De l’évolution des émissions de gaz à effet de serre en temps de libéralisme mondialisé

jeudi 23 septembre 2021, par Pierre Masnière *

« Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement » (Boris Vian).

La croissance industrielle a été réalisée à partir d’une extraction /consommation croissante de charbon dans un premier temps, de dérivés du pétrole ensuite, utilisés comme combustible pour de multiples usages et dans le développement de l’industrie chimique ; la consommation de gaz naturel puis la combustion de biomasse dans des centrales produisant chaleur et électricité accompagnent le tout depuis les années 1950-60. Il s’en est suivi un accroissement d’émissions anthropiques de CO2.

L’évolution (trop) rapide de la concentration en CO2 dans l’atmosphère

Des prélèvements de carottes de glace dans une région où sont relevées de fortes accumulations annuelles de neige ont permis de couvrir la période récente avec une bonne résolution temporelle : on constate que la teneur en CO2 passe de 270-280 ppm en 1750-1800 (période de référence préindustrielle) à 310 ppm en 1950. La ppm (partie par million) est un rapport qui permet d’exprimer de très petites quantités : 1 ppm de CO2 correspond à un volume de 1 cm3 dans 1 m3 d’air.

Des mesures de concentrations atmosphériques de CO2 sont réalisées systématiquement à l’observatoire du Mont Mauna Loa à Hawaii (à 4 200 m d’altitude) à partir de 1958. On observe ainsi une croissance annuelle moyenne systématique depuis cette date. Cette croissance s’accélère : de l’ordre de +0,6 ppm/an durant les années 1960 elle est passée à +1,4 ppm/an durant les années 1990 puis à +2,3 ppm/an ces 20 dernières années. Les valeurs moyennes annuelles masquent des oscillations saisonnières systématiques, de 2 % environ dans l’hémisphère nord, entre un maximum de printemps (avril) et un minimum d’été (septembre), variations liées au cycle végétal d’absorption du CO2.

Ceci étant, la croissance moyenne annuelle ininterrompue de la teneur atmosphérique en CO2 est illustrée dans le tableau ci-dessous où sont reprises diverses valeurs relevées dans la littérature

années19501958198319882009201320152016201720182019
ppm 310 315 340 358 390 399,5 400,1 403,3 405,5 407,8 410,5

La croissance des autres gaz à effet de serre (GES) n’est pas en reste. La teneur atmosphérique en méthane (CH4) atteint ainsi 1 872 ppb (parties par milliard) en 2019, en augmentation de 160 % par rapport au niveau de 1750 et celle en protoxyde d’azote (N2O) est de 395 ppb (+23 %). Il faut noter que la teneur en CH4 s’est accrue de +9 %/an entre 2000-2006 et 2017, après une période de stabilité au début des années 2000. Ces GES ont un rôle non négligeable, vis-à-vis de celui du CO2, dans la croissance de l’effet de serre planétaire. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime à quelque 20 % leur participation à l’effet de serre global.

La concomitance entre élévation du niveau atmosphérique des teneurs en GES et élévation de la température moyenne relevée à la surface de la planète est maintenant avérée. Elle est documentée depuis quelques décennies par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui a lancé une nouvelle alerte (ébauche de texte en 2021 qui sera finalisée et officialisée en 2022) : la mise en place internationale des politiques de réduction des émissions de GES est beaucoup trop lente !

Rappelons que l’on évalue l’augmentation moyenne de la température terrestre à +0,63 °C (température comprise entre 0,57 et 0,69 °C) entre la période 1850-1900 et la période 1981-2005 et à +0,87 °C (température comprise entre 0,75 et 0,99 °C) l’augmentation de la température entre la période 1981-2005 et la période 2006-2015. Selon l’Organisation météorologique mondiale (Les Échos, 11 mars 2021), 2019 a été la deuxième année la plus chaude avec +1,1 °C par rapport à 1750-1800, après l’année 2016, année atypique marquée par un épisode El Niño. Et, toujours d’après l’OMM, une augmentation moyenne de +1,2 °C caractérise l’année 2020, malgré l’épisode « refroidisseur » de Niña qui a sévi.

