L’indignité des pays occidentaux : l’impossible migration

vendredi 14 octobre 2022, par Mireille Fanon-Mendès-France

Depuis plusieurs années, le terrible bilan humain du durcissement des politiques migratoires ne fait qu’empirer. Il résulte d’un système libéral et raciste, contre lequel la lutte est plus que jamais d’actualité.

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Selon le projet Migrants disparus de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), les flots de la Méditerranée avaient englouti la vie de 5 000 personnes en 2016. Six ans plus tard, ce sont plus de 24 144 corps qu’a retenus cette mer, que veulent traverser à tout prix celles et ceux qui cherchent à échapper à l’horreur de la guerre, au désespoir d’une vie socialement et économiquement non viable, et aux ravages environnementaux.

Ces chiffres augmentent au jour le jour, puisque de nombreux pays européens, au prétexte de se protéger d’une migration « non choisie », essaient de repousser, par des moyens de plus en plus indignes, ceux qui tentent d’arriver en Europe, qu’ils soient réfugiés ou migrants. Ces chiffres ne peuvent faire oublier tous les corps disparus entre le Mexique et les États Unis, dans le désert du Sahara, en Erythrée, et sur combien d’autres routes de l’exil.

Toutes ces routes ont en commun de raconter l’indignité des pays occidentaux qui violent, sans aucun état d’âme, la dignité humaine, le droit à la vie, le droit à l’asile, le droit à l’assistance à personne en danger, le droit à l’enfant d’être protégé, le droit des personnes à être protégées du trafic, de l’esclavage, de la déportation, de la guerre, des violences systématiques, de la torture, du viol, du traitement inhumain.

La question des migrations renvoie l’humanité à des temps où aucune loi ne protégeait la dignité humaine. A des temps où les corps noirs étaient considérés comme des biens meubles, où les corps étaient taillables, corvéables et jetables selon les besoins et le bon vouloir du maître.

L’Europe, par ses lois iniques et indignes au prétexte de se protéger, se comporte tel le maître qui esclavagisait, en sélectionnant des hommes et des femmes arrachés par la force au continent africain. Aujourd’hui, les pays développés s’arrachent les jeunes diplômés du continent africain, au nom de l’immigration choisie ; depuis 2015, quelques 39 000 ingénieurs et 3 300 médecins ont quitté la Tunisie ; ils viennent aussi recruter les futures stars du football de demain. Tout comme leurs ancêtres, ils s’approvisionnent.

Ils avaient procédé ainsi dès les années 60-70, au moment où la main d’œuvre leur faisait défaut. Ils accueillaient tous les bras et les exploitaient au-delà de l’acceptable. Face à un capitalisme en crise et à une société menacée par la coupure drastique de l’ensemble des programmes socio-économiques, l’État français, mais aussi dans bon nombre d’autres pays, n’a rien trouvé de mieux pour justifier du démantèlement des politiques publiques que d’accuser les Français, dont les parents migrants ont participé à la reconstruction et à l’essor de la France, d’être responsables de la situation économique et sociale.

Cela ne leur a pas suffi, l’État est allé encore plus loin en dénonçant les nouveaux migrants pour le coût exorbitant de leur gestion. Ainsi la notion xénophobe de « l’immigration subie » était née. A l’heure actuelle, la seule préoccupation de ces États est de trouver le moyen de ne plus subir cette immigration.

Les migrants, dès qu’il s’agit de l’immigration choisie ou subie, sont ainsi devenus les nouveaux esclaves du système capitaliste libéral et raciste.

Il est à noter que dès qu’il s’agit de migrations, il n’est plus question pour les pays, parangons de la démocratie, de se réclamer de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il ne s’agit que de trouver le meilleur moyen de rendre les frontières « inviolables » afin de se protéger de ceux « qui vont prendre notre travail », « qui ne veulent que profiter de notre système » et qui sont considérés comme « des terroristes et des criminels » et face auxquels s’exprime la crainte irrationnelle « d’être envahis ».

