À qui appartient la connaissance ?

mardi 4 août 2015, par Hervé Le Crosnier *

Le terme « société de la connaissance » est devenu un signe de ralliement pour décrire les sociétés contemporaines [1]. Il désigne d’une part le basculement technique qui offre une place de plus en plus grande aux machines de « traitement de l’information » dans le processus productif. D’autre part, il souligne la place de la connaissance dans la capacité à faire société… quand celle-ci est partagée. Source d’innovations productives et sociales, la connaissance est également l’enjeu d’un affrontement mondial concernant son mode de production, d’appropriation, son usage et les règles de son partage. Si nous entrons dans une « société de la connaissance », c’est donc au sein même des processus de gestion du savoir que résident les formes nouvelles de la lutte de classes. Car loin d’être inter-classistes, comme le rêvaient les promoteurs de la « société post-industrielle » dans les années 1970, l’organisation de la production et l’usage de la connaissance conduisent au contraire à un renforcement de nouvelles formes de domination. Au point que l’on peut penser que cette appellation recouvre en réalité la seconde phase de la mondialisation, celle qui instaure un nouvel ordre mondial de l’usage des savoirs.

Société de la connaissance

Le terme date de la fin des années 1990. Auparavant, on parlait de « société de l’information », une expression utilisée par l’ONU pour titrer le SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information) de 2003 et 2005. Mais, sous ce terme, se cachait plus sûrement une « société de l’internet », avec tous les mythes qui l’ont accompagnée (gratuité de l’information, horizontalité des échanges, capacitation des individus). Des mythes qui ont fait que ce fameux SMSI et les déclarations des États qui en sont issues faisaient pleinement l’impasse sur trois éléments clés : le travail, les médias et la propriété intellectuelle.

La notion de société de la connaissance a au départ été portée dans une vision irénique par l’Unesco, qui ajoutait même la notion de « société des savoirs partagés ». Mais, très vite, le terme a été doublé d’une « économie de la connaissance ». La « Stratégie de Lisbonne », adoptée en 2000, visait ainsi à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » [2]. On sait ce qu’il en est maintenant, mais il reste intéressant de voir qu’un tel projet passait par la promotion de la recherche & développement et de l’innovation. Une manière de ne pas affronter directement les questions sociales et environnementales, mais de chercher dans le « déterminisme technologique » des solutions aux relations économiques.

Dès lors que l’innovation technique est considérée comme moteur de l’économie, la question du partage des connaissances devient secondaire par rapport à celui de la « valorisation » du savoir. Ce que le jargon dénomme « protection » signifie en réalité, pour celui qui détient un titre de propriété intellectuelle, l’exclusivité de son usage ou de la revente de licences. Et cela indépendamment de l’intérêt pour l’ensemble de la société des connaissances ainsi concernées. La « société de la connaissance » est en quelque sorte une rupture dans la logique d’équilibre entre les intérêts privés et ceux de la société qui avait marqué jusque-là les droits d’auteur (travaux de création) et les brevets (applications industrielles). Dans cet article, nous laisserons de côté la question de la propriété littéraire et artistique pour nous concentrer sur l’impact de l’extension de la brevetabilité sur la recherche scientifique. Mais la logique dans le secteur créatif est du même ordre : transformer l’équilibre permettant l’intérêt général (par exemple les bibliothèques, la copie privée…) vers une extension de la logique propriétaire jusque dans le suivi des usages. Un symptôme majeur de ce basculement aux États-Unis est la décision de juillet 2015 de retirer à la Bibliothèque du Congrès la gestion du Copyright Office [3] au profit d’un tiers qui n’aurait plus, comme une bibliothèque nationale, à se préoccuper des exceptions et limitations qui permettent l’accès pour tous aux connaissances.

Évolution du monde des brevets

À l’origine le système des brevets est conçu pour les applications industrielles. Il est à double détente : d’une part, le déposant va disposer d’un monopole de 20 ans [4] sur son invention, durant lesquels il va être le seul à pouvoir l’exploiter ou la mettre en licence ; d’autre part, et cela est considéré comme le juste retour envers la société, il doit décrire son invention de telle manière que tous puissent en profiter une fois la période d’exclusivité terminée. Au-delà de la période d’exclusivité, les brevets entrent dans le domaine public, ce qui fonde par exemple l’existence des médicaments génériques. L’évolution de ce système est de faire du brevet lui-même un élément de la compétition économique. On dépose ainsi des brevets pour limiter l’espace des concurrents (buissons de brevets), souvent avec un spectre si large que cela verrouille tout un secteur. On rachète des entreprises pour leur portefeuille de brevet [5].

