L’humanité court le risque de se détruire en tant qu’humanité. « La vitesse et l’ampleur des destructions sont à la mesure de l’effondrement d’un système à bout de souffle et qui, tel un cycliste qui ne peut tenir sur sa bicyclette qu’en pédalant, poursuit et accélère sa course en mobilisant toujours plus les humains et les richesses naturelles. » Au nom de la croissance économique, du progrès de la technique, et de la toute-puissance que l’une et l’autre promettent, l’ère du post-humanisme ou du transhumanisme est délibérément ouverte par une fuite en avant dans laquelle le capitalisme mondial en crise s’est engouffré.
Voilà pour le constat. Vient ensuite la discussion éthique et philosophique. Geneviève Azam prend résolument parti en faveur d’une conception de la nature comme une réalité extérieure à l’expérience humaine. Au contraire, l’artificialisation de la nature nie les limites de celle-ci, et des apprentis sorciers s’apprêtent à mettre en œuvre de la géo-ingénierie pour sauver le climat et de la bio-ingénierie pour sauver la biodiversité et le vivant. Le cœur du livre de Geneviève Azam est là : la critique du monde « cyborg », ce monde où l’illusion de la toute-puissance s’impose, où la fin de la nature est décrétée après avoir décrété la fin des sociétés. Or, « Nature et société sont en relation, mais cette relation maintient l’extériorité de la nature par rapport aux activités humaines. » Tandis que « le capitalisme, après avoir externalisé la nature, fait de son internalisation un nouveau champ d’expansion ».
Ce livre ne manquera pas de soulever des débats au sein des courants alternatifs. La naissance techniquement programmée – naissance cyborg – signifiera-t-elle la libération des femmes, des homosexuels et des homosexuelles ? Non, répond Geneviève Azam. Y a-t-il une part naturelle dans la condition humaine ? Oui. Deux questions qui sont liées car : « L’horreur de la naissance accompagne le refus du corps biologique. Elle est aussi l’horreur de la dimension naturelle de l’existence humaine. » Le féminin et le masculin sont-ils obsolètes ? Non. Etc.
Autant de questions complexes que Geneviève Azam n’évite pas pour reconnaître sa « plus grande perplexité [venant] de courants actuels du féminisme ou du postfémisnisme ». C’est un « terrain miné », dit-elle, pour aussitôt avertir qu’elle ne remet pas en cause l’idée que « les femmes ont été assignées et assujetties ». Mais elle ajoute immédiatement : « Ce que je discute et que je crois inacceptable, c’est le refus de la part naturelle, biologique, de la condition humaine et donc la négation d’une continuité relative entre le fondement biologique de la vie et son existence sociale. »
« Fabriquer le vivant » ou rester humain, telle est l’alternative à laquelle l’humanité est confrontée. Il n’y a pas de fatalité, selon Geneviève Azam, mais à condition d’arrêter le « sprint morbide », de « poser pied à terre » et donc d’« oser rester humain », c’est-à-dire de faire de la fragilité – celle de la nature et aussi celle de l’homme – le point d’appui, « la force créatrice qui rassemble au lieu d’opposer, qui lie au lieu de délier, qui conjugue au lieu de mettre en concurrence, qui refuse fermement la démesure au lieu de l’accentuer dans une course désespérée. »