En annexe de ce texte, on revient brièvement sur les perturbations des équilibres chimiques affectant notamment le cycle du CO2 impliquant les trois réservoirs atmosphérique, océanique et biomasse de surface.

Les gouvernements s’agitent… très lentement

Une dynamique de négociations multilatérales se met en route après le sommet de Rio et la signature de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) en 1992. Auparavant, en 1988, le GIEC avait été mis en place par l’OMM et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).

Ces négociations sont très complexes : les émissions sont localisées et très inégalement réparties, mais elles ont un impact au niveau mondial. Par ailleurs, des pays qui figuraient parmi les moins impliqués dans le changement climatique en cours sont actuellement, pour certains, en voie de développement industriel rapide, avec corrélativement un mode de consommation calqué sur celui des pays de l’OCDE. Les émissions de GES de la Chine notamment ont déjà dépassé celles de l’Amérique du Nord (ce qui n’est évidemment pas le cas quand elles sont exprimées par habitant).

Du côté des pays capitalistes développés, les gouvernements sont soumis à un lobbying intense de la part des industriels et autres énergéticiens qui voient midi à la porte de leurs profits. Les industriels n’hésitent pas, au besoin, à manier la menace de délocalisation s’il faut payer la note de la réduction des émissions de CO2.

L’introduction de mécanismes de marché pour réduire les émissions de GES, notamment celles en CO2, est au centre des négociations pour respecter des objectifs de limitation et de décroissance à terme des teneurs en GES. Ceci étant, ces mécanismes de marché sont compatibles avec un développement des énergies renouvelables subventionné par la puissance publique.

En 1997, lors du sommet de Kyoto, 160 pays signent un protocole dans lequel 38 pays industrialisés ou en phase d’industrialisation (pays dits de l’Annexe 1) s’engagent à réduire de 5,5 % leurs émissions de GES sur la période 2008-2012, par rapport à ce qu’elles étaient en 1990. Mais la signature est une chose, la ratification une autre ! Pour entrer en vigueur, le protocole doit être ratifié par 55 pays totalisant 55 % des émissions… Les rencontres mondiales se succèdent jusqu’à ce que la Russie le ratifie fin 2004. Le protocole peut enfin entrer en vigueur le 16 février 2005. Les USA ne sont pas impliqués par ce protocole qu’ils n’ont pas ratifié ; ils émettent alors quelque 25 % du CO2 mondial… Quant aux pays développés qui ont ratifié le protocole (Europe et Japon notamment), ils ne pèsent que 20 % des émissions mondiales.

Trois moyens qui s’inscrivent bien dans l’air du temps de la libre circulation des capitaux et des marchandises, sont envisagés pour atteindre les objectifs climatiques :

  • le commerce des émissions de CO2 : un pays qui n’arrive pas à remplir son contrat de réduction peut acheter la différence sur un marché international où des pays peuvent vendre au plus offrant leur surplus de droits d’émissions. Cette cuisine se fera dans le cadre d’institutions internationales ad hoc.
  • le « Mécanisme de développement propre » (MDP), qui autorise les pays de l’Annexe1 (en gros les pays de l’OCDE) à financer des projets qui permettent d’éviter des émissions de GES dans un pays en développement. En contrepartie, l’investisseur reçoit un certain nombre de crédits carbone (dits URCE) qui seront portés à son crédit dans l’évaluation chiffrée en tonnes d’équivalent CO2 de la réduction de ses propres émissions de GES.
  • la « Mise en œuvre conjointe » (MOC), qui autorise les pays de l’Annexe 1 à financer des projets qui permettent d’éviter des émissions dans un autre pays de l’Annexe 1. Le financeur de projets reçoit en contrepartie des crédits carbone (dits URE).
    Depuis Kyoto, les Conférences des parties (COP – Conference of the Parties) se succèdent pour faire le point sur les mesures adoptées et leur impact. Chaque COP rassemble (pour le plus grand profit des compagnies aériennes) des milliers de participants déployés par les gouvernements mondiaux et les lobbies de tous ordres.

