La stratégie de Syriza… et la nôtre : premiers bilans
Un bilan s’impose sur la stratégie suivie par les dirigeants de Syriza… et la nôtre (nous, la gauche de la gauche). Alexis Tsipras a négocié avec un pistolet sur la tempe. C’était prévisible. Et, depuis cinq mois, il a fait des choix politiques, en témoignent les débats internes de Syriza, les critiques de la plate-forme de gauche et les révélations de Varoufakis.
Il n’y avait pas qu’une stratégie possible, le résultat de celle qui a été choisie est terrible pour les Grecs d’abord, pour les peuples européens ensuite. Tsipras a eu l’honnêteté de reconnaître qu’il s’agit d’un « mauvais accord » (en vérité, un diktat), un avis partagé par des analystes de tous bords.
À noter l’aveuglement du Parti communiste français soulignant le « rôle positif » que la France a joué dans cette affaire. Hollande, il est vrai, a aidé Tsipras à reculer devant Merkel comme il l’avait fait lui-même au lendemain de son élection. Le PCF ne semble pas comprendre que cela va aider les dirigeants européens, Hollande/Valls en particulier, à faire passer leurs plans d’austérité.
Autre conséquence, Syriza se déchire, ce qui est aussi le but recherché par l’Eurogroupe. Qui va profiter de la reddition du gouvernement grec ? La droite grecque qui va montrer que ses propositions allaient moins loin dans l’austérité et l’abandon de souveraineté que l’accord signé à Bruxelles (les conditions sont plus dures que celles négociées avant le référendum du 5 juillet comme l’écrit Elie Cohen, Les Échos, 15 juin 2015). Et peut-être, demain, Aube Dorée pourrait profiter de la confusion politique.
Tsipras et l’exécutif de Syriza ont une responsabilité politique dans les choix effectués.
Questions
- Comment interpréter a posteriori le référendum démocratique ? C’est Tsipras qui a déclaré avoir besoin du non au référendum pour négocier en meilleure position et c’est lui qui a envoyé, avant même les négociations de Bruxelles, les 62 % de « non » aux oubliettes. On ne peut que se poser la question : ce référendum était-il une décision démocratique ou s’agissait-il d’une manœuvre plébiscitaire où la question posée importe moins que celui qui la pose ? Le but était-il de renforcer l’autorité de Tsipras en Grèce ? À Bruxelles, il déclarait le 12 juillet être « pour une Europe unie, contre une Europe divisée » (sous-entendu, quel qu’en soit le prix). Si telle était sa conviction, la question qu’il aurait dû poser aux Grecs était : « Êtes-vous pour rester dans l’euro même au prix d’une austérité renforcée ? »
- Alors que Tsipras s’est allié à la droite au nom de l’unité nationale, pourquoi, dans le même temps, a-t-il poussé le ministre des finances à la démission ? En quoi cette démission forcée a-t-elle « facilité » la négociation de Tsipras à Bruxelles ?
- Pourquoi n’a-t-il pas fixé publiquement une ligne rouge avant la négociation d’un « compromis » ? Et n’est-ce pas l’accord final qu’il aurait fallu soumettre au référendum ?
- Comment expliquer qu’il ne se soit pas préparé à l’exclusion de la Grèce (le ’Grexit’) de la zone euro par le gouvernement allemand et ses alliés ? « Le Grexit appartient au passé » a déclaré Tsipras. En réalité, il en a seulement repoussé l’échéance (E. Cohen, Les Échos). Certes, il ne fallait pas que le gouvernement grec mette en avant un mot d’ordre de sortie volontaire de l’euro, mais il fallait s’y préparer et y préparer son peuple. Ce qui lui aurait permis de refuser le ’nouveau traité de Versailles’ imposé par le gouvernement Merkel. La plateforme de gauche de Syriza avait anticipé ces développements, elle proposait un plan d’urgence incluant la nationalisation des banques, l’émission de l’IOU et le contrôle des capitaux. Sûrement aurait-il fallu prendre dès le début des mesures radicales contre les oligarques grecs, ce qui aurait fait hurler les eurocrates de Bruxelles mais aurait montré leur alliance avec l’oligarchie grecque aux yeux des peuples européens. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ?
