Les pays du Maghreb face à la pandémie : épargnés ou encore plus éprouvés ?

vendredi 11 juin 2021, par Omar Brixi *

Les trois pays du Maghreb ont été concernés très tôt par le SARS-CoV-2. Éprouvés différemment et en plusieurs « vagues », comme pour de nombreux pays dont ceux dits du « Sud ». Mais ces pays ont été globalement épargnés par le « pire » tel qu’il était appréhendé par différents analystes. Les États ont réagi aussitôt et conduit une riposte vigoureuse selon leurs marges et leurs logiques. Les sociétés ont « encaissé », se sont mobilisées, puis ont subi jusqu’à ce que la défiance endémique vis-à-vis des autorités revienne en force, aggravant le fossé déjà existant.

Les impacts socio-économiques, psychologiques et politiques ont été très tôt perçus et vécus comme plus virulents que le virus invisible. Sidérées, les sociétés ont regardé le reste du monde, notamment les pays plus nantis, de plus près, que celui-ci ne les a considérées.Sociétés et États ont vite compris que le chacun pour soi prévalait sur les grands crédos altruistes. Les problématiques de l’accès aux vaccins les ont renforcés dans leur statut de relégués.Le monde d’après ne les fait ni rêver, ni s’illusionner. Il renvoie le plus grand nombre aux promesses du Ciel, les désespérés à toutes les violences, et pour les plus avertis aux plus sombres analyses. Et pourtant, les résistances, les initiatives, les solidarités et les disponibilités sont aussi grandes que les jeunesses bouillonnantes de ces pays.Même les menaces des incessants variants, plus ou moins sensibles aux vaccins mis au point, ni les nouvelles frontières (pass sanitaire en plus des visas) ne font bouger ni les plus avertis, ni les plus cyniques des États dominants. Tant leurs périmètres sécurisés leur paraissent invulnérables. Pandémie et crises multiples ne risquent-t-elles pas de replonger, une fois de plus, ces pays en périphérie des remaniements en cours à travers les mondes d’aujourd’hui et de demain ? La santé, bien commun, peut-elle être acquise autrement que dans un monde plus solidaire ?

Notre effort d’analyse porte sur les trois pays du Maghreb central (Maroc, Algérie, Tunisie), car plus proches et plus familiers. La problématique des autres pays africains et des pays qualifiés de « Sud », nous préoccupe tout autant. Mais l’appréhension de tous ces pays, encore plus différenciés, est au-delà de nos capacités.

De même que nous optons pour un effort d’analyse croisant des données statistiques, sans trop nous y perdre, et de considérants contextuels pour mieux comprendre jusqu’à quel point ces pays ont été éprouvés ou épargnés par la pandémie, ce qu’elle a révélé et ce qu’elle risque d’accentuer.

Nos sources – directes et indirectes – sont multiples, difficiles à parcourir et à décrypter, tant elles sont devenues foisonnantes.

Notre époque, et cette phase tout particulièrement, nous font vivre une telle accélération des événements et des flux. Elle nous confronte à une accentuation des incertitudes et des complexités à une échelle en effet inédite. Distanciés physiquement, mais pas assez dans le temps, nous ne pouvons avancer dans cet effort de compréhension qu’avec prudence.

D’où les réserves et les limites de ces lignes. Avec respect et considération pour toutes celles et ceux qui sont à la manœuvre et/ou à l’épreuve.

1. Les trois pays du Maghreb ont été concernés et très tôt frappés par le virus

Ils l’ont été dès la phase d’irruption dans les pays d’Europe avec lesquels ils sont liés par de nombreux flux (émigrés, binationaux, travailleurs, expatriés, touristes) et par l’histoire coloniale et post-coloniale. Sans oublier le poids des images, des réseaux ainsi que des liens linguistiques, économiques, culturels, universitaires et scientifiques.

Dès le mois de février 2020, les contrôles de température et des fiches sanitaires ont été mis en place dans les principaux aéroports de ces pays. Alertés par l’OMS [1]et encore en mémoire des flambées épidémiques et des épreuves de toutes natures (séismes, sécheresses, terrorismes), les gouvernements de ces pays ont aussitôt fermé les frontières (mi-mars) et engagé une riposte. Une bien lourde décision pour le Maroc et la Tunisie quand on sait la part qu’y occupe l’industrie du tourisme. De gros efforts de rapatriement de leurs nombreux ressortissants à l’étranger ont été déployés.

Les mesures barrières ont été édictées. L’information et la communication sont autant renforcées qu’influentes. Des mesures d’hygiène individuelle et des campagnes d’assainissement ont été menées à l’initiative des autorités, de citoyens et d’associations. Les scènes de jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, nettoyant et désinfectant leurs rues et ruelles, quartiers, villages, places et lieux publics, moyens de transport, renvoyaient des images de sociétés réactives et adhérentes.

Un premier confinement général et strict a été aussitôt décrété, suivi très vite de nombreuses restrictions de circulation et de couvre-feux, à l’exemple des pays européens, dont celui de la France. Peut-être même plus fortement, de manière encore plus autoritaire.

Les établissements scolaires et universitaires ont été fermés et les enfants et jeunes renvoyés chez eux dans un effort de suivi à distance pour les plus chanceux, la majorité dans la rue, par ailleurs interdite ! Les lieux de culte et les espaces de loisirs, de fêtes et de culture ont été fermés sans résistance particulière, tant l’adhésion et la peur ont figé les populations. Les mouvements de contestation dans les espaces publics interdits, les voix influentes du Hirak [2] en Algérie, appelant à la suspension de leurs marches hebdomadaires.

Le traçage des premiers cas et foyers [3], puis leur isolement en milieu hospitalier pour les malades, relève d’un réflexe et d’une culture de pays qui ont l’habitude de la lutte contre les maladies transmissibles.

