Au-delà de l’incapacité à hériter de la terre, les femmes subissent bien d’autres discriminations dans divers domaines de la vie.
Les actions pour l’égalité homme-femme sont-elles suffisantes ?
La célébration de la journée internationale de la femme, chaque 8 mars de l’année, est devenue de nos jours un rituel de plus en plus célébré en Afrique et ailleurs, en souvenir des combats pour l’émancipation de la femme dans le monde. Elle est souvent commémorée par des festivités, des rencontres scientifiques dans les centres de réflexion et de plus en plus par des initiatives spéciales dans les organisations de la société civile. Malgré cet engouement, nombreux sont les décideurs africains qui ne laissent pas transparaître d’engagement pour la défense des droits de la femme. Il en est de même dans les institutions académiques africaines où les études sur le genre ne sont pas suffisamment développées dans les curricula. Plus encore, les problèmes de culture, de religion, d’ethnicité limitent les perspectives. Certaines questions telles que la violence, la mutilation, l’excision, le mariage forcé, etc. perdurent dans nos sociétés africaines et il faudra y mettre plus d’énergie pour s’en défaire.
Aussi, pourquoi cette problématique qui bénéficie de tant d’attention de la part de la communauté internationale ne suscite-t-elle pas un véritable engagement des dirigeants africains ? Pourquoi les défis que pose la problématique du genre sont souvent l’affaire des femmes ? Les initiatives développées par les femmes sont-elles suffisantes pour susciter l’adhésion des décideurs et autres acteurs ? La problématique dépasse de nos jours une simple intégration ou représentation du genre dans les instances politiques. Des réflexions méritent d’être menées pour de nouvelles stratégies. Comment organiser la mobilisation des femmes et intéresser les parties prenantes dans le processus de mobilisation et d’émancipation de la femme ?
Le premier constat à souligner est que les sensibilisations et les nombreuses publications de recherche montrant l’importance et la nécessité d’impliquer la femme dans tous les processus de développement, sont restées lettre morte dans ces sociétés patriarcales car les hommes n’ont pas véritablement permis de réelles transformations sociales face aux défis qui se posent sur le continent.
Le deuxième constat a trait au timide engagement des décideurs africains. Le dialogue entre décideurs, les différentes parties prenantes, dont les organisations de la société civile, est nécessaire et indispensable pour influencer l’agenda politique et de recherche des décideurs. Il devient impérieux d’examiner comment obtenir l’application véritable des engagements internationaux au niveau national. Cela nécessite des engagements des uns et des autres, mais la question reste celle de la forme de mobilisation qui serait la meilleure. Car les engagements doivent dépasser les luttes pour la reconnaissance des droits fondamentaux pour atteindre un autre niveau, celui de la transformation réelle des mentalités des femmes elles-mêmes afin de se détacher des pesanteurs socio-culturelles pour leur autonomisation et une vraie liberté.
Il convient d’y réfléchir afin de trouver la meilleure manière d’opérer, de toucher les différentes cibles car la difficulté reste de taille, compte tenu de la diversité des langues dans nos sociétés. Combien de personnes dans la population maîtrisent le français, l’anglais, les réseaux sociaux ? Les publications sont-elles à la portée des citoyens africains, des femmes en particulier ? Comment faire pour que tous les résultats de recherche et informations utiles soient accessibles aux cibles et à toutes les populations ? Comment informer la femme au marché des résultats d’une recherche qui la concerne ? La question d’accessibilité reste entière.
La nécessité d’initiatives plus innovantes et plus adaptées
Il serait utile d’analyser les différents moyens ou formes qui ont permis de réelles transformations en Afrique et particulièrement en Côte d’Ivoire. Pour rappel, souvenons-nous de la marche des femmes de Grand-Bassam en 1949 (maison du patrimoine de Grand-Bassam) :pendant la période coloniale, suite à une bagarre entre le PDCI-RDA et le parti progressiste, les responsables du PDCI-RDA seront arrêtés et transférés à la prison de Grand-Bassam. Pour la libération des prisonniers politiques, les femmes vont initier une marche pacifique sur trois jours, les 22, 23 et 24 décembre 1949 d’Abidjan à Grand-Bassam. Les prisonniers seront libérés le 1er janvier 1950. 40 femmes ont été blessées sur les 2 000 qui ont pris part à cette marche. Ainsi, les femmes étaient présentes aux premières heures de l’histoire de la lutte pour les indépendances et il existe des exemples dans bon nombre de pays. Cet engagement va impulser la création de branches féminines au sein des partis politiques, et l’avènement d’associations de femmes pour la revendication de leur droit.
