Produire de l’énergie renouvelable citoyenne n’est pas une sinécure

jeudi 23 septembre 2021, par Laurence Boubet *

Ma prise de conscience de l’enjeu du dérèglement climatique a commencé dans les mois qui ont précédé la COP 15 en 2009 à Copenhague. La déception qui s’en est suivie m’a poussée à approfondir mes connaissances sur les questions énergétiques, parallèlement à mon engagement à Attac Mâcon et à réfléchir aux possibilités d’actions locales. En décembre 2012, j’ai créé avec des ami.es militant.es une association, l’APERL (association pour la production d’énergies renouvelables locales et citoyennes dans le Mâconnais), inspirée par les exemples de coopératives de production d’énergie en France et également ceux vus en Allemagne lors de l’université d’été européenne de Fribourg en 2011.

De Copenhague à Mâcon

Notre objectif était de contribuer concrètement à la production d’énergies renouvelables. Dans un premier temps, en 2013, nous nous sommes mobilisés sur la question du chauffage urbain à Mâcon qui cumulait les inconvénients : polluant (fuel) - un arrêté préfectoral avait mis en demeure l’exploitant de respecter les normes de pollution -, alimenté par une énergie fossile, et, cerise sur le gâteau, 30 % plus cher que la moyenne des chauffages urbains français. Nous avons réussi à mettre cette question au centre de la campagne municipale qui commençait. Depuis 2018, une nouvelle chaufferie alimentée au bois dessert 9 500 logements et collectivités.

En 2013, nous avons commencé à nous intéresser à l’éolien. La mise en service en 2014 du premier parc éolien citoyen à Béganne en Bretagne nous a boostés mais nous avons été confrontés rapidement à la montée en puissance des anti-éoliens, souvent instrumentalisés par des défenseurs du patrimoine (et surtout le leur) et parfois par des militants d’extrême droite. Nous nous sommes intéressés aussi au petit (voire micro) hydraulique, mais les dénivelés dans le Mâconnais sont insuffisants pour rentabiliser ce type d’investissements.

Après l’abandon du dernier projet éolien que nous soutenions, en novembre 2016, nous avons décidé de nous consacrer au photovoltaïque, énergie mature et plus acceptée par le grand public (en tous cas, pour les installations sur toiture). En 2017, nous avons choisi de nous inscrire dans le réseau des centrales villageoises, lancé en 2010 en Rhône-Alpes et qui connaissait un fort développement.

En janvier 2018, dix membres fondateurs investissent et créent Centrales villageoises Soleil Sud Bourgogne (CVSSB), société par actions simplifiée (SAS) qui couvre les territoires de trois EPCI dont Mâconnais Beaujolais Agglomération.

Le modèle des Centrales villageoises repose sur une société (SAS ou SCIC) gérée par des bénévoles sur un territoire défini dans les statuts, qui couvre généralement un EPCI ou un groupe de communes. Les Centrales villageoises louent des toitures à des propriétaires privés ou publics et prennent en charge l’intégralité de la mise en œuvre d’une installation photovoltaïque : études de faisabilité, demande de raccordement à Enedis, recherche d’installateurs, suivi des travaux, maintenance et suivi de l’exploitation pendant les 20 ans que dure la convention (bail ou convention d’occupation temporaire) avec le propriétaire de la toiture, et électricité produite revendue à EDF (ou à Enercoop) avec l’application d’un tarif réglementé, qui reste identique pendant les 20 ans, mais dont le tarif pour les nouvelles installations diminue tous les trimestres.

