La Via Campesina : faire entendre la voix paysanne

Depuis 1993, La Via Campesina porte la voix de paysannes et de paysans, de travailleurs ruraux, de sans-terre et de peuples autochtones dans un monde globalisé. Depuis les grands rassemblements altermondialistes du tournant des années 2000 aux enceintes de l’Organisation des Nations unies (ONU), le mouvement s’amplifie pour défendre la production et la culture paysannes, capables de répondre aux défis du changement climatique et de la crise de biodiversité, résistant face à l’accaparement des ressources et au pouvoir grandissant des entreprises transnationales.

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une série estivale, « les invités d’Attac ». Elle reprend des interviews et présentation de mouvements parus dans notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Face aux politiques néolibérales, la naissance d’un mouvement international paysan

Les politiques néolibérales des années 1980 bouleversent le monde rural. Les plans d’ajustements structurels du Fonds monétaire international (FMI) imposent aux pays endettés des réformes drastiques et l’abandon des politiques agricoles protectrices. Des législations nationales facilitent l’intégration du secteur agricole dans les économies marchandes au détriment des petits producteur·ices.

C’est aussi en 1986 que commencent les négociations de l’Accord général sur les taxes douanières et le commerce (GATT), qui doivent intégrer l’agriculture dans les accords de Marrakech et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui en découle en 1994.

Au tournant des années 1990, des organisations paysannes contestant le productivisme et la mise en place des politiques mercantiles existent dans plusieurs pays ou régions du globe, telles que les Paysans travailleurs (CNSTP), ancêtre de la Confédération paysanne en France, et la Coordination paysanne Européenne (CPE) en Europe. Mais il n’y a pas de représentation paysanne dans les instances internationales où sont discutées les politiques agricoles et alimentaires.

En avril 1992, des organisations paysannes se rencontrent à Managua au Nicaragua autour de l’organisation locale, l’Union Nacional de Agricultores y Ganaderos (UNAG). La Déclaration de Managua qui en découle se décrit comme « un document fondateur qui exprime le rejet commun des politiques néo-libérales qui laminent les paysans, l’importance des communautés paysannes pour la production alimentaire du monde, exige le droit à la participation des paysans dans l’élaboration des politiques qui les concernent et le respect des cultures productives paysannes, base fondamentale et stratégique de la survivance des peuples ».

Ces organisations se rassemblent à nouveau en 1993, à Mons en Belgique, à l’initiative d’une importante organisation non-gouvernementale (ONG) néerlandaise, qui souhaite constituer une plateforme d’étude. Les paysan·nes ne l’entendent pas ainsi et élaborent leur propre agenda menant au départ de l’ONG et à l’autonomisation du mouvement paysan, qui prend le nom de Via Campesina, pour suivre « la voie paysanne », mais aussi faire entendre « la voix paysanne ».

Le 4 décembre 1994, une manifestation a lieu à Genève avec des leaders paysans d’Inde, du Japon, du Canada. Face à la mondialisation des politiques, la Via Campesina mondialise la lutte et mondialise l’espoir !

Du mouvement altermondialiste aux tables des négociations

La Via Campesina est présente dans les mobilisations à Genève, à Seattle, au Forum social mondial de Porto Alegre, construisant le mouvement altermondialiste [1], tout en renforçant la convergence entre les organisations paysannes qui la rejoignent, de plus en plus en plus nombreuses. Des alliances avec d’autres secteurs de la société civile se nouent, sources de force du mouvement.

En France, les sanctions de l’OMC contre le fromage de Roquefort, en rétorsion à l’opposition de l’Europe à importer des viandes américaines élevées aux hormones, déclenchent le fameux démontage du restaurant McDonald’s en construction à Millau en août 1999. L’arrestation de José Bové, paysan sur le Larzac, amène à une prise de conscience accélérée des enjeux de la mondialisation néo-libérale et lance la Confédération paysanne dans une série d’actions qui secoue l’ensemble du monde agricole.

C’est aussi l’époque où les multinationales de la semence et des biocides tentent d’imposer les organismes génétiquement modifiés (OGM). Avec les brevets et l’interdiction des semences paysannes traditionnelles, le développement des OGM est une violente agression contre les systèmes paysans, et la Via Campesina se mobilise dans de nombreux pays pour préserver leur souveraineté alimentaire.

La souveraineté alimentaire est une idée puissante qui structure les travaux de l’organisation depuis 1996, date de sa conceptualisation lors du Sommet mondial de l’alimentation organisé à Rome par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). D’abord lancée comme un cri face à la mondialisation commerciale « nous pouvons nourrir nos peuples ! », la souveraineté alimentaire est élaborée par les organisations de petits producteurs comme le « droit des peuples à une alimentation saine et culturellement adaptée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et le droit de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles ».

Le droit à l’alimentation avant les droits du commerce !

À l’initiative d’organisations d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, la Via Campesina a développé l’agroécologie comme moyen de réaliser la souveraineté alimentaire. Une agroécologie paysanne, où s’articulent savoirs traditionnels et innovations techniques et sociales, développée comme un puissant mouvement social d’autonomisation. Malgré les risques de dévoiement et de récupération, l’agroécologie peut être un puissant outil conceptuel de renforcement de l’agriculture paysanne.

Rapidement, la Via Campesina se bat pour défendre les droits les paysan·nes dans les lieux où se discutent les politiques agricoles et alimentaires tels que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) qui constitue, depuis sa réforme en 2009, la principale plateforme internationale et intergouvernementale, ouverte à tous, pour assurer à chacun·e la sécurité alimentaire et la nutrition.

