Jean Tosti nous a quittés. Sans crier gare. Discrètement. Comme il a mené sa vie. Mais quelle vie ! Une vie d’homme de culture et une vie d’homme tout court.
Jean était un homme de culture. Ancien professeur de lettres au collège Pierre Fouché à Ille-sur-Tet dans les Pyrénées orientales, au pied du Canigou, il laisse une œuvre forte dans un grand nombre de domaines. Il a dirigé pendant longtemps la revue trimestrielle D’Ille et d’ailleurs et il a rédigé pour elle beaucoup d’articles historiques et ethnographiques sur la région catalane, ses villes (Ille, Prades, Thuir…), son économie, son agriculture traditionnelle ou ses luttes politiques depuis la Révolution, ou encore sur les arts.
Homme de culture aussi parce qu’on lui doit la tenue d’un site internet, constamment mis à jour, sur l’origine des patronymes et des noms de lieux. Il était reconnu comme spécialiste en généalogie et en onomastique, et il gérait la rubrique « Origine des noms de famille » pour Geneanet. On lui doit aussi un répertoire de photographies de fleurs et de plantes.
Membre depuis l’origine de l’association Attac, il a fait preuve à tous les niveaux d’un engagement permanent, que ce soit au sein de son comité local jusqu’au Conseil d’administration national dont il fut membre de 2006 à 2009, à un moment critique pour la vie de l’association, pour laquelle il fallait réinventer un fonctionnement démocratique. Jean y apporta sa contribution par la rigueur et la clarté de ses analyses et par la force de conviction qui émanait de lui.
Au cours des quinze dernières années, il se fit connaître plus largement encore dans l’association nationale parce qu’il prit une part éminente à la préparation et à l’édition de livres collectifs au sein du Conseil scientifique d’Attac et surtout à partir de 2013 de la revue Les Possibles. C’est à cet endroit que sa culture très étendue, sa connaissance approfondie de la langue, sa rigueur d’écriture faisaient merveille. Combien d’auteurs peuvent le remercier d’avoir rendu plus accessibles et lisibles leurs textes !
Mais c’est aussi à cet endroit que l’homme tout court se révélait. D’une rigueur presque draconienne, d’une bienveillance et d’une grande modestie cependant. Toujours présent, quitte à rester dans l’ombre, en comparaison de l’étendue de son travail. Immensément compétent mais discret. Ceux qui ont eu la chance de l’approcher savent que sous son apparence bourrue, sa carapace épaisse abritait quelqu’un de sensible. Amoureux des cantates de Bach et des concertos de Beethoven, qu’il écoutait en boucle, et passionné de football. Vraiment éclectique, c’est-à-dire curieux de tout, accueillant sur le plan intellectuel comme sur le plan humain.
Il ne verra pas le prochain numéro des Possibles consacré à l’enjeu énergétique en ces temps de crise mondiale, numéro auquel il avait commencé à participer. Puissions-nous avoir suffisamment d’énergie pour poursuivre les multiples engagements et combats de Jean.
Affaibli physiquement depuis quelques mois et toujours meurtri par la disparition de sa compagne Sophie, Jean s’en est allé. Notre peine est immense. Que le poème de Victor Hugo exprimant la sienne après la mort de sa fille soit une manière de dire adieu à Jean, lui l’amoureux, entre autres, des fleurs.
Jean-Marie Harribey
18 août 2021
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, dans Les Contemplations.