En général, les investissements sont financés à 20 % par les souscriptions des sociétaires et 80 % par emprunt bancaire. Le modèle économique dégageait des marges dans le début des années 2010, mais, à la fin de la décennie, les marges sont très faibles même si le modèle est robuste, puisque pendant 20 ans les recettes sont quasiment garanties et couvrent les investissements de départ. Mais avec l’évolution du tarif de rachat, les marges sont faibles pour financer de nouveaux investissements. Il faut relancer les souscriptions pour continuer les investissements. La recherche de nouveaux sociétaires nous a occupés en 2018 et 2019 et nous sommes désormais 90 sociétaires pour 142 000 € de capital. Malheureusement, la pandémie nous a bridés dans notre élan et nous n’avons quasiment pas eu de nouveaux sociétaires. Nous avons délaissé cette recherche au profit de celle de nouvelles toitures à équiper pour ne pas geler inutilement notre capital.

Deux autres aspects caractérisent notre modèle : nous sommes fortement implantés localement sur notre territoire, nous avons noué des partenariats avec certaines collectivités locales, nos sociétaires sont très majoritairement issus de ce territoire, et nos fournisseurs (installateurs, comptable, notaire, etc.) sont locaux. Enfin, notre modèle est fortement sécurisé : assurances, baux notariés, suivi de production quotidien (par les bénévoles), contrats de maintenance, etc. Nous ne sommes par contre pas assurés contre le dérèglement climatique, et cette année 2021 nous inquiète fortement par son faible ensoleillement.

Fin 2018, nous avons mis en service deux installations photovoltaïques de 9 kWc [1] (environ 50 m2 de panneaux) sur deux toitures de particuliers et deux autres début 2019, une chez un particulier et une sur les ateliers municipaux d’une petite commune du mâconnais : notre premier (et pour l’instant unique...) lot d’installations.

Courant 2018, alors que nous finalisions ce lot, nous avons compris avec tout le réseau des Centrales villageoises qu’il fallait faire évoluer notre modèle : développer des installations plus importantes pour équilibrer nos comptes. Mais nous avions la volonté de commencer rapidement pour afficher notre capacité à faire. Avoir une visibilité très rapidement était important, et pour cela il fallait faire aboutir ces quatre premiers projets. La décision était pertinente, c’est sur ces premières réalisations que nous avons pu lever le capital de la société.

Nous avons donc, dès fin 2018, orienté notre prospection de nouvelles toitures vers des installations de 36 (environ 200 m2) à 100 kWc (environ 600 m2).

Cette évolution modifie énormément nos pratiques : de la recherche de toitures de particuliers bien orientées, nous passons à celle de moyennes et grandes toitures qui appartiennent plutôt à des personnes morales : bâtiments de collectivités, entreprises, grandes surfaces, exploitations agricoles, etc.

Des difficultés spécifiques à notre territoire

Contrairement à d’autres régions, la Bourgogne-Franche-Comté ne soutient pas les projets citoyens comme les nôtres, en tout cas pas ceux qui sont spécialisés sur le photovoltaïque. Il n’existe dans notre région que le programme Etincelle porté par Coopawatt qui nous a soutenus moralement. Mais financièrement, il n’existe pas d’aide aux études ou à l’investissement et, vu notre niveau d’ensoleillement par rapport aux régions plus au sud, il est plus difficile d’équilibrer nos comptes. Les centrales villageoises d’Alsace sont, elles, fortement aidées par leur région.

La deuxième difficulté est que, depuis deux ans, une architecte des bâtiments de France (ABF) prescrit une couleur rouge brun sur les panneaux photovoltaïques dans les zones de protection, ce qui représente un surcoût de 30 % d’investissements : nous évitons donc les projets dans ces périmètres de protection, ce qui réduit forcément le potentiel.

La troisième difficulté est que les deux plus grosses communes du secteur, Mâcon et Charnay-lès-Mâcon, ont toutes deux un Plan local d’urbanisme qui impose l’intégration au bâti pour le photovoltaïque. De nombreux documents d’urbanisme ont instauré cette prescription, souvent à l’initiative des ABF. Pourtant, seul un œil exercé peut voir à 30 m si les panneaux sont intégrés dans la toiture ou pas. Et l’intégration au bâti présente plusieurs inconvénients : les éléments de couverture (tuiles...) sont retirés et les panneaux assurent l’étanchéité, d’où de fréquents contentieux. De plus, un panneau qui n’est pas ventilé par sa face intérieure produit moins qu’un panneau installé en surimposition, enfin, l’installation coûte plus cher.

