Comparés au G7, les deux événements ont été très peu couverts dans nos médias. C’est symptomatique pour la vision du monde dans notre coin de la planète. Après 500 ans de domination du monde par l’Europe et sa bouture nord-américaine, on a du mal à s’adapter au fait que le centre de gravitation de l’histoire glisse vers d’autres pôles. Le système international est en pleine transformation. Nous vivons l’émergence d’un système polycentrique ou multipolaire. Le monde se trouve au début de la fin de la domination unipolaire par les États-Unis et ses vassaux.
Bien sûr, c’est un processus qui est à son début et la transition va durer. Avant tout, les États-Unis resteront encore pour pas mal de temps le numéro un au plan militaire, économique et politique. Et ils vont mobiliser leur potentiel pour que rien ne change. Obama a déclaré ouvertement, que ceux qui pensent que « l’Amérique serait en descente ou que son leadership global serait en érosion ont mal compris l’histoire (…), l’Amérique doit toujours être le leader au niveau mondial (…), je crois en l’exceptionnalisme américain avec toutes les fibres de mon être. » [2]
Par contre, les BRICS souhaitent « un ordre mondial multipolaire plus démocratique et plus juste, fondé sur l’application du droit international, l’égalité, le respect mutuel, la coopération, l’action coordonnée et la prise de décision collective de tous les États ». [3] Avec cette position, les BRICS veulent constituer une alternative à l’hégémonie des États-Unis et déclarent leur ambition d’être un des principaux moteurs de la transition du système international. Les BRICS ont principalement un projet anti-hégémonique.
Le sommet d’Oufa a confirmé cette intention. Les résultats les plus importants sont l’établissement d’une Banque de développement (NDB, New Development Bank), dotée de 100 milliards de dollars, qui commencera ses opérations en 2016, et un accord sur un Fonds de réserves d’urgence (CRA, Contingency Reserve Arrangement), également doté de 100 milliards de dollars. La NDB va se concentrer sur des projets d’infrastructures, tandis que le fonds sert au soutien d’un pays membre en cas de problèmes de liquidités. On voit que les deux institutions sont clairement des alternatives à la Banque mondiale et au FMI, dominés par les États-Unis.
Les documents officiels du sommet [4] critiquent le manque de réformes dans le FMI et la Banque mondiale. Ils s’expriment également sur les grands points chauds de la politique internationale comme la crise en Syrie et la région arabe, l’Ukraine, la non-prolifération d’armes nucléaires (Iran) et autres. Dans toutes ces questions, les BRICS se réfèrent aux principes de la charte de l’ONU, en mettant l’accent sur le principe de la non-ingérence, le règlement politique de conflits, et l’égalité des États.
La plus grande partie des documents se réfère à la coopération économique, au commerce, aux investissements, etc. Ces propos ne diffèrent guère de documents similaires du G7 ou du G20.
En résumé, on peut constater que les BRICS sont devenus, depuis leur première apparition en 2009, une alliance sérieuse qui se donne des instruments institutionnels importants et constitue une alternative substantielle au bloc transatlantique.
Quelques données de base
Dans la théorie dominante des relations internationales, la prétendue École réaliste [5], on part de l’idée que le système international est anarchique, que l’État national est l’acteur principal, et qu’un ordre, ou plutôt une hiérarchie, ne se constitue que sur la base d’un pouvoir accumulé, déterminant la position dans la hiérarchie. Chaque État national essaye d’obtenir la position la plus haute possible dans la hiérarchie, en utilisant ses ressources de pouvoir, dont les principales sont la capacité militaire, le potentiel économique, l’influence politique et culturelle, cette dernière figurant dans la catégorie de « soft power ». Comme résultat, la dynamique du système est déterminée par la concurrence, voire le conflit, tandis que la coopération (alliances) est finalement toujours subordonnée à la rivalité.
On peut critiquer cette théorie dans sa substance scientifique et dans sa qualité normative d’un point de vue émancipateur. Mais, puisque le comportement de pratiquement tous les gouvernements suit cette logique, on accepte ici la théorie réaliste comme instrument d’analyse, bien que conscient de ses limites, dont les limites d’indicateurs quantitatifs comme le PIB, etc.
