« Je pense, quant à moi, qu’une cité sert mieux l’intérêt des particuliers si elle prospère dans son ensemble que si elle assure le succès de chaque citoyen, mais que collectivement elle échoue ».Périclès selon Thucydide 2, 60, 2
Avec les promesses de rigueur dans toute campagne électorale, le candidat Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne en mai 2014 a pu faire illusion. Dans ce programme électoral forcément bien intentionné, figuraient non seulement le lancement du marché unique du numérique, la réalisation de l’union européenne de l’énergie et la signature d’un traité transatlantique (TAFTA/TTIP/PTCI) « raisonnable » (sic !), mais aussi le renforcement de l’union monétaire, avec deux objectifs : garder « la dimension sociale de l’Europe à l’esprit » et rééquilibrer « la relation entre les élus et la BCE dans la gestion quotidienne de la zone euro ». Le futur président ajoutait : « Nous devons aussi rééquilibrer la façon dont nous accordons notre soutien à la stabilité des pays de la zone euro en difficulté financière. Je propose qu’à l’avenir, tout support et programme de réforme doit être évalué en termes de viabilité financière et en termes d’impact social. Les effets sociaux des réformes structurelles doivent être débattus publiquement. Mon parti, le PPE, croit en l’Économie Sociale de Marché. En temps de crise, ce principe n’est pas compatible avec le fait que les spéculateurs deviennent encore plus riches, tandis que les retraités ne savent plus comment subvenir à leurs besoins quotidiens » (sic !) [1].
La chronologie d’une destruction économique et sociale
Cette double promesse, d’ordre à la fois social et politique, a été démentie dès l’élection à la présidence de la Commission européenne de l’ancien ministre des finances du Luxembourg. Juncker n’a en effet rien trouvé de mieux que de choisir comme vice-président à ses côtés et comme commissaire pour l’euro et le dialogue social Valdis Dombrovskis. Trois fois Premier ministre de son pays, le Letton s’était distingué lors de son premier mandat en imposant à ses concitoyennes et concitoyens un plan d’austérité budgétaire draconien ; il prévoyait une baisse de 20 % des salaires de la fonction publique, la division par deux du salaire des enseignants, une baisse de 10 % des retraites et la fermeture de plusieurs hôpitaux. Air hélas trop bien connu… Quant à Juncker lui-même, il était non seulement ministre des finances du Grand-Duché, mais président de l’Eurogroupe (le Conseil des ministres des finances des pays de l’Union européenne) quand son pays accordait aux multinationales qui déplaçaient leur siège au Luxembourg tous les moyens de la plus cynique des « optimisations fiscales » (LuxLeaks). Apple, Pepsi, Heinz, IKEA, Deutsche Bank, Disney et bien d’autres ont ainsi obtenu, légalement, des avantages fiscaux leur permettant en particulier d’échapper à la fiscalité des pays dont ils exploitent les ressources naturelles et humaines.
La double promesse électorale de Juncker a été entièrement reniée avec le plan de « réformes » imposé à la Grèce le 13 juillet dernier. Rappelons-en la sinistre chronologie :
- 2 mai 2010 : à la suite de la crise financière de 2008 qui touche durement en particulier les banques grecques, premier « plan de sauvetage » de la Grèce qui accuse un déficit budgétaire de 12, 7 % et une dette souveraine se montant à 127 % du PIB. Un premier prêt échelonné de 110 milliards d’euros est assorti d’un « mémorandum » imposé par le FMI, la BCE et la Commission européenne (la Troïka) sans consultation ni du parlement grec, ni des autres parlements européens. Le mémorandum consiste en un sévère programme d’austérité budgétaire (augmentation de la TVA de 19 à 21 %, taxes variées, réduction de 7 % des salaires dans les entreprises publiques, gel des pensions dans le public et dans le privé, facilitation des licenciements, etc. – on connaît la chanson).
- 12 mars 2012 : deuxième plan d’aide financier de 130 milliards d’euros, assorti d’un plan d’économies qui renforce celui de 2010 (notamment par la vente et privatisation de parts et d’entreprises d’État pour un montant de 50 milliards, en particulier le port du Pirée).
