Multinationales contre droits des femmes

jeudi 4 mai 2023, par Stéphanie Treillet

Le 24 avril 2013, à Dacca au Bangladesh, le Rana Plaza, un immeuble de 8 étages abritant 6 usines de confection de vêtements, s’effondre, faisant 1138 mort·es et plus de 2000 blessé·es. Parmi les victimes, une très grande majorité de femmes.

Cette catastrophe a mis en lumière la responsabilité des grandes marques de prêt-à-porter organisant la sous-traitance dans ces usines, et l’autre face des prix bas pratiqués dans les enseignes des pays industrialisés.

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Les firmes multinationales organisent à l’échelle mondiale une segmentation des étapes de la production entre différentes localisations, avec une myriade de filiales, sous-traitants et fournisseurs dans des pays où les salaires sont bas et la législation peu contraignante. La sous-traitance leur permet d’exercer une pression importante sur les salaires et les conditions de travail des entreprises locales, en imposant des délais de fabrication très courts et une grande flexibilité.

Dans plusieurs secteurs, horticulture, agroalimentaire, téléphonie, tourisme, électronique…les femmes sont majoritaires. Près de 190 millions de femmes travaillent dans ces chaînes de valeur. Elles représentent 80 % de la main-d’œuvre dans les chaînes d‘approvisionnement mondiales de l’habillement.

Si dès la fin des années 1990, des études ont montré le caractère contradictoire pour les femmes de la croissance de l’emploi salarié dans les pays du Sud (accès à une certaine autonomie financière, sortie du foyer, fragilisation des normes traditionnelles, appartenance à un collectif de travail pouvant déboucher sur des luttes…), cet accès au marché du travail s’effectue sur le mode de discriminations et de conditions de surexploitation extrêmes.

Les salariées exercent très souvent des emplois précaires, peu qualifiés et très mal payés avec des salaires souvent inférieurs au minimum vital. Ainsi, au Bengladesh, en janvier 2019, les salarié·es du textile ont mené une longue grève pour des augmentations de salaires. Elles sont particulièrement exposées à la violence et au harcèlement sexuel et sexiste, risque renforcé par les contrats précaires, la faible syndicalisation et la subordination à des contremaîtres majoritairement masculins.

Le Covid a souvent encore aggravé ces conditions, provoquant des licenciements sans indemnités ou des mises au chômage partiel des femmes, ou la poursuite du travail dans des conditions encore aggravées (suppression des transports, exposition aux risques sanitaires, etc.).

L’association ActionAid a intenté une action contre Kosan Kosmetik, filiale à 51 % du groupe Yves Rocher implantée dans la banlieue d’Istanbul, qui a licencié plusieurs salarié·es, en majorité des femmes, à la suite de la création d’un syndicat.

Les salarié·es des pays industrialisés ne sont pas épargné·es. Aux États-Unis, des salariées enceintes ont été victimes de discriminations chez Amazon. En France, depuis les débuts du mouvement #MeToo, plusieurs scandales ont révélé la banalisation et l’impunité des violences sexistes et sexuelles au sein d’entreprises multinationales comme Ubisoft ou McDonald’s.

Comme l’a montré la catastrophe du Rana Plaza, le recours massif à la sous-traitance permet aux FMN donneuses d’ordre de se défausser de leurs responsabilités quant à l’absence de sécurité dans les entreprises locales. Les Organisations internationales (OCDE, ONU…) ont commencé à édicter des normes, mais celles-ci reposent uniquement sur un engagement volontaire des firmes, sans caractère contraignant. En outre elles sont incomplètes et, jusqu’à une période récente, ne prenaient pas en compte les violences de genre au travail.

Les stratégies de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) leur donnent même parfois l’occasion de pratiquer le « feminism washing » en communiquant, à l’instar de Nike et de Coca-Cola, sur les « avancées » que leur activité permettrait aux femmes ! Cependant, des progrès ont pu être enregistrés, comme résultat de la mobilisation du mouvement syndical international et des associations.

Adoptée le 27 mars 2017, la loi française sur le devoir de vigilance oblige les entreprises implantées en France et qui emploient au moins 5 000 personnes en France, ou bien 10 000 personnes dans le monde à identifier et prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement résultant non seulement de leurs propres activités, mais aussi des activités des sociétés qu’elles contrôlent, de leurs sous-traitants et fournisseurs.

Les associations et syndicats peuvent ainsi engager des actions en justice. Mais six ans après l’entrée en vigueur de la loi, son effectivité apparaît limitée et la cartographie des risques ne mentionne pas les violences sexistes et sexuelles.

Un long chemin encore pour les mobilisations !

Stéphanie Treillet

P.-S.

Crédit photo : Solidarity Center / Unsplash

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