Tableau 1 : PIB, population et dépenses militaires des BRICS, 2013
PIB à parité avec le dollar USA | PIB à parité de pouvoir d’achat | Population | Dépenses militaires | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Milliards USD | Rang mondial | Rang mondial | Par tête | Millions | Rang mondial | Milliards USD | ||
Chine | 9 240 270 | 2 | 16 161 655 | 2 | 6 560 | 1 357 380 | 1 | 188 460 |
Brésil | 2 245 673 | 7 | 3 012 934 | 7 | 11 690 | 200 362 | 5 | 47 398 |
Russie | 2 096 777 | 9 | 3 460 368 | 6 | 13 860 | 143 500 | 9 | 87 837 |
Inde | 1 876 797 | 10 | 6 776 098 | 3 | 1 570 | 1 252 140 | 2 | 31 456 |
Afrique du Sud | 350 630 | 33 | 662 632 | 27 | 7 190 | 52 982 | 25 | 4 108 |
Sources : Banque mondiale : pour les dépenses militaires
Les BRICS représentent 42 % de la population mondiale, par rapport à 10 % pour le G7. Leur PIB s’élève à 27 %, et celui du G7 est de 46,1 %. La tendance historique est évidente, lorsqu’on regarde les chiffres du G7 dans le passé. En 2005, son PIB faisait encore 62,3 % du total mondial.
Tableau 2 : Le G7 « réel », 2013 (en milliards de dollars)
Le G7 actuel (PIB à parité USD) | Le G7 « réel » (PIB à parité USD) | Le G7 « réel » (PIB à parité de pouvoir d’achat) | |||
---|---|---|---|---|---|
États-Unis | 16 768 100 | États-Unis | 16 768 100 | États-Unis | 16 768 100 |
Japon | 4 919 563 | Chine | 9 240 270 | Chine | 16 161 655 |
Allemagne | 3 730 261 | Japon | 4 919 563 | Inde | 6 776 098 |
France | 2 806 428 | Allemagne | 3 730 261 | Japon | 4 641 373 |
Royaume-Uni | 2 678 455 | France | 2 806 428 | Allemagne | 3 585 206 |
Italie | 2 149 485 | Royaume-Uni | 2 678 455 | Russie | 3 460 368 |
Canada | 1 826 769 | Brésil | 2 245 673 | Brésil | 3 012 934 |
Source : Banque mondiale
Le G7 est toujours présenté comme les sept économies les plus puissantes du monde. Mais, même mesurées en termes de parité avec le dollar, la Chine et le Brésil arrivent déjà aujourd’hui devant l’Italie et le Canada. Aussi, leur place devrait être au sein du G7, alors que l’Italie et le Canada devraient en sortir (tableau 2).
Si l’on prend le critère du PIB à parité de pouvoir d’achat, les changements iraient encore plus loin. Le G7 regrouperait alors les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Allemagne, la Russie et le Brésil. La France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Canada devraient en sortir (voir tableau 2). Selon les pronostics, il s’agit là d’une tendance qui se maintiendra à travers les décennies à venir. Derrière les chiffres, on comprendra le caractère profond et historique des bouleversements.
Un étrange mélange de pays
Au-delà de leur position anti-hégémonique, il y a d’autres points communs entre les cinq pays. Ils sont tous des pays capitalistes et souscrivent à l’impératif conventionnel de la croissance. Ils intègrent – dans une plus ou moins grande mesure – des composantes néolibérales dans leurs stratégies économiques, suivent la logique de la compétitivité et du commerce libre. Leur vision fondamentale de l’organisation de la société ne diffère donc point du mainstream à l’Occident. Dans ce sens, le constat que le centre de gravité de l’histoire glisse vers d’autres pôles doit donc être relativisé. Au fond, le capitalisme, qui a été inventé en Europe s’est universalisé. Les différences entre les BRICS d’un côté et les États-Unis et l’UE de l’autre doivent être comprises dans le cadre d’une variété de capitalismes.
Dans ce cadre commun, il existe des différences importantes entre les membres des BRICS. D’abord, ils sont extrêmement différents en termes de taille de population – allant de 50 millions en Afrique du Sud à 30 fois plus en Chine avec près de 1,4 milliard d’habitants (voir tableau 1).