Oui, il y avait plusieurs stratégies possibles, aucune n’était facile mais celle qui a été choisie (et en vérité plus subie que choisie) est à coup sûr dramatique. Comme le rapporte Florence Aubenas on se demande pourquoi, dans le cadre du programme de privatisation à hauteur de 50 milliards d’euros, Merkel n’a pas « demandé à chaque Grec de vendre un rein » !
D’où vient l’erreur ?
L’exécutif grec craignait davantage la sortie du pays de la zone euro que l’abandon de son propre programme. On aurait pu s’en douter dès le 22 juin, lorsqu’Athènes avait déjà présenté un plan d’austérité. Mais le « non » au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au Premier ministre pour refuser le diktat européen et négocier le Grexit. Il n’en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu’il a commis l’erreur de ne pas le préparer. « L’erreur d’Alexis Tsipras aura été de croire qu’il pouvait obtenir un « accord mutuellement favorable » comme il l’a martelé pendant cinq mois » (La Tribune). « L’attachement à la construction européenne, à l’idée que l’Union peut être changée en faveur des peuples était jusqu’ici inscrite dans l’ADN de Syriza, héritier de l’eurocommunisme des années 1970 », décrypte une source au sein du parti. La foi dans la démarche de négociation était si ancrée que le gouvernement grec n’a jamais sérieusement travaillé à l’élaboration d’un plan B, fragilisant de fait sa position. Varoufakis l’admet aujourd’hui : « Nous avions préparé le Grexit en théorie, mais c’est autre chose que d’y préparer le pays. Cela n’a pas été fait », déplore-t-il. « Notre principale erreur ? Avoir mal mesuré leur volonté de nous détruire. Le gouvernement doit faire face à un coup d’État nouveau genre. Nos assaillants ne sont plus des chars d’assaut, comme en 1967, mais les banques » (Yannis Varoufakis, ministre des Finances, Rosa Moussaoui, L’Humanité).
La preuve est faite que l’euro est un nœud coulant placé autour du cou des peuples que la BCE serre et desserre à sa guise, empêchant toute politique économique et sociale alternative au néolibéralisme. La preuve est là que l’euro est utilisé comme une machine de destruction de la démocratie.
La gauche de la gauche doit tirer les leçons de cette défaite. Pour les peuples européens, l’expérience est amère. « C’est cela le bilan de la gauche radicale quand elle est au gouvernement ? » Se taire serait accepter qu’il n’y a pas d’alternative et renvoyer tout changement radical au rêve d’une victoire électorale débouchant un jour sur l’accession au pouvoir d’une gauche authentique dans une majorité de pays européens. C’est finalement rabattre la contestation vers le « réalisme » : le social-libéralisme d’un côté et le FN de l’autre.
Sortir de l’ambiguïté
Les débats sur l’Europe ont fait l’objet de nombreux échanges parfois très agressifs. Un retour en arrière est nécessaire à la lumière des développements actuels et de la crise grecque. Plusieurs positions se sont opposées ces dernières années. Résumons la nôtre d’abord.