Les grandes toitures induisent de nouveaux obstacles

Le premier est lié au fait que les grandes toitures sont moins nombreuses que les petites, ce qui pose la question de la prospection des toitures. Notre territoire couvre 100 communes et jusqu’ici, notre recherche s’est basée, soit sur les propositions qui nous sont faites (souvent par des collectivités locales), soit sur des toitures que nous repérons nous-mêmes au gré de nos déplacements sur notre territoire. Il existe des outils, tels que les cadastres solaires, qui permettraient une prospection systématique mais trop chronophage. Souvent, les propositions qu’on nous fait doivent être écartées car elles ne répondent pas à nos nombreux critères de sélection. Et nous avons beaucoup de difficultés à finaliser avec leur propriétaire les toitures intéressantes que nous avons repérées. Nous avons actuellement plus de 600 toitures dans notre fichier qui ont fait l’objet d’une pré-analyse ( rappelons que les sept membres actifs du conseil de gestion de CVSSB sont tous bénévoles et pas tous retraités).

Le deuxième obstacle est relatif au raccordement de l’installation. Enedis (ex ERDF) a mis en place une tarification qui pénalise les grandes installations au profit des petites : le coût du raccordement pour une petite installation (9 kWc et moins) est forfaitaire de l’ordre de 1 500 €, quelle que soit la nature du raccordement, c’est-à-dire qu’il y ait besoin ou non d’une extension (travaux supplémentaires). Au-dessus de cette puissance, Enedis établit une proposition de raccordement dont le coût est proportionnel aux caractéristiques du raccordement, et comme la puissance injectée est supérieure, il est parfois nécessaire de se raccorder à un poste plus éloigné, voire de changer le poste pour un plus puissant. Sur le montant prévisionnel des travaux, Enedis pratique une réfaction de 40 % depuis 2008 financée par le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité payé par les utilisateurs des réseaux d’électricité). La loi « climat et résilience » va porter la réfaction de 40 à 60 % pour les installations de moins de 500 kW.

Sur un de nos projets en cours pour une puissance de 100 kWc, le coût demandé par Enedis est de 35 000 €. La puissance installée permet quand même d’équilibrer financièrement ce projet mais parfois ce n’est pas possible. Ce qui complique encore les choses est le refus d’Enedis de chiffrer le coût des travaux. Tant que la demande de raccordement n’a pas été déposée, nous disposons juste d’un code couleur de « vert » à « rouge » : le rouge est interdit, le vert, souvent forfaitaire mais le jaune peut aller de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d’euros. On peut comprendre qu’Enedis qui peine déjà à répondre dans les délais réglementaires aux demandes de raccordement, limite les demandes « pour voir », mais le résultat c’est qu’ici aussi nous écartons les projets qui ne sont pas au « vert ».

Les questions de structure pénalisent aussi ces grands projets. Le bâtiment n’a en général pas été conçu pour recevoir une surcharge de 200 à 600 m2 de panneaux photovoltaïques. Il est donc nécessaire de réaliser une étude de structure pour identifier les travaux de renforcement nécessaires. Et nous trouvons difficilement un bureau d’études de structures local et à un coût raisonnable.

Récemment, nous avons été confrontés à une autre difficulté : les collectivités commencent à vouloir développer les installations photovoltaïques elles-mêmes, plutôt que de confier leurs toitures à une société citoyenne comme la nôtre. Elles sont motivées par des subventions de l’État liées au plan de relance qui leur offrent l’opportunité de s’équiper en photovoltaïque dans le cadre de travaux de rénovation énergétique, autrement dit ce sont encore des toitures que nous n’équiperons pas. Nous considérons que l’objectif de développer le photovoltaïque sur le territoire est atteint, mais, après quatre ans de développement de nos compétences, nous avons quand même des doutes sur leur capacité à réaliser ces projets sans assistance spécialisée. Pour des petites communes, mener ces projets sans aide, en direct avec des installateurs et en s’assurant d’un résultat de qualité, nous paraît difficile.