Aujourd’hui, l’autonomisation des femmes fait partie des projets du gouvernement de Côte d’Ivoire et de certaines organisations de femmes, à travers la promotion d’une meilleure éducation des femmes et des filles pour établir l’égalité de genre. « Le pays s’est également doté d’une stratégie de promotion des compétences féminines (Compendium des compétences féminines de Côte d’Ivoire) en 2011), d’une Stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre, SNLVBG (2014-2016), d’un plan accéléré de lutte contre les mariages précoces en Côte d’Ivoire (2013-2015) et d’un Plan d’action nationale (PAN) de la Résolution 1325 adopté en 2000 par le Conseil de sécurité des Nations unies » [1].
Dans le même élan, le Président de la République a procédé « au lancement du mouvement HeForShe, initié par l’ONU Femmes au niveau mondial, le 27 novembre 2017. En effet, le chef de l’État s’est engagé notamment pour : 1) l’élimination de toutes les formes de violence basée sur le genre par la mise en œuvre d’un plan national d’action de lutte contre les pratiques néfastes, telles que les mariages précoces et les mutilations génitales féminines (MGF) en Côte d’Ivoire d’ici 2020 ; 2) la promotion du leadership des femmes en faisant accroître le taux de participation des femmes au processus décisionnel dans la vie politique et dans l’administration d’ici 2020 » [2].
En plus des initiatives gouvernementales, les organisations féminines et leurs partenaires continuent leurs activités de sensibilisation et de plaidoyer pour une meilleure prise en charge des questions relatives au bien-être des femmes dans le pays. Cependant, les plaidoyers et les messages de sensibilisation ont-ils permis les changements souhaités ? Les femmes participent-elles au développement du pays et surtout à la construction d’un état de droit ?
À notre avis, les femmes ont été toujours présentes aux premières heures du développement de la Côte d’Ivoire et elles le sont encore dans tous les domaines d’activité. Au cours de ces dernières années, elles ont obtenu plus de transformations sociales et ont relevé des défis grâce à leur engagement, leur mobilisation et leur détermination. Même si l’engagement des décideurs progresse, certains droits ou privilèges ne sont de toute évidence pas aisément accordés et doivent être arrachés. C’est pourquoi il est important de saluer les actions des organisations féminines en Côte d’Ivoire pour leurs actions pour le bien-être de la femme. Plusieurs organisations telles que l’AIBF (Association ivoirienne, pour le bien-être de la femme), l’AFJCI (l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire), l’ONEF (Organisation pour le développement des activités des femmes), FCIEX (Femmes Côte d’Ivoire Actives), la Fondation SEPHIS, Vivre sans violence (VSV), Lionne d’Afrique, la Ligue ivoirienne pour le droit des femmes (la Ligue), etc. continuent leurs actions de promotion des droits de la femme, d’autonomisation des femmes et pour plus de liberté. Par exemple, l’AFJCI a eu des actions majeures dans la réforme de certaines lois, notamment la loi sur le mariage, le code pénal, la loi sur les quotas. Elle a pour mission l’élimination des inégalités du genre, de promouvoir l’autonomisation des jeunes filles, leur éducation et l’exploitation de leur potentiel. Elle œuvre également à l’accès des femmes à la justice. De même, d’autres organisations travaillent pour plus de liberté et d’égalité envers la femme par la lutte contre la violence basée sur le genre, et par l’alphabétisation, source de connaissance et d’épanouissement. Certaines s’attèlent à la formation, source de transformation profondes de la personne,.
De ce fait, les organisations internationales doivent continuer de mener des actions pour soutenir les initiatives de ces femmes braves dans les différentes régions du monde. Il faut ici également rendre hommage aux organisations internationales telles que la Fondation Rosa Luxemburg, le PNUD, l’ONU-Femmes, la BAD et d’autres pour le travail qu’elles accomplissent en faveur de l’autonomisation des femmes à travers leurs programmes, en soutenant des initiatives, en Afrique de l’Ouest, qui concourent à l’émancipation de la femme et à la défense de ses droits.
Enfin, bien qu’il y ait des avancées notables et une réelle volonté politique, la progression reste lente et nécessite un coup de pouce de tous les acteurs sensibles à la contribution énorme que la femme apporte dans la construction d’un État, en commençant par l’éducation de ses enfants et au bien-être de sa famille. Elle doit donc poursuivre sa lutte pour son émancipation et prendre toute sa place dans le développement de son pays, en mettant tous les atouts de son côté. Elle doit rêver et rêver grand comme le dit Mme Ellen Johnson Searlif : « si vos rêves ne vous font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands », car, pour reprendre le contrôle de certaines choses comme sa vie, ses choix et sa participation dans le développement de la Côte d’ivoire, la femme doit croire en ses rêves et y mettre du sien pour les réaliser pour le bien de toute la société ».
Marie N’Guettia est responsable de programme à la Fondation Rosa Luxemburg, Bureau de l’Afrique de l’Ouest.