Combien de migrants sans papiers occupent les postes que les Français de souche ne veulent plus occuper, entre autres dans le secteur des services à la personne, de la restauration et des livraisons ? Qu’auraient été les périodes de confinement s’ils n’avaient pas été là ?

Cela ne les empêche pas de jeter aux oubliettes les droits humains dont ils se prétendent les protecteurs inconditionnels, tout en dénonçant avec véhémence quiconque violerait ces droits, au point de demander l’exclusion de certains États du Conseil des droits de l’homme de l’ONU -il y a eu le Venezuela, il y a maintenant la Russie mais jamais, malgré les violations massives, les États Unis, Israël ou la France, entre autres dans sa gestion barbare de la lutte pour l’indépendance du peuple algérien.

Au nom de ces droits, ces pays occidentaux et d’autres aussi, ont mené des guerres ou des opérations militaires tout en violant le droit international, le droit humanitaire et la Charte des Nations Unies.

Ces considérations ne sont ni plus ni moins que l’expression de la suprématie occidentale, de la xénophobie et d’un racisme structurel assumé qui ne sont pas sans rappeler les arguments donnés par les esclavagistes et les colons pour justifier, dès 1492, la colonisation et la mise en esclavage, « ces terres n’appartiennent à personne », « ils n’ont pas d’âme », « ils ne savent pas exploiter leurs terres »…

Il y a bien une chose que les migrants, malgré leur situation de grande précarité, à tous les niveaux, ne doivent rien aux pays qui ne veulent pas les accueillir c’est leur capacité de solidarité, les uns envers les autres mais aussi avec leur pays et leurs proches.

Selon la Banque mondiale, les migrants devraient envoyer dans leurs pays respectifs 630 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de 4,2% par rapport à 2021.

Il faut analyser ce flux d’argent au regard de ce que les pays développés envoient aux pays mal développés ; ainsi selon le GFI (Global Financial Integrity), en 2015, 48 pays de l’Afrique subsaharienne ont reçu 161,6 milliards de dollars de l’étranger.

En d’autres termes, les migrants soutiennent fortement leurs proches et leur pays alors que les pays dits développés, pétris de suffisance et de supériorité, réduisent de manière drastique toute aide au développement et sont incapables de manifester de la solidarité. Les pays bénéficiant de différents programmes au développement, toujours selon le GFI, donnent plus d’argent qu’ils n’en reçoivent ; en 2012, les pays du Sud ont envoyé 2 milliards de dollars de plus au reste du monde que le montant reçu.

Le GFI a calculé qu’entre 1980 et 2012, les pays pauvres ont perdu un total de 13,4 milliards de dollars. Il n’est dès lors pas insensé de faire le lien avec l’augmentation des migrants pour raisons socio-économiques qui, s’ils veulent survivre, sont obligés de fuir vers d’autres lieux ; cette fuite est bien la conséquence directe des politiques d’ajustements structurels imposés, des fonds de coopération au développement, des investissements étrangers développés au seul profit des transnationales sans aucune répartition des richesses, des flux commerciaux aux taxes exorbitantes, et des dettes majoritairement illégales…

Cela révèle une équation indiscutable : le système capitaliste agit comme un prédateur dans les pays mal développés, comme l’avaient fait les colonisateurs à partir de 1492. Le monde eurocentré capitaliste se nourrit sur les corps racisés et précarisés, dont ceux des migrants. Le modèle n’a pas changé, il reste barbare et violent.

Il a créé de multiples obligations et de multiples niches obligeant les pays mal développés à s’y contraindre au risque de sombrer dans une pauvreté encore plus grande. Devrait on mentionner la corruption, antienne préférée de ceux qui pointent la faille chez le voisin alors qu’eux-mêmes sont experts en camouflage de montages financiers leur permettant d’engranger des profits ou de dissimuler des pertes ?

