Recension du livre de Philippe Marchesin : La politique française de coopération. Je t’aide, moi non plus

jeudi 23 septembre 2021, par Adda Bekkouche *

L’ouvrage de Philippe Marchesin, que je présente avec plaisir ici, devrait faire date, non pas dans les médias et auprès des institutions officielles, mais auprès des chercheurs et acteurs critiques de la coopération pour le développement. Intitulé La politique française de coopération. Je t’aide, moi non plus [1], cet ouvrage fait le point sur la coopération française pour le développement et l’aide apportée par la France durant la Ve République. Le moment de cette publication est d’autant mieux choisi que, quelques mois après, le 4 août 2021, la « loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales » [2] était promulguée – étonnante coïncidence !

Pour son ouvrage, Philippe Marchesin a travaillé dans le cadre de son enseignement et de ses recherche au département de science politique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et lorsqu’il a été en poste à l’étranger. C’est aussi le produit, et cela constitue des sources inestimables, de plus de 1000 entretiens et de 20 ans de travail mené avec ses étudiants de master, dans le cadre de mémoires et de dossiers de recherche. Le résultat est à la hauteur de ce travail considérable et de longue haleine. L’ouvrage, copieux, nous fait découvrir des pans entiers, jusque-là peu connus, de la construction et de la mise en œuvre de la politique française de coopération pour le développement menée depuis 40 ans.

Signalons d’abord que cet ouvrage est salué par des analystes de réputation. Dans la quatrième de couverture, Bertrand Badie, Jean-François Bayart Gordon Cumming et Jean-Jacques Gabas, tous spécialistes de relations internationales et fins connaisseurs de la coopération française pour le développement, confirment ainsi la qualité et la rigueur scientifique de l’ouvrage.

Au regard de la « loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales », l’ouvrage de Philippe Marchesin confirme les ambiguïtés et les insuffisances de la politique française en la matière. De solidarité, il n’est réellement pas question. En revanche, il y a une continuité de cette politique : la coopération pour le développement est un élément de la politique étrangère de la France. À travers un parcours de plusieurs décennies, l’ouvrage montre que la politique de coopération n’est guère porteuse d’aide, mais plutôt soucieuse de l’intérêt de la France (1re partie) ou, au mieux, d’échange (2e partie), mais toujours en faisant primer l’intérêt de la France.

Dès l’introduction, se fondant sur la conception du don développée par Marcel Mauss (Essai sur le don), l’auteur, à travers de nombreux exemples, nous suggère une généalogie qui désacralise l’aide française : « […] elle n’est pas ce geste noble et désintéressé que l’on voudrait faire croire qu’elle est, pas même cette obole que l’on donne en attendant un retour. Tout semble encore plus calculé, l’aide apparaissant comme la compensation d’un bénéfice acquis précédemment » (p. 23). D’ailleurs, le commentaire d’Olivier Postel-Vinay, grand commis de l’État et praticien de la coopération, est sans équivoque : « Un retour en est attendu. Il s’agit en réalité d’une forme d’échange. » (p. 19).

En première partie, intitulée « le dépassement de l’ambivalence : l’aide-intérêt », l’auteur s’appuie sur les conceptions politiques des chefs d’État de la Ve République, les logiques institutionnelles et le facteur humain des acteurs français, notamment les ministres de la coopération et les grands commis de l’État pour comprendre la politique française en la matière.

D’abord, en ce qui concerne les déclarations et les faits des présidents de la République, l’ouvrage est riche en discours contraires aux actes. Tous les présidents ont eu des discours empreints d’élan de solidarité, mais tous ont fini par privilégier l’intérêt de la France au détriment des pays supposés aidés. Avec les derniers présidents, le décalage entre le discours et les actes devient de plus en plus grand. Tous prônèrent la rupture avec les relations traditionnelles entre la France et l’Afrique, mais tous finiront par s’écarter de ce discours. Avec Nicolas Sarkozy, dont on connaît l’idée qu’il se fait de l’homme africain et de sa supposée « insuffisante entrée dans l’Histoire » (Sénégal, 26 juillet 2007), l’implantation des entreprises françaises en Afrique devient la condition de la coopération. Cette doctrine, qui constitue la pierre angulaire de la politique de coopération, connaît son apogée avec l’éviction de Jean-Marie Bockel, le 18 mars 2008, et son remplacement par Alain Joyandet à la tête du secrétariat d’État chargé de la coopération. Si le premier paya de son poste sa critique de la « Françafrique », le second correspond plus aux actes et aux orientations que Sarkozy veut donner à sa politique de coopération. Philippe Marchesin relève ainsi que « Alain Joyandet, patron de PME, se comporte très vite comme un ministre du commerce extérieur délégué à l’Afrique. Il affirme d’ailleurs lui-même en 2008 qu’il ’n’a pas peur d’être confondu avec le secrétaire d’État au commerce extérieur’. Il annonce aux médias que la France ’doit défendre ses parts de marché’ et qu’il faut dire aux Africains ’qu’on veut les aider, mais qu’on veut aussi que cela nous rapporte’. La priorité est l’implantation des entreprises françaises à l’égard desquelles le secrétaire d’État affiche régulièrement sa disponibilité. ’C’est la feuille de route que m’a donnée le président Nicolas Sarkozy’, précise-t-il. De fait, dès la conférence des ambassadeurs de 2008, Nicolas Sarkozy déclare vouloir réorienter l’aide au développement pour soutenir en priorité le secteur privé’ »(p. 60).