La position dominante dans la gauche radicale a l’avantage d’être synthétisée dans le livre publié par Attac et la Fondation Copernic : Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire [1]. Nous (et dans ce « nous », certains plus que d’autres) avons défendu une position qui disait 1) que cette Europe n’était pas réformable ; 2) qu’il fallait se préparer à rompre avec les traités ; 3) et à ouvrir une crise politique, une hypothèse pouvant déboucher sur la sortie de l’euro. Mais il n’est pas vrai que nous avons dit que la sortie de l’euro en serait la conclusion inévitable et qu’il fallait s’y préparer. D’ailleurs, nous ne nous y sommes pas préparés, pas plus que Syriza. Certes, nous avons répété sans cesse que nous étions pour « une autre Europe » et pour la fin des politiques d’austérité. Mais c’était une position ambiguë car elle ne tirait pas la conclusion concrète de la rupture imposée par les rapports de force. On a laissé croire que l’on pourrait garder le flacon tout en changeant la liqueur…« Désobéir pour reconstruire » : reconstruire ? Comment ? En gardant le cadre institutionnel actuel tout en le réformant ? Quelles seraient les institutions de cette autre Europe ? Monnaie unique ou monnaie commune ? Cette « autre Europe » serait-elle fédérale ou confédérale ? Le fédéralisme est-il une option acceptable dans les conditions actuelles ? Bien sûr, nous avons dénoncé l’indépendance de la BCE, le caractère non démocratique des institutions. Nous avons appelé à voter contre les traités, mais nous n’avons jamais explicitement dit ce qu’ « une autre Europe » impliquait. Je me souviens d’une discussion lors d’une université d’été. Certains envisageaient que, sous réserve que les rapports de force en Europe changent, la BCE puisse modifier sa stratégie et se mettre au service des politiques publiques. Une hypothèse non crédible. Pourquoi ? Parce que l’analyse politique qui la sous-tend est erronée. Elle suppose l’existence d’une conscience européenne et d’un peuple européen. Force est de constater que ce n’est pas le cas, la crise grecque l’illustre de façon dramatique. Je suis contre les mea culpa du genre « Nous n’avons pas mobilisé », « la solidarité n’était pas au rendez-vous ». C’est incontestable. Mais ce n’est pas d’abord « notre faute ». C’est d’abord le résultat d’une construction européenne qui s’est faite contre les peuples. Les peuples européens ne se sentent pas solidaires des Grecs, c’est même pour certains d’entre eux le contraire. C’est l’inverse qui s’est produit en Amérique latine dans la première décennie du XXIe siècle : le Consensus de Washington (version latino de la politique de la Troïka aujourd’hui) a été ressenti dans de nombreux pays comme une agression générale lors de la crise argentine. Les insurrections populaires qui ont suivi ont donné lieu à des victoires électorales dans plusieurs pays et au rejet de l’ALCA, la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) promue par les États-Unis, au point que Washington et ses alliés (qui n’avaient rien de particulièrement progressistes) ont dû reculer devant cette perspective.
C’est contre la position défendant une sortie revendiquée de l’euro que se sont déchaînées les critiques les plus virulentes. En ce qui me concerne, la critique essentielle tient au fait que certains auteurs (J. Sapir, F. Lordon entre autres) n’ont pas toujours clarifié un problème central : aucune ambiguïté ne doit planer sur le fait qu’une autarcie débouchant sur un gouvernement d’union nationale serait en soi une issue positive. La sortie de l’euro est une condition nécessaire mais non suffisante, elle ne peut être avancée qu’avec un programme anticapitaliste, celui avancé par la gauche de Syriza, en ne laissant aucune place à un discours nationaliste. C’est ce programme anticapitaliste qui doit nous différencier du Front national. Or, la polémique avec F. Lordon et al s’est concentrée sur la proposition de « sortie de l’euro », ce qui a conduit à « tordre le bâton » au profit d’une position sibylline de défense d’un « non de gauche, pour une autre Europe ».