La situation imposée aux migrants, une fois qu’ils parviennent à entrer sur le territoire de l’autre et avant qu’ils n’obtiennent la reconnaissance par une carte de séjour, les oblige à être étrangers à la communauté, à errer pendant des mois, voire des années, sans papiers, à être étrangers à eux-mêmes dans la mesure où c’est l’État qui dispose de leur sort en s’acharnant à nier leur humanité. Mais ainsi que le souligne Robert Antelme [1], celui qui s’acharne à nier l’humanité de l’autre montre par là-même l’humanité -irréductible- de cet autre.

S’ils n’ont d’autre choix que de se rassembler dans des camps de fortune, que ce soit à Calais, autour de Ceuta et Mellila, dans le nord de Paris, sur les îles grecques, à la frontière nord américaine, les migrants luttent avec force et pugnacité contre cet enfouissement de leur vie.

Quel que soit le migrant rencontré, quel que soit son pays d’origine, tous sont des êtres humains ordinaires contraints d’agir de manière extraordinaire pour essayer de se refaire une vie tout en fuyant des horreurs inimaginables chez eux. De jeunes enfants ne rêvent que de trois repas par jour et d’un lit sûr et sec pour dormir. En ce sens, ils deviennent extraordinaires !

Nos États, dans la majorité des cas, ne leur offrent que la chasse à l’homme, l’enfermement dans des centres de rétention avec d’autres adultes, la déportation alors qu’ils sont mineurs et devraient bénéficier de la protection que leur jeune âge exige.

On ne peut oublier que de jeunes Africains subsahariens ont été vendus en Libye, sans que cela émeuve le monde, ou si peu ; certains pays ont-ils oublié avoir signé la Convention relative à l’esclavage de 1926 ?

On ne peut ignorer que l’on a assigné à ces jeunes un statut d’esclave et qu’entre autres cela n’a été possible que parce que la France a fait adopter une résolution sur la Libye, grâce à une interprétation abusive du droit international, ce qui a avalisé un bombardement en règle du pays, porté par l’OTAN, au nom de la démocratie et du droit de protéger les populations ; le tout ayant abouti à une déstructuration totale de l’État avec pour conséquence une catastrophe humanitaire dont la victime est l’ensemble du peuple de Libye et au-delà les nombreux migrants passant par ce territoire où les droits humains n’existent plus.

Avec cet épisode dramatique, force est de constater que ce sont les pays anciennement esclavagistes et colonisateurs qui sont les plus ardents défenseurs de l’externalisation de la gestion des migrations et qui sont prêts à signer des accords avec des milices ou avec des pays comme cela vient de se faire entre la Grande Bretagne et le Rwanda.

Londres n’a rien inventé, cette capitale s’est simplement inspirée de ce qu’avait fait l’Australie ; au début des années 2 000, les autorités australiennes ont mis en place la Pacific solution, qui, devant les réactions virulentes d’ONG, a été vite abandonnée pour être remplacée, à partir de 2013, par l’envoi des migrants sans visa sur les îles Manus et Nauru.

Ce même genre de plan diabolique circule dans d’autres pays ; le Danemark a voté une loi en 2021, similaire à celle passée au Royaume-Uni, permettant de conclure un accord pour qu’un pays, hors de l’Union européenne, accueille les demandeurs d’asile et examine leur dossier.

Le Danemark, comme l’Irlande, a négocié en matière d’asile une clause de non-participation à la politique de l’Union en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice (« opting out »), lui permettant d’exclure de sa législation l’application du droit européen de l’asile. En mai 2022, le gouvernement danois est entré en pourparlers avec le Rwanda pour signer un accord similaire à celui signé par le gouvernement britannique. 

Les corps des migrants peuvent ainsi être sous-traités comme des biens de consommation.

