Il commence dans l’introduction par diagnostiquer que la pandémie « a déstabilisé gravement le pouvoir capitaliste dans ses différentes composantes », ce qui place les forces anticapitalistes dans l’obligation de « tirer profit de l’affaiblissement conjoncturel du pouvoir capitaliste ». Une première question se pose : s’il s’agit d’un affaiblissement conjoncturel, comment peut-on juger ce pouvoir gravement déstabilisé ? Il y a là un paradoxe, sinon une grande surestimation de l’affaiblissement capitaliste.
Le corps de l’ouvrage est distribué en huit chapitres. Dans les tout premiers, on reconnaît le large consensus qui s’est dégagé dans la société depuis maintenant deux ans. Premier enseignement : la survenue de cette pandémie, une zoonose, est liée aux modifications entraînées par le développement capitaliste, en termes écologiques comme en termes de circulation sans entraves des échanges dans le monde.
Deuxième enseignement : la santé est un bien public. Or, les dernières décennies ont été celles de « la libéralisation des appareils sanitaires dont les gouvernements se sont fait les champions ». Poser la santé comme un bien public n’est pas seulement une question d’ordre moral ou de celui de la justice, c’est consubstantiel à l’existence même de la société : la santé des uns dépend de celle des autres et réciproquement. On sort donc de l’espace de l’individualisme puisque l’état de santé de chacun dépend de celui des autres « avant de dépendre de ses décisions propres ». Au point, nous dit l’auteur, que les gouvernements « ont dû reconnaître implicitement le caractère de bien public de la santé, qui demande à être défendu en tant que tel »
.
Peut-être Bihr fait-il crédit à la bourgeoisie d’une grande clairvoyance par sa capacité à penser très loin quand il écrit qu’elle a fait en sorte d’éviter « une mortalité de masse [qui aurait] dégonflé ’l’armée de réserve industrielle’ ». Ne s’agit-il pas plutôt de panique à bord, sinon on n’aurait pas vu autant d’hésitations et de tête-à-queue dans les décisions du gouvernement français. D’ailleurs, Bihr pointe à juste titre les volte-face successives entre convaincre les Français et les contraindre. L’épisode de la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal en serait une nouvelle illustration. La proposition de Bihr d’« obligation vaccinale généralisée » pourrait d’ailleurs être discutée, car si l’on admet que le passe relève de « la conception néolibérale du ’capital santé’ et de la conception individualiste de l’individu, enracinées dans les rapports sociaux capitalistes », où s’arrêtent le périmètre des obligations et celui des interdictions ? L’obligation voulue par Bihr ne mériterait-elle pas d’être discutée et éventuellement décidée démocratiquement ?
En revanche, on suivra sans hésiter l’auteur quand il dénonce « l’’hubris’ capitaliste » et qu’il montre que la gestion capitaliste de la pandémie a aggravé « l’apartheid mondial quand les États se comportent en chiffonniers […] et se moquent du ci-devant tiers-monde comme du quart » (p. 36-41). On pense à la décision délétère de ne pas lever les brevets sur les vaccins. Il s’ensuivra certainement d’autres pandémies tant que l’humanité entière ne sera pas protégée.
Dans les trois derniers chapitres de ce livre, Bihr envisage les scénarios possibles. Le premier correspond à celui où le rapport de forces entre capital et travail reste favorable au capital. « Dans ces conditions, il faut s’attendre à l’aggravation de l’ensemble des politiques néolibérales antérieures » (p. 56). Un scénario qui dément le diagnostic posé au début sur l’importante déstabilisation du pouvoir capitaliste.
Un second scénario, réformiste, serait « celui où les mobilisations finiraient par déboucher sur une nouveau compromis entre capital et travail. Cela se traduirait par une revalorisation des salaires directs et indirects, par une démondialisation et par un réel programme de Green Deal pour engager des gros investissements d’ordre écologique.
Un troisième scénario correspondrait à une profonde crise du mode de production capitaliste à cause de l’aggravation des contradictions du système. C’est, dit l’auteur, assez improbable, mais un processus ouvrant des brèches est amorcé, certes de « manière embryonnaire mais significative ». Par exemple, l’ouverture d’un débat sur les activités productives essentielles et celles qui ne le sont pas est positive. Mais elles ne seront pas faciles à démêler, « tant les activités productives sont imbriquées les unes dans les autres dans tout appareil de production socialisé ».
Pas d’autre solution, donc, que d’« imposer une reprise de la production à nos conditions ». Et l’auteur termine son ouvrage en énumérant un certain nombre d’objectifs sociaux (auxquels il ne manque peut-être que la réduction du temps de travail), économiques et écologiques pour constituer un programme politique. En quoi ce programme nommé « écosocialiste » se différencie-t-il de tous les autres ? Par « l’importance primordiale qu’il demande d’accorder aux initiatives prises par la base » et par « les mesures de contrôle populaire sur la production ». La conclusion est donc « le communisme, le choix de la vie ! » (p. 94).
On an envie de dire : « banco ! on y va ». Mais Alain Bihr nous a avertis que c’était encore plus improbable que les scénarios capitalistes et réformistes, sauf s’il se produisait une super-crise capitaliste… qui nous offrirait le fruit presque mûr ? Cette histoire de la crise accoucheuse du socialisme n’avait-elle pas déjà été racontée ?...
Dominique Dubois est comédien et militant associatf.