Dompter les géants du CAC40, c’est possible !

vendredi 2 juin 2023, par Plihon Dominique

Attac et l’Observatoire des multinationales ont publié fin mai Super Profiteurs, un livre pour déconstruire le mythe des « champions nationaux », selon lequel les succès et profits engrangés par les géants du CAC40 seraient une bénédiction pour la France.

Nous publions ici les propositions développées dans ce livre pour remettre les multinationales sous contrôle démocratique et social. Super Profiteurs est disponible à la commande sur le site d’Attac.


En France comme dans le reste du monde, les multinationales ont acquis un pouvoir disproportionné et dangereux. Elles mettent les pays en concurrence, pèsent lourdement sur les normes sociales, fiscales et écologiques, exploitent les populations, détruisent les ressources naturelles, maximisent les profits et disposent de moyens d’influence considérables sur nos sociétés.

Un retour de l’intervention publique paraît indispensable, à rebours du laisser-faire néolibéral qui a régné aux cours des décennies passées. Plusieurs options pourraient être envisagées.

Démanteler les grands groupes

Le démantèlement des grands groupes peut paraître une proposition radicale, mais cette forme d’intervention publique a en réalité une longue histoire, notamment aux États-Unis. Elle permet d’atteindre efficacement deux types d’objectifs. Le premier est de mettre fin à des positions dominantes d’entreprises. C’est ainsi que, en application de la législation antitrust aux États-Unis, il a été procédé au démantèlement de monopoles tels que la Standard Oil en 1911 dans le secteur du pétrole, et d’American Telephone and Telegraph (AT&T) en 1982 dans le secteur des télécommunications.

Le monopole pétrolier de la Standard Oil, bâti en quelques années par John Rockefeller, était devenu une menace de par sa capacité à racheter ses concurrents, à faire plier ses fournisseurs et à conserver ses parts de marché en écrasant les prix. Le géant pétrolier fut morcelé en 39 sociétés différentes. Certaines d’entre elles, comme Exxon et Mobil, ont été autorisées à re-fusionner dans le contexte néolibéral des années 1990.

En 1982, le gouvernement américain obtint cette fois le démantèlement du monopole d’AT&T, qui allait depuis les appels locaux aux services longue distance, en passant par la fabrication de téléphones et la réparation de lignes. Ce géant des télécoms, alors la plus grande entreprise au monde, cumulait des actifs de 150 milliards de dollars et des effectifs d’un million de salariés. À l’issue de huit ans de litiges, il a été démantelé en sept compagnies régionales.

La revendication d’un démantèlement des multinationales est redevenue d’actualité à propos des GAFAM, notamment à la suite de la demande de certains élus démocrates du Congrès étatsunien proposant de scinder les diverses activités d’Amazon, Google ou Facebook.

On pourrait aussi envisager de l’appliquer à d’autres groupes qui tirent une partie de leur pouvoir de nuisance de l’articulation de plusieurs activités – par exemple TotalEnergies, qui extrait du pétrole et du gaz, mais qui a aussi une position dominante en France en matière de raffinage et de distribution de carburant, en plus d’être un fournisseur de gaz et d’électricité, entre autres activités. Le groupe s’assure ainsi un contrôle sur l’ensemble de la chaîne, ainsi qu’un puissant levier d’influence vis-à-vis des pouvoirs publics et des usagers.

Lutter contre la financiarisation

Le second objectif du démantèlement est la lutte contre la financiarisation et ses effets pervers. Suite à la crise financière de 1929, l’administration Roosevelt a ainsi fait adopter en 1933 aux États-Unis le Glass Steagall Act, instituant la séparation des banques de détail et des banques d’investissement.

En France, en 1945, le gouvernement provisoire a mené une politique identique en séparant les banques de dépôts, les banques de crédit à moyen et long terme et les banques d’affaires, ce qui a assuré la stabilité du système bancaire jusqu’en 1982, où une loi bancaire a mis fin à cette séparation. La suppression de ces réglementations a facilité la crise financière globale de 2007-2008.

Les quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et BPCE – ont une position dominante sur le marché bancaire domestique qu’elles contrôlent aux trois quarts. Ce sont des banques universelles, c’est-à-dire des conglomérats présents sur l’ensemble des activités de la finance – banque de détail, banque d’investissement, assurance. Leur taille et leur nature en font aussi une menace pour la stabilité du système financier. Elles sont classées par le Conseil de stabilité financière, créé par le G20 au lendemain de la crise de 2007, dans la catégorie des « banques systémiques », dites aussi « too big to fail ».

Pour ces deux raisons - leur position dominante et leur caractère « systémique » -, une séparation des activités de banque de détail et de banque d’investissement paraît nécessaire. Mais les efforts en ce sens initiés au niveau européen et en France se sont heurtés à l’opposition acharnée du lobby bancaire français, qui n’entendait pas renoncer à la source de son pouvoir et de ses profits.

Pour un retour au service public

Il est temps de libérer les services publics de la domination des marchés et des actionnaires. Ce retour dans l’orbite publique est impératif pour les entreprises, telles qu’EDF ou la SNCF, qui ont en commun d’appartenir au secteur des services de réseaux et sont des « monopoles naturels », pour lesquels la privatisation ne fait pas de sens même d’un point de vue strictement économique. Livrés aux lois du marché, ces monopoles abusent de leur position dominante au détriment de leurs usagers et de leurs salariés.

Pourtant, malgré l’échec patent des politiques menées depuis des décennies, les libéralisations se poursuivent et s’étendent sous l’impulsion des autorités européennes avec la complicité des États. En France, le gouvernement persiste dans sa politique de privatisation progressive de tout l’ancien secteur public, ciblant aujourd’hui des entreprises comme Engie, certaines activités d’EDF ou Aéroports de Paris.

L’expérience montre pourtant qu’il est possible et souhaitable de revenir sur la logique de privatisation. La (re)municipalisation des services publics locaux, c’est-à-dire la reconquête de la propriété et de la gestion publiques des services publics locaux ainsi que la création de nouveaux services publics, en fournit la démonstration.

Une enquête à laquelle a participé l’Observatoire des multinationales, portant sur 1400 expériences de municipalisation dans des secteurs différents (eau, éducation, santé, déchets, …), impliquant 2400 villes dans 58 pays, illustre les avancées auxquelles donne lieu la reconquête du contrôle public : baisse des coûts et des tarifs pour les usagers, amélioration des conditions de travail, gouvernance participative et contrôle démocratique sur la propriété publique.

La remunicipalisation et la renationalisation des entreprises assurant un service public doit s’accompagner de la mise en place d’un réel partage des pouvoirs dans les entreprises, publiques comme privées. Le contrôle social doit s’exercer non seulement dans les instances de délibération (assemblée générale et conseil de surveillance) mais également dans les instances de direction (directoire) des entreprises, instituant ainsi une véritable représentation paritaire des trois catégories de parties prenantes : les apporteurs de capital, les apporteurs de travail et les citoyens usagers (ou clients) de l’entreprise.

En d’autres termes, il s’agit d’instituer une organisation partenariale ou participative des entreprises qui conduira à leur gestion démocratique et dans l’intérêt général.

Dominique Plihon

P.-S.

Photo : Female animal trainer Dolores Vallecita a.k.a. Dolly V. Hill (1877-1925) and leopard. Légende en bas au centre : VALLECITA’S LEOPARDS. № 84 [Vallecita’s Leopards, Number 84] -Vallecita’s Leopards, No 84- Cropped out of Commons version, in LoC version.

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