Des choix thérapeutiques (hydroxychloroquine + antibiotique) et diagnostics (cliniques et radiologiques par défaut de tests) ont été pris, sans états d’âme : « Tout cas de syndrome grippal est considéré comme une atteinte covid jusqu’à preuve du contraire et pris en charge selon les protocoles établis ». Le plus souvent hospitalisé plutôt qu’au domicile. La logistique (hospitalière et de laboratoire) civile et militaire a été déployée et renforcée.

Les liens entre ces trois pays et l’OMS, tout comme avec les autres agences des Nations unies, sont constants et leurs représentants y sont actifs. Le règlement sanitaire international (RSI) y est familier. Comme si le multilatéralisme sanitaire avait plus de poids et de sens pour les pays à revenus intermédiaires ou faibles [4].

Dans ces pays, de plus en plus connectés, les échanges à distance sur les réseaux dits sociaux ainsi que les échappées vers les médias occidentaux et moyen-orientaux, ont permis aux gens et aux jeunes de « tenir ». La revue des vidéos humoristiques, voire sarcastiques, est éloquente d’un point de vue socio-politique et culturel. Les fausses informations, le recours au magique ou à une religiosité instrumentée n’ont fleuri qu’au fil du temps, beaucoup moins à la première phase.

Là aussi la « science » a été convoquée : conseils scientifiques, spécialistes et experts sortis de l’ombre, ingéniosité des équipes de jeunes chercheurs et entrepreneurs. Plus qu’ici, la confrontation massive avec le doute, les incertitudes, a ébranlé les représentations et les idées dominantes. La stupeur de la première phase a bousculé plus d’un dogme, y compris dans la sphère religieuse. Le débat qui implique les « moins sachants » n’aura jamais été aussi large.

Les États ont assuré une politique de soutien social. Sous forme d’exonérations, de primes et d’allocations, pour les plus engagés dans les politiques de redistribution. Plus ou moins selon les pays, leurs marges et leurs soutiens. En termes de droits, de solidarités ou par inclination caritative.

Les chiffres des cas contaminés, des décès ont été communiqués au quotidien, suivis avec attention et inquiétudes par des opinions réceptives.

À l’issue de la première phase de la pandémie, la surprise, puis la peur, les restrictions, les malades et les morts, le spectacle de la vieille Europe éprouvée, ont marqué ces trois pays, pour ce qu’ils sont respectivement :

  • les sociétés, résistantes se sont mobilisées dans un élan populaire solidaire ;
  • les États nationaux, sous la pression des événements, à la manœuvre, convoquant leurs administrations et leurs ressources. L’autorité a prévalu, sur un mode plutôt autoritaire. Plus au Maroc, en Algérie qu’en Tunisie pluraliste ;
  • les États influents, parrains ou alliés, absents, recentrés sur leurs propres urgences. Chacun pompier en sa demeure.

C’est à l’épreuve du temps, de la circulation du virus, des difficultés des ripostes, d’un monde chamboulé, que les décantations vont s’opérer. Elles seront à regarder de plus près avec plus de recul, si le souci de l’évaluation l’emporte sur les fuites en avant.

  • La première vague surmontée, un premier déconfinement, comme en Europe, a été permis, avec réouverture des frontières, sauf en Algérie, le Maroc et la Tunisie, ayant besoin, du retour de leurs touristes en cette trêve estivale.
  • Et puis les vagues se sont succédé comme en France et ailleurs. La même allure de la courbe, mais, à l’évidence à des niveaux bien moins élevés, alors que les restrictions sont restées aussi fortes. Sinon plus ! Disproportionnées ?

Graphe n° 1 : Les évolutions : à gauche les cas, à droite décès, lissés sur 7 jours

Algérie

Tunisie

Maroc

Source

  • A ce jour le bilan provisoire des contaminations et des morts
    Tableau n°1 Cas confirmés et décès / pays
PaysCas confirmésDécèsDécès/1 M/hab.Population générale en M(2017)
Maroc 515 000 9105 253 36
Tunisie 328 000 11971 1035 11, 40
Algérie 125 693 3388 80 39, 6

Source : OMS Chiffres déclarés par les États, à partir de leurs les systèmes d’information nationaux, 24 05 2021

Pour les cas confirmés de décès, c’est la Tunisie, qui vient en tête, suivie par le Maroc et l’Algérie

Quelle lecture peut-on en faire ?

Si on admet les difficultés de notification (critères, sources) et les mécanismes de déclaration, la variable qui peut être évoquée se rapporte aux flux de touristes et d’émigrés permis au Maroc et en Tunisie. L’Algérie aurait-elle confiné (partiellement ou à géométrie variable) plus souvent, plus longtemps ? Un effet taille, densité des pays ? Des tests de dépistage ? Des infrastructures hospitalières ? Et même si on peut douter des chiffres (par manques de maîtrise et/ ou de transparence), la cohérence des niveaux et de tendances est frappante.

  • De toute façon, il est de plus en plus établi que les chiffres déclarés sous-estiment la surmortalité réelle liée au SARS-COV-2.
    « Le rapport publié le 21 mai 2021 par l’OMS réévalue la surmortalité réelle liée au SARS-COV-2 de 2 à 3 fois supérieur aux chiffres agrégés qui lui ont été remis par les États. Le bilan réel serait au minimum de 6 millions, sinon 8, quand le dernier bilan officiel dressé en début mai était de 3 millions ! Cette sous-estimation touche de nombreux pays peu performants ou défaillants en matière de statistiques sanitaires, mais, même les pays les plus riches et mieux outillés ! Dans certains pays parmi les moins avancés, l’espérance de vie pourrait perdre deux à trois ans, estime l’OMS ». Quelles que soient les difficultés des modes de calcul ou leur fiabilité, le temps nous en dira plus. Dans tous les cas, on gagne à les lire dans leurs grandes lignes.
  • Ces chiffres sont à relativiser
  • avec 4,8 millions de cas confirmés, l’Afrique australe a été la plus touchée, suivie de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Est, tandis que l’Afrique centrale est la région la moins touchée du continent,
  • 130 000 morts pour l’ensemble du continent, l’Afrique du Sud, le Maroc, la Tunisie, l’Ethiopie et l’Égypte comptant le plus grand nombre,
  • plus de 4 millions de patients déclarés guéris,
  • et seulement 47 000 000 de tests effectués.
    Sans compter les autres continents, les plus frappés (Asie du Sud-Est, Amériques, Europe).