Dès le début des années 2000, sous l’impulsion de l’organisation indonésienne Serikat Petani Indonesia (SPI) et de son leader Henry Saraghi, la Via Campesina se mobilise pour obtenir un outil juridique international de défense des paysan·nes et de tous les petits producteur·ices d’aliments, y compris les pêcheurs, les sans-terre et les travailleur·ses salariés, soumis à la concurrence déloyale du système alimentaire industriel et à la répression étatique qui sévit dans de nombreux pays.

Ce marathon, de mobilisations en sessions de travail au Conseil des droits de l’Homme à Genève, a abouti à l’adoption de la « Déclaration des droits des paysans et autres personnes travaillant en zone rurale » par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2018. Une grande victoire !

Signalons aussi l’importance de l’intégration des jeunes [2] dans l’organisation, intégrés dans tous les évènements de la Via Campesina, ainsi que des femmes également organisées au sein de « l’articulation des femmes » et présentes grâce à la parité impérative des instances, décidée depuis longtemps. Une importante campagne contre les violences faites aux femmes a notamment été menée.

C’est enfin en souvenir de l’assassinat de 19 paysans membres du mouvement des sans-terre (MST), en 1996 au Brésil, que le 17 avril est célébré tous les ans comme la « journée internationale des luttes paysannes ».

La Via Campesina aujourd’hui

Le mouvement rassemble aujourd’hui 182 organisations dans 81 pays et représente plus de 200 millions de paysan·nes à travers le monde. C’est une grande source de force et de fierté pour nos régions d’Europe et d’Amérique du Nord où l’agriculture ne représente plus que quelques pourcents des actifs.

Chacune des 9 régions est représentée par au moins deux délégué·es, un homme et une femme, ainsi qu’un jeune quand cela est possible, à la Commission de coordination internationale (CCI). Celle-ci assure le fonctionnement de l’organisation et la réalisation des actions, rencontres et conférences.

Assurer la participation de paysannes et paysans vivant parfois dans des endroits reculés grâce à la traduction est un choix politique de l’organisation, accompli grâce au soutien d’interprètes, souvent bénévoles, et d’une petite équipe de salarié·es très engagés. Ainsi, en plus des trois langues habituelles - anglais, français et espagnol - les réunions de la CCI bénéficient de traductions en coréen, en portugais... Pour la dernière conférence de 2017 au Pays basque, la traduction en 17 langues a constitué un véritable exploit !

Les Conférences internationales, prévues tous les 4 ans, sont des temps forts de l’organisation, et statutairement, l’organe de décision suprême. On s’y retrouve, on partage l’émotion des luttes au cours des misticas - pratique qui met en scène collectivement le vécu paysan - on célèbre les victoires, on discute et valide les grandes orientations politiques de l’organisation. La crise du Covid-19 a beaucoup perturbé le fonctionnement de l’organisation et la 8e Conférence internationale prévue en 2021 a été reportée.

L’accueil de la Via Campesina à Paris

Malgré cela, le passage du secrétariat international depuis le Zimbabwe où il est installé depuis 2013, avec Elisabeth Mpofu comme coordinatrice générale de la Via Campesina, vers l’Europe et plus précisément vers la France, adossé à la Confédération paysanne, reste prévu dès 2021 !

Le secrétariat central de l’organisation, tournant, a été hébergé successivement en Belgique, puis au Honduras, en Indonésie et enfin au Zimbabwe. Le situer en Europe, continent d’origine des colonisateurs et de nombreuses entreprises multinationales nuisibles pour nos collègues du Sud a posé d’inévitables questions, mais ce débat présent dès l’origine de la Via Campesina permet de mieux identifier les véritables raisons systémiques des atteintes au monde paysan.

Aujourd’hui, près de 30 ans après la création de l’organisation, nos adversaires ne sont plus seulement les grandes entreprises de l’agroalimentaire et de la distribution comme Cargill ou Walmart, ou les géants de la chimie et des semences. Les entreprises de la technologie numérique, avec en tête les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et leur posture hégémonique, cherchent également à s’imposer dans le secteur et posent ainsi de nouvelles problématiques : développement de l’alimentation artificielle, accaparement des données numériques des agriculteur·ices… La marchandisation de la nature, et l’alimentation, apparaissent ainsi comme de nouveaux eldorados pour ces acteurs de l’économie virtuelle.

Alors que la gestion de la crise du Covid-19 renforce les multinationales et que les organisations de terrains sont désorganisées et muselées, comment la Via Campesina et ses membres pourront-ils visibiliser et renforcer les luttes des millions de paysannes et paysans du monde ? La mobilisation citoyenne sera indispensable !

Geneviève Savigny, paysanne dans les Alpes de Haute Provence, membre du comité de coordination de la Coordination européenne Via Campesina (ECVC) 2009-2018.

Josie Riffaud, paysanne en Gironde, membre du CCI 2004-2013 et du Conseil international du FSM 2008-2013.

Jean-Mathieu Thévenot, représentant des jeunes européens à ECVC et la Via Campesina.

P.-S.

Photo d’illustration : « La Via Campesina organizing meeting - Cochabamba, Bolivia » by Kris Krug is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.

Notes

[1Sur ce sujet, lire l’article de Josie Riffaud « La Via Campesina dans le mouvement altermondialiste » sur notre site attac.org/l/lvc-altermondialisme

[2Sur ce sujet, lire l’article de Jean-Mathieu Thévenot « La jeunesse, au cœur du mouvement paysan » sur notre site attac.org/l/lvc-jeunesse

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