Les centrales photovoltaïques menacent-elles la forêt ?

jeudi 23 septembre 2021, par Isabelle Bourboulon *

Raser des forêts qui sont des puits de carbone pour y installer des parcs photovoltaïques, c’est un des paradoxes de la transition énergétique à l’œuvre. Les opérateurs de la filière à la recherche d’espaces disponibles investissent en effet les départements ruraux du sud de la France. Enquête dans les Alpes de Haute-Provence, les Hautes-Alpes et la Drôme.

À Réauville, petite commune de la Drôme, « on s’est réveillé un matin de 2016, les engins de déboisement étaient déjà là ». Pourtant, une enquête publique avait eu lieu, des feuilles placardées sur le panneau d’affichage de la mairie, mais que personne ne lit, et une procédure respectée dans l’indifférence générale. Résultat, dix hectares de forêt volatilisés. Le maire de l’époque s’est justifié en invoquant la nécessité de trouver des revenus face à la baisse de la dotation générale de fonctionnement [1] (DGF) aux communes. Pour la mairie, les 40 000 euros de location annuelle proposés par la société Solaire Direct (rachetée en 2015 par Engie) pendant 40 ans étaient évidemment bienvenus.

L’exemple de Réauville n’est pas isolé. En 2018, un parc d’une dizaine d’hectares est inauguré à Salles-sous-Bois, petite commune rurale d’à peine deux cents habitants. L’année suivante, c’est au tour de Chantemerle-les-Grignan d’être ciblée. Mais là, le projet est vraiment désastreux sur le plan écologique : il s’agit d’une zone boisée de huit hectares, éloignée des routes d’accès et d’un poste-source auquel raccorder la future installation. Devant la levée de boucliers suscitée par le projet, le maire renonce. Car, avertis par l’expérience, désormais des collectifs de citoyens s’organisent pour résister.

À Grignan, qui fait partie du club prestigieux des « plus beaux villages de France », un projet de parc photovoltaïque de huit hectares est dans les tuyaux depuis dix ans. La location des terres a été négociée entre l’opérateur Neoen, et la commune à hauteur de 120 000 euros par an pendant 30 ans. Mais voilà que les citoyens s’en mêlent et s’opposent au maire et ancien ministre Bruno Durieux, pour qui « l’écologisme est une idéologie de combat dressée contre l’économie de marché [2] ». L’association de protection de l’environnement du Pays de Grignan-Enclave des Papes (APEG) mène le combat, bientôt rejointe par les chasseurs, puis les agriculteurs et, face à la contestation, le maire décide d’organiser un référendum le 20 septembre 2020. Résultat, le projet est adopté à neuf voix près (43,2 % de participation). Interrogé sur la validité d’un scrutin aussi serré, le maire explique que, s’ils avaient voté, les abstentionnistes l’auraient sans aucun doute confirmé…

« Nous voulons mettre un coup d’arrêt à ce type d’opérations. Dans un rayon de 5 à 6 km autour de Grignan, il y a déjà cinq centrales installées dans les mêmes conditions. C’est plus facile de couper des bois que d’installer des parcs photovoltaïques sur des parkings, dans des zones déjà artificialisées, sur des toitures, n’importe où, sauf dans des bois [3] », déclare Jean Luchet, président de l’APEG. Il propose aujourd’hui de constituer une centrale villageoise à l’image de ce qui a été fait sur le territoire de la communauté de communes de Dieulefit Bourdeaux avec déjà 1 200 m2 de toitures équipées de panneaux solaires, pour une production de 263 mégawatts-heure (MWh) par an au bénéfice de 224 résidents. C’est peu, certes, en comparaison des rendements obtenus par les opérateurs industriels, mais l’intérêt des centrales villageoises est aussi d’éveiller les habitants à leur consommation énergétique en proposant aux collectivités des contrats d’énergie participatifs.