Et du fait que plusieurs cas du variant indien du coronavirus ont été signalés dans beaucoup de pays, notamment en Algérie, au Maroc et en Afrique australe.

  • des autres pathologies
  • Le VIH/SIDA, avec plus de 30 millions de personnes, considéré comme une pandémie depuis les années 1980, a durement frappé ce continent qui continue de l’être,
  • Mais aussi Ebola, et divers autres épidémies et fléaux : paludisme, tuberculose, rougeole, carences nutritionnelles … La liste est aussi longue que les différents drames qui affectent ce continent peuplé de près de 1,4 milliard d’habitants.
    Les trois pays du Maghreb ont été éprouvés par la pandémie en cours. Mais à un niveau plus bas. Les décès, la maladie, la peur, dans des sociétés déjà meurtries ont marqué. La course et les coûts pour les masques, le gel, les tests, ont été vécus plus durement dans des contextes de pénuries et d’inégalités. L’épreuve des confinements dans les espaces de vie plus exigus pour les plus nombreux, ont été et sont des facteurs aggravants. Mais la comparaison des chiffres avec ceux des pays similaires invite à la relativisation.

2. Dans le même temps, ces pays ont été épargnés par le « pire »

  • Tous les connaisseurs – internes et externes – des systèmes de soins et des forces et faiblesses de ces pays, craignaient, avec une circulation plus forte du virus, des sollicitations plus importantes des services hospitaliers, des pénuries de médicaments et produits essentiels, et de ce fait un bilan plus lourd en termes de mortalité et de morbidité. Avec leurs cortèges de souffrances mais aussi de révoltes, aux formes et niveaux de violences insoupçonnés.
  • On sait depuis longtemps la vulnérabilité de celles et ceux qui sont porteurs d’affections chroniques (diabète, hypertension, cancers…), plus ou moins correctement pris en charge. Les prévalences, certaines mal appréciées, de ces nouveaux fléaux dans ces pays aux modes de vie façonnés par les régimes alimentaires, la sédentarité, le stress, ont atteint des niveaux préoccupants.
    Ce d’autant que la surmédicalisation (surdiagnostics, surprescriptions) caractérise là aussi les pratiques et la culture médicales installée [5]. Ils auront été des cibles de la Covid et de la léthalité enregistrée.

Mais le pire n’est pas advenu

Du moins au plan sanitaire et à ce jour. Et heureusement pour toutes ces sociétés et leurs pays. Comme d’ailleurs pour nombre de pays africains. Comme en témoigne Michel Kazatchkine, l’un des 11 experts chargés par l’OMS d’évaluer la gestion mondiale de la pandémie : « lorsqu’on regarde la carte de la pandémie aujourd’hui, les cas de Covid-19 en Afrique représentent moins de 5 %, peut-être 2 % des cas mondiaux. L’histoire de la maladie n’est pas finie – l’avenir peut encore apporter beaucoup de surprises – mais à l’heure actuelle, il est clair que l’Afrique est beaucoup moins touchée que le reste du monde » [6].

  • Les États ont assuré, puisant sur leurs réserves, ou sur leurs soutiens. On peut gloser sur la bureaucratie et l’inertie des États et des pays du tiers-monde, mais les faits sont là.
  • Les sociétés ont résisté, à leurs manières, selon leurs marges et la nature des espaces démocratiques acquis ou tolérés. Les situations où l’intérêt général est clairement perçu par tous sont révélatrices de tous les possibles Elles auraient pu donner plus, tant leurs potentiels, comme ailleurs, ont été et sont bridés. La jeunesse dominante dans ces sociétés reste une valeur sûre qu’aucune place boursière ne saurait prendre en compte.
  • Les soignants et les personnels des services publics, là-bas, comme ici, ont fait montre de leurs dévouements. Ils l’ont payé, aussi, y compris, de leurs vies.
  • Les mesures de prévention (gestes barrières) quelque peu observées au début ont vite révélé leurs limites face aux réalités des habitats dits populaires (bidonvilles, périphéries urbaines des grandes capitales, de la densité de certains quartiers, des transports en commun, etc.
  • La solidarité entre pays voisins a joué entre la Tunisie et l’Algérie pendant que les tensions entre ce dernier et le Maroc ont été au paroxysme. Du chacun fait au mieux, aux attentions aux voisins, on a aussi pratiqué le jeu stérile du chacun est le meilleur. Il faut rappeler et reconnaitre que la région, a été et reste, un foyer de tensions et de manœuvres incessantes, de la part des anciens et nouveaux « prétendants » : la chronicisation « de l’abcès » au Sahara occidental, étouffant les droits d’un peuple et empoisonnant les relations entre deux peuples frères, la déstabilisation et la désintégration de la Libye, la base militaire française de Barkhane au sud de ces trois pays. Sans oublier les attentats des criminels au nom de l’islam, les pourvoyeurs de drogues et les affairistes – corrompus et corrupteurs – en tous genres et tous temps.
    Les actes de solidarité de Cuba, l’assistance logistique et technique de la Chine, n’ont pas manqué, tout comme les efforts faits pour réveiller et relancer l’Union africaine.