Le statut de migrants fait que la personne ne s’appartient plus. Son corps est externalisé et le retour à la réappropriation de son corps dépendra de là où il sera accueilli. Le contrat passé entre la Grande Bretagne et le Rwanda se solde par une première tranche de plus de 120 millions de livres sterling contre un « toit et des formations » aux migrants qui auront de plus la possibilité de « s’installer définitivement au Rwanda ». Pour la ministre de l’Intérieur du gouvernement Johnson cet accord se veut « créatif et compassionnel », pour certaines ONG, dont Amnesty International, il s’agit d’« une idée scandaleusement mal conçue » qui « fera souffrir tout en gaspillant d’énormes sommes d’argent public  », soulignant aussi le « bilan lamentable en matière de droits humains » du Rwanda.

De toutes manières, même si leur demande d’asile était jugée recevable, ils ne pourraient plus la faire valoir en Grande Bretagne. 6 400 kilomètres les sépareront de leur rêve d’une vie meilleure ! Leur corps ne leur appartient plus. Leur est retiré le droit de circuler librement et de s’installer dans un lieu de leur choix tel que stipulé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ; par cet accord, le gouvernement britannique se défausse de sa responsabilité internationale au titre de la Convention relative au statut des réfugiés de protéger les personnes en quête d’asile.

Avec la gestion raciste, xénophobe des migrations, nous entrons dans l’ère des assignés à résidence ; d’un côté, ceux qui ne pourront que rêver ou mourir car ils ne correspondent pas aux idéaux des pays dits développés qui veulent se garantir de rester dans un entre-soi blanc européo-centré et qui se revendiquent de la Modernité comme unique objectif de développement ; de l’autre, ceux, formés à cette école élitiste et raciste et prêts à endosser et à défendre les idéaux du modèle capitaliste financiarisé, qui pourront franchir les frontières.

Deux mois après l’entrée en vigueur de cet accord, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé d’adopter une mesure provisoire urgente (version CEDH du référé) dans l’affaire K.N. c. Royaume-Uni (requête no 28774/22), qui concerne un demandeur d’asile exposé à un risque imminent de refoulement vers le Rwanda.

Cette guerre menée contre les migrants et leurs États refusant de les rapatrier ne s’arrête pas là. Depuis plusieurs mois, la France a durci l’obtention de visas ; ainsi que le souligne la pétition, « La politique des visas : discriminations et injustice », lancée par différentes organisations, entre 2021 et mars 2022, 23 % des demandes de visas, déposées par des citoyens des pays du Maghreb, auraient été refusées en réaction au refus de ces pays de rapatrier leurs ressortissants sans-papiers. Ces organisations soulignent fort justement le caractère discriminatoire d’une telle décision qui s’apparente plus à une punition collective.

Une fois encore la liberté de circulation est mise à mal par des États qui se devraient de la protéger.
Il n’est dès lors pas étonnant de voir de jeunes Africains se jeter sur les barbelés de Melilla, dans une tentative désespérée de gravir l’inatteignable sommet des barrières les séparant de l’espoir, de leur vie, de leur respiration.

Le 24 juin dernier, plus de 39 jeunes migrants, sans vie, jonchaient le sol à la frontière de Melilla ; la police les a matraqués, poursuivis, terrorisés jusqu’à ce que mort s’en suive, d’autres atrocement blessés ne pouvaient se relever. Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles, sont claquemurées derrière leurs 20 kilomètres de barbelés, symbole d’un système libéral raciste qui se calfeutre pour ne pas se confronter aux autres.

Cette tragédie s’inscrit dans un contexte où les relations entre le Maroc et l’Espagne se sont normalisées, l’Espagne ayant décidé de soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental éliminant ainsi un acteur majeur, le Front Polisario, qui exigeait que ce plan soit validé par un référendum d’autodétermination. Force est de constater que le traitement des migrations est aussi le résultat de rapports de force entre États, au risque de la vie des migrants.
Juste quelques jours après, 51 corps sans vie ont été retrouvés dans un camion au Texas. Le seul argument trouvé par le président américain s’est réduit à appeler à lutter contre les passeurs.

