Pour les partisans d’une réelle justice fiscale et sociale, il faut d’urgence mettre un frein à la « contre-révolution fiscale conservatrice » à l’œuvre depuis les années 1980 et en finir avec l’accumulation et à la concentration des richesses, donc des pouvoirs, au profit d’une infime minorité de plus en plus riche et puissante. Face à la demande de davantage de justice fiscale exprimée par une grande partie de la population, le pouvoir dramatise la question de la dette publique pour tenter d’imposer ses vues.
Une accélération de l’offensive conservatrice
Les conservateurs et néolibéraux ont toujours été hostiles à un modèle social financé par les recettes et les dépenses publiques [1]. Ils préfèrent un modèle largement géré par le secteur marchand (fonds de pension, assurances santé et écoles privées, etc), sans se soucier de son coût ni des inégalités que celui-ci ne manquerait pas de creuser. Leur discours est simple : dénoncer le poids des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques et de la dette publique, en arguant que les baisser favorisera la croissance et l’emploi.
Ce discours sert leur stratégie : faire pression sur les finances publiques, pour créer les conditions d’un recours à la privatisation de pans du système de protection sociale et des services publics. Et, s’il faut vraiment un système de prélèvements pour financer ce qu’il reste de services publics et de protection sociale, il faut qu’il porte essentiellement sur des impôts de type TVA.
Par conséquent, pour eux, il faut empêcher les projets qui, comme l’impôt plancher sur la fortune (la « taxe Zucman »), renforcerait la progressivité du système fiscal. Instaurer un tel dispositif marquerait en effet un coup d’arrêt à des années de détricotage de la progressivité fiscale et du modèle social. Les partisans de cette contre-révolution fiscale, qui ont déjà considérablement affaibli la fiscalité des revenus, des bénéfices et du patrimoine, veulent l’accélérer : ils ont ainsi dans leur viseur les droits de donation et de succession.
L’offensive conservatrice, largement soutenue par l’extrême droite, vise en effet surtout les impôts directs et progressifs, par principe les plus justes. Ce n’est pas un hasard si les attaques se concentrent sur les impôts touchant les revenus, les bénéfices et le patrimoine. Les résultats de cette offensive, favorisé par 40 ans de néolibéralisme, sont connus. Le taux de l’imposition des sociétés a été abaissé, comme les impôts locaux des entreprises, ce qui a notamment boosté la réalisation de profits importants et la distribution de dividendes.
L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été transformé en un maigrelet impôt sur la fortune immobilière (IFI), pour le plus grand bonheur des riches actionnaires qui, « en même temps », ont bénéficié d’une baisse de leur imposition sur le revenu grâce à la création du prélèvement forfaitaire unique. Par ailleurs, le nombre de niches fiscales a eu, de longue date, tendance à croître. Certaines d’entre elles sont particulièrement généreuses avec les plus riches : il en va ainsi du « pacte Dutreil », qui exonére 75 % de la valeur des titres d’une entreprise transmis par voie de donation et de succession.
De manière générale, les agents économiques les plus aisés ont donc été choyés par cette « contre révolution conservatrice » menée au nom d’un ruissellement, mais qui ne s’est pas réellement produit, en attestent par exemple les rapports du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital.
Du XIXe siècle à aujourd’hui, les mêmes arguments...
D’hier à aujourd’hui, il est frappant de voir que les arguments des opposants à la justice fiscale n’ont pas changé. Au XIXe siècle déjà, les conservateurs ont combattu la création de l’impôt sur le revenu, des droits de donation et de succession et la mise en place du système de contrôle fiscal avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui à propos du projet d’impôt plancher sur la fortune (IPF, dit aussi « taxe Zucman ») et, plus largement, de toute mesure significative et pérenne visant les plus riches et les plus grandes entreprises. Un tel impôt serait anti-économique : il ferait fuir les riches, ce qui nuirait à l’investissement et à l’emploi, au risque d’appauvrir la France, etc.
