Le présent numéro des Possibles s’ouvre donc par un dossier consacré à une situation sociale et politique devenue délétère et dangereuse. Trois premiers articles, de Philippe Wannesson, Claude Calame et Raymond Blet, dressent un constat sans appel du drame infligé aux migrants à Calais. Pourtant, des énergies se dressent, notamment par le biais de la Cabane juridique, explique l’avocat Raymond Blet. Peter Wahl examine ensuite la politique allemande face à la prétendue crise des migrations. Dans le contexte des attentats de Paris, le sociologue Laurent Mucchielli propose de voir autrement les « perdants du système » : dans les banlieues, la dégradation des conditions sociales se conjugue avec la mise à l’écart des populations, victimes de la pauvreté mais aussi du regard porté sur elles. Raphaël Liogier, nous offre aussi un regard de sociologue sur la métamorphose de la figure de l’Autre dans le contexte de la civilisation globale, extrait de son dernier livre [2].
Il faut « être doté d’une belle inculture », comme aurait dit Bourdieu, pour que le Premier ministre ait osé déclarer que la sociologie excusait les délits. Gérard Loustalet-Sens décortique cette déclaration aussi ahurissante qu’indigne : « misérable diversion », dit-il.
Les tensions économiques et sociales comportent leur part de bouleversement des représentations culturelles et de compromis politiques. Le rapport entre l’État et les religions, que la France a fixé dans la loi de 1905, est bousculé par la place que prend aujourd’hui l’islam. Pierre Khalfa montre que la laïcité est mise à l’épreuve parce que l’équilibre trouvé est toujours resté instable depuis plus d’un siècle, et aussi parce qu’existe aujourd’hui le risque de faire dévier le débat politique sur la question de l’identité. La Marseillaise marquerait-elle l’identité citoyenne française au point que ses paroles guerrières et sanguinaires ne pourraient être repensées, se demande Jean Tosti.
Le dossier se termine par deux articles portant sur l’actualité sociale mise à mal par la politique de classe. Annick Coupé dénonce le jugement condamnant à de la prison ferme des salariés de Goodyear. Elle y voit la criminalisation des mouvements sociaux alors qu’émergent quelques résistances aux dégradations causées par le néolibéralisme. Dans le même esprit, Gérard Filoche dresse un réquisitoire contre le projet de loi, dit El Khomri, de réforme du code du travail, qui fait la part belle à la sécurisation des employeurs et à la précarisation des travailleurs.
La partie « Débats » du présent numéro comprend d’abord deux articles faisant le point sur la caractérisation de la crise actuelle. Pour Dominique Taddei, nous sommes en train de vivre le troisième stade de la crise mondiale, réclamant l’urgence de l’établissement d’un front progressiste. Jean-Marie Harribey, quant à lui, insiste sur le fait qu’il s’agit d’une crise du capitalisme parce que celui-ci éprouve de plus en plus de difficultés à faire produire toujours plus de valeur « monnayable » aux travailleurs sur une base matérielle en voie de raréfaction. Contradictions sociales et écologiques mêlées expliquent pourquoi le capitalisme est vraisemblablement entré dans une stagnation longue.
Cette situation ouvre-t-elle de nouveaux espoirs et espaces d’émancipation ? Telle est la question posée par Gustave Massiah. Bien que l’hégémonie culturelle néolibérale se soit imposée, des formes d’engagement émancipateur de la part des nouvelles générations émergent, dessinant un (des) avenir(s).
Thomas Coutrot propose un compte rendu de lecture du dernier livre de Frédéric Lordon, Imperium. Il salue la recherche par l’auteur d’une réponse à la question « qu’est-ce qu’une communauté politique ? », mais il lui reproche de ne pas penser le « commun mondial », de façon à concevoir un nouvel internationalisme.
La revue des revues préparée par Jacques Cossart ne pouvait pas mieux tomber. En passant « en revue » les efforts déployés, souvent en vain, par l’ONU pour promouvoir aussi bien des « objectifs du développement » que la lutte contre le réchauffement climatique, on mesure l’écart existant entre des velléités et la réalité. Le résultat décevant de la COP 21 à Paris en fait hélas foi. Il faut dire que les efforts, eux souvent couronnés de succès, des banques pour préserver leur secret sont dignes d’un capitalisme en crise !
Quand un capitalisme en crise est sauvé parce ceux qui s’en déclaraient les ennemis – juste le temps de se faire élire –, on touche le fond, c’est-à-dire qu’il ne reste plus aux citoyens qu’à aller au fond des choses pour faire entendre une autre musique. Entendre ? Laissons le mot de la fin à Monsieur Macron, qui, venu plaider sur France Inter, le matin du 8 mars 2016, en faveur de la loi El Khomri, répondait aux questions et aux critiques en déclarant : « il faut entendre les malentendus ». Que disait Audiard à propos de ceux qui osaient tout ?