« Nous ne pouvons pas échouer ! » Le grand espoir du peuple colombien et de l’Amérique latine

samedi 22 octobre 2022, par Françoise Escarpit

Le 7 août dernier, Gustavo Petro et Francia Márquez ont prêté serment comme président et vice-présidente de Colombie. C’est un événement considérable pour le pays qui, pour la première fois de son histoire, sera dirigé par un ex-guérillero et une militante écoféministe afro-descendante, candidats d’une large coalition de partis et de mouvements.

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Le 9 avril 1948, le libéral Jorge Eliécer Gaitán, candidat à la présidentielle de 1950, est abattu à la sortie de son bureau. Son assassinat déclenche une insurrection qui marque le début d’une guerre sanglante et sans merci entre libéraux et conservateurs.

À cette période se constituent les premières milices d’autodéfense paysannes. En 1964, l’une d’elles prend le nom de Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP). La même année apparaît l’Armée de libération nationale (ELN), proche de la révolution cubaine. En 1967, l’Armée populaire de libération (EPL), d’inspiration maoïste, voit le jour. Puis, en 1974, nait le Mouvement du 19 avril (M-19) en lutte pour l’instauration d’une véritable démocratie en Colombie. Enfin, à la fin des années 1980, surgit le Mouvement (indien) armé Quintín Lame.

Les guérillas s’installent alors durablement dans le paysage politique colombien et il faut attendre 1982 et le président conservateur, Belisario Betancur, pour que l’on parle d’amnistie et de paix. En 1984, gouvernement et FARC-EP signent les accords de la Uribe. L’Union patriotique (UP) devient, en 1985, l’organisation garante du retour à la vie civile des guérilleros. Au cours des années suivantes, plus de 5 000 de ses militants seront assassinés par les paramilitaires et l’armée colombienne. À cette période, se constitue le bloc des Extraditables, dirigé par le narcotrafiquant Pablo Escobar qui refuse tout traité d’extradition avec les États-Unis.

Attentats, assassinats de juges, de ministres, de journalistes, de politiques, rien ne les arrête. En 1987, le cartel de Medellín exécute Jaime Pardo Leal, ancien candidat de l’UP à la présidentielle de 1986. En 1989, trois candidats à l’élection de 1990 -Luis Carlos Galán du Parti libéral, Bernardo Jaramillo de l’UP, Carlos Pizarro du M19- seront à leur tour assassinés. En 1990, le M19, une partie de l’EPL et le Quintín Lame décident de se démobiliser. Ils participeront à la Constituante de 1991 mais ils verront, eux aussi, tomber nombre de leurs militants.

En 1998, les conversations de paix reprennent avec le conservateur Andrés Pastrana. Mais, dès 1999, les États-Unis lancent le plan Colombie (plus d’un milliard et demi de dollars pour l’armée) qui, sous couvert de lutte contre le narcotrafic, vise à anéantir la guérilla.

Pendant la funeste présidence d’Álvaro Uribe, de 2002 à 2010, son ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, dessine la politique dite de « sécurité démocratique » contre le mouvement social. Il engage une lutte violente contre la guérilla et couvre le scandale des « faux positifs » (plus de 8 000 civils exécutés par l’armée les faisant passer pour des guérilleros morts au combat). Élu président en 2010 pour le parti de la U (droite extrême), Santos se désolidarise de son prédécesseur, demande pardon aux victimes des paramilitaires et déclare vouloir en finir avec la guerre : le dialogue reprend enfin et aboutit, en 2016, à la signature des Accords de paix de La Havane. Mais l’élection, en 2018, de l’homme d’Álvaro Uribe, Iván Duque, rend impossible leur application.

C’est cette histoire sanglante qui a fait du 7 août un jour de fête et d’espérance. Quelques jours avant, Gustavo Petro avait prêté serment auprès du peuple arhuaco et, la veille de la cérémonie, avec Francia Márquez, il avait reçu l’investiture des peuples originaires et afro-descendants. Gustavo Petro a reçu l’écharpe présidentielle des mains de María José Pizarro, fille de Carlos Pizarro. Et c’est devant l’épée de Bolívar, dont il a exigé la présence contre la volonté du président sortant, qu’il a prononcé son premier discours soulignant le caractère totalement inédit de la victoire du Pacte historique à l’élection présidentielle du 19 juin.

Le Pacto histórico, signé en février 2021 entre Colombia Humana de Gustavo Petro, l’Union patriotique-Parti communiste de Colombie, le Mouvement indien et social alternatif, le Pôle démocratique alternatif, le parti du Travail, l’Unité démocratique et Todos somos Colombia, a pour projet une Colombie, puissance mondiale de la vie, inclusive et égalitaire, abandonnant le modèle exportateur de pétrole et charbon pour une production agricole durable et un tourisme respectueux de la biodiversité.

Au cœur des engagements de Petro et de son équipe plurielle et paritaire, se trouve la construction de la paix que « méritent les morts et dont les vivants ont besoin ». La Commission de la Vérité, l’une des institutions prévues dans les accords de La Havane, estime les morts de la guerre à plus de 450 000, auxquels il faut ajouter 120 000 disparus, 8 millions de déplacés par la violence et un million d’exilés…

Dès la première semaine, le gouvernement a ouvert les portes du Palais présidentiel et du Congrès au peuple colombien. Il a entièrement renouvelé le commandement des Forces armées et de la police. Il a manifesté aux États-Unis son refus de voir Cuba maintenue sur la liste des pays terroristes et a envoyé une délégation de haut niveau à La Havane pour reprendre contact avec l’ELN. Il a lancé la grande réforme fiscale qui financera ses projets. Le trafic de marchandises a été rouvert avec le Venezuela. La loi contre le fracking est arrivée au Parlement, confirmant un tournant en matière énergétique. Au sein même du gouvernement, une politique d’austérité et anticorruption qui s’étendra à tout le secteur public a été mise en place.

Mais, sans majorité au Congrès, avec une oligarchie au pouvoir depuis deux siècles, qui a toujours usé de la violence pour protéger ses privilèges et détient une grande partie du pouvoir économique, avec les États-Unis qui perdent l’un de leurs principaux alliés, avec un peuple dans l’urgence de résultats, ce gouvernement de rupture va devoir se battre au quotidien pour « rendre possible l’impossible ».

Françoise Escarpit, journaliste, observatrice au Comité directeur de France-Amérique Latine

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