreprises qui les ont portés. Il recouvre désormais, en un sens plus général, l’ensemble des grands groupes français désormais actifs sur les marchés mondiaux.

Le statut de "champion national" garantit un soutien inconditionnel de la part des pouvoirs publics : c’est simplement parce que Sanofi ou LVMH sont nominalement français qu’il faudrait les défendre, sans considération de leurs contributions sociales concrètes. Et si les discours des gouvernements et des milieux d’affaires se gargarisent désormais de "souveraineté", c’est en général pour justifier un soutien accru à un grand groupe privé ou à une poignée d’entre eux dans chaque secteur (numérique, énergie, agroalimentaire, etc.).

Il est urgent de porter un regard lucide sur ces fameux "champions nationaux". L’imaginaire que capture cette notion évoque une sorte de communion naturelle ou de pacte fondamental entre une nation et ses entreprises, dont tout le monde finirait par bénéficier.

Cet imaginaire s’appuie sur le souvenir collectif de la période des Trente glorieuses, associée à une redistribution plus égalitaire des bénéfices de la croissance, ainsi qu’à un État interventionniste qui s’assurait que les entreprises contribuent à la modernisation du pays et à la hausse de la consommation... sans que la majorité ne se soucie trop des conséquences écologiques.

Force est de constater que ce pacte, s’il a jamais existé sous cette forme idéalisée, est rompu depuis longtemps. Les grandes entreprises d’aujourd’hui s’efforcent à "rendre" le moins possible à la société, que ce soit sous forme de contribution fiscale, d’emplois ou de salaires, voire, dans le contexte actuel d’inflation, de prix bas.

Elles cherchent à s’accaparer l’essentiel des profits qu’elles génèrent au bénéfice de leurs actionnaires et de leurs dirigeants, tout en refusant d’assumer véritablement la responsabilité de leurs impacts écologiques ou sociaux, qu’elles reportent sur la collectivité. Les services publics de naguère ont été privatisés, libéralisés ou sapés de l’intérieur. Les bénéfices que les grandes entreprises nous apportent sont de plus en plus précaires et douteux, tandis que les coûts qu’elles engendrent sont de plus en plus apparents.

Ces entreprises sont-elles d’ailleurs encore vraiment "les nôtres" ? Certes, une minorité des grands groupes nationaux réalise encore une part importante de son activité en France, comme Bouygues et Vinci dans le BTP ou Orange dans les services, mais cette part tourne au maximum autour de 50% du chiffre d’affaires, le reste étant réalisé à l’étranger.

Pour la plupart des autres groupes, la France ne représente plus qu’une fraction de leur effectif ou de leur activité – et souvent de leur actionnariat. Ils ne sont plus "français" que par leur histoire, parce qu’ils sont cotés à la Bourse de Paris et ont (avec quelques exceptions) leur siège social en France, ou que leurs principaux dirigeants sont de nationalité française.

Ces groupes français actifs sur les marchés mondiaux sont devenus des multinationales. Autrement dit, ils opèrent dans plusieurs pays à la fois, souvent sur tous les continents, à travers un réseau de filiales placées sous l’égide de la société mère. Au-delà des filiales qui constituent le "groupe" proprement dit, ces mêmes entreprises mettent en place des "chaînes de valeur" encore plus vastes pour s’alimenter en produits ou en matières premières (fournisseurs), externaliser une partie de leur production (sous-traitants) ou utiliser leurs produits et services (clients industriels et consommateurs).

Depuis l’époque des Trente Glorieuses, les grandes entreprises françaises se sont non seulement internationalisées, mais elles se sont également soumises au joug de la finance actionnariale. Le CAC40 en est le symbole : il est le principal indice de la bourse parisienne, regroupant les quarante entreprises les plus importantes cotées sur cette place financière, sélectionnées en fonction de critères de valorisation et de volume d’échange.

La plupart des "champions" y figurent, mais il y a des exceptions, et non des moindres : les entreprises privées non cotées en bourse (comme Auchan, Lactalis ou CMA-CGM), les entreprises à capitaux publics (EDF, SNCF, Areva) et toutes les grandes sociétés cotées qui ne font pas ou plus partie des quarante élus (Air France, Accor, Eiffage et de nombreuses autres). Nous utilisons tout de même le terme de CAC40 pour désigner par extension l’ensemble des grandes entreprises françaises, ou lorsque nous analysons des données à l’échelle de ces 40 groupes.

Cocorico ! Les entreprises du CAC40 sont devenues de véritables championnes du monde du dividende. Elles ont annoncé, au printemps 2023, un nouveau record de profits : 150 milliards au bas mot. Mais force est de constater que ce "pognon de dingue" profite aux actionnaires et aux dirigeants, et très peu aux travailleurs et travailleuses de ces mêmes entreprises, et encore moins à la société dans son ensemble.

Bien pire : ces "superprofits" se nourrissent de la sueur et de la peine de la majorité de la population, puisqu’ils s’expliquent en grande partie par les marges supplémentaires que se sont accaparées les grands groupes sous prétexte d’inflation, ainsi que par les aides publiques et la baisse de la fiscalité.

Le gouvernement continue pourtant à faire comme si ce qui est bon pour le CAC40 l’est aussi nécessairement pour l’économie et la société françaises dans leur ensemble. Quelles qu’en soient les justifications officielles, ses politiques économiques restent axées sur les intérêts des grands groupes : ce sont eux qui sont les principaux bénéficiaires de la croissance des aides publiques, de la baisse de la fiscalité, du détricotage du code du travail, de la libéralisation, du soutien à l’exportation, de l’assouplissement des régulations environnementales.

La diplomatie française est mise au service de TotalEnergies, Sanofi, LVMH et Dassault pour les aider à signer des contrats, vendre des armes, exploiter des ressources naturelles partout sur la planète. Pendant que les multinationales sont ainsi choyées, les services publics dépérissent faute de crédits suffisants. Les petites entreprises et les diverses formes de l’économie sociale et solidaire doivent se contenter de miettes, les règles du marché unique européen et du commerce international étant conçues pour (et souvent par) les multinationales.

Comment sortir du cercle vicieux dans lequel nous enferment les multinationales et l’appétit vorace de leurs actionnaires ? De nombreuses pistes peuvent être évoquées : revoir les règles de droit, à la fois en France et au niveau international, pour prévenir les abus, les forcer à assumer leurs responsabilités, et faire en sorte qu’elles "rendent" effectivement à la société.

Mais il faudrait aller plus loin : démocratiser ces entreprises, renforcer la voix des travailleuses et travailleurs, revenir sur les politiques de privatisation et de libéralisation, et envisager lorsque c’est nécessaire de réduire le poids économique excessif qu’elles ont acquis. Une chose est sûre : quels que soient les objectifs à faire avancer, la mobilisation et l’engagement citoyens sont et resteront indispensables !

Olivier Petitjean, Dominique Plihon et Frédéric Lemaire

P.-S.

Crédit photo : Ruben Christen (licence Unsplash)

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