La vie des montagnard
es est marquée par le relief. Il remplit notre champ de vision, contraint et draine nos déplacements, définit notre identité. Le relief est omniprésent dans nos vies. Cette géomorphologie contraignante est aussi protectrice : contre les canicules, contre les sécheresses - précipitations plus abondantes, stockage de l’eau en altitude sous forme de glace... Contre les excès humains aussi, par la résistance naturelle qu’elle oppose à l’aménagement, à la domination de l’environnement, à l’organisation des concurrences inter-humaines, et contre le vivant.Le projet de territoire porté par les promoteurs des JOP 2030 voudrait briser cette résistance. Pour Renaud Muselier, président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), les jeux olympiques et paralympiques sont "une opportunité pour l’accélération de la transition montagnarde”. Mais laquelle ? Dans une interview pour La Provence (14/10/23), il répondait à la question de l’impact du projet sur l’environnement : "Quand on parle de bilan carbone, mettre 5 heures pour faire Marseille Briançon, est-ce acceptable ? L’embouteillage à Tallard, on l’accepte ?"
Il pointait ainsi du doigt un de ces embouteillages des vendredi et dimanche soirs de la saison de ski, dans lequel se retrouvent coincés, les skieurs venus des grandes métropoles régionales du sud : Montpellier, Marseille, toute la côte varoise. Dont un certain Renaud Muselier, qui vient faire du ski en Haute Ubaye en passant par... Tallard pour accéder à son lieu de villégiature. D’autres “bouchons” ou goulets d’étranglement existent partout dans les Alpes françaises (et ailleurs) conséquence d’une hyper affluence ponctuelle qui engorge les massifs avec une régularité métronomique.
Voilà qui illustre la vision de territoire portée par les JOP 2030, et ses promoteurs : en pleine période de restriction budgétaire massive, il s’agit essentiellement de favoriser quelques grands domaines skiables (deux pour les Alpes du sud) et l’amélioration des axes routiers pour y parvenir. Et ce au détriment des populations locales, des services publics, de l’environnement… mais également de tous les "petits territoires”, éloignés (à peine) de ces domaines skiables et des grands axes qui y mènent. Ces “petits” territoires comprennent un ensemble de stations de moyenne montagne qui souffrent déjà particulièrement du réchauffement climatique, et dont les premières fermetures emblématiques se succèdent déjà.
Et le ferroviaire, demanderez-vous ? Dans cette vision territoriale, le ferroviaire est certes mis en avant par les porteurs du projet, comme caution verte : il s’agit de passer, d’ici aux jeux, d’un temps de trajet de quasi 5 heures à 3h30 entre Marseille et Briançon. Or, les temps de parcours actuels sont le résultat d’une politique de délaissement du rail, depuis de nombreuses années, portée par les mêmes qui promeuvent les jeux. L’état du réseau ferroviaire alpin est tellement dégradé, qu’il paraît difficile de le rendre rapidement à nouveau attractif d’ici 2030. De sorte que l’option la plus "réaliste" pour réduire le temps de trajet serait... de ne pas s’arrêter dans les gares intermédiaires !
La vision portée par les JOP 2030 est celle de la spécialisation du territoire, celui des Alpes, au service d’un tourisme de masse issu des grands centres urbains. Chamonix, Briançon en sont des exemples emblématiques. La population locale, habitant à l’année, est progressivement chassée des hautes vallées spécialisées dans le ski, devenues trop chères, et invivables au quotidien. Elle subit l’arrivée d’un nombre toujours croissant de vacancier
es, pour qui tout est organisé, dans une “montée en gamme” de l’accueil. On perçoit ainsi deux réalités et logiques distinctes, celle des habitant es des territoires de montagne, et celle des consommateur ices d’un territoire.Issue des catégories aisées des grands centres urbains, sous pression des contraintes citadines du quotidien, cette population de vacancier
es a besoin, le temps du weekend et des vacances, de fuir leur lieu de vie, pour s’aérer, pour décompresser. Iels deviennent consommateur ices d’un territoire, avec le besoin impérieux de changer d’air, de se détendre et de couper d’un quotidien oppressant... pour mieux se présenter le lundi matin au bureau avec la mine hâlée de ceux qui ont les moyens de s’échapper momentanément de l’"enfer" des grandes cités, et de profiter, le temps du weekend ou de vacances, des espaces naturels et des bienfaits de l’activité en extérieur.La spécialisation de territoire (au service des centres urbains) que dessine le surtourisme se retrouve aussi dans d’autres secteurs d’activités : l’énergie par exemple. Dans les Alpes du sud, des zones “excentrées” sont vues comme territoire à “faible pression foncière”, qui laisse la place au développement des énergies renouvelables, solaire photovoltaïque entre autres (du fait du climat particulièrement ensoleillé) et l’apparition de centrales photovoltaïques géantes, remplaçant forets et espaces naturels “sauvages”.Ou encore le secteur des déchets, les arrières pays servant de zone de stockage des déchets des grandes agglomérations.
Cette spécialisation territoriale n’a pourtant pas d’avenir dans le contexte actuel de réchauffement climatique. Dès janvier 2023, la trajectoire climatique de la France a été définie par le ministère de la Transition écologiqu à +4 degrés à l’horizon 2100, moins de 8 ans après les Accords de Paris qui stipulaient un objectif de 1,5 degrés. Dans les Alpes, ces +4 degrés pourraient être atteints bien avant 2100, ce territoire se réchauffant plus vite que le reste du pays. Quelle hausse de température pouvons nous y attendre et craindre +5, + 6 degrés ?... Une étude européenne sur plus de 2500 stations de ski montrent qu’à plus 4 degrés, 98 % des stations auront un problème existentiel d’enneigement.
Dans ce contexte de réchauffement climatique fort, les territoires de montagne sont à la fois fragiles, et pourvus d’atouts importants : fraîcheur (relative), réserves en eau, espaces naturels disponibles pour la biodiversité… Un ensemble de facteurs nécessaires à la résilience de territoire. La revitalisation du territoire alpin ne pourra pas être activée sans prendre en compte ses particularités et sans sa population. Et c’est pourtant ainsi qu’est bâti le projet JOP 2030 ! Il paraît urgent de remettre la vie montagnarde, celle des habitant
es des Alpes, au cœur de la question de l’avenir des massifs, au cœur de la question de la transition alpine ; Urgent de rompre avec un modèle de consommation de la montagne, urgent d’intégrer les populations pour construire de nouvelles orientations.Hugo Charavin