Lors de la COP 21 tenue à Paris en 2015, 197 pays ont signé l’Accord de Paris (180 l’ont ratifié, dont l’UE). Ils se sont engagés à contenir la hausse de la température moyenne de la planète à 1,5 °C (par rapport à la température correspondant à l’ère préindustrielle) à l’horizon 2100… La COP 26 se réunira à Glasgow en novembre 2021.

Les résultats de la politique internationale tardent à se faire sentir en 2019, alors que seulement 80 pays dont l’UE et le Royaume-Uni ont publié leurs plans de réduction d’émissions de GES début 2021.

Ainsi, selon l’organisme de recherche international Global Carbon Project, les émissions mondiales de GES se sont accrues de +0,6 % en 2019, après +2,1 % en 2018, tirées par la Chine (+2,6 % en 2019) et l’Inde (+1,8 %), alors que l’UE et les USA affichent une diminution à -1,7 %, explicable par une moindre consommation de charbon. Ces hausses mondiales s’inscrivent dans la tendance des années 2010 : +1 %/an, alors qu’il faudrait une baisse de 7,6 % /an durant la décennie 2020 pour atteindre l’objectif maximum de +1,5 °C de la COP 21 (ou plus modestement une réduction de 2,7 %/an pour espérer +2° C en 2100).

Le total mondial des émissions de CO2 en 2019 était de 34,1 Gt. Ces émissions étaient les suivantes dans différents pays et l’UE (en Gt) :

Chine 9,8USA 4,9Inde 2,4UE28 (avec le R-U) 3,5

Encore quelques chiffres concernant 2019 : selon les registres de l’AIE, les émissions du secteur énergétique (soit celles des secteurs électrique, chauffage, refroidissement, transport, industrie) et qui constituent 80 % des émissions de GES, sont stables en 2019 après des croissances de 1,8 % en 2018 et 1,6 % en 2017. Par ailleurs, les émissions de GES dues aux activités agricoles et aux incendies de grande ampleur se sont accrues en 2019.

Et en 2021 patatras ! Le secteur électrique mondial avait connu une diminution de ses émissions en 2019 (-1 %) et 2020 (-3,5 %, coronavirus oblige), mais, selon les projections de l’AIE de juillet 2021 (Rapport sur le marché de l’électricité), un renversement de tendance est probable sur fond de reprise économique. Largement soutenues par la filière charbon en Chine et en Inde, les émissions du secteur électrique devraient croître de 3,5 % en 2021 et 2,5 % en 2022.

Bref, pour le moment, le grand orchestre intergouvernemental joue la partition de « La maison brûle » sur un mode moderato cantabile.

Et l’UE ? Où le marché passe, le CO2 trépasse disent-ils

Au début des années 1990, l’option d’une écotaxe CO2 a été discutée sans qu’un accord puisse être trouvé, laissant place à la discussion inaboutie d’une taxe basée sur l’énergie consommée et les émissions de CO2… Quelle que soit l’évolution des discussions internationales, les instances de l’UE étaient décidées à se fixer un objectif de réduction par rapport aux émissions de 1990 et à devenir la référence mondiale en matière de réduction de GES.

Avec la signature de Kyoto en 1997, l’approche collective s’est calquée sur celle du protocole, avec ses instruments de flexibilité et non plus de taxation, pour viser un objectif européen de réduction de 8 % en 2008-2012, décliné différemment suivant les États membres : la France visant à stabiliser ses émissions, l’Allemagne devant faire -21 %, l’Espagne se limiter à +15 %, par exemple.

