Avant tout, nous rappelons que notre mouvement populaire, qui est né il y a 25 ans en Val de Suse, est carrément No TAV (non à la nouvelle ligne Lyon-Turin) sans aucune condition, tandis que P. Mühlstein déclare son soutien au projet Lyon-Turin sous certaines conditions.
Les raisons de l’opposition transfrontalière franco-italienne au projet ferroviaire Lyon-Turin ont été synthétisées dans un texte rédigé ensemble à la « Coordination des opposants à la ligne Lyon Turin ».
Ici, nous présentons en détail nos ponctuelles réponses à ce que P. Mühlstein a voulu définir comme « arguments discutables des No-TAV … , de prises de position et de silences suspects qui posent question ».
Nous souhaitons apporter dans cette revue les précisions (preuves et faits) sollicitées par P. Mühlstein (PM ci-dessous), membre de la Commission économique de la Fédération SUD-Rail, animateur d’un débat absent au niveau national dans le syndicat SUD-Rail.
1.
PM : « Les No-TAV se sont habilement focalisés sur l’opposition au projet de ligne à grande vitesse (LGV) entre Lyon et Turin (comme l’indique leur raison sociale : TAV = Treno ad alta velocità), ce qui leur permet de recueillir plus facilement des alliés. En effet, un TGV entre Lyon et Turin n’est à l’évidence pas justifié, vu le faible nombre de voyageurs concernés. Il apparaît d’ailleurs, selon les études officielles, que plus qu’un projet « TGV », le Lyon-Turin est un projet « fret » : les circulations qui emprunteraient cette ligne dans le tunnel de base seraient, pour 75 %, des trains de fret et seulement pour 25 % des TGV. L’enjeu porte sur le fret et une LGV Lyon-Turin serait inutile. […] Tout en conservant la bannière “Non au TGV” qui attire plus aisément les soutiens, les anti-Lyon-Turin ont été conduits à “enrichir ” leur argumentaire afin de tenter de montrer aussi l’inutilité d’une nouvelle infrastructure ferroviaire “fret”. »
Mouvement No TAV : Le projet Lyon-Turin est né comme ligne à grande vitesse passagers, puis présenté par les promoteurs – faute de passagers – en ligne fret haute capacité, ensuite défini ligne mixte dans son itinéraire transnational. Le Mouvement No TAV agit depuis 25 ans, son nom dérive de l’opposition à la ligne GV Lyon-Turin et à son tunnel de base de 57 km. Nous ne gardons pas le nom No TAV afin de recueillir des alliés, mais par simple respect de l’origine de notre lutte, issue de l’opposition populaire des résidents en Val de Suse. L’inutilité d’une nouvelle ligne fret ou passagers n’est plus à démontrer, mais nous continuons à le faire avec succès.
2.
PM : « Pourquoi le doublement du tunnel routier du Fréjus (sous prétexte de construire une galerie de sécurité, en réalité plus large que le tunnel du Mont-Blanc !), qui va servir – c’est désormais officiel – à dédier chaque tube à un sens de circulation et permettra donc l’augmentation du trafic de poids lourds côtés français et italien, ne suscite-t-il aucune réaction des No-TAV ? »
Mouvement No TAV : Le Mouvement No TAV s’est toujours exprimé contre le doublement du tunnel routier du Fréjus ; ce sont les promoteurs de la nouvelle ligne ferroviaire qui font circuler cette légende, que PM aime soutenir en la répétant. Depuis 2002, le mouvement No TAV a manifesté derrière les banderoles “No TIR”, les photos le prouvent. En juin 2007, à l’initiative des No TAV, 32 382 personnes signaient la lettre suivante envoyée à la Commission européenne, aux gouvernements d’Italie et de France et aux administrateurs locaux italiens et français : « Ferme opposition contre n’importe quel tracé TAV – TAC (train à grande vitesse voyageurs – train à grande capacité fret), et à quelque nouveau tunnel que ce soit. Les soussignés, résidents dans les vallées de Suse et Sangone, à Turin et dans sa banlieue ; en même temps que nous dénonçons l’escroquerie à financer un ouvrage inutile, dévastateur pour l’environnement et préjudiciable économiquement, nous maintenons la plus totale, catégorique et ferme opposition à toute hypothèse de nouvelle ligne ferroviaire Turin-Lyon, et à toute hypothèse de quelque nouveau tunnel que ce soit, ferroviaire et autoroutier. Comme il ressort de l’assemblée populaire du 19 Juin 2007, qui s’est tenue à Bussoleno, ainsi que des nombreuses délibérations des conseils municipaux, y compris des très récentes, nous déclarons et nous maintenons que le “Val de Suse” et le “Val Sangone” n’acceptent pas, et n’accepterons jamais le rôle de “corridor” pour tous les trafics. Et, par conséquent, nous exigeons la stabilisation du trafic marchandises global (ferroviaire et autoroutier) au chiffre actuel de vingt millions de tonnes annuelles.