Consolidées en réseau au fil des années, les premières centrales villageoises ont émergé en 2010, principalement dans la vallée du Rhône, en Alsace et en Bretagne. Qu’elles soient organisées en SCOP, SCIC ou associations, les 26 centrales actuelles couvrent une quarantaine de territoires et développent des sites de production d’électricité de petites dimensions, dans le respect du patrimoine bâti et paysager. La centrale de Lure-Albion dans les Alpes de Haute-Provence a ainsi investi 250 000 euros pour équiper 12 toitures en panneaux photovoltaïques qui produisent 168 MWh par an. Forte d’une centaine de sociétaires (86 % du capital), la SCIC entend développer son modèle économique en partenariat avec d’autres collectivités locales, grâce au fonds alimenté par la vente d’électricité et réinvesti dans de nouveaux projets, une fois déduite la part reversée au propriétaire.

Du soleil, de l’espace, peu de population

Dans la région Sud, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) qui fixe la stratégie régionale à moyen et long terme (2030 et 2050) est extrêmement ambitieux : en perspective, 24 000 hectares pourraient ainsi être dédiés aux installations photovoltaïques – soit en théorie une moyenne de 25 hectares par commune sur les quelque 800 communes de la région. En réalité, les départements du littoral étant déjà fortement urbanisés, ce sont surtout les départements de l’arrière-pays, Alpes de Haute-Provence et Hautes-Alpes, qui sont ciblés par les opérateurs industriels.

À la Roche-des-Arnauds, près de Gap, l’entreprise Valorem est ainsi venue rencontrer le maire Maurice Chautant pour lui proposer de construire un parc photovoltaïque de 7 hectares contre un revenu annuel entre 4 000 et 5 000 euros l’hectare pendant 30 ans. « Petite forêt sans valeur », selon le maire, il s’agit d’un peuplement naturel installé sur un cône de déjection du Rif de l’Arc, un site qui présente un risque élevé d’inondation en cas de crue centenaire. La forêt des Sérigons est d’ailleurs l’objet d’un plan de prévention des risques (zone rouge). Autre argument opposable au titre de la loi Montagne, la parcelle concernée étant située en discontinuité de l’urbanisation, elle ne devrait pas être constructible. Qu’à cela ne tienne, la mairie a tout de même engagé la révision de son plan local d’urbanisme (PLU) et, pour contourner ces obstacles, négocié avec l’opérateur un aménagement visant à surélever les panneaux solaires. « C’est seulement en décembre 2019, quand tout était déjà bouclé, qu’on a appris que le parc allait se construire car, lorsque le projet a été présenté en conseil municipal, le compte-rendu n’en a retenu qu’une ou deux lignes », raconte Christian Combrichon, membre du collectif de la forêt des Sérigons. Il s’insurge : « on ne peut pas accepter qu’un parc photovoltaïque soit construit en contradiction avec les lois et règles en vigueur et au détriment des espaces forestiers, à plus forte raison quand ce sont des réserves naturelles et des corridors écologiques ».

Alors, la résistance s’organise : flyers déposés dans les boites-aux-lettres, alertes lancées auprès de la Société alpine de protection de la nature (SAPN) et de France nature environnement (FNE), pétition en ligne, rencontre avec le maire. Aujourd’hui, le collectif demande un moratoire sur le projet et travaille à une solution alternative. Deux espaces publics ont été repérés qui pourraient accueillir des panneaux solaires sur 5 hectares. « Notre démarche est de nous approprier le développement des énergies renouvelables dans notre village. Nous ne sommes pas des irréductibles anti-photovoltaïque, mais conscients de notre responsabilité de citoyens ». Trois centrales villageoises existent déjà dans ce département des Hautes-Alpes, dont Christian Combrichon et ses amis vont se rapprocher tout en multipliant les rendez-vous institutionnels.