Ce système international des brevets s’appuie sur la Convention de Paris, adoptée en 1883, qui fixe et harmonise les modalités de dépôt. Celui-ci s’effectue auprès d’offices spécialisés tels l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle) en France, l’OEB (Office européen des brevets) en Europe, ou directement l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) pour les brevets mondiaux du Patent Cooperation Treaty. Pour qu’un brevet reste applicable, les déposants doivent acquitter une redevance annuelle qui augmente avec le temps. On comprend dès lors que les revenus des organismes dépendent du nombre de brevets déposés et validés. Cela conduit à la fois à une dégradation des critères et à un élargissement de ce qui est brevetable. Conçus pour le monde industriel, les brevets ne peuvent en principe pas enregistrer des découvertes (ce qui existait auparavant, par exemple le vivant) ni des principes ou théories (mathématiques… et par extension les algorithmes et les logiciels). Toutefois, l’intérêt des organismes les pousse à étendre la brevetabilité vers des domaines appartenant directement au monde de la connaissance. Comme les juristes spécialisés peuvent alors utiliser ces brevets très généraux pour porter plainte contre des entreprises, on voit apparaître une logique de « patent trolls », c’est-à-dire d’entreprises cherchant à tirer profit du potentiel juridique des brevets et non à les considérer comme des moyens de diffusion de la technique, un moyen de les rendre publics moyennant une période d’exclusivité pour l’inventeur. Le brevet devient donc une arme juridique dans la société de la connaissance. Arme entre entreprises, entre pays, et in fine entre les pays anciennement industrialisés et ayant des systèmes de brevets stables et les pays émergents qui doivent se plier aux règles de la propriété intellectuelle des autres, notamment au travers de l’accord sur les ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), instauré lors de la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) [6]. Et, pour faire passer cette logique, l’OMPI organise des formations pour créer un ensemble de juristes spécialisés qui vont introduire la logique des brevets dans les pays en développement et créer un groupe professionnel ayant intérêt à son élargissement, même dans les pays où les brevets sont contraires à l’intérêt national.

La question du brevetage du vivant a constitué un moment essentiel dans l’évolution du monde des brevets vers la situation actuelle. En 1972, Ananda Chakrabarty, chercheur chez General Electric, dépose le brevet d’une bactérie modifiée aux États-Unis. Refusé une première fois, ce brevet est validé en appel, ce qui conduit le commissaire des brevets à présenter le cas devant la Cour suprême. Le verdict de celle-ci tombe en 1980… et valide le principe de la brevetabilité du vivant quand une intervention humaine est mise en œuvre. Ceci va ouvrir la porte au mouvement des start-up des biotechnologies, dont la valeur va dépendre du portefeuille de brevets qu’elles vont pouvoir accumuler dans leur première phase, et qui servira de monnaie d’échange lors de la revente aux grands groupes pour permettre le retour sur investissement du capital risque.

De nombreux mouvements dans le monde s’opposent à cette brevetabilité du vivant. Pourtant, les normes de dépôt vont se modifier et s’élargir en permanence pour rendre possible de nombreux brevets sur le vivant. Une large part du débat autour des OGM est par exemple en train de se déplacer de la lutte contre les formes premières de modifications génétiques (avec le « canon à gènes ») vers le refus des nouvelles formes de manipulations génétiques (GURTs – Genetic Use Restriction Technologies, ensemble de techniques auquel appartiennent les fameuses plantes « Terminator » ; édition génomique ; mutagénèse…). Le fait que les recherches sur ces techniques se traduisent d’abord par le dépôt de brevets est un indice qui doit nous inquiéter. Avant même que les recherches ne soient achevées, les brevets sont déposés, et ils poussent à la commercialisation des techniques, à la mise en place d’une concurrence sur des secteurs émergents pour lesquels chacune des entreprises des biotechnologies veut placer ses pions. Le court laps de temps entre l’idée d’une technique et la mise en œuvre applicative ne permet pas des études scientifiques approfondies sur les effets secondaires, sur les conséquences systémiques, sur l’impact toxicologique, sur les effets de concentration et de pouvoir ou les changements dans la sociologie et l’économie rurale… Si de telles recherches fondamentales étaient extraites de la course aux brevets, et donc à l’immédiateté des applications, on pourrait effectivement espérer une collaboration internationale qui permettrait éventuellement de faire émerger des biotechnologies réellement utiles à l’intérêt général. Ce que défendent notamment des chercheurs dans le domaine de la médecine.

