Trop tard pour être pessimistes soutient que la rupture écosocialiste passe 1) par un projet de civilisation alternatif (l’écosocialisme), 2) par une stratégie de convergence des luttes visant à détacher le monde du travail du compromis productiviste et 3) par l’élaboration, à partir des mouvements sociaux, d’un programme de transition dont la radicalité anticapitaliste ne découle pas de chaque mesure précise prise isolément mais de son caractère globalement incompatible avec le fonctionnement normal du capitalisme. C. Calame défend pour sa part que « la rupture écosocialiste exige une anthropopoïétique doublée d’une écopoïétique d’ordre sémiotique ». Il a évidemment le droit de critiquer mes conceptions à partir de cette vision. Cependant, je m’étonne de l’affirmation que « peuvent être réalisées dans le système économique et financier actuel » des mesures telles que la socialisation sans indemnité ni rachat des secteurs de l’énergie, de la finance et de l’agrobusiness ; la suppression des productions et des transports inutiles avec reconversion des personnels ; l’abolition des dettes du Sud global ; la liberté de circulation et d’installation pour les migrant.e.s ; une ample réforme fiscale antilibérale (incluant notamment levée du secret bancaire et suppression des paradis fiscaux) ; la répartition du travail nécessaire sans perte de salaire ; l’extension du secteur public et de la gratuité (dans les domaines des soins aux personnes, de la mobilité, du logement, de l’énergie, de l’eau, de l’éducation et des soins au écosystèmes) ; ainsi que la souveraineté alimentaire et le remplacement de l’agrobusiness par une agroécologie paysanne…
Non seulement ces mesures, et beaucoup d’autres, figurent en bonne place dans mon ouvrage (pages 258 et suivantes), mais en plus elles sont organisées selon les « trois priorités » et les « huit principes clés » d’un « plan écosocialiste » visant à « liquider la société capitaliste et fonder une nouvelle civilisation (…) débarrassée de l’argent, de la propriété privée des moyens de production, de la concurrence, des États, de leurs armées, de leurs polices et de leurs frontières »… C.Calame omet soigneusement tout cela. Il préfère ne mentionner « en vrac » (sic !) que les plus immédiates de mes propositions (le financement public de la recherche, par exemple) en les isolant du cadre dans lequel elles s’insèrent. Du coup, sous sa plume, le « plan écosocialiste » pour lequel je plaide apparaît comme un bric-à-brac vague et inconsistant de « démocratie économique » et de « démocratie politique », de sorte que l’auteur peut conclure que « la propriété privée des moyens de production n’est apparemment pas remise en cause » dans mon livre. Le procédé est douteux. L’urgence d’une alternative écosocialiste à la catastrophe mérite davantage de respect et de rigueur dans le débat.