DAL : 30 ans de combats des mal logé·es et des sans logis, pour vivre dignement

jeudi 11 août 2022, par Droit Au Logement

Le DAL (Droit Au Logement) a plus de 30 ans. Il est né de la volonté de mobiliser les mal-logé·es, les victimes de la spéculation et les indésirables chassé·es par des politiques urbaines iniques. Une mobilisation est plus que jamais d’actualité !

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une série estivale, « les invités d’Attac ». Elle reprend des interviews et présentation de mouvements parus dans notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Un mouvement né de luttes de mal logé·es à Paris contre la spéculation et les taudis

Dans les années 1980, les quartiers Est de Paris, encore populaires, étaient alors soumis à une pression spéculative féroce, conséquence des politiques d’urbanisme et du logement de Jacques Chirac allié des milieux de l’immobilier qui l’avaient aidé à accéder à Matignon. Maire de Paris et Premier ministre en 1986, Chirac avait lancé « la reconquête de l’Est parisien », plan d’urbanisme destiné sans ambiguïté à évincer les classes populaires et les migrant·es.

Il avait aussi sacrifié les protections des locataires en mettant fin à la loi de 1948 et ouvert généreusement les portes des banques nationalisées à une nuée de « marchands de biens », acteurs de la spéculation. Ce cocktail va nourrir la spéculation, l’enrichissement rapide de futurs milliardaires et gonfler une bulle immobilière, notamment à Paris jusqu’à son éclatement à la fin des années 1990.

Une série de 4 incendies criminels dans le 20e arrondissement à l’automne 1986 tue près de 30 personnes, y compris des enfants. Ces crimes lancent alors une mobilisation pour le relogement des sinistré·es via des réquisitions, envahissements et campements. En 1987 est alors créé le Comité des Mal Logés (CML). Manifestations, envahissements, réquisitions d’immeubles HLM vides s’enchaînent…

Le CML menace la politique municipale de Chirac et son équipe qui obtiennent l’expulsion des deux réquisitions phares : celle du 67 rue des Vignoles, occupé depuis octobre 1986 par les sinistré·es d’un hôtel meublé avec des militant·es squatters, et celle du 92 rue de la Fontaine au Roi, immeuble HLM neuf de l’Organisme d’habitations à loyer modéré (OPAC) de Paris investit au nez et à la barbe de la mairie en 1989.

Le 2 mai 1990, les CRS expulsent les 48 familles. Refusant les hôtels elles installent alors place de la Réunion. Cinq mois plus tard, le campement est démonté, la dernière famille expulsée est relogée, après des manifestations, la répression policière, la calomnie, quelques provocations et de très nombreux soutiens, dont l’Abbé Pierre et Albert Jacquard, qui soutiendront activement DAL jusqu’à leur disparition.

La naissance de Droit Au Logement

DAL est créé dans la foulée de ces événements, avec les délégué·es des expulsé·es et des militant·es du campement, pour organiser la lutte des mal logé·es pour un logement décent, et être en mesure de gagner des relogements. Nos mots d’ordre : « Un toit c’est un Droit ! », « Application de la loi de réquisition ! », « Pas d’expulsion-relogement ! », « Un logement décent pour tou·tes ! » L’action est collective et non violente.

Les opprimé·es du logement sont au centre de la lutte et participent aux décisions stratégiques, ainsi qu’à l’élaboration et à la préparation des actions et des négociations. L’association est indépendante des partis politiques, non par rejet, mais par pragmatisme. Elle est indépendante des institutions, qui de plus en plus financent des associations pour remplir des missions de service publique. Elle est aussi indépendante au plan religieux.

Dès lors, les actions collectives s’enchaînent, à mesure que DAL grandit. Les campements sont privilégiés dans un premier temps : 100 familles sans logis s’installent sur un terrain quai de la Gare, avec le soutien actif d’Emmaüs dans le sillage de l’Abbé Pierre. Elles seront relogées. A partir de 1992, le Gouvernement réprime les campements revendicatifs des mal logé·es. Les CRS interviennent souvent violemment pour dégager les trottoirs ou les squares occupés, comme sur l’esplanade de Vincennes en 1992 ou plus de 300 familles encouragées par les victoires précédentes ont pris place.

Alors Droit Au Logement lance des réquisitions tout en s’appuyant sur la loi de réquisition des logements vacants qui a été appliquée plus de 100 000 fois depuis 1945, essentiellement à Paris et en proche banlieue, et vole de victoires en victoires appuyé par une puissante détermination des mal logé·es et de solides soutiens. En 1993, c’est l’occupation du 41 avenue René Coty appartenant à la ville de Paris. En septembre, le Gouvernement Balladur, sous la pression, contraint Jean Tiberi à reloger les familles et à cesser d’expulser les sans logis qui ont trouvé refuge dans des immeubles vacants de la ville de Paris.

En 1994, la fin de la première marche des chômeurs·euses d’AC ! est conclue par l’occupation d’un immeuble vacant rue Béranger, au dessus du Théâtre Dejazet. Il appartient à la Banque de France, laquelle reloge les familles quelques semaines plus tard.