Des directives ont commencé à mettre en musique européenne les différents aspects du protocole, avec des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES, intégrés dans les Plans nationaux d’attribution de quotas d’émissions (PNAQ). Il est alors prévu que les quotas d’émissions de CO2 attribués pour la première période 2004-2007 soient revus à la baisse pour 2008 et que le non-respect des engagements nationaux soit sanctionné par une amende de 40 euros/tonne de CO2 en excès (100 euros à partir de 2008).

Un marché de permis d’émissions ainsi que d’autres instruments de flexibilité sont intégrés dans la démarche. Ces instruments de marché constituent le système communautaire d’échange de quotas d’émissions, l’European Trading Scheme (UE-ETS). Un rationnement progressif des quotas a été envisagé dans les années qui suivent la période test 2005-2007.

La mise en œuvre des PNAQ impactent plus spécifiquement certains secteurs d’activités, et particulièrement ceux qui sont bien définis comme contributeurs importants d’émissions car concentrés.

15 ans de fonctionnement de l’UE-ETS

  • Durant la première phase d’application ce sont les centrales électriques et les industries dites « carbone-intensives » (ciment, sidérurgie, chimie, pétrochimie) qui sont visées (et le resteront). Au total, 12 000 sites sont concernés dans l’UE de 2009, dont 1 126 pour la France. Ces sites contribuent pour près de 50 % aux émissions de CO2 de l’UE (et 40 % de celles de GES). Des quotas d’émissions sont attribués annuellement aux entreprises, qu’elles ne doivent pas dépasser ; elles achètent donc sur le marché d’échange (bourse de CO2) le nombre de quotas qui leur font défaut. Inversement les entreprises qui ont des excédents peuvent les conserver pour l’avenir, ou les vendre sur le marché. En fait, un nombre de quotas gratuits sont généreusement attribués, après d’âpres négociations, aux entreprises qui peuvent se prévaloir d’une concurrence « déloyale » potentielle de la part d’entreprises extérieures à l’UE non soumises au surcoût de la taxe CO2. Mais également, partiellement au secteur électrique, et plus généreusement pour celui de certains pays ayant nouvellement adhéré à l’UE.
  • Durant la deuxième phase couvrant la période 2008-2012, il est constaté que le plafond d’émission de CO2 est trop peu contraignant pour atteindre les objectifs de Kyoto…
  • La troisième phase (2013-2020) correspond à la mise en œuvre du « paquet énergie-climat » adopté en décembre 2008, dont l’un des objectifs est une réduction de 20 % des émissions en 2020 de GES par rapport au niveau de 1990… Un objectif insuffisant qui sera atteint dès 2013 (l’Agence européenne de l’environnement estimait, en 2015, la réduction à 23 % entre 1990 et 2014), ce qui questionne le fonctionnement de l’ETS. En tout état de cause, la chute des émissions dans l’est de l’Europe, concomitante à l’effondrement des secteurs industriels vétustes au début des années 1990, explique en partie cette facilité à atteindre l’objectif de réduction. Les émissions du secteur électrique européen représentent autour de 55-60 % des émissions concernées par l’UE-ETS. Il est décidé qu’à partir du 1er janvier 2013 ce secteur devra acheter l’intégralité de ses droits d’émission… Une dérogation est cependant accordée à dix pays : Pologne (gros émetteur européen), Bulgarie, Roumanie, Tchéquie, Hongrie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Chypre et Malte) ! L’allocation gratuite, concernant un nombre limité de quotas prélevés sur les quotas nationaux, devait perdurer jusqu’en 2019.
  • La quatrième phase (2020-2030) fixe un nouveau plafond communautaire en relation avec l’objectif de la COP 21 : une réduction de 40 % des GES est envisagée au cours de cette période (soit -43 % par rapport à 2005, pour être en concordance avec la référence COP). Le Conseil européen accentue la pression en choisissant fin 2020 une réduction de 55 % des GES à l’horizon 2030. Objectif qui se traduit par une réduction globale des quotas de CO2 attribués dans le cadre de l’UE-ETS (avec quelques biais abordés dans le paragraphe suivant). Objectif qui introduit également d’autres mesures toujours discutées en 2021 : élargissement des contraintes à d’autres secteurs (transport automobile et aérien notamment), instauration d’une taxe CO2 aux frontières de l’UE…
Le secteur électrique est au centre de la politique ETS pour faire baisser les émissions de CO2. 37 % des quotas étaient attribués au seul secteur électrique en 2007. En fait, en tenant compte des exonérations obtenues de haute lutte par les autres secteurs industriels, le secteur électrique concentre en réalité 55 à 60 % de toutes les émissions payantes couvertes par le marché.
Il faut noter que la production électrique de l’UE stagne depuis 10 ans, alors que parallèlement la contribution des centrales à charbon diminue (passant de 24,4 % à 14,6 % de la production électrique globale entre 2010 et 2019, principalement du fait de la fermeture de centrales vieillissantes) et que celle des filières EnR a parallèlement augmenté de 21,1 % à 34,6 % (en comprenant la production hydroélectrique).

