Prison ferme pour des syndicalistes de Goodyear : les résistances sociales dans le collimateur !

mardi 29 mars 2016, par Annick Coupé *

Le 12 janvier dernier, le tribunal correctionnel d’Amiens a condamné huit anciens salariés de l’usine Goodyear à vingt-quatre mois de prison, dont quinze avec sursis : soit neuf mois de prison ferme et cinq années de mise à l’épreuve. Le motif : ils avaient retenu pendant trente heures deux cadres de l’usine d’Amiens-Nord, le directeur des ressources humaines et le directeur de la production, les 6 et 7 janvier 2014.

Un jugement de classe

Cette séquestration s’inscrivait dans la longue lutte des salariés de Goodyear qui se sont battus pendant près de sept ans pour défendre leurs emplois. Elle en constituait le dernier épisode avant la fermeture de l’usine, qui a mis sur le carreau 1173 salariés dans une région, la Picardie, déjà largement sinistrée par le chômage et la misère. Lors de ces deux journées, 300 ouvriers, en retenant ces deux cadres, par ce geste de désespoir ultime, voulaient obtenir de nouvelles négociations pour de meilleures indemnités.

Lors du procès, les inculpés n’avaient pas de plaignants en face d’eux, et pour cause… Goodyear avait retiré sa plainte : c’était une des clauses de l’accord de fin de conflit, signé fin 2014 ; les deux cadres concernés, qui avaient déposé plainte à titre individuel, s’étaient également désistés. Les poursuites étaient donc menées uniquement au titre de l’État par un procureur qui a mené la charge de façon particulièrement sévère, demandant deux ans de prison, assortis d’un an ferme… Le tribunal, en prononçant neuf mois de prison ferme a suivi la logique de cette charge répressive.

Cette décision de justice, extrêmement lourde, est inédite pour des luttes sociales de ce type, impliquant des syndicalistes dans la séquestration de dirigeants d’entreprise. Le tribunal n’a pas retenu le contexte social, la colère légitime et le désespoir des salariés, ni le fait qu’il n’y avait eu aucune violence à l’encontre des deux cadres… Lors de conflits durs, face à l’intransigeance et au refus de négocier de ceux d’en face, la séquestration a souvent été utilisée par les salariés : en 1936, lors du Front populaire et des occupations d’usine, en 1968 lors du mouvement de grève générale, ou dans le conflit de Lip des années 1970, pour ne citer que les exemples les plus connus. Jamais il n’y avait eu de condamnation à de la prison ferme jusqu’à ce jugement du tribunal d’Amiens… C’est une condamnation pour l’exemple, une nouveau pas de franchi dans la criminalisation de l’action syndicale et, plus globalement, des mouvements sociaux en général.

De nombreuses voix se sont élevées pour témoigner de l’indignation que ce jugement a suscitée. Une pétition de soutien aux huit syndicalistes a été mise en ligne et a recueilli près de 200 000 signatures en quelques jours. Les salariés condamnés ont décidé de faire appel : il faudra que toute cette solidarité s’amplifie afin d’obtenir leur relaxe.

Une attaque contre tous les mouvement sociaux

Mais, au-delà des huit de Goodyear, c’est bien un avertissement sérieux qui est lancé au monde du travail, au syndicalisme de luttes, à tous les mouvements sociaux, à tous ceux et celles qui se mobilisent pour défendre leurs droits.

Assimiler l’action syndicale à un délit de droit commun, traiter les syndicalistes comme des délinquants ou des droit commun n’est pas nouveau. Mais que cela conduise à de la prison ferme est un très mauvais signal : désormais, toute lutte un peu offensive pourra être réprimée par de la prison ferme ! Et cela, dans un contexte de grave crise sociale où un chômage de masse perdure, où les fermetures d’entreprises et autres plans de licenciement sont de plus en plus nombreux. Tensions sociales, actions désespérées risquent de se multiplier, et ce jugement pourrait faire « jurisprudence » au plus mauvais sens du terme.

Le jugement des Goodyear s’inscrit dans une période où la répression sociale se développe (cf. l’affaire des licenciés d’Air France pour faute lourde, et arrêtés comme de dangereux bandits), mais aussi dans le contexte de l’état d’urgence, avec des militants écologistes assignés à résidence pour empêcher qu’ils ne viennent perturber la COP 21 à la fin de l’année 2015. Toute activité militante risque d’être assimilée à du terrorisme : tous ceux qui contestent l’ordre patronal, l’ordre économique ou les grands projets inutiles risquent bien d’être dans le collimateur.

Pendant ce temps, l’impunité patronale se porte bien : par exemple, les fautes lourdes en matière d’accidents du travail ou la délinquance financière en col blanc restent relativement impunies. Tout cela se passe sous un gouvernement qui s’est présenté sous l’étiquette de gauche en 2012, mais cela n’est guère surprenant au vu des renoncements et des trahisons dont il s’est rendu coupable sur le plan social : loi Macron, pacte de compétitivité, future réforme sur le Code du travail…

Il faut aussi se rappeler que François Hollande, qui avait refusé de prononcer une mesure traditionnelle d’amnistie lors de sa prise de fonction en 2012, s’est également opposé à l’amnistie sociale pourtant votée unanimement par la gauche sénatoriale en 2013.

Mais ce qui se passe en ce début d’année 2016 va au-delà : prolongation et constitutionnalisation de l’état d’urgence, déchéance de nationalité, projet de réforme de procédure pénale donnant plus de pouvoir aux instances administratives, aux préfets et au ministre de l’intérieur, entérinant un recul des libertés individuelle. La question sociale est maltraitée au profit de l’état pénal et autoritaire. Une fois de plus, quand l’État social recule, l’État pénal avance…

Ce qui se joue, c’est notre capacité à pouvoir nous mobiliser dans l’avenir, à défendre nos droits, à inventer et imposer d’autres choix économiques, sociaux, écologiques, plus solidaires… Il y a donc urgence à faire face collectivement pour soutenir les Goodyear, mais plus largement pour défendre nos libertés !

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