C’est ce dernier point qui faisait désaccord. L’ambiguïté persiste, il faut la lever. Que disait le livre cité plus haut ? Le titre du chapitre 4, p. 87, est explicite : « La sortie de l’euro, un remède illusoire ». Mais quelle est l’alternative stratégique ? « La refondation ou la sortie ? », s’interrogent les auteurs (p. 89) qui polémiquent immédiatement contre les partisans de la sortie en affirmant (p. 91) que l’annulation d’une partie de la dette « n’aurait pas besoin d’une sortie de l’euro pour être appliquée ». Suivent des pages consacrées à toute une série d’arguments économiques, techniques et juridiques sur les avantages et inconvénients d’une dévaluation compétitive, les modèles macro-économiques etc., qui relèvent d’hypothèses hasardeuses, de la critique d’un « scénario enchanté » (celui de J. Sapir). Je ne prétends pas juger les chiffres et la méthodologie utilisés, on me permettra de penser que tel n’est pas le problème principal, il relève d’abord d’une volonté politique et d’une compréhension stratégique.
Peu à peu les auteurs précisent : « sortir de l’euro, ce serait donner aux marchés financiers un puissant moyen de pression » (p. 100) », « une erreur stratégique majeure » affirment-ils. Mais les marchés financiers n’ont-ils pas exercé un « puissant moyen de pression » sur le gouvernement grec pour lui faire payer son maintien dans l’euro ? Pour les auteurs, « le projet d’une sortie de l’euro n’ouvre pas la voie vers un projet alternatif pour l’Europe… La sortie de l’euro n’est ni une condition préalable ni une fin en soi ». Que la sortie de l’euro ne soit pas « une fin en soi » est incontestable. Mais c’est une condition politique préalable pour en finir avec les politiques néolibérales. Cette compréhension politique suppose de préparer un plan B. C’est la refondation qui est illusoire, la Grèce c’est la preuve du pudding…
Il faut donc se préparer à cette épreuve de force. Tactiquement, il faut la présenter comme une réaction de légitime défense. « S’ils veulent nous imposer l’austérité, s’ils veulent nous faire le « coup de la Grèce » nous sortirons de l’euro et nous construirons avec ceux qui le souhaitent l’Europe de la solidarité entre les peuples et pas l’Europe actuelle de la concurrence de tous contre tous au service des banquiers ». Il ne faut pas confondre tactique et stratégie, comme l’a fait l’exécutif de Syriza. La stratégie appliquée « pour une Europe unie contre une Europe divisée », rester dans l’Europe quel qu’en soit le prix, était erronée. Elle a conduit au résultat que l’on sait. Les auteurs du livre s’interrogent : « la sortie de l’euro, une stratégie anticapitaliste ? » (p 106). Citant le grec Costas Lapavitsas qui rappelle le programme de Syriza en cas de sortie de l’euro (nationalisation des banques, contrôle des capitaux, extension des services publics), ils affirment : « La démonstration n’est pas faite que la sortie de l’euro serait la condition préalable à leur mise en œuvre » (p. 107). Mais la démonstration est faite que même des mesures beaucoup plus limitées, telles que celles proposées par Syriza, ne peuvent être mises en œuvre en restant dans l’euro ! Les auteurs préconisent « une stratégie de désobéissance et d’extension européenne » (p. 108). Ils reconnaissent in fine que la sortie de l’euro « pourrait être dans les mains d’un peuple désobéissant une menace ou une arme à n’utiliser qu’en dernier ressort » (p. 108). La Grèce vient de nous montrer où mène ce « en dernier ressort » non préparé. Un plan B non préparé n’est pas un plan B. En ce sens, Jean-Marie Harribey parle à juste titre de « vacuité stratégique ». Et Thomas Coutrot confirme : « Le gouvernement grec s’est privé d’un argument de poids en ne préparant pas de plan B. Moratoire sur le remboursement de la dette, émission d’une monnaie fiscale à usage interne, réforme fiscale anti-oligarques, programme de relance de l’investissement productif : un tel projet alternatif aurait renforcé sa position dans la négociation, voire ouvert une porte de sortie en cas d’intransigeance absolue des créanciers. Ce plan B, même assorti d’une expulsion de la zone euro, aurait mieux valu pour la Grèce et pour l’Europe que l’accord du 13 juillet » (« Un compromis désastreux pour la Grèce et pour l’Europe », Le Monde).
D’où vient le risque nationaliste ?
