La propagande néolibérale mensongère sur les impôts. À propos du livre d’Attac : Impôts : idées fausses et vraies injustices, Manuel de désintox

vendredi 11 juin 2021, par Jean-Marie Harribey *

Fidèle à sa double vocation, théorique en décodant le discours néolibéral, et pédagogique en mettant sa critique à la portée du citoyen, Attac publie un livre collectif [1] bienvenu Impôts : idées fausses et vraies injustices (Les Liens qui libèrent, 2021), au terme d’un quinquennat du président Macron marqué par l’injustice fiscale accrue et par le délabrement des services publics, qui ne peuvent plus être camouflés par l’idéologie erronée et cynique du néolibéralisme.

Le livre se présente sous la forme d’une mise à mal de dix-sept idées fausses, toutes illustrées par un dessin humoristique, regroupées en cinq chapitres : le modèle fiscal français, la fiscalité des plus riches, la fiscalité des plus pauvres, la fiscalité des entreprises et la fiscalité écologique. Pour rassembler les concepts expliqués, le livre se termine par un lexique détaillé auquel le lecteur est renvoyé lorsque ceux-ci se présentent dans le texte.

Pour montrer la portée politique de ce livre, détaillons un ou deux exemples de ces idées fausses, pris dans chacun des cinq chapitres.

La première idée fausse concerne le prétendu « ras-le-bol fiscal » des Français qui commanderait de baisser d’urgence les impôts. Or, toutes les études sérieuses montrent que c’est l’injustice fiscale qui est largement condamnée. Le contrat social fondé sur les services publics et la Sécurité sociale est au contraire plébiscité par une très large majorité de citoyens. À cela, il faut ajouter que malheureusement les taux marginaux de l’impôt sur le revenu ont baissé dans les pays de l’OCDE depuis quarante ans, particulièrement en France. De plus, la mesure des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) varie d’un pays à l’autre en couvrant des champs différents et ne peut donc servir à classer les pays. Si l’assurance maladie est mutualisée et couverte par des cotisations, celles-ci entreront dans les prélèvements obligatoires. Si elle est privée, les primes d’assurance, même si elles sont plus élevées, n’y entreront pas, biaisant les comparaisons (idée fausse n° 3), ce qui justifie pour les libéraux de fragiliser le système de santé (idée fausse n° 4).

Tout le monde connaît maintenant la théorie du ruissellement chère au président Macron. Comme « les riches sont écrasés d’impôt » (c’est l’idée fausse n° 5), il faut les alléger, et les riches pourront ainsi investir, créer des emplois et cela rejaillira sur tous. Or, le système fiscal français est trop peu progressif, à cause de la place de la TVA (payée indistinctement par les pauvres et les riches, mais proportionnellement davantage par les premiers), de l’impôt « flat tax » sur les revenus du capital, de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et des énormes fraude fiscale et évasion fiscale (entre 80 et 100 milliards d’euros par an).

Et que dire des minima sociaux qui « favoriseraient le chômage et l’assistanat » (idée fausse n° 10) ? C’est le refrain de tous les néolibéraux et des conservateurs fustigeant les « paresseux », auxquels le président Macron avait donné raison en déclarant de façon ahurissante qu’il suffisait de traverser la rue pour trouver un emploi. C’est l’occasion de faire le point des principales prestations sociales en France :

  • retraite : 325 milliards ;
  • assurance maladie : 200 milliards ;
  • allocations chômage : 42 milliards ;
  • prestations familiales : 31 milliards ;
  • minimas sociaux : 27 milliards.
    Les auteurs terminent ce chapitre en faisant des propositions pour revaloriser les minima sociaux, réduire les écarts de revenus, instaurer une sécurité sociale professionnelle et aller vers un remboursement total des soins de santé.

Les idées fausses n° 12 et 13 ouvrent le chapitre sur la fiscalité pesant sur les entreprises : l’optimisation fiscale et les paradis fiscaux ne seraient pas graves, et même ces derniers auraient disparu. Comment ne pas donner la parole au dessinateur Fred Sochard qui illustre ce chapitre par le dialogue suivant ?

  • « Il n’y a plus rien sur la liste noire des paradis fiscaux !?! »
  • « Parce que les paradis fiscaux n’existent plus… »
  • « Quoi ? Mais d’où sortez-vous ça ? »
  • « Euh… Ce sont eux qui me l’ont dit ! »
    Pour faire pièce à cette propagande mensongère, les propositions ne manquent pas, notamment : ne plus baisser le taux d’imposition sur les sociétés, instaurer une taxe unitaire internationale sur le lieu où les richesses sont créées, taxer les transactions financières. On verra si la proposition de Joe Biden d’imposer les multinationales au taux minimal de 21 %, qui n’était pas encore connue lorsque ce livre a été écrit, recevra l’assentiment de la France et de l’Union européenne.