Si le déficit public est ramené en quatre ans de 11, 1 % à 3, 5 %, à fin 2014, la dette publique passe de126, 8 % à 177, 1% (elle dépasse désormais 180%) et le sacro-saint PIB chute de plus de 25 % depuis 2009, avec une production en baisse de 20 % depuis 1999. Matériellement et humainement, ce sont évidemment les plus pauvres et les plus vulnérables qui ont subi les conséquences destructrices des deux mémorandums, avec la réduction du salaire minimum de 22 % à 586 euros bruts et la baisse drastique du montant des retraites. On le sait, de 2009 à 2014, le chômage passait de 9, 2 % à 26, 5 % (52, 4% chez les jeunes), les salaires toutes professions confondues diminuaient de 23, 8 % et, dans la seule année 2014, on a prévu 11550 licenciements dans la fonction publique. Sur une population de 11,3 millions d’habitants, près de 2,5 millions de personnes n’ont plus d’accès aux soins de base (380 centres de soins primaires ont dû fermer), et, en 2014, 36% des Grecs étaient considérés comme étant en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (contre 28% en 2008). Selon un rapport de l’OCDE de mars 2014, 30 % de la population grecque vit en dessous du seuil de pauvreté et 17 % ne peuvent plus subvenir à leurs besoins alimentaires quotidiens.
Selon Alexis Tsipras lui-même, dans son discours du 31 mai 2015 : « la diminution cumulée des retraites en Grèce pendant les années du Mémorandum est de 20 % à 48 % : actuellement 44,5 % des retraités reçoivent une pension au seuil de la pauvreté relative et, selon les données de l’Eurostat, 23,1 % des retraités vivent dans des conditions de risque de pauvreté et d’exclusion sociale. »
Conséquence : « la Grèce, conformément aux statistiques d’Eurostat, est devenue l’État de l’Union européenne ayant l’indicateur d’inégalité sociale le plus élevé ».
On est donc dans la pure logique des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale à la fin du siècle dernier aux pays les plus pauvres et les plus endettés, avec les conséquences que l’on sait : économies drastiques dans les services de santé et de la formation (écoles), suppression des soutiens aux agriculteurs et aux cultures vivrières, vente des entreprises d’État pour laisser libre cours aux investissements des multinationales occidentales de l’agro-alimentaire et de l’extraction des matières premières qui en rapatrient les profits dans les pays du Nord. Sous le couvert d’une inéluctable « mondialisation », on assiste à une nouvelle forme de colonialisme, économique et financier. Ce néocolonialisme implacable découle de l’application stricte et contraignante du double principe de la privatisation et de la marchandisation (pour le profit capitaliste). Ce double principe fonde l’idéologie du néolibéralisme (« moins d’État » !).
Une mise sous tutelle par les banques
Pour la Grèce, on connaît la suite : le 25 janvier dernier, Syriza gagne les élections et parvient à former une majorité et un gouvernement avec l’appui du parti populiste de droite ANEL. En février, le gouvernement refuse les ultimatums de la Troïka et fait voter par le parlement une série de mesures sociales parmi lesquelles des allocations de logement pour 30 000 personnes et l’étalement du remboursement des prêts bancaires pour les plus défavorisés.
Mais, de négociation en négociation avec les instances de l’UE, le pays est à court de liquidités ; il est bientôt en situation de cessation de paiement des dettes contractées par les gouvernements précédents. Par ailleurs, en favorisant indirectement l’évasion fiscale, en asséchant les liquidités, puis en finissant par fermer les banques, la BCE exerce un chantage révoltant sur les décisions politiques. Le 25 juin, un accord est finalisé, avec la l’UE, la BCE et le FMI : en échange d’un prêt à court terme et d’un plan d’aide pour l’investissement de 35 milliards d’euros, le gouvernement grec doit s’engager à fixer une TVA à 23 %, y compris dans la restauration et dans les îles, à abolir la réduction de la taxe sur les carburants pour les agriculteurs, à diminuer de près d’un milliard d’euros la charge de l’aide sociale, à augmenter des prélèvements pour soins de santé sur les pensions de 4 % à 6 % ; s’y ajoutent le gel des retraites jusqu’en 2021 et une nouvelle réduction des salaires dans le secteur public. Le 5 juillet, avec 61,31 % et un taux de participation de 62,5 %, Grecques et Grecs disent NON à un « programme d’aide » qui s’inscrit dans la même logique que les deux mémorandums ayant conduit le pays au bord de la faillite. Des économistes aussi peu suspects de gauchisme que Joseph Stiglitz ou Paul Krugman n’ont pas manqué de dire l’inefficacité, du point de vue économique, de tels « plans d’aide » [2].