Économiquement, l’hétérogénéité dans les systèmes est considérable. Ainsi, la Chine connaît une profonde intervention de l’État dans l’économie. La Russie, après avoir vécu une période de transition anarchique au capitalisme sous l’ère Eltsine, a repris, au cours des dernières années, le contrôle sur les secteurs stratégiquement importants. L’Inde libéralise progressivement son économie, tandis que le Brésil et l’Afrique du Sud sont les économies de marché les plus ouvertes parmi les BRICS, avec une intervention de l’État qu’on pourrait qualifier de « légère ».
Alors que la Chine possède une importante industrie avancée, avec quelques secteurs de pointe, mais encore un énorme secteur rural, l’Inde a une économie restée très largement agraire, avec une industrie émergente qui développe un secteur numérique. Le Brésil et l’Afrique du Sud comptent parmi les principaux exportateurs de matières. La Russie se situe d’une certaine manière au milieu. Elle a hérité d’une base industrielle de la période soviétique, mais celle-ci a besoin d’être modernisée, quoiqu’elle dispose de quelques secteurs de haute technologie (industries aéronautique, spatiale et militaire). Elle exporte pour l’essentiel des matières premières (gaz naturel, pétrole, etc.).
En ce qui concerne le niveau de vie des populations, le revenu par tête d’habitant parmi les cinq est le plus élevé en Russie, nettement au-dessus de celui de la Pologne ou d’autres pays membres de l’UE dans la région. L’Inde, avec ses 400 millions de personnes vivant dans une misère totale, doit faire face à un fort taux de pauvreté, mais sa classe moyenne se développe. L’Afrique du Sud souffre toujours d’une sorte d’« apartheid social », tandis que la Chine et le Brésil connaissent un rapide développement de leur classe moyenne et enregistrent des succès considérables en matière de lutte contre la pauvreté.
Les BRICS diffèrent aussi grandement par leur système politique, leur histoire et leur culture. Le Brésil est une démocratie à l’européenne, culturellement très proche de l’Europe du Sud, tandis que la Chine est gouvernée par un système de parti unique, formellement désigné comme communiste. L’Afrique du Sud a, elle aussi, un système politique de type occidental, ainsi que l’Inde. Pourtant, celle-ci a une très forte culture qui lui est spécifique. Le système politique russe est celui d’une démocratie formelle, avec un système présidentiel hautement centralisé et beaucoup de tendances autoritaires.
En termes militaires, la Russie est le seul pays à disposer d’une capacité de riposte nucléaire (« second strike capacity », c’est-à-dire la capacité de riposter même si elle venait à être détruite) contre les États-Unis. À l’heure actuelle, elle modernise rapidement ses forces militaires. Ce pays doit aussi faire face à plusieurs zones de conflits politiques et ethniques le long de ses frontières et se trouve engagé dans une grave confrontation avec l’OTAN sur la question de l’Ukraine [6].
La Chine connait aussi un rapide développement de ses forces militaires. Elle a des conflits à ses frontières avec l’Inde au Cachemire, et avec le Japon, le Vietnam et les Philippines dans la mer de Chine.
L’Inde connaît de fortes tensions permanentes, notamment un conflit à sa frontière avec le Pakistan au Cachemire, conflit qui affecte aussi sa frontière avec la Chine. Dans le passé, la Chine a connu des phases de rivalité avec l’Inde quand elle a été l’alliée du Pakistan.
Contrairement aux membres asiatiques des BRICS, le Brésil et l’Afrique du Sud sont exempts de conflits territoriaux ou de tensions avec les pays voisins.
D’ailleurs, on pourrait se demander pourquoi l’Afrique du Sud fait partie du groupe. Si seules des considérations de potentiel économique avaient joué, une bonne dizaine de pays sont en effet mieux placés qu’elle, notamment le Mexique, l’Indonésie, l’Argentine et l’Iran. Le Nigeria, autre pays africain, arrive clairement devant l’Afrique du Sud. Mais alors que le Nigeria est un pays politiquement instable, l’Afrique du Sud est reconnue comme la principale puissance régionale en Afrique subsaharienne. Pour les BRICS, la présence d’un pays africain a donc une valeur fortement symbolique.