Avec François Hollande les choses ne vont pas fondamentalement changer. On assistera plutôt à une certaine formalisation du discours porté conjointement par le président de la République et par son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Dès le mois d’août 2012, lors de la conférence des ambassadeurs, celui-ci annonce « l’accentuation du versant influence de la coopération pointée depuis quelques années [et] trouve son aboutissement avec l’officialisation de ce qui devient la nouvelle doctrine du ministère » (p. 63). L’aide publique au développement va obéir à cette nouvelle orientation. Pour le ministre des Affaires étrangères, la politique de développement doit s’inscrire dans le cadre l’action diplomatique d’ensemble, y compris l’Agence française de développement qui doit ainsi être pleinement engagée dans la promotion des entreprises et de l’expertise française à l’étranger (p. 64). Pour Philippe Marchesin, « Ainsi, la dimension utilitaire de l’aide tend à investir tout le champ de la coopération. Elle efface logiquement l’attention apportée aux plus pauvres... au nom pourtant desquels cette même aide est justifiée. Au total, la diplomatie économique signe officiellement la sortie de l’oxymore congénital de l’aide, à savoir le tandem influence/solidarité. Avec la diplomatie économique, tout s’éclaircit enfin : la solidarité disparaît puisque la diplomatie n’est qu’influence. Vouloir à tout prix parler de solidarité dans le cadre de la diplomatie économique conduit alors à une totale confusion. François Hollande lui-même en donne un bon exemple dans son discours de clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale. Après avoir passé en revue les divers acteurs de la coopération, il en vient aux entreprises qui ’en France, sont deux mille cinq cents à s’engager dans la solidarité internationale et à investir dans les pays les moins développés. [...] Je salue ce que peuvent faire un certain nombre d’organisations professionnelles, patronales, pour favoriser cette mobilisation. [...] C’est ce qu’on appelle la diplomatie économique, que j’ai voulu promouvoir pour que nous puissions avoir une politique qui soit en cohérence avec celle de notre développement.’ Comment une entreprise peut-elle à la fois investiret s’engager dans la solidarité internationale ? La réponse est donnée à la fin : il s’agit bien de notre développement (p. 64).

Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, les orientations de son prédécesseur sont confirmées, voire accentuées. Après la « rupture » de Sarkozy et le changement de Hollande, le renouveau de Macron est vite taxé de renouveau, si ce n’est qu’il faut y ajouter la dimension sécuritaire. D’où la possible confusion, l’aide étant mise en œuvre par les militaires français (p.71).

Pour ce qui est de la logique institutionnelle, sa caractéristique principale réside dans le fait que la coopération est prise au moins entre deux ministères, celui des Finances et celui des Affaires étrangères, tous deux exerçant une véritable tutelle de moyens et de doctrine, même si seulement celle du second est considérée comme officielle. Ces éléments, avec la disparition du ministère de la Coopération et du développement, confirment le statut de dominée qui caractérise celle-ci. Il n’est pas étonnant que cette dépendance aux autres logiques institutionnelles ne fasse que vider de son sens l’aide que les autorités françaises déclarent apporter aux pays concernés (pp. 122-123).

Enfin, et c’est une conclusion loin d’être des moindres, l’examen par l’auteur des acteurs publics de la politique de la coopération et du développement, montre que la logique de coopération, de développement, de solidarité et d’aide, à quelques rares exceptions, ne caractérisait nullement les institutions et les personnes qui l’animaient (tableaux 4 à 8, pp. 153 à 193). Jean-Pierre Cot est l’un des ministres de la Coopération qui a le mieux incarné le versant solidarité (p. 16). Avec l’élection de François Mitterrand en mai 1981, sa nomination à la tête du ministère de la Coopération et du développement incarne la rupture. Il entendait marquer sa différence, en obtenant « que le terme ’développement’ soit ajouté à la dénomination du ministère », mais surtout, il entendait « moraliser les relations franco-africaines, défendre les droits de l’homme et ’décoloniser’ la coopération en élargissant la compétence du ministère à l’ensemble des pays du Tiers monde » (p. 47). Ceci ne manquera pas de déranger et la rupture ne dura pas longtemps poussant Jean-Pierre Cot à quitter le gouvernement en décembre 1982.

