En quoi la défense de la lecture et des livres imprimés est-elle un combat politique ? Comment menez-vous ce combat ?
Dans la forêt amazonienne du XVIIe siècle, les quilombos étaient des territoires créés par des esclaves noirs fuyant les plantations côtières du Brésil. Si les dangers sont d’une autre nature et que nos conditions de vie sont mille fois plus confortables que celles des habitants des quilombos, nous essayons de perpétuer leur esprit de résistance. Notre forêt vierge est Paris et le colonialisme y est numérique, industriel, libéral, capitaliste. Nous le combattons à notre mesure en promouvant la diffusion de certaines idées et en préservant l’acte de lire sur de vrais livres en papier.
L’acte même de lire développe la mémoire longue, celle qui permet de prendre des décisions politiques à partir de connaissances précises et de réflexion complexes. La lecture est un des meilleurs chemins vers l’émancipation individuelle et collective.
Comment analysez-vous le paysage éditorial actuel ?
Dans la société du consumérisme et de l’immédiateté, l’industrie des loisirs occupe une place centrale. Après l’appropriation de nos corps par la société du travail, le domptage des esprits est un enjeu politique et économique de taille. Il s’agit d’élaborer une culture de la consommation en standardisant la « création culturelle ». Les grands groupes et leurs machines de propagande contrôlent et formatent de plus en plus nos vies. La concentration de l’édition et de la diffusion s’accroît d’années en années et a culminé récemment avec le rachat de Hachette par Vivendi sous le contrôle de Bolloré. Il y a urgence à organiser la résistance culturelle.
Face au numérique comment l’édition de livres papier résiste-t-elle ?
Le livre est l’un des derniers bastions qui résiste encore, tant bien que mal, face à la déferlante numérique. Même si beaucoup de maisons d’édition ont décidé de « s’adapter » et de proposer des e-books, nous avons vu, depuis le confinement, que le livre imprimé compte toujours et qu’il est même devenu un refuge pour bon nombre de personnes. Malheureusement, le smartphone fait des ravages et change notre rapport à la lecture en accaparant notre attention.
Comment voyez-vous l’avenir de l’édition alternative en France ?
Depuis une vingtaine d’année, nous assistons à plusieurs vagues de créations de maisons d’édition de critique sociale tout aussi intéressantes les unes que les autres. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces éditeurs naissent après d’importants mouvements sociaux : mouvement contre le CPE, contre la réforme des retraites, contre la loi Travail, mouvement climat et luttes locales...
Je pense qu’il y a une volonté de partager la lutte à laquelle les militant·es ont participé et une envie de s’inscrire dans une histoire révolutionnaire plus large afin de faire découvrir aux lectrices et aux lecteurs les luttes passées. Il faut souligner également, le rôle formidable d’Hobo Diffusion qui promeut l’édition indépendante et critique et propose une alternative dans un monde du livre monopolisé et dominé par les grands groupes. Comme ses illustres prédécesseurs, les hobos américains – travailleurs itinérants propageant l’insoumission sur leur chemin –, Hobo Diffusion favorise la circulation de la pensée politique et radicale.
Refusant toute compromission, Quilombo a élaboré des stratégies alternatives de diffusion. Quel est votre mode de fonctionnement ?
Nous pensons qu’il est en effet vital d’élaborer des stratégies alternatives de diffusion. Nous avons choisi, avec la boutique-librairie Quilombo de créer un espace de contre-pouvoir qui diffuse de manière autonome les réflexions, analyses et productions de différentes structures (maisons d’éditions, labels indépendants, coopératives, revues, associations, groupes politiques...) qui s’inscrivent dans un même mouvement d’émancipation social, politique et contre-culturelle. Nous souhaitons ainsi contribuer au développement de lieux autogérés et créer une communauté de lecteurs.
Quelles sont les maisons d’édition que vous souhaitez encourager ?
La librairie Quilombo est très liée à deux maisons d’édition, L’échappée et nada, puisque deux personnes de la première et une de la seconde font partie de l’équipe de la librairie. Mais nous avons bien évidemment d’autres maisons auxquelles nous tenons particulièrement, par exemple les éditions Plein Chant, dédiées à la littérature prolétarienne et à la mémoire du monde ouvrier. La maison d’édition suisse Héros-Limite publie des livres sublimes. Côté littérature j’aime particulièrement les éditions du Sonneur et les éditions du Typhon. Le passager Clandestin et Rue de l’échiquier consacrent d’excellent ouvrages à l’écologie et à la décroissance. Et enfin Le Dilettante, véritable éditeur-orpailleur, réédite à la fois des pépites oubliées et des romans contemporains.
Propos recueillis par Séverine Schulte
La librairie Quilombo est ouverte du mardi au samedi de 13h à 20h
23, rue Voltaire 75011 Paris