Toutes ces différences composent un tableau très complexe et parfois contradictoire d’intérêts et d’interactions entre les pays des BRICS, non dénué de sources de conflits potentiels. Il en découlera que le bénéfice retiré de l’alliance sera diffèrent pour chacun des pays. Si les inégalités s’accroissent, certains membres pourraient quitter le groupe. Ce risque existe en particulier pour le Brésil et l’Afrique du Sud, dans l’éventualité d’un changement d’orientation de leurs gouvernements.
Mais ce ne sont pas là des problèmes spécifiques aux BRICS. Toutes les alliances internationales et coopérations régionales sont confrontées à de tels défis.
Quelles forces motrices ?
L’initiative pour la création du groupe vient de la Russie. Ce n’est pas surprenant. Étant donné que, par tradition, la Russie était déjà une grande puissance au XIXe siècle et est devenue une superpuissance après la Seconde Guerre mondiale, il est logique que les élites russes, à plus ou moins brève échéance après la fin de l’Union soviétique, essaient de défendre plus énergiquement leurs intérêts au niveau international. La Russie est quasiment un « rival-né » de la suprématie américaine.
Un facteur fondamental dans ce statut de « rival-né » date depuis longtemps : comme mentionné plus haut, la Russie est le seul pays qui dispose d’une capacité de riposte nucléaire, qu’elle a héritée de l’Union soviétique. C’est là, en termes de géopolitique, une donnée extrêmement importante, en particulier pour les élites américaines, dans la mesure où elle constitue un obstacle à leur leadership mondial. Pour Washington, cela a été une pilule amère à avaler dans la victoire de la guerre froide. [7] Mais, dans la mesure où le chaos qui a suivi l’effondrement de l’Union soviétique et a conduit la Russie au bord de la faillite, cette question n’occupait pas vraiment le devant de la scène. Cependant, dans le raisonnement stratégique de Washington, elle a toujours revêtu une importance cruciale [8].
Bien entendu, la construction d’une alliance échappant à la gravitation d’un Occident dirigé par les États-Unis n’aurait pu fonctionner sans le consentement de Pékin. Le potentiel économique de la Chine est presque cinq fois supérieur à celui de la Russie. La Chine n’accepterait jamais un quelconque leadership russe.
Mais la Chine a un intérêt commun fondamental avec la Russie : se débarrasser de l’hégémonie américaine. La Chine est, elle aussi, un « rival-né » des États-Unis, même si elle a essayé de ne pas apparaître comme tel en gardant dans le passé un profil bas en politique étrangère.
Toutefois, il semble que la Chine soit maintenant en voie de s’affirmer au grand jour comme superpuissance. Alors que, dans le cas de la Syrie, Pékin se cachait plus ou moins derrière la Russie et traitait Edward Snowden comme une patate chaude pour ne pas indisposer Obama, aujourd’hui, des intérêts directement antagoniques avec ceux des États-Unis se font jour dans le Pacifique.
Pour les BRICS, l’axe Pékin-Moscou est le noyau dur du projet, et en sera également le moteur. La Chine et la Russie ont beaucoup à gagner avec les BRICS. Pour la Russie, ils ont déjà prouvé leur grande utilité lorsque les sanctions imposées dans le cadre du conflit ukrainien n’ont pas réussi à isoler le pays. Au contraire, elles ont servi de catalyseur dans l’approfondissement des relations entre les BRICS.
Éléments d’une stratégie de transition plus large
Comme mentionné au début, le sommet des BRICS a eu lieu en combinaison avec le sommet de la Shanghai Cooperation Organization (SCO). Qu’est-ce qui se cache derrière ce nom ? Après l’écroulement de l’Union soviétique, la Chine avait tout d’un coup cinq voisins à ses frontières de l’Ouest au lieu de deux (URSS, Mongolie). Et comme il y avait des conflits frontaliers dans la région depuis les conquêtes de la Russie tsariste au XIXe siècle, des problèmes multipliés se posaient. La réponse était la création de la SCO, qui réussissait à résoudre les conflits entre ses membres fondateurs, la Chine, la Russie, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan.