3.
PM : « Pourquoi une opposition farouche au tunnel ferroviaire est-elle entretenue par les No-TAV dans le Val de Suse au nom de l’écologie, alors que dans toutes les autres vallées alpines, les populations demandent le report du trafic de poids lourds vers le rail ? »
Mouvement No TAV : Le Mouvement No TAV a toujours demandé de reporter les marchandises sur les trains (mais seulement les marchandises et non pas les camions/remorques sur les trains), vu que la France et l’Italie sont depuis longtemps liées par une ligne récemment modernisée et capable d’accueillir le trafic fret et passager présent et futur sans aucun besoin de creuser un nouveau tunnel.
4.
PM : « Comment faut-il comprendre le fait que l’un des principaux animateurs italiens des No-TAV ait été longtemps un cadre supérieur de la société des autoroutes italiennes (SITAF), société qui, avec la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF), a été l’une des principales promotrices de l’utilisation de la pseudo “galerie de sécurité” du tunnel routier du Fréjus comme second tunnel ouvert à la circulation des poids lourds ? »
Mouvement No TAV : Le cadre en question s’appelle Sandro Plano, qui était et est encore cadre dirigeant de la SITAF. Il a dû quitter une partie de ses fonctions à l’occasion de son élection à la présidence de la Communauté de montagne (2009-2014). À cette occasion, il a perdu une partie de sa rémunération car la SITAF se méfie de lui à cause de son engagement contre le projet de la nouvelle ligne ferroviaire. Le 25 mai 2014, il a été élu maire de Suse (il avait déjà été maire de Suse pendant 10 ans jusqu’en 2009) en remplacement de la maire qui avait retourné sa veste après son élection. Il a toujours été un militant No TAV et le parti auquel il appartient (Parti démocrate) l’a menacé plusieurs fois, sans y parvenir, de l’exclure. Sandro Pano n’a jamais souhaité la reprise du trafic routier. Une fois encore l’allégation n’est étayée par aucune preuve.
5.
PM : « Ces questions conduisent à avancer l’hypothèse d’une instrumentalisation, en Italie d’abord et également en France désormais, par un lobby routier et autoroutier qui paraît beaucoup plus puissant en Italie qu’en France, où il l’est pourtant déjà. Cela ne signifie pas que les habitants du Val de Suse ou les militants de base des No-TAV soient eux-mêmes des lobbyistes routiers ; on peut supposer qu’il s’agit pour la plupart de personnes sincèrement indignées et vraiment opposées au projet pour des raisons indépendantes des intérêts du BTP routier, et les brutalités policières contre eux sont inacceptables. »
Mouvement No TAV : Nous remercions P. Mühlstein pour son affirmation que les militants de base des No-TAV sont des personnes sincèrement indignées. Mais il devrait soutenir son hypothèse d’une instrumentalisation avec des faits.
6.
PM : « On peut néanmoins se demander si la situation tendue au Val de Suse ne résulte pas de provocations ou d’infiltrations réussies. Les intérêts capitalistes et leurs serviteurs policiers ont, particulièrement en Italie, depuis l’attentat de Milan en 1969, celui de la gare de Bologne quelques années plus tard, ainsi que l’enlèvement puis l’assassinat d’Aldo Moro par la « Brigade rouge » en 1978, une longue expérience de la manipulation et de l’instrumentalisation des groupes « extrémistes », fascistes ou gauchistes... »
Mouvement No TAV : Ici, P. Mühlstein se croit autorisé à court-circuiter l’histoire, en se lançant avec ses affirmations sur un terrain où tout serait possible. S’il a des preuves, qu’il les présente directement à la magistrature italienne avant de faire des hypothèses.