En 2018, on note qu’environ 14 000 installations industrielles réparties dans 31 pays (UE28 élargie à la Suisse, le Liechtenstein et l’Islande) sont concernées par le dispositif du marché européen ETS, ce qui correspond selon l’OCDE à seulement 40 % des émissions de GES de l’UE élargie. En effet, l’ETS laisse de côté une large partie des émissions diffuses ou provenant de secteurs mettant en œuvre l’utilisation de carburants, par exemple, une question dont la résolution a été déportée vers l’horizon 2020. Et en ce début 2021, les négociations sont rudes sur fond de montée en puissance des véhicules électriques, de taxation du kérosène pour les avions, de taxation du CO2 importé, etc. : nos gouvernements ont le nez dans une reprise économique d’après Covid-19 qu’ils veulent inscrire dans le fonctionnement du « monde d’avant ».

Controverse à venir autour de l’objectif de neutralité carbone en 2050

Tous les États de l’UE, à l’exception de la Pologne, ont adopté début 2020 un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Objectif qui n’écarte pas la prise en compte, pour évaluer la neutralité carbone, des puits naturels de carbone (forêts, sols agricoles) qui resteront non seulement difficilement quantifiables, mais également contestables en ce qui concerne le type de reforestation par exemple. Et contradictoirement, l’UE veut accentuer l’exploitation forestière destinée à fournir du bois-énergie, introduisant des conflits sur l’utilisation des sols et la biodiversité.

Du CO2 sous le tapis de l’UE

Le système ETS met par ailleurs sous le tapis le CO2 importé par l’UE à travers le commerce de biens consommés. En effet, comme le souligne le HCC (Haut Conseil pour le climat français), en 2020, dans le cas de la France par exemple, les émissions de CO2 « importées » du fait des échanges internationaux augmentent de façon continue depuis 1995 (+78 % sur la période). Le HCC estime à 50 % la contribution du CO2 importé en 2020 : « L’empreinte carbone de la France est 70 % plus élevée que les émissions de l’inventaire national qui sont rapportées aux Nations unies et qui sont couverts par les engagements actuels ». Ce biais de calcul permet, pour le moment, à l’UE d’afficher auprès de l’ONU un comportement relativement exemplaire quant à la réduction des émissions européennes de GES.

