Opération Wuambushu : entre cynisme et violence coloniale

vendredi 6 octobre 2023, par Marie Bazin, Marie Beyer

A Mayotte, l’opération « Wuambushu » lancée par le ministère de l’Intérieur affiche un triple objectif : détruire les bidonvilles, lutter contre la délinquance, expulser les personnes en situation irrégulière. Elle illustre la formule « étranger = pauvre = délinquant », appliquée cette fois à un territoire très lointain de la France, dont les réalités sont peu connues.

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Par cette opération, l’exécutif souhaite mettre en scène et médiatiser une « reprise en main » (la traduction de Wuambushu en mahorais) sur des thèmes sécuritaires qui lui permettent de courtiser l’électorat de droite et d’extrême-droite en France. Mais la réalité à Mayotte est évidemment infiniment plus complexe et ne peut être appréhendée qu’au regard de l’histoire coloniale qui lie l’archipel des Comores à la France.

Un détour par l’histoire

Habité d’abord par des peuples bantous swahili, sakalaves malgaches et des communautés perses, l’archipel des Comores mêle tradition musulmane et coutumes africaines. A la chute de Constantinople, le commerce orient-occident est redirigé vers le canal du Mozambique et les sultanats locaux, qui pratiquent et s’enrichissent de l’esclavage, prospèrent en se partageant l’autorité sur l’archipel.

Les Britanniques, les Français et les Portugais s’installent progressivement dans la région devenue stratégique. C’est dans la décennie 1830 que l’histoire de Mayotte se scelle. Vaincu à Madagascar, le roi sakalave de Boina, Tsi Levalou, se réfugie sur l’île où il accède ensuite au pouvoir. Menacé par les sultanats de Mohéli et d’Anjouan et isolé par rapport à Madagascar, le sultan se tourne alors vers la France et, en 1841 vend sa souveraineté sur l’île pour des profits personnels. Le régime français rattache Mayotte à sa colonie de Madagascar jusqu’en 1946. Dans ce laps de temps, les autres îles comoriennes ont rejoint « l’empire colonial ».

A l’issue du référendum de 1974 (réitéré en 1976) qui entérine l’indépendance des Comores, la France se maintient à Mayotte au prétexte que les Mahorais ont voté contre l’indépendance. Cette lecture du référendum île par île est condamnée par des résolutions des Nations-Unies. Mayotte accède au statut provisoire de « Collectivité territoriale » avec un conseil général placé sous la tutelle du préfet jusqu’au début des années 2000. Les élu⸱es mahorais⸱es militent pour une départementalisation aux côtés de l’État français, pour qui cette opération est stratégique et indispensable pour assoir sa position sur l’île.

Dès les années 80, la « menace comorienne » est brandie pour accélérer ce processus. Avant que Mayotte ne devienne un département d’Outre-Mer en 2011, un visa obligatoire est instauré en janvier 1995, marquant la fin de la libre circulation des personnes dans l’archipel et le début d’une militarisation accrue sur l’île. En 2022, le Conseil constitutionnel valide le régime dérogatoire qui permet aux policiers d’effectuer des contrôles d’identité sans préavis sur toute l’île.

Dans un archipel divisé par une frontière créée par la France, qui est étranger et qui ne l’est pas ? Sur cette île, que l’État a voulu à tout prix garder dans son giron sans pour autant y accorder les mêmes droits à ses habitant⸱e⸱s qu’aux Français.es en métropole, ni fournir le même niveau de service public, est-ce par la « sécurisation » que l’on résoudra la grande pauvreté dans laquelle vit 80 % de la population ? Quand les écarts de richesse se creusent au sein d’une société, entre la population colonisée et une petite minorité qui détient le pouvoir et l’économie locale, doit-on s’étonner que cela engendre de la rébellion, de la violence ?

Le 24 mai dernier, l’opération Wuambushu reprenait avec la démolition du quartier Talus 2 et de ses 162 maisons en tôle. Seule la moitié des habitant⸱es concerné⸱es sera relogée, pour une durée de 3 à 6 mois uniquement. L’État lutte donc contre l’insalubrité en jetant des personnes à la rue, sans solution de logement pérenne. Au deuxième jour de la démolition de Talus 2, Wuambushu avait fait son premier mort : un salarié dans le bâtiment, habitant du quartier et mobilisé pour l’opération dans le cadre de son travail, victime d’un AVC alors qu’il devait détruire sa propre maison.

Le comble du cynisme et de la violence coloniale, c’est donc quand ce sont les personnes colonisées elles-mêmes qui sont embauchées pour détruire leurs habitations. Car l’État a envoyé à Mayotte des policiers et gendarmes en renfort, mais il faut bien des bras sur place pour terminer les sales besognes.

Marie Bazin (Survie) et Marie Beyer

L’intégralité de cet éditorial a été posté dans le magazine Billets d’Afrique n°328 publié par l’association Survie. https://survie.org/billets-d-afrique/

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