Des panneaux solaires au pays de Giono

Entre Haute-Provence et Alpes du Sud, la Montagne de Lure, chère à Jean Giono et classée réserve de biosphère par l’Unesco, est « démarchée » par les opérateurs. Plusieurs installations photovoltaïques existent déjà et de nouveaux parcs sont en projet qui concernent une dizaine de communes. « À terme, c’est d’un véritable mitage de cette montagne qu’il s’agit », estime Richard Collin, président d’Amilure, l’association qui se mobilise aux côtés du collectif local des opposants qui a pris le nom d’Elzéard, en référence au personnage de Giono dans « L’homme qui plantait des arbres ».

À Ongles, petite commune rurale d’un peu moins de 400 habitants, la maire a accepté de longue date un projet présenté par la société Engie Green, mais c’est seulement fin 2019, au lancement de l’enquête publique portant sur le défrichement de 12 hectares de la forêt de Seygne, que les habitants ont été informés. Alors que le dossier était engagé depuis 2015 et que les services de l’État avaient déjà rendu un avis favorable. Ici aussi plusieurs anomalies contredisent la décision du préfet qui a pourtant validé l’enquête publique et autorisé l’abattage des 12 hectares de forêt, augmentés des accès et d’un périmètre de protection contre les incendies. L’ethnobotaniste Laurence Chaber connaît bien le site pour avoir effectué pendant une quinzaine d’années un inventaire des arbres remarquables pour le compte de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). « Le peuplement de cette forêt a une bonne dynamique végétative avec des pins maritimes et de nombreux petits feuillus. Elle comporte aussi une zone humide, très rare dans cette région sèche, constituée de vieux trembles, des plantes compagnes de cet écosystème et d’une micro faune d’insectes particuliers ». Présence d’une zone humide et biodiversité végétale et animale remarquable sont deux des caractéristiques précisément opposables à la construction d’une centrale solaire dans les réglementations de la direction départementale des territoires (DDT). Le préfet est passé outre, qui a tout pouvoir en la matière – et devrait en avoir de plus en plus grâce à la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (loi Asap). Il s’abrite derrière les objectifs gouvernementaux de développement des énergies dites « vertes ». Localement, l’affaire a fait irruption dans le débat public : le collectif Elzéard se mobilise vigoureusement en informant la population d’Ongles et des villages alentour, alerte la presse locale et organise des visites sur le site. Quant à l’association Amilure, elle a engagé un recours devant le tribunal administratif de Marseille et défend une tout autre logique : la mutualisation des moyens et des coûts et une péréquation intercommunale du revenu de la location des terrains, en privilégiant les zones anthropisées, les parkings des centres commerciaux, les toitures, les hangars agricoles.

La destruction d’espaces boisés interroge également certains experts forestiers. Au Snupfen-Solidaires, syndicat des personnels de l’ONF, Philippe Canal considère par exemple que le photovoltaïque n’est pas une énergie vertueuse puisqu’il concentre le rayonnement solaire pour le transformer en énergie, tandis que le réchauffement climatique impose au contraire de repousser les rayonnements et de stocker le carbone. « Notre civilisation est basée sur une consommation d’énergie absolument folle, mais la parenthèse ouverte il y a un siècle et demi avec l’exploitation massive des énergies fossiles va se refermer et la seule alternative c’est de consommer beaucoup moins d’énergie ». Membre d’Amilure, Richard Fay, retraité de l’ONF, le dit autrement : « Les communes ont des besoins financiers, j’entends bien. Ce serait donc une nouvelle fois de la nature contre de l’argent. C’est une manière mondialement partagée de se payer sur la planète. Cette prédation est-elle acceptable alors que notre consommation annuelle de ressources dépasse celles de la planète ? »