Néanmoins, dans une volte-face sur laquelle on n’a pas fini de gloser, Alexis Tsipras accepte le 13 juillet un « plan de sauvetage » de 82 milliards, assorti d’ajustements structurels plus sévères encore que le plan rejeté par référendum (augmentation de l’âge de la retraire à 67 ans : mesure de lutte bien connue contre le chômage…). Avec l’aide des voix du PASOK et de la Nouvelle Démocratie, le Parlement entérine ce plan le 23 juillet. La démission de Tsipras moins d’un mois plus tard a montré l’impossibilité d’une telle alliance.
La réélection de Tsipras le 20 septembre dernier pose la question de l’application d’un troisième plan d’ajustement structurel face à un parlement mis sous l’étroite tutelle de la Commission européenne. Pour ne prendre que cet exemple, sur le modèle de la Treuhandanstalt qui était parvenue à brader tous les biens publics de l’ancienne RDA, ce nouveau mémorandum fait renaître notamment le fonds des privatisations TAIPED (le cyniquement dénommé « Fonds de développement des biens de la République hellénique ») ; gelé en février, il est désormais placé sous le contrôle étroit des représentants de la Troïka [3].
Logiques néolibérales et capitalistes
Mais de quelle logique s’agit-il ? Elle est à l’évidence purement financière. De même que le prêt-pont de 7,16 milliards accordé en urgence en juillet n’a pratiquement servi qu’à rembourser 6,25 milliards au FMI et à la BCE, de même le nouveau financement de 82 milliards est essentiellement destiné à rembourser les dettes arrivant à échéance ces prochains mois et à recapitaliser les banques du pays. Sur une première tranche de 25 milliards, 3,2 milliards sont dus pour la fin août à la BCE, puis 7 milliards pour le remboursement d’un crédit accordé par le Fonds européen pour la stabilité financière ; un autre montant de 10 milliards ira à la recapitalisations des banques. [4] Quant au fonds de bradage de biens publics de 50 milliards, 12,5 milliards uniquement pourront être réinvestis dans l’économie ; sinon il s’agira de rembourser d’autres prêts précédents avec le produit des ventes à vil prix des biens communs. On pourra se référer à titre d’exemple à la vente toute récente d’une île dans le Golfe de Salonique au milliardaire états-unien Warren Buffett et au magnat italien de l’immobilier Alessandro Proto, richissimes et arrogants propriétaires capitalistes s’il en est.
Quant à la restructuration d’une dette déclarée insoutenable même par la voix hypocrite de Christine Lagarde au FMI, elle est renvoyée aux calendes… grecques. Pourtant dans la collaboration avec Éric Toussaint du CADTM, une bonne partie de cette dette souveraine a pu être déclarée « illégitime, odieuse, illégale » et désormais insoutenable par la Commission pour la vérité sur la dette publique, instituée par le Parlement grec [5]. Dans un chapitre 5 consacré à l’impact du « plan de sauvetage » sur les droits humains, est énumérée la liste des atteintes que présentent les différents accords des créanciers de la Grèce au droit au travail, au droit à la santé, au droit à la sécurité sociale, au droit au logement (tous les quatre sont inscrits dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme [6]) ; s’y ajoutent le droit à l’autodétermination (souveraineté du peuple et aliénation des biens publics) et le droit à la justice ; pauvreté et exclusion y sont aussi mentionnées de même que les mesures affectant la liberté d’expression et d’assemblée ainsi que la protection contre les discriminations. Sans doute aurait-on pu y adjoindre encore les droits humains fondamentaux à respecter, aussi bien à l’égard des demandeurs d’asile que des migrantes et des migrants. Faute de moyens accordés par l’UE pour les accueillir, ils sont à nouveau l’objet, en Mer Égée (en particulier à Cos), des attaques et de la répression qu’ils connaissent dans bien d’autres pays de l’Union européenne, ne serait-ce qu’en France, à Calais.
