Le télétravail avant, pendant et après la pandémie de Covid-19

vendredi 12 mars 2021, par Laurence Pelta *

Nous expérimentons depuis un an une révolution inattendue de nos modes de travail jamais vécue à ce jour. La pandémie a imposé aux gouvernements des choix cornéliens : comment sauver des vies en confinant la population sans causer une détérioration irrémédiable sur le plan économique ? La pandémie marque un tournant dans l’accélération de la transformation numérique et des nouvelles technologies en précipitant les travailleurs, lorsque leur poste le permet, à télé-travailler.

Les textes sur le télétravail en France

Issu d’un accord-cadre européen du 16 juillet 2002, l’Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 prévoit les modalités de recours au télétravail. La loi Travail de 2016, les ordonnances de 2017 et enfin le nouvel ANI du 26 novembre 2020 complètent l’arsenal juridique.

Les grands principes :

  • Double volontariat du salarié et de l’employeur.
  • Égalité de traitement de tous les salariés.
  • Contractualisation par avenant au contrat de travail ou accord d’entreprise.
  • Prise en charge des frais, sujet d’un dialogue social dans l’entreprise.
  • Réversibilité.
  • Equilibre entre télétravail et travail sur site.
  • Droit à la déconnexion.

La pratique du télétravail avant la pandémie

Jusqu’en 2017, dans le code du travail français, pour être juridiquement encadré, le télétravail devait être volontaire et mis en place dans le cadre du contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci. L’ordonnance du 22 septembre 2017 étend le champ du télétravail à une pratique occasionnelle, et, en l’absence d’accord collectif ou de charte d’entreprise, assouplit la formalisation nécessaire à sa mise en œuvre.

Avant la pandémie, en France, 15,7 % des travailleurs travaillaient occasionnellement depuis leur domicile et 7% de manière habituelle. Les télétravailleurs étaient majoritairement des cadres (61%) et plus nombreux dans les métiers de l’informatique et de la télécommunication.

Dans les établissements de plus de 10 salariés du secteur privé, un quart des télétravailleurs sont couverts par un accord collectif (accord d’entreprise ou de branche), plus d’un cinquième par un accord individuel, alors que la moitié pratiquent le télétravail en dehors de toute formalisation contractuelle. Avant la pandémie, le télétravail régulier est une pratique encore minoritaire même chez les cadres (3%). Mais plus la part des cadres est importante dans l’entreprise, plus la pratique du télétravail se développe. A l’inverse, dans les établissements dans lesquels les ouvriers et les employés sont majoritaires, la part de salariés en télétravail est plus faible, y compris parmi les cadres. La pratique occasionnelle du télétravail correspondait, avant les ordonnances de 2017, à du télétravail « gris », informel, c’est-à-dire non rémunéré. Le télétravail est plus fréquent dans les grands établissements et dans la fonction publique d’État. Les salariés en télétravail régulier sont relativement plus stables et insérés dans l’emploi.

La situation familiale joue sur le recours au télétravail. Les salariés en couple avec de jeunes enfants sont plus concernés par le télétravail intensif. Les femmes télé-travaillent presque autant que les hommes.

Le télétravail est un moyen de limiter les longs déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Il est plus fréquent en Île-de-France ou dans les zones urbaines denses.

Le télétravail pendant la pandémie

Pendant la pandémie, l’accélération du processus de numérisation a été massive et radicale. Le télétravail a permis d’assurer la continuité du travail tout en protégeant les travailleurs contre l’épidémie. Néanmoins, ce nouveau mode d’organisation du travail a été imposé alors qu’aucune disposition n’avait été prise au préalable concernant l’équipement de télétravail, les conditions et les heures de travail, la protection des données, la protection sociale ou la formation. Une enquête a été menée par le syndicat CGT-UFICT chez EDF lors du premier confinement sur l’expérience du télétravail.

  • Une participation identique quel que soit le collège : 50,4 % en maîtrise, 49,7 % chez les cadres ;
  • 17,5 % sont des encadrants ;
  • 36 % ont effectué des tâches supplémentaires ;
  • 47% ont été obligés de partager l’espace de travail avec leur famille ;
  • pour 47 % des managers, le télétravail généralisé de leur équipe génère un surcroît d’activité ;
  • pour 43 %, il y a eu dépassement des horaires de référence ;
  • pour 22 %, ils n’ont pas d’espace de travail dédié ou adapté ;
  • pour 57 %, des encadrants le manque de proximité avec leur équipe les perturbe.
    Le télétravail nécessite une relation de travail basée sur la confiance et une plus grande autonomie dans l’organisation de son travail. Afin d’atteindre ces objectifs, il est important de former le management de proximité à cette nouvelle organisation afin de préserver le collectif de travail et les interactions entre les différents acteurs. Il est nécessaire de limiter le nombre de jours de télétravail à un mi-temps hebdomadaire, sauf situation exceptionnelle ou publics particuliers (handicap, femmes enceintes…). Le niveau de compétences élevé des télétravailleurs ne semble pas avoir de prise sur l’organisation du travail. Selon la CGT, il est primordial de revaloriser le rôle de l’encadrant, de son autonomie et les moyens des ressources humaines de proximité en soulageant les managers des tâches administratives par la création de postes d’assistantes ou d’appuis.

