Recension de Résistances africaines à la domination néo-coloniale

jeudi 14 avril 2022, par Claude Serfati *

L’Afrique regorge de ressources naturelles et dispose de capacités humaines exceptionnelles. Elle cumule pourtant les tragédies alimentaires, sanitaires, environnementales et demeure le continent sur lequel prospèrent les guerres sans fin et les régimes autocratiques souvent installés et toujours soutenus par les anciennes puissances coloniales. Depuis les années 1990, les économistes de la Banque mondiale imputent le sort des Africains à des défaillances internes qu’ils qualifient de « mauvaise gouvernance ». En somme, les pays du Continent n’ont pas su prendre le « virage » de la mondialisation et ne peuvent donc en récolter tous les bénéfices.

N’est-ce pas la même idée que N. Sarkozy développait dans une langue qui sentait l’héritage colonial de la France lorsqu’il déclarait en juillet 2007 à Dakar que « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire » ? N’est-ce pas dans le même esprit-des-lumières-qui-a-apporté-le-progrès-aux-peuples-africains qu’Emmanuel Macron s’est récemment demandé devant des petits-enfants d’Algériens : « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? »

Résistances africaines à la domination néocoloniale [1], qui regroupe les contributions de douze auteurs, récuse, comme son titre l’indique, cette vision culpabilisatrice pour les Africains. Ses auteurs, originaires d’Afrique de l’Ouest et de France [2], placent au contraire les relations asymétriques entre l’Afrique et le monde au cœur de leur analyse de la situation actuelle des peuples africains. Car l’espace mondial constitue une totalité structurée par des rapports de domination économiques, géopolitiques et culturels qui se perpétuent tout en s’adaptant. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que l’ouvrage, et notamment l’introduction de Martine Boudet, insiste sur le rôle de la France, qui demeure encore, en particulier dans la région sahélo-saharienne, un pilier de la défense de cet ordre. La France est avec les États-Unis le seul pays occidental dont le positionnement international soit à ce point fondé sur l’interaction entre ses intérêts économiques et militaro-stratégiques. Dans la suite incessante des interventions militaires depuis l’indépendance, la décision de François Hollande d’intervenir au Mali (janvier 2013) confirma cette réalité. Dans la préface, Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture et du Tourisme rappelle que selon Laurent Bigot, sous-directeur Afrique de l’Ouest au ministère des Affaires étrangères (2008-2013), les autorités maliennes étaient plutôt réticentes à cette intervention, en réalité déjà soigneusement préparée sous la présidence Sarkozy par la haute hiérarchie militaire. L’existence du franc CFA est, comme le rappelle Kako Nubukpo, ancien ministre de la Prospective au Togo, un puissant vecteur d’accumulation de richesses hors de l’Afrique et provoque une forte extraversion des pays africains francophones. La transformation du franc CFA en ECO, annoncée en 2019 par Emmanuel Macron et le président du Sénégal Alassane Ouattara, dénoncée dans une déclaration d’intellectuels africains dont Ndongo Samba Sylla (publiée sur le site Médiapart et reproduite dans l’ouvrage) ne brisera pas le lien de subordination des pays membres de la zone monétaire à l’ancienne puissance coloniale. Le maintien de cette subordination passe par la complicité d’élites gouvernementales et privées avec l’ancienne puissance coloniale.

L’ouvrage ne limite pas son analyse à la relation franco-africaine. Les thèmes abordés concernent les relations de l’ensemble du continent avec les pays dominants et leurs grands groupes financiers et industriels. Ainsi la responsabilité du pillage des ressources lors des conflits armés et celle conjointe des grandes puissances et des gouvernements et élites africains sont abordées.

Les accords économiques font l’objet de plusieurs chapitres. Ils constituent une « continuation de la colonisation par d’autres moyens » (Saïd Bouamama). L’Union européenne, dont plusieurs pays ont été les pièces maîtresses de l’impérialisme de la fin du dix-neuvième siècle, multiplie les accords de partenariat économiques (APE). Leurs clauses, qui sont contraignantes pour les pays africains, permettent aux groupes européens d’exporter des milliards d’euros de produits céréaliers. Le caractère asymétrique des relations avec les pays de l’UE transparaît dans la question des subventions. Interdites aux pays africains, elles persistent au sein des pays de l’UE. Au point que la Commission européenne a refusé de publier plusieurs études qu’elle avait elle-même commanditées tant les conclusions étaient néfastes pour les pays africains (Jacques Berthelot). L’engrenage infernal qui se met en place va de l’imposition de politiques de prédation des ressources aux mouvements migratoires dont une petite partie arrivée en Europe est immédiatement confrontée aux politiques xénophobes et sécuritaires mises en place par les États membres de l’UE. En même temps, les politiques « d’immigration choisie » chères à Nicolas Sarkozy arrachent ses cerveaux à l’Afrique (Esmathe Gandi).

Les onze chapitres formulent également des propositions alternatives aux politiques imposées par les pays développés et relayées par les gouvernements corrompus. La question de la dette illégitime est centrale et des propositions sont formulées pour aller au-delà des effets d’annonce périodiques faites par les pays développés sur un moratoire, une suspension, etc. de la dette (CADTM d’Afrique-Attac Burkina-Faso). Comme pour les guerres menées sur le continent, la dette des peuples africains est également l’affaire des peuples des pays développés par devoir de solidarité mais aussi parce que ce sont les mêmes groupes financiers auxquels ils sont confrontés dans leurs pays (Marie-Claude Murail).

En Afrique, la résistance prend son essor sur plusieurs terrains économiques, sociaux, la défense des droits et libertés, les actions anti-guerres. Le « Balai citoyen » au Burkina Faso, « Y’ en a marre » au Sénégal, « Filimbi » et « La Lucha » au Congo-Kinshasa sont quelques exemples de ces mouvements sociaux qui ne se contentent pas de résister, mais abordent les questions de santé publique, les communs, le buen vivir, la souveraineté alimentaire, etc. En un mot, qui cherchent à construire les éléments d’un nouveau monde dans le vieux monde (Gus Massiah).

Un livre très utile et paru dans le contexte de deux rassemblements en France. Le colloque intitulé « Pour l’annulation des sommets France Afrique » s’est tenu à Montpellier-Grabels le 2 octobre 2021. Il avait pour mots d’ordre conjoints : annulation de la dette et retrait des troupes françaises. Un autre rassemblement, Le contre-sommet Afrique France, eut lieu le 8 octobre 2021 à l’appel d’un collectif d’associations (dont Attac), de syndicats et de partis politiques. Il se déroula à Montpellier également, puisque c’est là qu’Emmanuel Macron avait sélectionné des jeunes Français et Africains pour convoquer un sommet « radicalement nouveau » selon son service de communication.

Notes

[1Martine Boudet (dir), Résistances africaines à la domination néocoloniale (Le Croquant, 2021). Publication avec le soutien des organisations et réseaux suivants : Association pour la défense des droits à l’eau et à l’assainissement/Addea (Sénégal), Attac Burkina, Attac Togo, CADTM Afrique, CEDETIM, Forum pour un autre Mali, FUIQP/Front uni de l’immigration et des quartiers populaires, Plate-Forme panafricaine, réseau SOL.

[2Jacques Berthelot, Saïd Bouamama, Martine Boudet, Thierry Brugvin, Esmathe Gandi, Claude Layalle, Gus Massiah, Marie-Paule Murail, Kako Nubukpo, Ndongo Samba Sylla, Aminata Traoré.

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