Mais si l’Europe et les États Unis étaient concernés par la vie de ceux qui fuient une vie devenue impossible alors ce n’est pas contre les passeurs qu’ils uniraient leurs efforts mais contre les politiques libérales qui privent des millions de personnes d’une vie digne. Ils se mobiliseraient contre les guerres illégales portées par leurs propres États, contre l’exploitation illicite des ressources naturelles, contre la privatisation galopante de l’ensemble des services publics ; ils se mobiliseraient contre un système capitaliste libéral et raciste qui engendre guerre et misère et qui produit des migrations massives.

Pour tous ces États et nombre d’institutions, les migrants -les autres, l’étrange étranger- ne sont plus humains, derrière chacun d’entre eux se cache potentiellement un terroriste qui menace « le vivre ensemble ».

Aujourd’hui, chaque migrant est une menace et non plus une rencontre. Bien évidemment, il y a quelques exceptions, mais la majorité des populations occidentales ont peur et n’ont comme réponse que de s’isoler, de se séparer de ceux qui représentent, d’après leurs délires liés à l’identité nationale, un danger.

L’Union européenne agit de manière délinquante à l’égard des migrants et porte une lourde responsabilité dans la façon dont sont traités tous ceux qui se pressent à ses portes ; elle est responsable à la fois de la xénophobie ouvertement affichée par certains de ces États et du racisme exprimé par certains dirigeants dès qu’il s’agit des corps noirs et des personnes de religion musulmane. Elle se devrait, en tant qu’institution régionale, ne pas abonder dans le sens de ceux qui défendent la ‘préférence nationale’ à coup d’une idéologie portée par la suprématie blanche.

Que n’a-t-on entendu pour justifier les frontières grandes ouvertes pour accueillir les réfugiés ukrainiens ? Il suffisait d’écouter certains politiques et journalistes français pour qui les Ukrainiens font partie de la nation civilisée : « ce sont des Européens de culture, même si on n’est pas dans l’Union européenne », « Immigration de grande qualité, ce sont des intellectuels, (…) on pourra tirer profit de cette immigration » ; « on ne parle pas de Syriens fuyant le régime, on parle d’Européens fuyant dans des voitures ressemblant à nos voitures » ; « il y a une différence avec les Ukrainiens qui participent de notre espace civilisationnel avec d’autres qui appartiennent à d’autres civilisations ».

Les a-t-on entendus lorsque les étudiants africains ont fait part des difficultés rencontrées pour quitter non seulement le territoire ukrainien mais aussi pour être accueillis dignement dans le pays de destination ? A peine quelques jours après le début de cette agression illicite commise contre le peuple ukrainien, ceux qui sont supposés ne pas appartenir à cette culture ont été appréhendés comme des Non Êtres et n’ont pu bénéficier de la protection temporaire due à tout humain en temps de guerre.

L’Europe a été prompte et plus qu’efficace dans l’accueil des réfugiés ukrainiens en appliquant le mécanisme d’urgence de la directive sur la protection temporaire. Directive effective depuis 2001, jamais appliquée lorsqu’il a s’agi de migrants arrivant de l’Afrique subsaharienne, de la Syrie, d’Afghanistan ou de l’Irak. Cette différence de traitement insoutenable met en avant la question raciale qui ne peut être obérée lorsque qu’il s’agit des migrations.

Les étudiants réfugiés d’Ukraine ont dû se débrouiller seuls et être confrontés à l’iniquité d’un système raciste sélectionnant les réfugiés, ou demander de l’aide à leur État ou tout simplement compter sur la solidarité dont font preuve les migrants exclus par un système les rejetant.