À part ce laps de temps assez court de rupture, il n’y en a réellement jamais eu. Et la continuité de la politique de coopération ne connut que quelques nuances, dont la plus importante, récente, est celle du partenariat.

C’est l’objet de la seconde partie de l’ouvrage que l’auteur intitule d’aide-échange, où l’intérêt du donateur prime, et qui se caractérise par trois formes : l’aide-contrepartie ou donnant-donnant, l’aide-chantage ou la coopération comme moyen de pression et l’aide-sanction.

Le principe de l’aide-échange est exprimée, en premier, par le général de Gaulle, selon lequel : « Il n’y a pas de coopération si ce que nous apportons ne comporte aucune contrepartie » (p. 428). Il est vrai que, s’agissant de coopération, cela est juste. Or fallait-il dans ce cas adopter le terme d’aide ? Pourtant c’est ce qui va prévaloir depuis et « l’idée d’une aide envisagée comme une contrepartie  », sans que celle-ci soit exprimée de manière claire (p. 433). Il est certain que la contrepartie fut chaque fois entendue entre partenaires, serait-ce de manière implicite ou tacite, mais rarement de façon explicite et publique. Les raisons sont au moins de trois ordres : la difficulté d’accès aux sources, le donateur ne souhaite pas apparaître comme demandeur et receveur de contrepartie et on ne veut pas rendre publique celle-ci (pp. 433-434). En croisant différents sources et des entretiens, l’auteur arrive à illustrer ses propos par de nombreux exemples (cf. tableau 437 à 488).

Pour ce qui est de l’aide-chantage, elle « consiste à menacer de suspendre son attribution à un pays considéré comme ’déviant’ par le donateur, autrement dit qui s’éloigne des desiderata de ce dernier en matière de politique étrangère » (p. 489). On remarquera donc que, dans cette relation, l’aide n’est plus accordée en vue de permettre le développement du pays receveur, mais pour contribuer à régler des problèmes réels ou supposés du pays donateur. Parmi ces problèmes, celui des flux migratoires est le plus utilisé par les pays donateurs (p. 489). Cette forme d’aide est peu illustrée. Les cas retenus par l’auteur sont peu nombreux en raison de la difficulté d’accès aux sources (cf. tableau, pp. 490 à 494).

Enfin, l’aide-sanction correspond pour l’auteur à la fin de la coopération. En effet, constituant l’étape qui suit l’aide-chantage, cette forme d’aide met fin à l’aide-échange. Expression d’une situation de crise, « les pays victimes de l’aide-sanction sont ceux qui, aux yeux du donateur, se ’conduisent mal’, c’est-à-dire s’éloignent de ce que souhaite ce dernier » (p. 495). Bien que l’arrêt de l’aide soit un acte à géométrie variable, la France supporte mal que le pays receveur se tourne de manière ostensible vers un concurrent (ibid.) En tout état de cause, l’aide-sanction constitue l’une des premières armes utilisées par le donateur en cas de brouille avec le receveur (ibid.) Comme pour la forme précédente de l’aide, quasiment les mêmes raisons ne permettent pas de rapporter de nombreux cas (cf. tableau, pp. 496 à 499).

Au terme de la lecture de l’ouvrage de Philippe Marchesin, on se rend compte que le discours officiel français sur l’aide publique au développement et, plus largement sur la coopération dans ce domaine, empreint de La politique de l’oxymore [3], est loin de correspondre aux objectifs affichés. Dommage que ce travail ne soit pas plus documenté par des positions des supposés « bénéficiaires ». Mais cela ne constitue-t-il pas un autre travail, également de longue haleine ?

En tout cas, le continuum de la primauté des intérêts de la France en la matière magistralement montré par Philippe Marchesin, est la caractéristique déterminante de la politique dite de coopération pour le développement, qui ne peut pas, de ce fait, porter le nom d’aide et encore moins être qualifiée de solidaire.

Cette recension est loin de rendre compte de la richesse du livre, tant elle est partielle, du fait que de nombreux passages éclairants n’ont pas pu y être rapportés. Aussi, la lecture de cet ouvrage est vivement recommandée. Au-delà, espérons qu’il aura des suites en donnant l’envie à d’autres chercheurs d’aller plus loin sur le sujet avec la même rigueur scientifique.

12 août 2021

Adda Bekkouche est membre du Conseil scientifique et de la commission internationale d’Attac

Couverture La politique française de coopération

Notes

[1Philippe Marchesin, La politique française de coopération. Je t’aide, moi non plus. L’Harmattan, Paris, 2021.

[2LOI n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, JORF du 5 août 2021.

[3Bertrand Méheust, La politique de l’oxymore, La Découverte, Paris, 2014.

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