Largement véhiculé lorsque l’ISF était en place par ses opposants, cet argument de l’exil fiscal est trompeur. Les données de l’administration fiscale transmises au Parlement n’ont jamais démontré un tel phénomène. Lorsque l’ISF était en vigueur, tous les ans, 0,2 % du nombre de ses redevables partaient à l’étranger. Certains revenaient (entre 25 et 40 % des départs selon les années), tandis qu’on dénombrait aussi de faux-exilés, soit des fraudeurs qui déclaraient s’installer à l’étranger mais qui continuaient à résider en France Chaque année, l’administration fiscale en identifiait entre 100 et 200… Au final, le « solde net » des départs était donc très faible.
Il y a mieux, s’agissant de l’impact de ces départs sur l’économie. Lorsqu’ils résidaient en France avant leur départ, les redevables de l’ISF, notamment les plus riches, disposaient de placements financiers et immobiliers, tant en France qu’à l’étranger. Et lorsqu’ils partaient à l’étranger, ils conservaient leurs placements. La perte se résumait alors au montant de l’ISF que ces redevables ne payaient plus puisqu’ils étaient à l’étranger, soit 0,6 % du rendement de l’ISF. Invoquer l’exil fiscal ne reposait sur aucune donnée empirique, cette stratégie étant uniquement destinée à faire peur. Ajoutons que des solutions existent pour contrecarrer les projets visant à s’exiler pour des raisons purement fiscales, avec notamment l’extension du concept de résidence fiscale. Au-delà, si, depuis le 19è siècle, le développement du système de prélèvements, fiscaux et sociaux, avait du appauvrir la France, cela se serait vu. Tel n’a pas été le cas, puisque le développement du système de prélèvements a accompagné le développement économique et le progrès social.
Les conservateurs dramatisent sans vergogne la question de la dette publique pour éviter de parler d’une juste contribution commune tout en arguant qu’augmenter les impôts des grandes entreprises et des plus riches, les grands gagnants des mesures fiscales de ces 40 dernières années, est irréaliste. Or, les mesures prises, principalement orientées vers les plus riches et les plus grandes entreprises, n’ont pas seulement favorisé les inégalités, elles ont également aggravé la dette publique. Depuis 2018, les baisses d’impôt ont ainsi contribué à rehausser la dette publique de plus de 307 milliards d’euros, dont 207 milliards ciblés sur les plus riches et les grandes entreprises [2]. Avec un tel bilan, un rééquilibrage fiscal est nécessaire pour éviter l’austérité budgétaire : il s’agit d’éviter de faire payer l’injustice fiscale deux fois en quelque sorte à la population mais aussi de faire face aux enjeux sociaux et climatiques. L’enjeu, désormais, est non seulement de poursuivre sur la voie d’un progrès qui soit social mais également environnemental. Pour cela, une bifurcation sociale et écologique est indispensable [3].
Agir pour la justice fiscale, sociale et écologique, légitime et nécessaire !
Les annonces de François Bayrou du 15 juillet 2025 ont provoqué de vives réactions. Celles-ci expriment un véritable ras-le-bol des injustice fiscales et sociales. Les politiques néolibérales font par ailleurs le lit de l’extrême droite. Sensible aux thèses conservatrices, celle-ci tente périodiquement de récupérer cette colère en stigmatisant les immigrés, les « charges », le modèle social supposé trop généreux, etc. Au fond, l’extrême droite surfe sur une colère légitime pour mieux diviser la population et, sur fond de racisme et de xénophobie exacerbée, pour tenter imposer des vues pourtant à l’opposé des intérêts de la population et des enjeux sociaux et environnementaux de la période.
Nous sommes donc toujours en présence de deux grandes approches : l’une qui plonge ses racines dans des mouvements qui se sont toujours opposés au progrès social et aux solidarités, l’autre qui considère que le progrès social, les droits humains, la démocratie et la préservation de l’environnement sont intimement liés et qu’ils doivent être défendus constamment. C’est sur cette base qu’Attac agit et agira, en recherchant l’unité la plus large pour gagner, notamment, la bataille de l’impôt.
Vincent Gath Drezet