Rien de spécifique dans une situation qui a touché les deux tiers de l’humanité. Sauf qu’ici, comme en de nombreux pays similaires, le virus, peu léthal in fine, n’a pas été vécu et perçu à un niveau suffisamment palpable par tout un chacun, hormis les familles et soignants directement touchés ou concernés.

La perception d’un risque ne se confond avec la réalité d’un danger qu’à certains niveaux et dans des situations précises. Or, chacun a sa grille des risques qu’il encourt et de ses priorités. Les chiffres diffusés au quotidien disaient une part de la réalité mais pas toutes les réalités. Les données et alertes des cliniciens et des épidémiologistes n’ont pas été, là-bas pas plus qu’ici, modérées par les approches qualitatives que portent les sciences humaines et les acteurs sociaux. La rumeur plus active est un indicateur qui mérite plus d’attention et d’analyse. La parole des autorités publiques a connu ses hauts et plus de bas. Quand les vécus ne coïncident pas avec les données et les consignes, pour ne pas dire, les directives, des écarts se creusent entre l’individuel et le collectif. D’incompréhensions en sentiment d’être maltraités, d’écarts en décalages, le gap se transforme en fossé. Celui d’une confiance, déjà non accordée, particulièrement envers les États et leurs représentants. Les sociétés ont observé, accepté, contribué jusqu’à ce que la défiance endémique vis-à-vis des autorités, revienne en avant, aggravant le fossé déjà existant. Autant le premier confinement a été accepté, plus ou moins respecté selon les quartiers, les villages, leur densité et le type d’habitat, autant, au fil des semaines et des mois, les restrictions qui ont suivi ont privé, lassé, les gens et surtout les plus en difficultés.

Comment expliquer l’allure de la pandémie au SARS-CoV-2-dans ces pays ?

{{}}Malgré tous ces événements et facteurs aggravants, plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer les raisons de non-survenue du pire et du relatif faible niveau de circulation du virus, de ses effets sur la morbidités et la mortalité : une population plus jeune, des facteurs génétiques ou d’immunités sursollicitée par les contextes infectieux, le climat (température, rayonnement, exiguïté des logements et vies plus à l’extérieur, une immunité passive…). Michel Kazatchkine, objecte et apporte une vision plus large à propos de ces hypothèses : « Tout cela ne me paraît pas très solide. Pour moi, l’un des éléments majeurs vient de la démographie et du fait que la population est jeune. Dans nos pays, les plus de 65 ans représentent 20 % ; ils sont moins de 3 % en Afrique. Mais je crois surtout que les gens sous-estiment l’Afrique, qui, en fait, a su assez tôt et assez vite s’organiser et bien répondre à la menace épidémique. Le sida, le paludisme, le choléra récurrent, l’Ebola, la tuberculose, tout cela a structuré des réponses communautaires dans la population. À quoi s’ajoute l’effort public dont on ne parle jamais. Les États ont mobilisé 5 milliards de dollars en réponse à l’épidémie. Ils ont été très actifs ». Le débat est ouvert et les recherches en cours.

3. Le pire aura été aux plans socio-économique et psycho-éducatif

Car les impacts socio-économiques, psychologiques et politiques ont été très tôt perçus et vécus comme plus virulents que le virus invisible.

  • On connaissait les niveaux d’inégalités sociales, de précarité et leurs tendances dans ces pays, bien avant la dernière crise sanitaire. Au Maroc depuis longtemps, en Tunisie de plus en plus, et en Algérie depuis l’affaissement des politiques économiques et sociales [7].
  • L’arrêt brutal des activités économiques du fait des différents confinements, plus ou moins longs, les couvre-feux ainsi que les restrictions de circulation et fermetures de frontières, ont mis sur le carreau celles et ceux qui en vivaient. Le tarissement du tourisme au Maroc, puis en Tunisie, la sécheresse endémique dans ces pays, la chute des revenus des hydrocarbures et l’arrêt des chantiers en Algérie, ont marqué l’année 2020. Le poids du secteur informel, les jeunes en demande d’emploi, de formation, de logement et d’éducation. Tous les observateurs et analystes dont la redoutable Banque mondiale, rapportent des indicateurs que l’on ne peut nier.
  • L’inflation, l’affaissement des pouvoirs d’achat, le brutal accroissement du chômage, laminent et hantent les familles déjà précarisées.
    Des révoltes ont éclaté de nouveau en Tunisie (février 2021). L’instabilité et la crise politique paralysent le pays. Au Maroc, la répression des voix dissonantes n’a jamais cessé. Les tensions internes et avec les voisins (Sahara occidental, Algérie, Espagne) et les manœuvres autour du conflit au Moyen-Orient commencent à apparaître même aux alliés les plus intéressés, comme des fuites en avant. En Algérie, l’adoption fébrile de lois liberticides a préparé la légalisation de la répression ciblant, là aussi toute expression qui n’épouse pas la feuille de route décrétée. Sans compter l’embrasement actuel du front social, devant la dégradation du pouvoir d’achat des salariés et revenus les plus modestes.
  • La Banque mondiale, le FMI, la Banque africaine de développement (BAD), l’UE, les différents créanciers ne s’y trompent pas. Ils sont déjà « au chevet » de ces pays malades chroniques que la pandémie en cours a mis à genoux avec des marges encore plus resserrées. En quels termes, vers quelles directions vont-ils pouvoir négocier ?
  • Les violences sur soi et sur autrui, déjà à l’œuvre dans des sociétés fracturées par les inégalités sociales et spatiales, ont malheureusement crû. Leur plus grande visibilité tout autant. Les femmes et les enfants, en terres d’Islam dit-on, ont encore plus souffert de toutes les restrictions imposées. Ils ont écopé de la double peine du fait de la violence des dominations masculines et patriarcales.
  • Les familles privées de visites, y compris durant les fêtes familiales et sociales ; les hommes de tout espace socialisant (travail, café, mosquée) ; les enfants et les jeunes d’écoles et d’universités, d’activités sportives et d’espaces d’évasion. Tous ont été mis à rude épreuve. D’autant que les couvre-feux, les restrictions de circulation ou les confinements, même partiels, s’enchaînaient au gré des alertes sanitaires.
  • La santé mentale, au plan individuel et collectif, a pris un coup de plus. Parmi et avec toutes ces conséquences, ce sont les enfants privés d’écoles, les étudiants sans cours universitaires, les jeunes sans emplois, stages et activités sociales, qui auront finalement été les plus impactés. Au risque de leur avenir et pas seulement de leur présent.
    Selon Brahim Rihani, expert tunisien dans le domaine de la famille et de l’enfance, « les enfants sont menacés de troubles psychologiques, socio-émotionnels et de comportement, surtout à la suite de la suspension des cours et de la fermeture des établissements éducatifs et espaces d’animation et de loisirs… La rue, en revanche, a pris le dessus et est devenu l’espace “non-contrôlé” où l’enfant, livré à lui-même, passe le plus clair de son temps, ouvrant ainsi la porte grande aux conduites et comportements à risque. Brahim Rihani a critiqué la fermeture des espaces éducatifs et de loisirs qui, d’habitude, accueillent les enfants. D’après lui, les enfants peuvent représenter “une force de suggestion” à travers leur participation, à distance, aux programmes interactifs au sein des clubs d’enfants et complexes de loisirs et d’enfance ou encore dans les médias » [8].

