Énergie : pour un service public des usagers et des salariés

jeudi 23 septembre 2021, par Jacqueline Balvet, Gilles Sabatier

Le gouvernement s’emploie à dépecer EDF sous pression de la Commission européenne qui exige la mise en concurrence de la totalité de la production électrique. EDF va devoir abandonner son monopole sur la vente de sa production, un monopole déjà bien écorché en 2000, puis en 2008, par la scission en trois branches : production, transport et réseau de distribution, puis en 2011, par une partie de sa production mise à disposition de la concurrence (dispositif ARENH).

ARENH

EDF a l’obligation de vendre à ses concurrents une partie de sa production d’énergie nucléaire à tarif fixe. Ce dispositif s’appelle l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Il a été mis en place dans le cadre de la loi NOME pour un période courant de 2011 à 2025. Le tarif est actuellement de 42 €/MWh, pour un maximum de 100 TWh par an par fournisseur, inchangé depuis 2012. À noter que le coût actuel de la production du nucléaire est au moins de 48 €/MWh. L’opérateur concurrent a la possibilité s’il le souhaite de préférer le marché de gros.

 
Cette fois, l’exigence porte sur la totalité de la production.
Cette exigence se traduit dans le projet Hercule.

Le projet prévoit la séparation de la production en trois pôles distincts, constitués de filiales n’ayant pas le droit d’échanger de l’information entre elles ni de mutualiser les financements :
- le pôle bleu (public) pour le nucléaire, le thermique et les réseaux de transports ;
- le pôle azur pour l’hydraulique, qui serait soit rattaché au pôle bleu, soit directement à la ’société holding EDF’ ;
- le pôle vert (privé) avec notamment les renouvelables et le réseau de distribution.

C’est un système plus coûteux qui est envisagé, inadapté aux objectifs de service public, offrant des conditions de travail dégradées, fragilisé techniquement. Tout cela est entretenu par le mythe d’une concurrence qui favoriserait une baisse des coûts et des prix. Sud Énergie a publié dans un rapport l’analyse de ces conséquences résumées ci-dessus.

Les syndicats, totalement opposés au démantèlement du service public, ont des propositions d’amélioration de celui-ci et manifestent vigoureusement. Attac soutient ces mobilisations.
L’ARENH, dispositif qui doit prendre fin en 2025, ne serait pas reconduit, le prix de la production dans sa totalité serait soumis au marché de gros européen, très volatil. Cela pose un risque financier très important pour EDF, qui est une entreprise déjà fortement endettée. Ce projet de libéralisation totale du marché de l’électricité ouvre tristement la voie à une production d’énergie qui ne repose sur aucun contrôle démocratique ou salarié. En ces temps où nous avons à réfléchir collectivement aux communs et à la transition énergétique, le projet Hercule nous condamne à l’échec.

La production de l’énergie, centralisée ou décentralisée ?

À partir de 1946, l’histoire énergétique de la France s’écrit avec EDF. .Les communes en matière de distribution publique de l’électricité et du gaz ont continué à détenir le monopole de distribution sur leur territoire. Même si leur production est restée marginale, il reste une centaine d’entreprises locales de distribution, situées en Alsace et en Moselle et aussi dans les zones rurales et montagneuses, là où les communes ont pris le relais de l’initiative privée pour électrifier les campagnes.
La construction du monopole EDF, lequel s’est renforcé avec le choix massif du nucléaire civil dans les années 1970, est effectivement venue bousculer une organisation qui avait les capacités de s’adapter aux besoins locaux, tout en respectant l’égalité d’accès à l’énergie pour tous. Dans ce cadre, aucune de ces régies n’avait la possibilité de développer des installations de grande taille, en mesure de rivaliser économiquement avec celles d’EDF, rendant plus économique un approvisionnement auprès de cette dernière.

La volonté coopérative est toujours présente en France : suite à l’ouverture à la concurrence, la coopérative Enercoop est née en 2005 pour proposer une alternative citoyenne au moment de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité. L’énergie, considérée par les structures fondatrices d’Enercoop comme un bien commun, ne pouvait être laissée uniquement aux mains du marché et des opportunités foncières et financières, sans souci réel des enjeux locaux et citoyens.
Mais dans le contexte de concurrence du marché de l’électricité, Enercoop avec son modèle coopératif décentralisé, fait face à des concurrents souvent agressifs et a du mal à dépasser les 0,5 % de part de marché qu’elle détient actuellement.

La production de l’énergie, citoyenne ou industrielle ?

Face au développement du marché de l’électricité et aux niches financières attractives destinées à soutenir le développement des énergies renouvelables (ENR), les grands groupes énergétiques se sont engouffrés dans ce créneau, bafouant souvent le respect des territoires et de leurs habitant.e.s. Face à cette ruée vers l’or débridée, sans concertation, la montée en puissance des oppositions ne s’est pas fait attendre :

- face aux parcs éoliens industriels : 1000m2 de surface, 1000 tonnes de béton et d’acier pour les fondations, 300 tonnes d’acier pour le mât, 185 m de hauteur par éolienne, sans compter les nuisances sonores, l’accaparement des terres et la pollution de nappes souterraines, les nécessaires énormes transformateurs à construire à proximité ;
- face aux centrales photovoltaïques sur des terres agricoles, en opposition au développement indispensable d’une agriculture paysanne respectueuse des territoires.

En Allemagne, les coopératives d’énergies citoyennes se sont développées à partir des années 2000 et elles étaient plus de 650 dès 2012.