Après avoir réglé les questions de frontières, la SCO s’est transformée en coopération permanente en matière de sécurité, avant tout contre le terrorisme. La Chine et la Russie ont des minorités musulmanes [9], les autres pays sont majoritairement musulmans, et ils sont tous proches de l’Afghanistan, un des centres de confrontation les plus dangereux.
Puisque les membres de la SCO font des manœuvres militaires en commun, il y a l’hypothèse qu’il s’agirait d’un contre-projet à l’OTAN. Mais le degré de coopération est beaucoup moins dense que dans l’OTAN, et avant tout il n’y a pas d’équivalent à l’article 51 de l’OTAN qui stipule l’obligation d’entrer en guerre pour tous ses membres au cas où un seul est attaqué.
Au contraire des BRICS, la SCO est une organisation formelle avec un siège (Shanghai), un secrétariat, un budget et des statuts.
Depuis quelques années, d’autres pays ont montré leur intérêt de rejoindre la SCO. Ainsi la Turquie, membre de l’OTAN (!), est devenue partenaire de dialogue. [10] À Oufa, la Biélorussie a été promue de partenaire de dialogue au rang d’observateur, et l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Cambodge et le Népal sont devenus partenaires de dialogue. Mais ce qui est une véritable sensation, c’est que l’Inde et le Pakistan ont sollicité le statut de membres. Il paraît que le règlement des conflits frontaliers de la Chine avec ses voisins ex-soviétiques pourrait servir de modèle pour un règlement de conflit entre la Chine et l’Inde et entre le Pakistan et l’Inde.
Un autre résultat intéressant du sommet de la SCO à Oufa était la décision d’utiliser l’organisation comme organisme de coordination entre la Communauté économique eurasiatique [11] et le projet chinois d’une nouvelle Route de la soie. L’idée principale de la Route de la soie est de créer un espace économique avec une infrastructure correspondante entre la Chine et l’Europ
e en traversant l’Asie. Le projet prévoit deux composantes : un corridor sur terre ferme, avec plusieurs embranchements et une route navale au sud du continent. La Chine prépare des investissements gigantesques pour les prochaines trente années. [12]<
À tout cela, il faudrait encore ajouter l’établissement de la Banque pour l’investissement dans l’infrastructure (AIIB) par la Chine, qui a fait du bruit même dans les médias occidentaux, parce que même des satellites très proches des États-Unis, comme le Royaume-Uni, la France, l’Australie et l’Allemagne, se sont intégrés dans la banque contre la volonté de Washington. Apparemment, ils veulent tous participer aux profits à gagner dans les projets d’infrastructures en Asie.
Dans le cadre de ce processus d’intégration à plusieurs niveaux en Asie, le poids économique et politique des BRICS se relativise. Les structures émergentes ont comme épicentre la superpuissance chinoise, complété par l’axe Pékin-Moscou et accompagné de plusieurs projets d’intégration économique politique et militaire. Dans ce contexte, les BRICS apparaissent comme le glacis d’un projet dont l’état-major se trouve en Asie.
Un autre système international est nécessaire
D’un point de vue émancipateur, les BRICS sont un phénomène ambigu. D’un côté, la fin de la domination américaine et la démocratisation du système international sont de véritables propositions émancipatrices. Un système multipolaire ouvre de nouvelles marges de manœuvre. Syriza, par exemple, aurait eu plus d’options dans la confrontation avec ses créanciers.
D’un autre côté, il ne faut pas tomber dans le piège du « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Ainsi, un ordre multipolaire n’est pas nécessairement plus démocratique, plus équitable et plus pacifique qu’un système unipolaire. II peut s’avérer chaotique, source de conflits et belliqueux. Mais, comme l’histoire est contingente et que le changement offre des opportunités dans différentes directions, il serait irresponsable de ne pas essayer d’intervenir dans le processus de transition de l’ordre international.
Il est évident que beaucoup de nouvelles questions se posent pour une politique émancipatrice, auxquelles il n’y a pas encore de réponses. Il y a du travail devant nous.