Tout comme le relève l’ONU, qui souligne que 188 pays ont imposé des fermetures d’écoles à l’échelle nationale, touchant plus de 1,5 milliard d’enfants et de jeunes : {}« Il est difficile d’imaginer les conséquences potentielles de ces mesures sur l’éducation des jeunes d’aujourd’hui, et le développement de leur capital humain. Plus des deux tiers des pays ont mis en place une plateforme nationale d’enseignement à distance, mais les pays à faible revenu ne sont que 30 % à l’avoir fait. » [ONU, « Note de synthèse : L’impact de la COVID-19 sur les enfants »].

La crise sanitaire a aggravé les bases d’une vie économique déjà fragilisée. Les indicateurs mis en avant masquent difficilement les caractéristiques communes et spécifiques de ces pays. Ils ont en commun de fortes dépendances, chacun à sa manière (de la rente, des dettes, des aides ou des investissements peu prometteurs). Tout cela n’est ni spécifique à ces pays, ni ignoré. Mais des épreuves pareilles sur des « corps affaiblis » ont des effets aggravants plus invalidants. On en enregistre déjà les conséquences comme on attend le pire des temps qui viennent.

4. Le pire n’est-il pas aussi dans le chacun pour soi en pareille situation ?

Ils ont regardé le reste du monde de bien plus près que ce dernier ne les a pas considérés

  • La riposte de la Chine, de ses voisins d’Asie du Sud (Thaïlande, Viet Nam…), les aides fournies ou la noria des avions cargos chargés de masques, respirateurs et autres produits ont épaté : tiens, le monde n’est pas unique .
  • Les images d’une Europe, modèle d’un développement convoité, meurtrie par la pandémie. Les hôpitaux équipés et encadrés à un niveau enviable, débordés. L’arrêt sur images d’un monde figé. Ce dévoilement de vulnérabilités des mondes de la richesse a surpris, étonné les plus naïfs, ébranlé les plus convaincus et conforté les plus sceptiques : « même eux ne sont pas épargnés » !
  • Les reportages sur la tentative de « coup d’État » au sein de et contre la plus vieille et puissante institution du monde occidental dit démocratique a interloqué des opinions très branchés : « regardez le gendarme du monde, celui qui a détruit l’Irak, occupé l’Afghanistan, entretient les gardiens de la prison à ciel ouvert à Gaza et dans les territoires occupés, en Palestine » !
  • Surprises, un peu narquoises, voire suffisantes, les opinions ont été bousculées. Qu’en sortira-t-il ? Plus de désespoirs, de rumeurs et fausses nouvelles, d’obscurantismes et d’exploitations de toutes natures. Ou plus de conscience et de relativisation « des puissants et des modèles » ? Ces bouleversements et débats n’ont pas fini de produire.
    L’espoir de traitements salvateurs et de vaccins prometteurs
  • Les controverses et polémiques sur l’hydroxychloroquine, fenêtre d’espoir pour les moins nantis, les familiers du paludisme qui ont en absorbé des tonnes, ont dérouté. L’accaparement des respirateurs, puis des tests [9] et la focale sur les lits de réanimation, hors de portée pour les moins équipés, ont désespéré. La mise en avant ces derniers mois sur l’Ivermectine, un antiparasitaire bien connu, relance ce vieux réflexe face à un risque vital, la guérison d’abord grâce aux remèdes miracles, la prévention après et si on peut ! Légitime, contrairement à l’adage.
  • L’espoir de vaccins libérateurs a nourri des sociétés qui ont encore en mémoire les bénéfices des programmes élargis de vaccination pour des millions d’enfants [10].
    D’où l’assurance que ces pays ont affichée quant à l’infrastructure opportune pour des campagnes de masse de vaccins contre la Covid-19. Oubliant probablement l’indifférence relative depuis plus de trois décennies quant à soutenir conséquemment leurs évolutions et la mobilisation de leurs équipes [11].
  • Les annonces des mises au point de vaccins – russe, chinois puis américains – ont donné corps à cet espoir. Le hors-jeu de la France dans cette course a étonné et déçu.
  • Les processus (calendriers accélérés et critères différenciés) d’homologation par les agences sanitaires européennes et nord-américaines ont surpris les contempteurs et renforcé les avertis dans leur défiance vis-à-vis des liens entre agences sanitaires publiques et lobbies des intérêts privés.
  • Les mises financières des États nantis ont donné la mesure des enjeux. La course aux plus rapides et les mieux dotés a stimulé les coopérations scientifiques, très vite rattrapées par les concurrences commerciales.
  • Les préemptions (réservations, préachats et surenchères) des plus argentés et plus influents (USA, Israël, pays du Golfe, UE…) ont commencé à inquiéter [12].
  • Les mises en place de plateformes de soutiens mutualisés au niveau de l’OMS (Covax), les efforts de l’Union africaine, boostée par l’exemple de l’Union européenne, les promesses des politiques pour en faire un bien commun universel, ont entretenu cet espoir et nourri un sentiment d’appartenance face à une situation d’urgence sanitaire mondiale,
    Vaccins, vaccination : des réalités contrastées