En dépit du remarquable travail de la commission parlementaire grecque, il n’est question, dans le troisième mémorandum, ni de la situation sociale et humanitaire en Grèce, ni de la nécessaire restructuration de la dette. À ce propos, Christine Lagarde a bien précisé qu’on pouvait envisager une restructuration, mais en aucune cas une annulation de la dette souveraine. Pourtant, le chapitre de conclusion du rapport de la Commission pour la vérité sur la dette publique énumère avec précision les fondements juridiques de la répudiation et de la suspension de la dette souveraine grecque !
Pas d’annulation de la dette, pas de programme d’investissement non plus : l’austérité, rien que l’austérité, pour l’appauvrissement des plus pauvres et l’enrichissement des plus riches.
La prise de pouvoir de la BCE et la négation du politique
Écoutons pourtant le constat de Zoé Konstantopoulou, présidente du Parlement grec, en ouvrant la session du Parlement dans la sinistre nuit du 15 juillet : « Le mémorandum a provoqué une crise humanitaire en Grèce, et nos dits partenaires le savent (…). Il s’agit là d’un coup d’État, de l’abolition de la démocratie, de l’abolition de la fonction constitutionnelle, et d’une imposition de conditions de vie qui mèneront de façon certaine– en partie ou totalement – à la destruction (d’une partie ou de l’ensemble) de la population grecque. Il s’agit ainsi d’un crime contre l’humanité et d’un génocide social ». « Un coup d’État financier contre Athènes » anticipait Vicky Skoumbi, la rédactrice de la revue Aletheia, dans une analyse fouillée, publiée juste avant l’accord du 25 juin.
Difficile d’être plus pertinent. Un coup d’État financier « sans tanks » et surtout sans colonels, qui place le Parlement sous la tutelle d’institutions non élues et qui ignore le clair OXI démocratiquement clamé par le peuple grec. Un coup d’État sans colonels, mais par la volonté de banquiers inflexibles dont Wolfgang Schäuble n’est que le porte-parole, sinon la marionnette. Dans le débat de ces deux derniers mois, frappe l’absence de la voix par exemple de Mario Draghi. S’il est depuis 2011 président de la BCE, il a été le vice-président de Goldman Sachs pour l’Europe entre 2002 et 2005. Ce sont les années qui ont immédiatement suivi celles où la banque d’affaires états-unienne a permis à la Grèce, par des l’acquisition de swaps et autres produits dérivés, de masquer une partie de sa dette pour être associée à l’euro. Rappelons que, nommé gouverneur de la Banque d’Italie par personne d’autre que le milliardaire Silvio Berlusconi, Draghi a présidé au ministère du Trésor public italien, de 1993 à 2001, le Comité pour les privatisations… Un pedigree qui se passe de commentaires.
N’oublions pas par ailleurs qu’à la veille du référendum, c’est la BCE qui a ordonné le contrôle des capitaux et la fermeture des banques grecques, se livrant ainsi à un odieux chantage à portée politique.
Dans son enquête sur les dettes illégitimes, François Chesnais a fort bien démontré et démonté tous les mécanismes sophistiqués par lesquels les banques, transformées par la libéralisation financière des années 1990 en conglomérats spécialistes de la spéculation, sont parvenues à dominer les institutions politiques [7]. Désormais, ces instances, plus ou moins démocratiquement élues, sont à leur service. En ce qui concerne en particulier l’Union européenne, de même que sur le plan économique la concurrence libre et non faussée est inscrite dans le sinistre traité de Maastricht, de même la règle des marchés financiers et de la maximisation des profits est-elle indirectement inscrite dans la création de l’euro. En effet, la Banque centrale européenne, par la loi, ne peut fonctionner ni comme la Fed états-unienne, ni comme une banque centrale nationale : elle doit livrer aux marchés financiers les emprunts des pays membres de l’UE. Par l’affirmation de l’indépendance de la BCE à l’égard des instances politiques, la règle est en quelque sorte inscrite dans le traité de Lisbonne, qui a remplacé en 2009 le traité constitutionnel européen, refusé par référendum (déjà !) aussi bien par les Hollandais que par les Français en 2005 [8].
Ni du point de vue social, ni même du point de vue économique, il n’y a quoi que ce soit à espérer d’une Communauté européenne qui a inscrit dans ses textes, à l’écart de toute procédure démocratique, et qui a réalisé dans des institutions de domination néocoloniale les principes fondant le capitalisme néolibéral le plus implacable, le plus cynique et le plus destructeur (des hommes et de leur environnement).