Autre procès, plus idéologique, celui du « souverainisme ». Les partisans de la sortie de l’euro sont accusés d’avoir une « vision du monde simpliste » (p. 103), « faisant du libre-échangisme la cause essentielle des pressions exercées sur le salariat » (p. 104). (Le libre-échangisme n’est certes pas la seule cause des pressions sur le salariat, mais il y contribue fortement, c’est ce que nous expliquons à propos du TAFTA, de l’ALENA entre autres). Les auteurs mettent en cause le « souverainisme de gauche ». Il serait temps d’abandonner cette notion équivoque (le « non » au référendum sur le traité européen était-il une expression du souverainisme ?). La défense de la souveraineté nationale peut-être la meilleure et la pire des choses. Elle a été en Amérique latine (et pour d’autres peuples opprimés) une arme très efficace contre les multinationales. Il est vrai que F. Lordon introduit également un débat sur la nation, dont certains (E. Todd) donnent une interprétation rétrograde (p. 105) de « repli national ». Mais ce débat mérite autre chose que des raccourcis à la lumière de la construction européenne.
« Le discours anticapitaliste sur la sortie de l’euro commet une faute très grave qui consiste à inverser les fins et les moyens. Faire de l’UE et de l’euro la cause principale de « nos » problèmes ne peut qu’alimenter la vague nationaliste » nous dit-on. Mais n’est-ce pas exactement ce qui se passe aujourd’hui ? D’où viennent les vagues de xénophobie ? D’où vient la montée de l’extrême droite sans précédent depuis les années 1930 en Europe ? N’est elle pas la conséquence de la « concurrence libre et non faussée » imposée à tous par l’UE ? Les auteurs incriminent un danger potentiel lié à la sortie de l’euro. Mais nous sommes dans l’euro et le danger n’est pas potentiel, il est bien réel et il prospère.
Dernier argument : le risque de confusion avec la position du FN. Il y aurait d’une part ceux qui mettent en avant « un autre projet pour l’Europe », et d’autre part ceux qui proposent « d’en finir avec l’Europe » (p. 107). On peut s’interroger sur les raisons qui font le succès du FN. Mais croit-on vraiment que proposer « un autre projet pour l’Europe » est plus efficace pour contrer l’influence du FN ?
D’où vient la violence des propos tenus à l’égard des partisans d’une sortie de l’euro qualifiés de « souverainistes » ? Une chose est de présenter la sortie de l’euro comme un choix de repli nationaliste, autre chose est d’expliquer qu’elle nous est imposée si l’on veut construire une Europe confédérale au service des peuples. L’expulsion de l’euro doit être présentée comme la conséquence d’une bataille politique contre les néolibéraux. La sortie de l’euro a deux visages : celui du FN et celui d’un programme anticapitaliste. Il faut se préparer à une telle issue, inévitable dans les rapports de force actuels.