Les mises au point de plusieurs vaccins (7 à ce jour selon l’OMS) en des temps records, les débuts de la vaccination dès la fin décembre et depuis, ont été largement médiatisées et documentées.

  • Constats, déclarations, promesses 
    Au moment où se tient la 74e Assemblée mondiale de la santé (24 mai au 1er juin 2021), « sans doute l’une des plus importantes de l’histoire de l’OMS », estime le directeur général de l’organisation, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus.
  • Sur 1,6 milliard d’injections dans le monde, 75 % l’ont été dans seulement une dizaine de pays, contre moins de 0,5 % dans les pays à faibles revenus (OMS). « Depuis l’arrivée des premières doses de vaccin, à la fin de décembre, un abîme s’est ouvert entre les pays occidentaux, où la population ayant reçu au moins une dose de vaccin dépasse désormais 30 %, et les États les moins bien lotis  » (Le Monde, 23 mai 2021).
  • « Donnons un coup d’accélérateur à la campagne de vaccination des pays à revenu faible et intermédiaire avec des actions pratiques et mesurables », a plaidé Ursula von der Leyen [13], « Nous n’avons pas encore réussi le pari de l’accès global, notamment aux vaccins », a reconnu Emmanuel Macron lors de son intervention.
  • L’UE, qui a produit sur son sol la très grande majorité des vaccins contre le Covid-19 et a exporté dans le monde, s’est notamment engagée à fournir 100 millions de doses au programme Covax.
  • Les industriels de la pharmacie ont, eux, promis de livrer aux pays du Sud, à un prix réduit pour les pays à revenu intermédiaire, et à prix coûtant pour les pays à revenu faible, plusieurs milliards de doses durant les prochains dix-huit mois. Le PDG de Pfizer a annoncé que le laboratoire américain et la biotech allemande BioNTech fourniraient, d’ici à la fin de 2022, deux milliards de doses de leur vaccin. Pendant que le patron de Moderna a, de son côté, déclaré pouvoir livrer jusqu’à 995 millions de doses durant la même période.
    Voilà des déclarations disons prometteuses ! Faut-il y croire ?
  • L’état vaccinal dans les trois pays du Maghreb
    Tableau n°2 Quelques chiffres sur la vaccination au Maghreb
Personnes ayant reçues une 1re dose Total des doses administrées Personnes complètement vaccinées % de personnes complètement vaccinées
Maroc 5, 9 M 12,3 M 4, 4 M 13,2 %
Algérie Données à venir Données à venir
Tunisie Données à venir Données à venir
Monde 1,62 Md 383 M 4,9 %

Source Our World in Data · Dernière mise à jour : 20 05 2021

Au Maroc

Rabat vient de recevoir 2 millions de doses supplémentaires du chinois Sinopharm. Le gouvernement a fixé pour objectif d’immuniser rapidement 80 % des habitants. Pour cela, il a commandé 41 millions de doses à Sinopharm et 50 millions de doses à AstraZeneca.

Selon les chiffres du Global Health Innovation Center de l’université Duke (États-Unis)

En Tunisie

La campagne de vaccination a été lancée depuis le 13 mars dernier. Ce pays a reçu une quantité estimée à 1,760 million de doses de vaccins, et dispose d’un stock de l’ordre de 420 000 doses. Une autre quantité estimée à 1,780 million de doses de vaccins sera également acheminée en juin. Quand des commandes ont été adressées aux laboratoires internationaux pour l’acquisition de près de 11,2 millions de doses, selon la déclaration du ministre de la Santé devant l’ARP, le 20 05 2021 WMC avec TAP.

En Algérie

L’Algérie a reçu en don et acheté des doses de la Chine, de la Russie, tout en multipliant ses contacts et commandes auprès d’autres fournisseurs. Tardivement et de manière moins transparente, selon les réseaux sociaux. Un premier lot de 364 800 doses de vaccins anti-COVID-19 a été réceptionné samedi 03 avril 2021, dans le cadre de la coalition internationale du vaccin contre la COVID-19 (COVAX).

Elle est engagée depuis plusieurs mois dans un projet d’installations d’équipements pour produire le vaccin russe (prévision septembre 2021).

Plus de promesses en fait que d’engagements difficiles à tenir. Récemment, le ministre de la Santé a publiquement fait part des conditions inacceptables du laboratoire Pfizer.

  • La bataille autour des brevets 
    L’annonce, le 5 mai dernier, par le président américain, Joe Biden, de la position des USA en faveur de la levée provisoire des brevets sur les vaccins, a surpris, fait réagir et surtout fait bouger les lignes d’affrontements. En effet, voilà plus d’un an que plus de 100 États, dont l’Inde et l’Afrique du Sud, bataillent pour la levée des brevets sur les vaccins anti-covid, suite aux limites et entraves aux mécanismes mis en place par l’OMS (Covax). Les capacités productives mobilisées à plein régime en Europe et en toute petite partie en Inde, ne suffisant pas. Alors que les prises de positions, des pétitions se sont multipliées ces derniers mois : des personnalités et collectifs, aux institutions et organismes, nationaux et internationaux.