La filière photovoltaïque dopée par les incitations publiques

Subventionné et dopé par le tarif de rachat bonifié, le photovoltaïque est devenu un produit financier. Depuis le Grenelle de l’environnement de 2007, la filière s’est développée de façon exponentielle, attirant de nombreux acteurs, y compris des industriels dont ce n’est pas le cœur de métier (par exemple, le groupe Mulliez). Cette envolée, si elle s’était poursuivie, aurait pu coûter cher aux consommateurs qui financent le rachat de l’énergie photovoltaïque par le biais de la Contribution au service public de l’électricité (CSPE). Mais, le secteur bénéficiait d’une telle « surrentabilité » qu’au fil des années, les tarifs ont évolué à la baisse [4]. Cette année encore, le gouvernement a décidé de renégocier les accords intervenus avec les opérateurs avant 2011. Avec les évolutions à la baisse des coûts d’investissement sur tous les maillons de la chaîne de valeur, le secteur continue néanmoins à être rentable. Selon la Commission de régulation de l’énergie [5], sur les trois dernières années, les coûts d’investissement ont diminué d’en moyenne 32 % et les frais de fonctionnement annuels d’une installation de 27 %. Quant à la fiscalité, majoritairement constituée de l’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), elle est relativement stable.

Seulement, le foncier disponible se raréfie et une concurrence des usages s’est instaurée. « L’enjeu du photovoltaïque aujourd’hui, c’est de conjuguer les usages. Par exemple, nous avons fait le choix de végétaliser des parcs avec des espèces fourragères pour favoriser le pastoralisme ; ou de semer des plantes mellifères entre les rangées de panneaux au profit des apiculteurs », témoigne Nicolas Gay, référent développement des énergies renouvelables à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), un des plus gros producteurs (33 centrales). Dans la même logique, on assiste actuellement au développement de l’agrivoltaïsme qui conjugue productions végétale et d’électricité et bénéficie d’un tarif de rachat encore bonifié par rapport aux centrales classiques. Jérémy Simon, délégué général adjoint du syndicat des énergies renouvelables [6] reste prudent sur le sujet : « nous avons en interne un dissensus entre nos adhérents, mais d’ici quelques mois nous serons obligés d’adresser de manière un peu moins neutre, car la question de l’accès au foncier conduit vite à celle des terres agricoles ». À la CNR, on s’est lancé dans l’agrivoltaïsme sur de la vigne : « dans les Pyrénées-Orientales, un département très exposé au soleil, installer des panneaux solaires permet de réguler l’apport de lumière, de réduire le taux de sucre et de limiter la production d’alcool », explique Nicolas Gay.

Conscients des réactions négatives provoquées dans l’opinion par ces développements, nos interlocuteurs déclarent encourager la concertation locale. « Il faut sortir d’une logique purement foncière, court-termiste, qui procure aux maires une ressource immédiate. Nous incitons les élus à avoir une approche plus globale. Nous leur disons : si vous voulez devenir un territoire à énergie positive, regardez à l’échelle de plusieurs communes celui qui offre le meilleur compromis ». Les nouveaux « résistants » de ces communes ne demandent pas mieux : adapter les objectifs d’énergies renouvelables au plus près des territoires et ne pas laisser les maires négocier en catimini avec les industriels.

Isabelle Bourboulon est journaliste indépendante, auteure de Soleil trompeur, ITER ou le fantasme de l’énergie illimitée, Éd. Les Petits matins, janvier 2020.

Notes

[1Si elle s’est stabilisée depuis deux ans, la DGF a fortement baissé entre 2014 et 2017 (moins 11,5 milliards d’euros).

[2Bruno Durieux, Contre l‘écologisme (éd. de Fallois, 2019).

[3France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, 23 septembre 2020.

[4Selon nos informations fournies par la CRE, les tarifs actuels de rachat sont de 54 €/MWh pour les centrales au sol de puissance supérieure à 5 mégawatts crête (MWc) ; 64 €/MWh pour les centrales de puissance comprise entre 500 kWc et 5 MWc ; 81 €/MWh pour les ombrières de parking de puissance comprise entre 500 kWc et 10 MWc. < 15 000 signes >centrales classiques).eil trompeir, le fantasme de l’des plans action climat, sur un périmètre intercommunal’nt< 15 000 signes >centrales classiques).eil trompeir, le fantasme de l’des plans action climat, sur un périmètre intercommunal’nt

[5Rapport de la CRE sur les coûts et rentabilités du grand photovoltaïque en métropole continentale, février 2019.

[6Le SER regroupe près de 400 producteurs.

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