Le 18 décembre 1994, c’est au tour du 7 rue du Dragon d’être investi par DAL, avec ses soutiens : l’Abbé Pierre, Albert Jacquard, Mgr Gaillot, Léon Schwartzenberg, Jacques Higelin... Il s’agit du « Cours Desir » où Simone de Beauvoir a fait ses classes, qu’un promoteur veut transformer en logements de luxe. Chirac s’en mêle, car il fait campagne sur la « fracture sociale » et fait appliquer la loi de réquisition. 1000 logements vacants de groupes et institutions financières seront ensuite réquisitionnés au cours de l’année 1995, pour des mal logé·es, à Paris.

A la fin des années 1990, Droit Au Logement s’étend et une fédération est créée, rassemblée autour de la charte du DAL.

Les premiers fruits de la lutte

Il faudra attendre la loi du 13 décembre 2000 pour recueillir les premiers fruits législatifs de la lutte des exclu·es du logement. Celle-ci crée l’obligation de réaliser jusqu’à 20 % de logements sociaux dans chaque commune en zone urbaine. Elle ouvre également des droits aux habitant·es de logement insalubre, en péril, ou indécent : droit au relogement, à la suspension du loyer, droit de contraindre son bailleur à fournir un logement digne et décent, notamment.

La décennie altermondialiste commence alors, et naturellement DAL rejoint Attac à sa création et participe aux forums sociaux, avec le projet de s’entendre avec les mouvements de « sans » du monde entier… Puis, toujours dans un contexte de luttes souvent longues, dures, mais abouties, des mobilisations plus éphémères comme « les enfants de Don Quichotte » ou « Jeudi noir » émergent.

Les mal logé·es obtiennent le 5 mars 2007, l’adoption de la loi DALO (Droit Au Logement Opposable). Cette loi ouvre aux personnes mal logées, sans logis, ou menacées d’expulsion sans relogement l’accès prioritaire à un logement social. Le droit à l’hébergement jusqu’au relogement sera acté en 2009, dans la loi Boutin.

De nouvelles revendications émergent alors : application pure et simple de la loi DALO, respect du droit à l’hébergement, baisse des loyers, taxation des profits immobiliers... Campements, réquisitions et actions collectives s’enchaînent. Il faut continuer de se mobiliser pour les victimes d’incendies, contre des projets de loi antisquats, contre les expulsions… Des milliers de familles mal logées et sans logis confinées dans des hôtels et des taudis accèdent à un logement décent.

L’offensive du capitalisme rentier

Depuis cette décennie 2000, les prix immobiliers et fonciers repartent à la hausse et atteignent aujourd’hui des sommets. La baisse progressive des taux d’intérêt conjuguée à des politiques d’urbanisme d’épuration sociale, de soutien à la rentabilité locative, aux riches investisseurs et aux promoteurs, nourrit le logement cher. La flambée des loyers et la crise du logement sont dures.

Les locataires du privé consacrent désormais près d’un tiers de leur revenu pour se loger, souvent mal, contre 10 % il y a un demi-siècle. Aujourd’hui, Emmanuel Macron fait des économies drastiques sur les APL, dont le budget doit être amputé en 2021 de 20 % par rapport à celui de 2017.

Le capitalisme rentier tiré par la mondialisation des capitaux, et la concentration de la richesse est en position de force. Il tire aujourd’hui des profits prodigieux de la spéculation, de la financiarisation du logement et de l’immobilier en général, sur le dos des classes populaires. La crise s’aggrave, en témoigne l’incapacité du pays à seulement héberger les sans abris, tandis que 3 millions de logements sont vacants. Le nombre croissant d’expulsions et l’insuffisance de logements sociaux sont également symptomatiques d’une crise du logement qui perdure.

Des victoires sont possibles. La lutte continue !

30 ans de luttes des mal logé·es et des sans logis ont néanmoins eu un très fort impact sur les politiques du logement. Des centaines de milliers de mal logé·es ont pu accéder au logement social, c’est à dire à un logement décent et abordable, parmi lesquelles des dizaines de milliers de familles adhérentes au DAL.

De nouveaux droits ont été créés, et le combat pour les faire appliquer est toujours d’actualité, tandis que de nombreuses régressions poussées par les tenants du capitalisme de la rente ont été mises en échec. Bien que fragilisé et menacé par des réformes successives, le modèle de financement du logement social tient bon. C’est pour la défense des locataires HLM et des mal logé·es que le DAL s’investit progressivement dans ce secteur depuis 10 ans.

Il y a bien sur des solutions techniques qui permettent de court-circuiter la spéculation et l’exploitation outrancière de ce besoin fondamental qu’est le logement, mais elles passent par la mobilisation non seulement des mal logé·es mais aussi des locataires et des habitant·es. Les locataires de Berlin sont descendu·es massivement dans la rue et ont obtenu un plafonnement des loyers à 8,75 € par mètre carré et un contrôle strict de la mesure. Nous devrons dans les prochains mois nous mobiliser contre les expulsions massives qui s’annoncent, du fait de la crise sanitaire et sociale et de la cherté des loyers.

Les habitant·es en ont assez d’être exploité·es par les vautours de l’immobilier. Elles et ils sont chassé·es par le tourisme de masse, la gentrification des quartiers populaires, les politiques d’urbanisme d’épuration sociale et les grands projets touristiques, sportifs, culturels... C’en est assez. D’ici là, chaud, chaud, chaud, l’hiver sera chaud !

JB Eyraud, Droit Au Logement

P.-S.

Pour suivre et soutenir Droit Au Logement : http://www.droitaulogement.org/
Contact : sec@droitaulogement.org

Photo d’illustration : Alain Bachellier

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