Les réactions d’oppositions viennent essentiellement des firmes qui contrôlent les brevets déposés (entre 80 et 100). L’Europe est divisée : la Belgique, principal producteur en Europe, a approuvé ; l’Allemagne, pays du BioNTech, détenteur du brevet, a dit son opposition ; la France dit son ouverture avec un « oui mais » mais préfère vendre ou donner…

L’ONU, l’OMS, les sommets à tous niveaux et conférences multiplient les alertes et appels. À l’échelle du Maghreb, seul, à notre connaissance, le président de la République tunisienne a annoncé, le 18 mai 2021, lors du sommet des économies africaines à Paris, le soutien de la Tunisie aux appels internationaux de lever les brevets sur les vaccins anti-covid-19. Des dirigeants africains insistent sur les possibilités de créer des zones de production de vaccins anti-Covid-19.

  • Les enjeux
    La préservation des brevets et de leur monopole, les colossaux enjeux financiers, la détention des capacités productives (composants et technologies) notamment face à des vaccins « innovants » sont les principaux obstacles.

Même le caractère mondial de la pandémie, les considérants moraux et de santé publique, les risques liés aux variants, les promesses faites, visiblement et à ce jour, ne résistent pas aux rapports de force en présence.

Les arguments avancés quant à la mise financière et au capital-risque des firmes concernées, ainsi que le prix des innovations ou le risque de les dissuader, ne résistent pas plus aux analyses et données plus fines. Pas plus que les incapacités structurelles des pays tiers.

Des États préfèrent vendre, sous-traiter ou « donner, comme le rappellent les porte-parole de la France ou de l’exécutif de l’UE. Les grandes campagnes, ici mais pas ailleurs, médiatisées via le monde, ont révélé l’ampleur des logiques d’intérêts, l’immoralisme et « le courtermisme » : le chacun pour soi a donc prévalu, même face à une pandémie ! Une fois de plus… Une guerre d’influences entre pôles influents ?

Tour cela ne finira-t-il pas par convaincre ces sociétés comme toutes celles en ces situations, que décidément la vie et la santé des humains n’ont ni le même poids, ni le même prix. Les problématiques de l’accès aux vaccins les ont renforcés dans leur statut de relégués.

Le débat pour ne pas dire les affrontements sont ouverts. Les incertitudes et menaces des évolutions en cours (déconfinements, réouvertures des frontières, relances en tous genres) ou celle des variants, ne manquent pas. Les considérants et rapports de force géopolitiques ainsi que les calendriers électoraux, pèseront dans des évolutions difficiles à cerner, en cette drôle de période. Gare aux retours de manivelles, crient de toutes parts les plus lucides.

Et si on se répartissait plus équitablement les doses disponibles (comme le déclare le président Français !) tout en levant les brevets même provisoirement (comme le propose le président des USA) et surtout en partageant au plus vite les technologies et composants, comme il se doit en situation de pandémie ? Il faudra compter et encore espérer avec le prochain rendez-vous de juillet au sein de l’OMC.

En guise de conclusion

Les pays du Maghreb, aux portes d’un immense continent, l’Afrique, ont été concernés par la circulation du virus dès le mois de février 2020 ou même avant. La première secousse en Italie, puis en France, tout comme l’alerte lancée par l’OMS, les ont mobilisés.

Les États ont aussitôt réagi, plus au Maroc et en Algérie, la Tunisie un peu plus tard. Ils ont adopté une riposte ferme, sous le coup de l’urgence, malgré les coûts. Ils ont usé diverses stratégies et mesures, plus ou moins longues, plus ou moins cohérentes et surtout reproduisant les exemples de pays plus durement frappés.

Les sociétés ont été surprises, dubitatives au début. Adhérentes, elles ont fait corps malgré les inégalités et les défiances antérieures. Elles ont plus ou moins observé les mesures barrières, selon les niveaux d’instruction, d’aisance et d’habitat. Au contact de la maladie, et des premiers décès et surtout devant le spectacle d’un monde figé et souffrant, elles ont craint le pire et ont eu peur.

Les premiers confinements, avec l’arrêt des activités économiques, de déplacements et de vie sociale les ont beaucoup éprouvées. Les personnes privées de revenus ont été aidées et/ ou assistées, selon les moyens et les politiques de chacun de ces États ainsi que du tissu associatif et des soutiens externes. Les réouvertures de frontières et des flux, surtout pour le Maroc et la Tunisie et l’apparition des variants ont, au fur et à mesure, causé plusieurs vagues, plus ou moins décalées selon ces trois pays. Mais, in fine, à des niveaux, autrement moins élevés que dans d’autres pays ou zones de forte circulation. Le profil démographique, voire le climat et d’autres facteurs génétiques et de résistances acquises, restent des hypothèses explicatives.

Le pire craint au plan de la santé publique aura été, finalement, plus au plan économique et psycho-social. Une épreuve en plus de toutes celles déjà endurées. La bataille des vaccins, toujours en cours, et les mutations du virus, pèsent sur leurs vies dans les mois à venir. Les périmètres protégés pour les plus nantis ou dotés, ne les concernent pas.

Le monde d’après ne les fait pas rêver. Va-t-il renvoyer le plus grand nombre aux promesses du ciel, les désespérés à toutes les violences et les plus armés aux plus sombres analyses ? Par contre, ils savent, au moins grâce aux expériences du passé et du présent, que la santé, bien commun universel, ne peut résonner que dans un monde plus solidaire. Ils espèrent et continuent à se battre pour permettre à leurs enfants un monde qui les fasse rêver.