Au moment où la transition écologique devient une urgence, le dernier chapitre sur la fiscalité écologique arrive à point nommé. Éjectons d’abord deux idées fausses (n° 15 et 16) : la fiscalité écologique existerait déjà et les niches fiscales en feraient partie. Quand on sait que ces niches bénéficient aux classes riches ou aisées, on voit combien l’urgence écologique rejoint l’urgence sociale. Et ne boudons pas le plaisir de voir qu’un rapport gouvernemental donne raison aux auteurs : « Le crédit d’impôt pour la transition énergétique CITE a en effet principalement bénéficié aux ménages les plus aisés en 2018, comme les années précédentes. Les deux tiers des dépenses en travaux énergétiques déclarées par les foyers au titre du CITE l’ont été par les deux derniers quintiles de revenu fiscal de référence […], soit 40 % des foyers les plus aisés ».

Les citoyens ont avec ce livre la possibilité de s’armer contre la propagande des patronats qui renâclent à payer l’impôt, mais qui sont bien contents de bénéficier des services publics et même de la prise en charge de la majorité des salaires lorsqu’une crise sanitaire survient à l’improviste. Un livre bien écrit et surtout clairement pour jouer son rôle pédagogique. Un livre incisif contre la propagande ressassée inlassablement, mais toujours au plus près des affirmations péremptoires qui polluent le débat démocratique. Rien d’exagéré, tout est mesuré.

Parce qu’une recension d’un livre sert à engager la discussion pour aller toujours plus loin, je ferai une remarque et une suggestion.

Parmi les propositions concernant la fiscalité écologique, il y a celle d’abandonner le marché des quotas d’émissions de carbone et de créer une carte carbone individuelle fixant une limite d’émission par personne. Aussi bien que le marché des quotas existant en Europe depuis 2005 n’a absolument pas permis de commencer à résoudre le problème du trop plein d’émissions, il n’est pas sûr que la carte carbone individuelle puisse jouer le rôle attendu par les auteurs. De toute façon, cette proposition est très discutée. Les auteurs prennent la précaution de préciser que les cartes carbones ne doivent pas être négociables. Mais qu’en serait-il si un marché noir de ces cartes s’instaurait ? Il est à craindre qu’en vendant leur carte, les pauvres aliéneraient leur capacité à accéder à l’énergie. Cela signifie qu’un mécanisme de marché, qu’il soit à l’échelle des entreprises concernées par le protocole de Kyoto dans le cadre du marché européen, ou à l’échelle des individus, n’est pas en mesure de remplacer un cadre réglementaire de régulation, voire d’interdiction, des activités nocives qu’il faut réduire.

Ce livre met tellement en appétit, à la fois sur le fond et par sa forme, que je suggérerais deux ou trois idées fausses supplémentaires à décortiquer. Il court dans le discours économique dominant, dans la parole patronale et gouvernementale et dans les médias l’idée selon laquelle ce sont les acteurs de l’économie marchande qui financent seuls les activités monétaires non marchandes (l’école publique, la santé publique…). C’est faux, les impôts et cotisations sociales sont prélevés (les fameux prélèvements obligatoires) sur la totalité des acteurs économiques, ou si l’on préfère sur le produit intérieur brut en totalité qui comprend le produit marchand et le produit non marchand. Et il est vrai que les fonctionnaires paient des impôts et cotisations comme tous les autres travailleurs. Remettre ainsi les choses à l’endroit permettrait aussi de combattre une autre idée fausse régulièrement entretenue selon laquelle les travailleurs de la sphère non marchande sont improductifs. Allez donc dire cela après une année de Covid-19 où l’on a vu éclore une discussion inédite sur les travaux essentiels souvent exercés par les travailleurs du secteur non marchand. Enfin, le livre indique à plusieurs reprises le rôle que jouent les impôts pour « financer » les services publics. En réalité, les impôts paient collectivement ces services publics après qu’ils sont produits. Qu’est-ce alors que le financement  ? Il intervient avant, au moment du lancement du cycle productif public, et c’est pour cette raison que l’État doit retrouver la capacité de bénéficier d’une avance monétaire par sa banque centrale qui anticipe la richesse nouvelle qui sera créée, au lieu d’être obligé d’emprunter sur les marchés financiers. Ainsi, la politique fiscale et la politique budgétaire de dépenses publiques ne peuvent être séparées de la politique monétaire dont les peuples ont été dessaisis par le néolibéralisme.

Terminons en redonnant la parole aux auteurs qui écrivent dans leur conclusion que l’impôt est un lien fondamental de la citoyenneté : « Trop souvent présentée comme une charge à réduire et un prélèvement sur nos revenus dans les médias dominants, la fiscalité revêt une dimension sociale et solidaire. […] Afin de se réapproprier collectivement l’impôt et son consentement, nous appelons à la mise en place d’une convention citoyenne sur ces questions, avec un réel engagement de la part des responsables politiques de suivre et de mettre en œuvre les préconisations issues de ce débat citoyen. »

Notes

[1Les auteurs sont : Thomas Desdouits, Vincent Drezet, Pierre Grimaud, Franck Mithieux, Dominique Plihon, Raphaël Pradeau, Ophélie Vildey et Jacques Woda. Avec les illustrations de Fred Sochard.

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