Clarifier pour rassembler
Ce constat semble aujourd’hui assez largement partagé, et c’est tant mieux. Mais il ne nous dispense pas d’une analyse de nos positions passées. La leçon de l’expérience grecque est très claire : rester dans l’euro n’est pas compatible avec un programme anti-austérité et antilibéral (ce qu’a dit S. Kouvelakis dès la victoire de Syriza). Les Grecs vont payer cher les choix de Tsipras. Et nous ne mesurons pas encore les conséquences politiques de cette défaite en Espagne, au Portugal et en Europe. Or, si nombre d’économistes soulignent que la sortie de l’euro ne serait pas un chemin de roses, leurs propositions (différentes) montrent qu’une voie moins coûteuse à terme peut être proposée, permettant au peuple grec de se mobiliser dans la dignité, et, peut-être, de favoriser une mobilisation européenne plus solidaire. Le défaut argentin a coûté très cher aux Argentins, mais moins que la poursuite du programme ultralibéral du Consensus de Washington. Certes la Grèce n’est pas l’Argentine mais…
La politique de l’UE, sous la direction du gouvernement d’Angela Merkel a renforcé de manière considérable les partis d’extrême droite en Europe, alors que nous nous sommes affaiblis. Pourquoi ? Les politiques économiques libérales détruisent les acquis sociaux. L’UE est une machine de guerre contre les peuples avec la collaboration des gouvernements de droite et de « gauche ». C’est ainsi aujourd’hui qu’elle est largement perçue. Nous l’avons dit, mais le FN a capté mieux que nous la colère populaire. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes responsables de son essor. Nous ne sommes pas intervenus de manière suffisamment claire et percutante pour dénoncer cette Europe sous hégémonie des conservateurs allemands de la CDU/CSU appuyés par le SPD, pour dire qu’il fallait rompre avec elle. La raison est d’ailleurs honorable : nous n’avons pas voulu intervenir sur le même terrain : celui du chauvinisme, de la lutte contre l’immigration, etc. Mais notre message était brouillé. D’autant que le projet européen a été au début paré de vertus pacifiques et internationalistes par ses promoteurs, un discours relayé par les sociaux-libéraux européens.
Après la défaite, comment comprendre le résultat des dernières élections ?
Comme les Espagnols et les Portugais entre autres, les Grecs ont bénéficié dans une première période de leur intégration dans l’UE. Ce qui explique leur attachement à l’UE et à l’euro. Mais la crise remet en cause les bénéfices passés et fait apparaître l’UE sous son vrai jour : une arme de destruction massive des acquis sociaux. Dans un premier temps, Syriza a incarné la résistance aux politiques d’austérité, une résistance confirmée par les 62 % obtenus lors du précédent référendum qui témoignent de la confiance populaire. Mais, après le retournement de Tsipras, le résultat des élections législatives prend une autre signification : c’est un vote en faveur du « moindre mal » face à la droite, pour éviter son retour, mais c’est un vote de résignation et de démoralisation. S’il n’y a pas d’alternative – le syndrome TINA – alors mieux vaut encore Tsipras que le retour de la droite. Ce « succès » électoral de Syriza est en réalité l’expression d’une défaite. Comment apprécier autrement la reddition de Tsipras et son acceptation d’un plan d’austérité pire que le précédent ? Hors de l’euro point de salut, quel qu’en soit le prix ? Tel est le message adressé aux peuples européens. Autrement dit, ne vous battez pas, cela ne sert à rien, la bataille est perdue d’avance. Le devoir de Syriza n’était-il pas d’expliquer aux Grecs qu’il n’était pas possible de concilier deux choses contradictoires : rester dans l’euro tout en refusant le mémorandum et la poursuite (et l’aggravation) des politiques d’austérité. Il fallait faire en sorte que ce choix puisse s’exprimer démocratiquement, en clarifiant les enjeux, en soumettant le mémorandum
final au vote pour combattre les illusions. Si le vote avait confirmé néanmoins la volonté des Grecs de rester dans l’euro quel qu’en soit le prix, un gouvernement de gauche aurait dû expliquer qu’il ne pouvait appliquer une politique de droite aussi désastreuse et démissionner. Ou bien pensons nous que nous pouvons appliquer les diktats des eurocrates et du FMI (qui sont de retour à Athènes pour en contrôler la mise en œuvre) ? Est-ce que nous allons expliquer lors des prochaines campagnes électorales que, placés dans les mêmes conditions que Tsipras, nous ferions comme lui, en attendant que dans une majorité de pays, la gauche de gauche arrive au pouvoir ?
La crise grecque ouvre le début d’un processus de clarification/dislocation de cette Europe antisociale et antidémocratique. Maintenant que l’ordre bruxellois règne à Athènes, la question grecque disparaît provisoirement des écrans de télévision. La gauche européenne vient de subir une défaite, il est indispensable d’en tirer les leçons.
Texte du 23 juillet 2015 actualisé le 1er octobre 2015