Les bonnes affaires de la flexibilité de l’ETS

La Cour des comptes européenne avait soulevé la question en septembre 2020 et en juin 2021 (Les Échos, 8 juin 2021) et l’organisme CMW (Carbone Market Watch) enfonce le clou : la distribution gratuite de quotas aux industries « carbone-intensives » (au nom des difficultés qu’elles pouvaient rencontrer dans une juste concurrence internationale en traînant le boulet du paiement de la tonne de CO2 émise), avait été une aubaine pour elles ! Entre 2008 et 2019, elles auraient réalisé 50 milliards de gains tout en ne réduisant leurs émissions que de 0,4 % par an en moyenne (souvent par la modernisation courante des installations pour obtenir des gains de productivité). En effet, ces industries n’ont pas répercuté la gratuité des permis à polluer dans les produits vendus, il en a donc résulté 12 à 16 milliards de gains pour les secteurs acier et métaux, et 7 à 12 milliards pour le raffinage. Ayant longtemps bénéficié de sur-allocations de quotas (quotas gratuits en nombre supérieur aux besoins), elles en ont en outre vendu… au secteur électrique par exemple : gains de 3,1 milliards pour le secteur du ciment, 0,6 milliard pour la pétrochimie. Des quotas de compensation leur avaient par ailleurs été attribués pour satisfaire leurs obligations de restriction de pollution : ils ont généré sur le marché du CO2 des gains de 0,85 milliard, 0,63 milliard et 0,61 milliard, respectivement, pour les secteurs acier, pétrochimie et ciment.

Jusqu’à fin 2020, les industriels concernés par l’ETS pouvaient également accéder aux crédits de compensation internationaux prévus par l’accord de Kyoto, et donc acheter des quotas pour quelque 0,5 euro la tonne de CO2… et éventuellement les garder pour les années suivantes ou les revendre 5 à 10 euros durant la période 2008-2019 sur le marché couvert par l’UE-ETS.

L’UE-ETS est en position réserve. Les instances européennes ont décidé en 2017 la mise en œuvre d’une « réserve de stabilité de marché », censée réguler le surplus de quotas en en retirant une partie des enchères annuelles pour les mettre de côté pour utilisation éventuelle ultérieure. Une « réserve » européenne qui devait être activée en 2019 afin de s’inscrire dans une diminution graduelle de l’attribution globale de quotas durant la période 2021-2030.

Depuis fin 2020, les sur-allocations n’ont plus cours… sauf pour le secteur cimentier. Et des quotas gratuits devraient continuer d’être attribués jusqu’en 2030.

L’éventualité d’une baisse graduelle de l’attribution de quotas au sein de l’UE booste le prix de marché du CO2

Le coût de la tonne de CO2 s’était effondré dès janvier 2007 à 2-5 euros, noyé dans la pléthore de quotas non employés et accumulés par précaution. En 2013, avec la mise en œuvre du « paquet énergie-climat » européen entériné en 2008, les compagnies du secteur électrique notamment devaient acheter l’ensemble des quotas qui leur sont nécessaires sans biaiser avec leurs autorités nationales, ce qui n’a pas eu d’effet sur l’encéphalogramme plat du prix de marché du CO2, du fait des raisons relatées plus haut. Mais, avec l’annonce en 2019 de la restriction graduelle de l’attribution de quotas nationaux, le marché a réagi comme un marché, c’est-à-dire en anticipant le besoin de quotas des secteurs d’activité concernés. Le prix de la tonne de CO2 est passé de 8 euros en 2018 à 25 euros dès février 2019, puis s’est mis à tutoyer les 30-40 euros sous l’effet de la spéculation.

Cerise sur le gâteau du marché du CO2, la spéculation ! Les opérateurs boursiers n’étaient pas nombreux jusqu’en 2019 à s’intéresser au marché sans relief du CO2. Mais avec une potentialité de rareté de quotas, ces opérateurs dont Intercontinental Exchange (ICE) participent à la croissance spéculative du prix de la tonne de CO2. En 2019-2020, les transactions sur le marché européen des droits à polluer auraient évolué de 169 à 201 milliards d’euros (Les Échos, 12 février 2021). Le volume des contrats à terme et des options sur le carbone aurait doublé depuis 2015.