Pour desserrer l’étau des dépendances, renforcer leurs fronts internes au plan socio-politique et les convergences entre et avec leurs voisins et semblables plus qu’avec leurs parrains. Quelles marges et quels repositionnements de nos pays dans le monde d’après, si un après est des possibles [14] ?

Omar Brixi est médecin épidémiologiste (Alger-Paris).

Annexes

Annexe 1

Annexe 2

Annexe 3

Annexe 4 : Impact de la Covid-19 au Maghreb : « Qui du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie s’en sort mieux ? », 5 avril 2021.

Annexe 5 : Ali Kooli optimiste quant à la conclusion d’un accord entre la Tunisie et le FMI 19 mai 2021.

Annexe 6 : Le Maroc et la BAD en première ligne dans la lutte contre le Covid-19, 18 mars 2021.

Annexe 7 : Covid-19 : pourquoi l’Afrique a-t-elle été plutôt épargnée ?, 31 décembre 2020, France Culture. Prenez par exemple, le Sénégal. C’est très intéressant. Dès le mois de mars 2020, son président avait appelé à une large consultation nationale du secteur public, du secteur privé, communautaire, des coutumiers, des religieux, des syndicats. Les gens ont parlé ensemble de la Covid-19. Cela a formé la base d’une loi d’habilitation qui est passée au Parlement. Ce texte a permis au Chef de l’État d’agir par ordonnances et d’imposer à ce moment-là des mesures barrières. Des mesures qui ont été bien respectées car elles avaient été acceptées en amont, avant même qu’elles ne soient promulguées en quelque sorte. MZ

J’ai beaucoup d’exemples de petites communautés qui se sont organisées pour mobiliser tous les tailleurs et confectionner des masques. Il ne s’agissait pas pour le Sénégal ou le Burkina Faso d’attendre qu’on en importe. Les villages les ont préparés, les gens ont fait preuve de solidarité communautaire, à laquelle ils sont beaucoup plus préparés que nous le sommes dans nos sociétés riches et individualistes.

Notes

Notes

[1Le directeur général de l’OMS a annoncé en conférence de presse le 11 mars que l’on fait maintenant face à une pandémie de la COVID-19. On parle de pandémie en cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie.

[2Le Hirak, mouvement de contestation populaire déclenché en Algérie depuis le 22 février 2019.

[3Le premier cas dans cette sous-région est signalé en Algérie, le 25 février 2020, un adulte italien, arrivé dans le pays le 17 février 2020.Il fait suite à un précédent cas signalé en Égypte, le premier sur le continent africain. Le premier cas dans la Région africaine est confirmé.

[4La Banque mondiale répartit les économies du monde en quatre groupes : faible revenu, revenu intermédiaire de la tranche inférieure, revenu intermédiaire de la tranche supérieure et revenu élevé.

[5Communication O. Brixi, A. Abassi, 8e colloque Princeps.

[6« On pensait que la Covid-19 allait ravager l’Afrique, mais la catastrophe n’a pas eu lieu jusqu’à présent. Le continent a su vite s’organiser. Parce que, au plan scientifique, beaucoup de pays africains luttent déjà contre d’autres épidémies, comme Ebola, la tuberculose ou le VIH. Les États ont été très réactifs et se sont appuyés sur la coopération régionale » Source.

[7Nombreux observateurs, acteurs et analystes les situent vers les années 1985, dans la conjoncture des ajustements structurels et de la spirale infernale de la dette. FMI et Club de Paris à la manœuvre.

[8La pandémie de Covid-19 et la situation actuelle du pays ont un impact sur les enfants, 3 mai 2021, par WMC avec TAP

[9Depuis le début de la pandémie, 45 millions de tests ont été pratiqués en Afrique, soit près de deux fois moins qu’en France, où le rythme hebdomadaire des dépistages dépasse 2 millions. Le Monde Afrique 14 mai 2021, selon les données du CDC-Afrique.

[10Dans les pays du Maghreb central, les taux de couverture vaccinale des enfants ont été portés à des niveaux enviables, grâce aux efforts des gouvernants et de l’assistance technique de l’OMS et de l’Unicef, entre autres. Ils ont été permis par les réseaux des unités sanitaires de base (postes de santé, centres de santé, maternités rurales et urbaines) qui maillent tout le territoire de ces trois pays . C’est d’ailleurs grâce à eux que ces pays ont déployé plus de 30 programmes audacieux de santé contre le trachome, la tuberculose, la rougeole et toutes les maladies infectieuses et transmissibles par voie hydrique. Et grâce au dévouement d’équipes de soins de santé de base, formés sur le tas et dans les écoles de tous niveaux.

[11Conf. Enquêtes en Tunisie et au Maroc :

[12Elles nous ont remis en mémoire le hold-up déjà commis en 2009/2010 par cinq pays nantis, dont les USA, la France, la Suisse… sur les traitements (Tamiflu) et les vaccins contre le virus de la grippe A [H1 N1]. Comportement doublé de cynisme quand la pandémie tant crainte a fini assez vite par céder du terrain et qu’il fallait écouler les stocks. Ces mêmes pays ont proposé (vendu ou donné) le reste des vaccins et traitements aux pays laissés pour compte jusque-là !

[13La présidente de la Commission européenne, organisatrice, avec l’Italie, devant le Sommet mondial de la santé, qui s’est tenu par visioconférence à Rome vendredi 21 mai, en présence des dirigeants du G20.

[14Le chef de l’État tunisien a, devant le dernier sommet réuni à Paris, souligné l’importance d’adopter une nouvelle approche prenant en considération les changements politique et économique dans le monde, trouver des solutions aux questions régionales et internationales actuelles ainsi que de préserver la dignité des peuples et réaliser leur développement et stabilité.

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