Le télétravail est souvent présenté comme un facteur de réduction des expositions aux risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail. Il favoriserait l’articulation des temps professionnels et personnels. Il constituerait un gage de confiance envers le salarié puisqu’il suppose un moindre contrôle direct de la hiérarchie. Il serait utilisé pour prévenir des situations psychosociales délétères en éloignant les salariés qui vivent des situations de tensions. Mais cette image idyllique a un revers un peu plus sombre et les risques inhérents à cette pratique sont multiples et de plusieurs ordres.

La suite de notre enquête sur les conditions de travail met en lumière les points suivants :

  • 58 % des cadres déclarent bénéficier d’une pièce réservée au télétravail ;
  • 14 % affirment que le débit internet à leur domicile n’est pas suffisant pour effectuer les tâches correctement ;
  • Le matériel informatique fourni par l’entreprise n’est pas adapté pour 15% des répondants ;
  • 25 % des répondants déclarent ne pas pouvoir utiliser les outils informatiques dans de bonnes conditions.
    Le télétravail peut favoriser l’émergence de situations à risques, parmi lesquelles on peut citer à des degrés divers, la perte de sens du travail et de la collégialité, la relégation de l’encadrant de proximité à un rôle d’assistant, une charge de travail excessive, le brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, la désynchronisation des horaires de travail. L’éloignement physique peut nuire au travail collectif et à l’innovation et conduire à l’isolement du salarié et à l’épuisement professionnel.

Le télétravail a accentué la division genrée du travail. La charge mentale et domestique pèse toujours plus sur les femmes et le télétravail est plus difficile à vivre pour elles : augmentation du travail à fournir, entre les repas à préparer, l’école à la maison, l’entretien de la maison… La journée de travail s’étale jusqu’à tard dans la soirée ou le début de nuit. La mise en danger des femmes en cas de conjoints violents est avérée. De nombreux rapports montrent l’augmentation des violences durant la période de confinement.

Le fait de travailler sur son lieu de vie conduit à une absence de déconnexion entre vie privée et vie professionnelle. À moyen terme, le fait de ne pas pouvoir déconnecter de son travail est dangereux pour la santé. Des études ont montré une corrélation entre certaines pathologies cardio-vasculaires et l’augmentation du temps de travail. L’employeur est responsable du respect du temps de travail et du temps de repos, de la santé et de la sécurité des salariés en amont de toute mesure.

Des propositions contre les risques du télétravail

Le droit à la déconnexion introduit dans le Code du travail doit s’appliquer au télétravail à travers des mesures concrètes :

- Mettre en place des périodes de trêve des messageries professionnelles en dehors des horaires d’ouverture de l’établissement et au moins équivalentes au temps de repos.

- Encadrer les conditions d’utilisation des outils de communication mis à disposition par l’employeur afin d’éviter les sollicitations professionnelles en dehors des heures de travail.

- Les périodes où le/la télétravailleur·e.s doit être joignable doivent être précisées clairement et ne doivent pas dépasser le temps de travail des salarié·es concerné·es.

- Afin de garantir le respect du temps de repos, décompter le temps de travail et évaluer régulièrement la charge du travail. Les CSSCT doivent être informés et consultés sur les mesures prises par l’employeur dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux pour les télétravailleur·es.

- Mettre en place une commission de suivi de l’accord.

La CGT n’a pas signé l’ANI 2020 au motif que notre organisation syndicale y voit des reculs sans précédent par rapport à celui de 2005. La position patronale s’est arcboutée sur la volonté d’écrire un dispositif très peu contraignant ni normatif pour les entreprises. Les bénéfices que le patronat peut tirer du télétravail sont les suivants : un gain de productivité d’environ 20 %, une augmentation de la charge de travail puisque la production est plus forte, une augmentation du temps de travail pour absorber la charge, des économies sur les charges d’exploitation (foncier) et un gain sur l’absentéisme (à relativiser, pas assez de recul sur télétravail intensif). Le MEDEF laisse la part belle au dialogue social interne dans lequel le principe de faveur n’est plus à l’ordre du jour selon le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes. Les accords d’entreprise priment sur la loi.

En conclusion

Si le télétravail doit devenir la norme dans les années à venir, les conditions indispensables à mettre en œuvre sont les suivantes :
- Prise en charge des dépenses réelles.
- Respect des heures de travail et de repos.
- Maintien des collectifs de travail.
- Autonomie ne doit pas générer de l’isolement.
- Droit à la déconnexion et équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
- Égalité de droits entre les hommes et les femmes.
- Prise en compte des spécificités du management.
- Espaces et mobiliers adaptés.
- Droits spécifiques sur la santé.
- Protection des salariés quel que soit le statut.

Et les points de vigilance :
- Épuisement professionnel.
- Isolement social.
- Manque d’émulation.
- Virtualité, perte de sens.
- Risque pour l’innovation.
- Désynchronisation des temps de travail et de repos.
- Coupure avec la société en cas de télétravail intensif (+ 2 jours/semaine).
- Protection des télétravailleurs par une convention signée.
- Principe du double volontariat.
- Symbolisation psychique des espaces à domicile.
- Étanchéité de la frontière « temps » avec l’empilement des différents temps de la journée.

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