La possibilité d’atteindre les objectifs communautaires pour 2030 et 2050, tout en restant dans le cadre d’un capitalisme « vert », interroge …

L’Agence européenne de l’environnement a rappelé opportunément, en mars 2020, qu’ « à plus de la moitié de la période 2005-2030, le total des réductions [de GES] réalisées dans les secteurs ciblés représentent seulement un tiers de la baisse nécessaire d’ici 2030 pour atteindre un objectif de 30 % de réduction comparé au niveau de 2005 ».

L’édition 2021 des « Chiffres du climat » par le Ministère de la Transition écologique compile notamment des données concernant l’évolution des émissions de CO2 et de GES pour l’UE27 (comprenant le Royaume-Uni). Entre 1990 et 2018, une baisse de 19,3 % est observée concernant le CO2 et de 23 % concernant les GES. À rapprocher de la réduction des GES initialement prévue à 40 % en 2030 (augmentée à 55 % en 2021) par rapport à 1990.

L’évolution des émissions de CO2 (en Mt CO2) figure dans le tableau ci-dessous :

199020172018
UE27 3824 3146 3085
Allemagne 1018 788 753
R-U 584 379 372
Italie 431 356 345
France 390 339 332
Pologne 371 327 334
Espagne 234 282 278

De fortes mobilisations contre le changement climatique alimenté par l’accroissement des émissions de GES, et pour la justice climatique, seront nécessaires pour contrer l’inertie politique des instances de l’UE et des États membres !

ANNEXE

La lecture de quelques ouvrages de référence, qui ont bien vieilli, a nourri la rédaction de cette annexe : L’homme et le climat de J. Labeyrie (Denoël, 1985), Gros temps sur la planète de J.C. Duplessy et P. Morel (O. Jacob, 1990), Le climat : jeu dangereux de J. Jouzel et A. Debroise (Dunod, 2004).

Les fameux gaz à effet de serre (GES) dont le plus connu est le gaz carbonique CO2, sont au cœur de l’« effet de serre » affectant la planète Terre et du changement climatique qui en est une manifestation, régulièrement documentés par les comptes rendus des travaux du GIEC. Heureusement que ce phénomène physique naturel existe, sinon pas de vie en ce bas monde : l’effet de serre est indispensable. La présence de certains gaz dans l’atmosphère permet de piéger l’énergie solaire réfléchie par la surface de la terre sous forme de chaleur et donc de maintenir une température moyenne telle que la vie existe. Et ces GES ne constituent pourtant qu’une infime partie de l’atmosphère qui est massivement constituée d’azote (78 %), d’oxygène (21 %), d’argon et autres gaz dits rares (environ 1%). Ces GES sont constitués de vapeur d’eau (55 %), de CO2 (39 %) et, dans une moindre mesure, d’ozone, de méthane, d’un des oxydes de l’azote (N2O), d’halocarbures.

Le cycle naturel du CO2 sur la planète Terre (en bref !)

Au cours des quelques millénaires précédant l’ère industrielle, un flux continu de CO2 provenant de l’oxydation de substances carbonées issues de décomposition de végétaux notamment, mais également d’autres sources d’origine tellurique, alimente le « réservoir » atmosphère qui échangeait à son tour rapidement avec les « réservoirs » que sont les mers et les « paysages ».

La quantité de CO2 dissous dans les océans est de l’ordre de 60 fois celle présente dans l’atmosphère, acidifiant légèrement l’eau de mer, acidification constamment limitée par la présence de calcaire sous forme de coquilles de foraminifères, de coquillages, de récifs coralliens…, alors que parallèlement le phytoplancton (végétal) utilise le rayonnement solaire pour réaliser la photosynthèse et transformer en matière organique le gaz carbonique ou le bicarbonate présents dans l’eau. Les herbiers de posidonies et autres zostères ont également une grande capacité à stocker le carbone et à le restituer comme nourriture pour la faune marine tout en participant à l’oxygénation du milieu.