Enfin, terminons avec un des aspects de la politique réglementaire de l’État. Celui-ci a pris des décisions peu pertinentes au fur et à mesure du développement du photovoltaïque. La mise en place du tarif réglementé de rachat de l’électricité en 2000, en guichet ouvert jusqu’à 100 kWc et sans conditionnalités économiques ou citoyennes a permis à des installateurs peu scrupuleux de réaliser des installations sources de sinistres avec des marges énormes. Les subventions accordées par les collectivités ont provoqué une hausse des tarifs d’installation, la subvention ne bénéficiant alors qu’à l’installateur. Ces dérives ont conduit à l’adoption d’un moratoire en décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat pour trois mois. Ce moratoire a eu des effets délétères considérables sur la filière de production de panneaux photovoltaïques qui commençait à peine à se structurer en France : actuellement, le coût des panneaux français est bien supérieur à celui des panneaux asiatiques même en intégrant les coûts de transport. En juillet 2020, l’État annonçait un nouveau texte qui étendait le guichet ouvert jusqu’à la puissance de 500 kWc. Ce créneau était couvert jusqu’ici par des appels d’offres très difficiles d’accès à des sociétés comme les nôtres. L’extension du guichet ouvert est donc très positive et a développé de nombreuses attentes et encouragé de nombreux projets (2 000 sont en attente en France, un pour CVSSB). Mais le décret d’application n’est toujours pas sorti. Annoncé d’abord pour janvier 2021, puis pour juin, puis... pour septembre 2021. Notre pays adopte difficilement des mesures de soutien à la filière et celles-ci privilégient rarement les petites coopératives de production d’énergies.

Comment rebondir face à ces difficultés ?

Quand nous avons été confrontés au parcours semé d’embûches que représentait la finalisation de notre Lot 2 (initialement lot 2019, puis 2020, 2021, etc.), nous avons réfléchi à rendre notre offre plus attractive. Plusieurs pistes sont possibles : verser le loyer au propriétaire en une seule fois à la mise en service, proposer d’installer un panneau pédagogique visualisant la production de l’installation, convertir le loyer en pose de panneaux pour auto-produire de l’électricité que le propriétaire pourra consommer, développer des modèles originaux de co-investissement, etc.

Nous sommes en cours d’installation d’une centrale de 36 kWc sur un bâtiment appartenant à la Chambre d’agriculture mais nous n’avons pas d’autres perspectives aussi avancées.

Malgré ces obstacles, nous considérons que ce modèle est intéressant. Il permet des retombées économiques locales auprès de nos fournisseurs. Mais surtout, il favorise une meilleure appropriation des enjeux énergétiques par nos sociétaires et par les propriétaires de toitures que nous démarchons et, plus largement, par le public auquel nous nous adressons lors de nos réunions publiques (quand la pandémie ne nous interdit pas d’en organiser).

Le développement formidable en dix ans du réseau des Centrales villageoises démontre la pertinence du modèle : 32 sociétés qui produisent, 55 territoires engagés, 360 installations en service, plus de 5 000 actionnaires. Et bien d’autres sociétés du même type existent, qu’elles soient à l’initiative de collectifs ou soutenues par le réseau Énergie partagée.

La participation citoyenne doit impérativement être le socle de notre modèle énergétique. À côté d’opérateurs publics pour lesquels la participation citoyenne doit être renforcée, il nous faut favoriser la croissance de toutes ces initiatives locales qui ancrent les questions énergétiques dans leur territoire.

Laurence Boubet est membre du Conseil d’administration d’Attac France et présidente de « Centrales villageoises Soleil Sud Bourgogne ».

Notes

[1Le watt-crête (Wc) est la puissance maximale d’un dispositif.

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