Pour être valable, un brevet ne doit pas avoir « d’antériorité », c’est-à-dire qu’aucune autre invention ou publication scientifique n’a décrit auparavant le processus breveté. Il fait ainsi la preuve de son caractère novateur. Si un article scientifique décrit une technique avant le dépôt du brevet, celui n’est plus valable. On trouve alors une contradiction entre la logique universitaire de partage des recherches et celle des entreprises reposant sur le secret et le brevet. À partir du moment où l’on a autorisé les universités à déposer des brevets sur les recherches qui ont lieu en leur sein, on a limité les publications scientifiques et le partage des savoirs académiques.

Les communautés scientifiques arrêtent dès lors de fonctionner sur la base de l’échange et du partage des sources. L’affaire qui a longtemps opposé les professeurs Montagnier et Gallo sur l’antériorité de la découverte du virus du SIDA nous le rappelle [7]. Depuis les années 1990, l’échange d’échantillons biologiques (virus, pathogènes divers) est très réglementé, et les propriétaires d’échantillons accompagnent les prêts de MTA (Material Transfert Agreement) qui limitent fortement les usages par les laboratoires qui les reçoivent, notamment en cas de découverte de nouveaux traitements. Ainsi, Margaret Chan, directrice de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) a vertement critiqué l’Erasmus University Medical Center de Rotterdam pour les limites étendues associées aux recherches sur les échantillons du virus MERS (la nouvelle grippe ayant émergé en 2012 au Moyen-Orient et qui se développe actuellement en Corée du Sud) [8]. Un tel exemple montre l’état de dégradation de la conscience des chercheurs quand les revenus des brevets miroitent à l’horizon. La santé publique n’est plus considérée dans l’équilibre entre propriété intellectuelle et intérêt de la société. Et la capacité de chercher pour le bien-être général de l’humanité devient soumise à la recherche de « financements » dont les brevets sont la contrepartie.

Le nouveau rôle de l’Université

Souvent, les chercheurs admettent que les objectifs de faire de la une connaissance un bien commun est souhaitable, mais plaident pour les accords avec les entreprises qui seraient les seules à pouvoir apporter les fonds nécessaires devant le retrait de la puissance publique. Il faudrait faire contre mauvaise fortune bon cœur, et chercher dans son domaine sans vouloir élargir le regard sur les conséquences de la construction d’une connaissance à la fois parcellaire et monopolisée par ces acteurs aux objectifs différents. Avec le système des « appels d’offre », ce ne sont plus l’Université et l’interdisciplinarité qui tiennent les rênes, mais bien l’objectif applicatif. Il ne s’agit plus de penser le monde, et l’interaction entre les sciences de la nature et celles de la société, ce que devrait être une réelle société de la connaissance, mais de découvrir les « innovations » qui vont marquer la « compétition mondiale ».

La recherche se trouve placée dans une situation de concurrence exacerbée, à la fois entre chercheurs pour les reconnaissances institutionnelles, mais également entre pays (le fameux classement de Shanghai), entre sujets de recherche, entre disciplines. Cela a des conséquences sur le travail des chercheurs, et notamment le développement de la précarité et l’absence de réel contrôle sur les objectifs et les critères des fameux « appels d’offre ». Mais, surtout, cela tend à changer la relation de l’université à la population. Nous voyons ainsi apparaître une « science des promesses », dans laquelle l’annonce de résultats doit s’accompagner de promesses mirobolantes sur leur impact pour sauver le monde, guérir les maladies, relever l’économie et provoquer des changements exceptionnels. Cette logique vise à remplacer l’objectif de « comprendre le monde » par celui de « maîtriser le monde ».

Ce changement de l’état d’esprit de la recherche découle d’une loi de 1980, le Bayh-Dole Act qui a permis aux universités des États-Unis de déposer des brevets [9]. Cela conduit ces dernières à créer des « services de valorisation » et à s’engager dans des stratégies de recherche à finalité directe. Étant donné le poids de la recherche en provenance des États-Unis, ce phénomène s’est étendu sur toute la planète. Et les chercheurs critiques, ou dont les travaux pouvaient mettre à mal certaines sources de revenus des universités, ont été marginalisés, à l’image d’Ignacio Chiapela, renvoyé de l’université de Berkeley en 2001 parce que ses travaux montraient l’existence de contamination OGM au Mexique, alors que l’université qui l’employait avait des contrats avec Syngenta, grande multinationale de l’agro-alimentaire technologique [10]. La discussion scientifique elle-même pâtit de cet alignement des universités sur la recherche de revenus. La façon dont a été traité le chercheur Gilles-Éric Séralini, dont un article opposé aux OGM a été retiré d’une revue suite à la pression de Monsanto, et dont les travaux ont été dénigrés avec des arguments provenant des public-relations et non dans le cadre normal des controverses scientifiques, est un exemple récent de ce phénomène [11].

