Le graphique 1 ci-dessous retrace l’évolution comparée de ces deux indicateurs. Il permet de repérer une assez bonne corrélation : autrement dit, il existe un lien entre la capacité des entreprises à dégager des profits et leur valorisation boursière.
Graphique 1 : La Bourse et les profits aux États-Unis 1992-2014
Sources : Bureau of Economic Analysis ; indice Standard & Poor’s
Ce graphique permet de suivre pas à pas l’évolution relative des deux grandeurs.
- 1. De 1992 à 1997, la part des profits et les cours de Bourse augmentent parallèlement. Cette période marque le début de l’envol boursier.
- 2. À la mi-1997, s’ouvre la (courte) période que l’on avait alors baptisée « nouvelle économie ». Les cours de Bourse se mettent à croître de manière accélérée, mais les deux courbes bifurquent, la part dès profits baissant dès 1997.
- 3. En 2000, la « bulle Internet » explose et les cours boursiers s’alignent à nouveau sur leur « fondamental », à savoir le profit des entreprises.
- 4. À partir de 2003, le profit des entreprises redémarre, entraînant avec lui l’indice boursier, mais à un rythme moins soutenu que durant la « bulle Internet » de 1997-2000.
- 5. Le profit se retourne au second semestre 2006 et entraîne, avec un décalage d’environ un an, une baisse des cours boursiers : c’est l’éclatement de la crise financière.
- 6. À partir de 2009, la part des profits se rétablit de manière très vigoureuse et entraîne l’indice boursier à la hausse.
- 7. Depuis le milieu de 2013, l’indice boursier a atteint un record historique, de même que la part des profits, pour laquelle il faut remonter à 1955 pour retrouver un semblable niveau. C’est sans doute l’indice d’une nouvelle rupture à venir, si la part des profits, qui semble fléchir, se retourne à la baisse.
Il est ensuite possible de montrer que la déconnexion entre cours boursiers et profits est l’indice précurseur d’une récession à venir. Pour ce faire, on construit un « indicateur de bulle » représentatif de l’écart entre cours boursiers et part des profits [1]. Le graphique 2 montre alors qu’il existe une corrélation entre le taux de croissance du PIB et cet « indicateur de bulle » décalé de six trimestres. Les récessions de 2000-2001 et de 2008-2010 coïncident bien avec les creux (échelle inversée) de cet indicateur avancé.
Sur la période récente, l’indicateur de bulle ne semble pas se trouver dans une zone à risque, mais c’est en raison d’une part des profits extraordinairement élevée et qui est susceptible de se retourner à la baisse.
Graphique 2 : Croissance et « indicateur de bulle »
Un peu de théorie
Cette analyse n’est pas très originale : les conjoncturistes ont depuis longtemps travaillé sur de tels indicateurs avancés. Mais il est utile de lui donner un fondement plus théorique qui nécessite le recours à la théorie de la valeur. Sa formulation ramassée pourrait être la suivante : d’un côté il y a le profit global effectivement disponible (un économiste marxiste dirait la « plus-value ») et, de l’autre, des droits de tirage sur ce profit, que le même économiste appellerait « capital fictif ». Ces droits de tirage sont d’une certaine manière virtuels. Mais quand ils s’écartent trop de leur substrat réel, la loi de la valeur intervient comme une force de rappel et réduit périodiquement ce grand écart. Il faut ensuite expliquer selon quels canaux cette dévalorisation du capital fictif se transmet à l’activité économique, comme s’y attachent de nombreuses analyses de la crise récente. Mais l’essentiel est de comprendre que la finance ne peut se déconnecter durablement de son socle matériel : l’exploitation des salariés.