La photosynthèse est également à l’œuvre dans la végétation des « paysages ». Le CO2 absorbé par la végétation pendant le printemps et l’été contrecarre les émissions provenant tant de la respiration des plantes vivantes que de la décomposition des détritus végétaux.

Les échanges rappelés succinctement ci-dessus se font en un temps relativement court et, comme le fait remarquer J. Labeyrie, la résorption d’un excès de CO2 s’opère normalement en quelques années, l’océan jouant le rôle de grand régulateur. Selon J.-C. Duplessy et P. Morel, 40 % du CO2 introduit dans l’atmosphère passe dans l’océan alors que 40 à 50 % demeure dans l’atmosphère, le reste étant vraisemblablement absorbé par la végétation terrestre.

La composition chimique de l’atmosphère terrestre a évolué au cours des périodes géologiques. Il en est ainsi de la teneur en dioxyde de carbone CO2 (ainsi que de celle des autres GES) au cours du dernier cycle climatique débutant il y a environ 120 000 ans, qui a vu des périodes glacières corrélées à une diminution des teneurs en CO2. On a mesuré ces teneurs dans les bulles d’air piégées dans des carottes de glace, prélevées notamment en Antarctique et au Groenland. A contrario, la tendance à l’augmentation de la teneur en CO2 accompagne celle du réchauffement de l’atmosphère qui a suivi par exemple le dernier âge glaciaire dont le maximum s’est produit il y a 20 000 ans. Depuis 11 000 ans, nous sommes dans un interglaciaire, l’Holocène, le précédent interglaciaire est centré autour de -125 000 ans.

Durant les 9 000 ans qui ont précédé le développement intensif de l’ère industrielle, l’atmosphère contenait en permanence environ 550 Gt de carbone sous forme de CO2. Il en a résulté une teneur de CO2 dans l’atmosphère d’environ 280 parties par million (ppm) contre environ 200 ppm il y a 20 000 ans (rappelons que la ppm est un rapport qui permet d’exprimer de très petites quantités : 1 ppm de CO2 correspond à un volume de 1 cm3 dans 1 m3 d’air).

Une croissance rapide de la teneur en CO2qui aurait dû l’être plus encore ?

Selon J. Labeyrie, la production anthropique totale de CO2 (comprenant celle, imprécise, des activités forestières et agricoles) se retrouvant dans l’atmosphère devait être de l’ordre de 26,6 Gt à 37,6 Gt par an durant les années 1980. La quantité de CO2 présente en permanence dans l’atmosphère était de 2 500 Gt en 1983. Durant les années 1970, on brûlait annuellement environ 5,4 milliards de tonnes (5,4 Gt) de carbone fossile par an, libérant près de 20 Gt de CO2 dans l’atmosphère [1]. Un accroissement d’environ 1 % / an de CO2 dans l’atmosphère du fait des activités humaines, correspondant à un triplement de la consommation des combustibles fossiles attendue alors à l’horizon 2030, aurait dû entraîner un accroissement de la teneur observée de 340 ppm en 1983 à une teneur de près de 800 ppm en 2013, ce qui n’a pas été le cas, alors que la consommation des combustibles fossiles s’est effectivement nettement accrue (elle atteignait 15 Gt de carbone en 2017).

Heureusement, des mécanismes régulateurs à l’œuvre dans les réservoirs marin et végétal ralentissent cette croissance vertigineuse de la teneur atmosphérique de CO2. Rôle régulateur qui est de plus en plus mis à mal par l’élévation des températures moyennes du globe perturbant l’absorption du CO2 par les océans.

Les processus naturels ne sont plus assez rapides pour résorber la masse de CO2 anthropique introduite continuellement dans l’atmosphère depuis 200 ans : il faudra quelques millénaires pour que le réservoir océanique puisse absorber complètement cet excès de CO2 atmosphérique.

Notes

[1Une tonne de carbone correspond à 3,67 tonnes de CO2, parce que la tonne de CO2 contient 2,67 tonnes d’oxygène.

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