Toute recherche est critiquable. C’est même un des moteurs de l’évolution scientifique. Le caractère incrémental de la recherche fait qu’aucune certitude ne peut émerger d’un seul travail. Ce sont la multiplication de recherches semblables, la possibilité de répéter des résultats, la discussion sur les paramètres à examiner qui font avancer la science. Cela implique un caractère communautaire des travaux scientifiques. Or, la présentation des résultats comme étant toujours définitifs et représentant des avancées spectaculaires, le dépôt de brevets qui conduit à orienter la recherche vers l’application industrielle immédiate ou le sous-financement des universités publiques ont pour conséquence de détruire cet ethos spécifique de la science. Heureusement, des tendances inverses se font jour, qui remettent en avant la science comme un bien commun.

Sciences participatives et biens communs

Nombreux sont les chercheurs et les ingénieurs qui ne trouvent pas leur place dans ce monde d’hyper-concurrence et d’immédiateté. Des mouvements sociaux émergent dans les universités qui remettent en cause cette appropriation du savoir dans une logique d’affrontement, et qui veulent revenir à la constitution de communautés de recherche partageant les informations, les données, les résultats et les savoir-faire. L’idée que la connaissance pourrait être considérée comme un bien commun fait son chemin, notamment depuis la publication des livres collectifs Understanding knowledge as a commons [12] et Access to knowledge [13].

Historiquement, le premier de ces nouveaux mouvements sociaux vient des informaticiens confrontés à la montée d’une « industrie du logiciel ». À l’origine, seul le marché des machines informatiques existait, et les savoirs utilisés pour faire fonctionner celles-ci, recomposés dans les logiciels, étaient largement partagés. Mais dans les années 1980, avec la montée de la logique d’une marchandisation des connaissances qui allait aboutir à la création de l’OMC (ce que l’on a appelé « l’Uruguay round »), le logiciel est devenu en lui-même un produit en vente… et donc soumis à une propriété intellectuelle pour encadrer juridiquement les usages et limiter le partage et assurer des revenus aux trusts naissants du logiciel, dont Microsoft était l’exemple type. En réaction, à la suite de Richard Stallman, des informaticiens ont lancé le mouvement des « logiciels libres » qui garantissait le partage du code informatique. Dans le même temps, les ingénieurs qui mettaient en place l’internet ont choisi de partager les normes et protocoles ouvertement. Cette prise de conscience que l’activité collaborative était supérieure sur le long terme à la mise en propriété du savoir a mis des années à percer, mais aujourd’hui les plus grandes compagnies, comme Google, IBM… et même Microsoft utilisent et développent des logiciels libres. Le marché de la connaissance s’est de facto déplacé du logiciel vers la gestion de nuages informatiques (cloud computing) ou le traitement massif de données, ou vers la fabrication de matériel mobile (téléphones, tablettes…). Pour autant, ces entreprises, si elles ont bien suivi le mouvement initié par des indépendants, à l’image de la logique de « critique artiste » décrit par Boltanski et Chiapelo dans Le nouvel esprit du capitalisme [14], n’ont jamais fait leurs les fondements philosophiques de ce mouvement (l’esprit de liberté), se contenant de changer de secteur de profit.

Les publications universitaires ont constitué le second exemple de ce retour des communs dans les communautés universitaires. Dès 1991, les chercheurs en physique des hautes énergies, à l’initiative de Paul Ginsparg, ont choisi de partager leurs travaux autour d’ArXiv, un système de dépôt de prépublications. Cela a montré la voie pour le mouvement de l’accès libre aux publications scientifiques : les chercheurs déposent dans de tels services (par exemple HAL, mis en place par le CNRS) la dernière version avant publication de leurs travaux, et les rendent ainsi accessibles même aux universités dont les bibliothèques ne peuvent acheter les revues scientifiques qui sont souvent hors de prix (autre exemple de mainmise sur la science par des méga-éditeurs qui assument sans crainte de faire des bénéfices de 37 à 40 % chaque année, à l’image de Elsevier, le plus connu d’entre eux [15]). Une autre forme de résistance au sein de l’université… qui finit par gagner le soutien de nombreux financeurs de la recherche, notamment des États.