Les aléas d’un « grexit » et nous : pour une Europe de rupture
Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux un « grexit » de l’euro, sinon de l’Union européenne ?
Du côté des votants au référendum et de leur gouvernement, la position était implicitement contradictoire : NON au nouveau plan d’austérité, mais tout en restant dans l’euro. Yanis Varoufakis, ministre des finances hélas démissionnaire dès la signature du plan de sauvetage à Bruxelles le 6 juillet, a été tout à fait clair [9] : « Le grexit de l’euro est souhaité par la BCE et par le ministre allemand des finances ; la seule solution consiste dans la restructuration de la dette ». On sait désormais ce qu’il en est des perspectives même de rééchelonnement… Pierre Khalfa, coprésident de la fondation Copernic, a montré que face à l’étranglement financier dont la Grèce vient d’être à nouveau l’objet, seules des mesures unilatérales sont possibles : contrôle des capitaux, introduction d’une monnaie complémentaire (IOU) et surtout un moratoire sur le remboursement de la dette. Et Michel Husson a bien affirmé que « la sortie de l’euro n’est pas en soi un programme, mais un outil à utiliser le cas échéant ». On ne peut que renchérir en transformant le moratoire proposé en répudiation de la partie illégitime de la dette, selon les propositions formulées par la Commission pour la vérité sur dette publique. Grexit (de l’euro) ou non, répudier la dette illégitime, imposée dans une pure logique de gain financier, est désormais la seule possibilité d’échapper aux conséquences dramatiques d’un « plan de sauvetage » dont les deux memoranda précédents ont montré la totale inefficacité – sinon à renforcer la situation de négation des droits sociaux et de profonde détresse humanitaire intentionnellement provoquée par l’application stricte des principes idéologiques sous-tendant le capitalisme néolibéral.
De la Grèce à l’Union européenne : répudiation de la partie illégitime des dettes souveraines
Mais il serait totalement irresponsable de laisser les Grecs montrer seuls l’exemple pour échapper au cercle vicieux de la dette souveraine.
Aussi peu conclusifs que soient les arguments développés dans la contribution largement discutée d’Étienne Balibar, de Sandro Mezzadra et de Frieder Otto Wolf à la suite du « Diktat de Bruxelles », il est indéniable que le combat pour une « autre Grèce » ne peut se déployer que dans le combat pour une « autre Europe » [10]. Or, la lutte pour cette autre Grèce et pour cette autre Europe ne saurait être laissée à une dialectique, pour le moins floue, « d’application et de résistance ». Désormais bien préparée pour la Grèce, c’est moins la restructuration que l’annulation partielle de la dette souveraine qui doit être revendiquée pour tous les pays de l’UE soumis à de sévères plans d’austérité, à commencer par la France. Ici, sans doute davantage que ceux de Thomas Piketty, les travaux de David Graeber doivent être une source d’inspiration [11]. D’autre part, il est évidemment indispensable que les forces politiques de gauche, en collaboration avec les mouvements sociaux, s’unissent enfin pour revendiquer un tournant social et écologique qui exige le passage du capitalisme néolibéral à un écosocialisme de rupture [12]. Quoi qu’il soit, jusqu’au référendum et à son résultat, Syriza a montré ce que nous pouvons faire, ce que nous devons faire.
En effet, on semble oublier deux choses. Non seulement, provoquée par les spéculations des banques états-uniennes dans l’émission des subprimes, la crise de 2008 était financière ; mais, en conséquence, la crise des dettes souveraines a été suscitée par l’impératif imposé par des gouvernements tels ceux de George Bush et de Nicolas Sarkozy : recapitaliser les grandes banques au bord de la faillite aux frais de l’État et au détriment des contribuables les plus précaires, par les plans d’austérité qui en ont été la conséquence. Les banques grecques faisaient évidemment partie du lot. Dans cette mesure, et dans la langue de bois maoïste post-68, on pourrait dire que les tristes Juncker, Dijsselbloem et autres Schäuble ne sont que les méprisables laquais du président de BCE et de ceux, très riches capitalistes, dont Draghi est lui-même, à son tour, le fidèle laquais. Un autre concept post-68 à reformuler en la circonstance serait celui d’impérialisme (désormais financier). Face à cet impérialisme néocolonial, une première mesure de rupture est la dénonciation coordonnée par plusieurs pays de l’Union européenne des dettes souveraines impliquées.