Quand les projets se font avec les habitants et avec des producteurs coopératifs, les sites choisis sont toujours adaptés : le choix se tourne alors vers des sols précédemment dégradés (anciennes décharges, anciens sites miniers…), et sur des implantations moins incommodantes pour les riverains et l’environnement.

L’énergie nucléaire est une énergie qui ne peut pas se décentraliser ni être régulée par une assemblée citoyenne. Les infrastructures concernées sont colossales, elles nécessitent des investissements colossaux et plusieurs années (voire des dizaines d’années) pour leur construction, et la gestion de la production doit être centralisée.

Mais le danger le plus important sont les risques liés aux malfaçons, au vieillissement des centrales, aux catastrophes possibles [1], tant dans les mines d’uranium que lors de la production. Et en cas de catastrophe, les territoires contaminés deviennent invivables pour tout le vivant (homme, faune, flore) pendant des milliers d’années.

Le projet de construction de six nouveaux EPR, ne va pas dans le sens d’une décentralisation de la production électrique et de sa maîtrise par les citoyens.

Une électricité 100 % renouvelable est-elle possible en France d’ici 2050 ?

Trois chercheurs du CIRED ont publié une étude fin 2020 montrant que l’on peut atteindre 100 % d’électricité renouvelable en France métropolitaine en 2050 pour un coût inférieur ou égal au coût actuel. Un outil en accès libre permet de tester différents scénarios de mix énergétique.
Certes, cela implique la production d’ENR portée par de grands groupes industriels, mais l’étude s’appuie sur une hypothèse de consommation conforme au scenario ADEME 2050. Une baisse plus radicale de la consommation peut être envisagée, cette baisse de la consommation devant être l’objectif premier de toute politique énergétique.

Nos exigences face au changement climatique et au risque nucléaire

La production énergétique, telle qu’elle s’est développée au fil des siècles a toujours été liée à la nécessité de produire toujours plus. Cette tendance s’est fortement accrue au cours des deux derniers siècles et plus particulièrement depuis les années 1980.

Les effets dramatiques de cette course à la croissance sont dénoncés depuis plusieurs décennies sans qu’aucune mesure contraignante ne soit prise. Il semble cependant que la seule évolution envisageable pour que notre monde reste vivable (diminution des émissions de gaz à effet de serre, des risques d’accident nucléaire, retour de la terre aux paysans, l’eau des rivières et de la mer non polluée...) soit de ralentir drastiquement la production énergétique fossile et fissile, de développer le renouvelable à taille humaine, respectueux du territoire et de ses habitants, et de prendre des mesures contraignantes de diminution des consommations.

La pandémie actuelle est un exemple de ce qui pourrait arriver à tout le vivant, c’est-à-dire de ne plus pouvoir disposer des ressources et des productions qui font le tour de la planète avant d’arriver sur nos tables et de s’organiser uniquement avec les ressources locales, dont l’énergie.
Le monde d’après doit nous inviter à la sobriété : il faut envisager de réguler les déplacements et les consommations – il est nécessaire d’anticiper les restrictions dans un secteur clé comme celui de l’énergie, la pandémie du Covid-19 nous le démontre chaque jour. On constate d’ailleurs que ceux qui en pâtissent le plus sont les plus précaires dans tous les pays du monde. En 2019, 11,9 % des Français sont en situation de précarité énergétique.

Aucune raison politique supérieure n’impose que cette sobriété nécessaire, tant en termes de production que de consommation, épargne la catégorie des habitants dont l’empreinte carbone est la plus élevée, autrement dit les plus riches.

Ne plus utiliser le nucléaire, ne plus utiliser les énergies fossiles, limiter les ENR industrielles, a pour conséquence une diminution de la production d’énergie, avec un effet vertueux sur le climat par la diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Mais une moindre production, implique une moindre consommation, et donc revoir notre imaginaire actuel.

Pour un service public de l’énergie au service des usagers et des salariés

Plutôt que de dépecer EDF au profit d’intérêts privés, il serait donc souhaitable, plus que jamais, de renforcer un service public de l’énergie, conforme aux idéaux de 1946, considérant l’énergie comme un bien public. Organiser un processus démocratique sur les choix énergétiques et s’assurer d’un contrôle citoyen sur la production et la distribution, sont les garanties essentielles pour que le système énergétique respecte une égalité de traitement pour tous.tes les citoyen.nes et l’ urgence impérative de faire face au dérèglement climatique et aux risques de catastrophes nucléaires.

Un établissement public décentralisé avec un réseau de régies et de coopératives, sous contrôle des salarié.es et des habitant.es, permettrait la nécessaire solidarité nationale d’accès à l’énergie pour toutes et tous. Travailler à une telle articulation est un chantier à mettre en œuvre rapidement.
Il est vrai qu’un tel service public ne pourra pas se construire dans un État ultralibéral comme est le nôtre actuellement, qui privilégie la concurrence à tout prix et les classes dominantes.
Attac continuera à se battre aux côtés des salarié·es et des citoyen·nes pour que ce grand établissement public puisse exister.

Cette note a été rédigée en janvier 2021 et a été publiée sur le site d’Attac. Depuis, à la suite de nombreuses mobilisations, le projet Hercule a été remis en cause et a été remplacé par un projet “Grand EDF” dont les contours restent à ce jour encore très flous. Quel que soit le nom du projet, une restructuration d’EDF au profit d’intérêts privés reste d’actualité.

Jacqueline Balvet et Gilles Sabatier sont membres d’Attac et animent la commission Écologie et société.

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