Le partage des données, notamment dans les domaines très gourmands en informations brutes, comme l’astrophysique, la génomique ou la climatologie, est devenue également une question qui fait son chemin parmi les universitaires. La polémique de la fin des années 1990 sur la propriété des séquences génétiques du génome humain a été tranchée par les chercheurs qui ont constitué des bases de données ouvertes. Ce qui ne va pas sans retours en arrière ou avancées, à l’image de tout conflit portant sur des questions fondamentales.

La logique de partage de la recherche universitaire qu’ont mis en œuvre ces mouvements s’est étendue aux autres formes de production de connaissances, comme la création, avec les licences Creative Commons  ; l’éducation, avec le développement de « ressources éducatives libres » ou la diffusion du savoir avec la grande encyclopédie collaborative Wikipédia. La recherche participative [16], qui inclut les usagers et plus largement les bénévoles et l’intérêt public connaît un grand développement, notamment grâce à l’infrastructure de partage et de collaboration de l’internet.

C’est tout un paysage de nouveaux mouvements sociaux qui se dessine ainsi sur la question de la connaissance. Des mouvements qui s’opposent à la mainmise de quelques-uns sur le savoir, à ce que le juriste James Boyle appelle le « second mouvement des enclosures » [17], qui vise à exclure les usagers du partage des savoirs, en utilisant les armes duelles de la technique et du droit, de la propriété intellectuelle et du chiffrage des informations.

Un enjeu de luttes politiques

Si nous devons vivre une « société de la connaissance », dans laquelle les savoirs, les pratiques collaboratives, le design ouvert, les principes d’élaboration et de création collective seraient la norme, il nous faudra la construire en nous opposant aux forces de mainmise sur tout le travail intellectuel de la planète. C’est un nouvel enjeu et un nouveau terrain de la lutte de classes. De nouvelles dominations émergent à chaque condition nouvelle du capitalisme et de nouveaux mouvements s’y opposent.

Les grands groupes concentrés, souvent plus puissants que les États, tels les béhémots de l’internet (Google, Apple, Facebook, Amazon… mais également Baidu, Yandex…), les Big Pharma ou les multinationales de l’agro-alimentaire (Monsanto, Bayer, Syngenta…), sans oublier les majors du divertissement (Disney…) ont une tout autre approche de la « société de la connaissance ». Le pouvoir sur la partie de savoir des productions, leur capacité à devenir indispensables dans la vie quotidienne de milliards de personnes ont tissé un écran nouveau sur les nouvelles formes de domination. En s’opposant aux anciennes structures industrielles, ces nouveaux acteurs de l’économie de la connaissance ont souvent englobé leur public parmi les soutiens à leur mode de pouvoir et de richesse. Une certaine confusion s’installe entre les opposants démocratiques, qui pensent les communs comme un outil d’émancipation, et ces nouveaux acteurs qui participent de la vie de tous les jours et qui promettent en permanence un avenir meilleur par l’explosion de la technologie en niant les réalités des dominations sociales et des inégalités.

Il devient donc particulièrement important pour les mouvements d’émancipation d’investir ce terrain d’affrontement, de se plonger dans les arcanes des nouvelles dominations, des méthodes que ces secteurs industriels utilisent pour y parvenir, des dangers que cela comporte pour les individus. Il est nécessaire que la pensée émancipatrice soit capable d’intégrer la force de conviction issue des avancées techniques, la critique de la concentration et les changements des formes de domination. La question des grandes plateformes de l’internet est par exemple significative de ce besoin d’une dialectique adaptée à la situation actuelle et à la place de la connaissance dans le processus social. Pour étendre leur pouvoir, ces plateformes doivent également offrir des moyens à leurs opposants, au même titre que le capitalisme industriel rendait possible l’organisation ouvrière. Et chacun d’entre nous en utilise certainement la puissance dans sa vie quotidienne. La logique du « eux et nous » n’est plus de mise, surtout quand le discours positiviste de la « science des promesses » et les résultats dans l’économie et dans nos modes de vie des technologies de l’information sont si intrinsèquement tissés.

Il nous faut donc inventer des formes de résistance adaptées à la société de la connaissance, et pour cela travailler avec les mouvements sociaux qui émergent de cette nouvelle situation. Et trouver d’autres lunettes pour observer les formes actuelles de la lutte de classes. Pour ce travail fondamental, nous pouvons nous appuyer sur les mouvements des communs qui s’opposent à la logique propriétaire, et sur les diverses pratiques que ces mouvements mettent en œuvre dans le monde entier.

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