Si la solidarité à l’égard des Ukrainiens a été sans faille avec la mise en place de réseaux de solidarité (accueil, logement, emploi, nourriture, médicaments, jouets, vêtements…) très organisés et cela sur l’ensemble du territoire, chaque ville, chaque village réclamait « son » Ukrainien, rien de comparable n’a été mis en place dès lors qu’il s’agit d’un migrant arrivant d’un ailleurs en aucun point semblable à son « chez soi ».

Au contraire, de plus en plus souvent, dès que des personnes décident de secourir les migrants abandonnés à leur sort, ils sont, contrairement à ceux qui ont aidé les Ukrainiens, accusés d’aide au séjour illicite et passibles d’une peine d’emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 30000 euros [2]. Même la solidarité s’analyse à l’aune de la question raciale et de la capacité du système capitaliste a négocié ses avantages avec l’autre pour savoir qui pourra en profiter.

Il faut donc une fois encore souligner que la question raciale croise sans cesse la question des migrations. Il est à espérer que la guerre d’agression en Ukraine aura permis de déciller les yeux de tous ceux qui refusent de les ouvrir et de se rendre à l’évidence que le racisme structurel structure les actions, les positionnements, les engagements que l’on engage à l’égard des précarisés et des racisés.

Il me faut encore m’en référer à Anibal Quijano qui souligne que « la race a été imposée comme critère fondamental de classification sociale universelle de la population mondiale, c’est autour d’elle qu’ont été distribuées les principales identités sociales et géoculturelles du monde à l’époque [3]. (…), c’est bien à partir de cette création sociale, profondément ancrée dans l’inconscient collectif, que l’assignation des migrants de certaines aires géographiques à une zone de Non Êtres où ils sont dépourvus de leur humanité reste une évidence indiscutable pour beaucoup d’États et de personnes. »

Il continue en affirmant « que la race, à la fois mode et résultat de la domination coloniale moderne, a imprégné tous les champs du pouvoir capitaliste mondial. Autrement dit, la colonialité s’est constituée dans la matrice de ce pouvoir, capitaliste, colonial/moderne et eurocentré ». C’est bien la colonialité du pouvoir qui a permis que soit appliquée une politique du deux poids deux mesures lors de l’arrivée des réfugiés d’Ukraine sur le sol européen. Si l’on doit se réjouir du traitement fait aux Ukrainiens, on ne peut que déplorer qu’il ne soit pas systématiquement appliqué à l’ensemble des réfugiés.

La migration recouvre la question des relations internationales puisqu’à son propos revient la notion d’États « civilisés », de nature occidentale et porteuse d’ordres, face à des États et des peuples dits « non civilisés » ne pouvant bénéficier de la protection du droit en général et du droit international en particulier et où sont réifiés les relations coloniales de pouvoir. Est ainsi restauré ce qu’Etienne Balibar appelle le rapport « maîtres /esclaves » [4].

Auparavant, il y avait des civilisations supérieures à d’autres, maintenant, il y a des civilisations incompatibles et sont particulièrement ciblés le continent africain, les personnes d’origine africaine avec l’expression d’une négrophobie assumée mais aussi la religion de l’Islam avec son lot d’islamophobie ; au nom de cette incompatibilité, une partie du monde est soumise à une pauvreté généralisée, au pillage de ses ressources naturelles, à l’exclusion au détriment de la coopération, de la paix et de la sécurité internationales.

On ne peut prétendre trouver des solutions adéquates aux migrations sans traiter à la fois la question de la race, de la classe et du système capitaliste libéral et financiarisé.

Mireille Fanon-Mendès-France, Fondation Frantz Fanon.

P.-S.

Crédit photo : Julie Ricard, license Unsplash.

Notes

[1Robert Antelme, L’espèce humaine, Gallimard, 1978

[2Article L622-1, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, CESEDA

[3Anibal Quijano, « Race et colonialité du pouvoir », Mouvements 2007/3

[4La construction du racisme, Actuel Marx, 2005.

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