Une illustration du « perspectivisme » amérindien avec Ailton Krenak

mardi 15 décembre 2020, par Geneviève Azam *

Ailton Kenak est une figure du mouvement des peuples autochtones au Brésil. Il vit dans l’État du Minas Gerais, dans un village au bord du fleuve Watu, contaminé par les pollutions toxiques venues de la rupture, en 2015, d’un barrage minier exploité par la célèbre multinationale brésilienne Vale et un consortium anglo-australien. Ce crime fut, écrit-il, dans Idées pour retarder la fin du monde, (Éditions Dehors, 2020) l’expérience d’un monde qui a pris fin. Et pour tous les peuples qui « ont reçu la visite » des Européens et qui sont morts, le monde a pris fin au XVIe siècle.

Contacté pour une invitation à une conférence sur le développement durable à l’Université de Brasilia, alors qu’il cultivait son jardin, il propose le titre : « Idées pour retarder la fin du monde ». Son livre en est la transcription. Avec les étudiants, il revient sur « la fable » qui voudrait que nous soyons l’humanité, une humanité coupée de la Terre, et qui s’avère un immense « broyeur » pour tous ceux qui, en voulant la rejoindre, ont été arrachés à leurs collectifs, sans repères. Une humanité qui ne reconnaît pas que le fleuve Watu est le grand père du peuple krenak est « dans le coma ». Les seuls qui semblent encore avoir un contact avec la Terre, dit-il, sont les oubliés qui vivent près des fleuves, dans les forêts, au bord des océans. Une « sous-humanité » de peuples qui ont refusé la séparation entre les humains (l’Humanité) et les autres existants terrestres. Ils ne réservent pas la maxime kantienne sur les moyens et les fins aux seuls « humains que nous pensons être », ravalant le reste à l’état de ressources. Ailton Krenak prend en compte ainsi le point de vue de la montagne Takukrak, près de chez lui, dont le « visage » et l’expression donnent les alertes. Pourquoi ces récits et bien d’autres ne nous enthousiasment-ils pas, se demande-t-il ?

La pensée qui s’exprime à partir de multiples détours est la suivante : « Comment les peuples autochtones du Brésil ont-ils fait pour résister à la colonisation qui voulait mettre fin à leur monde » ? Comment ont-ils traversé ce cauchemar de plusieurs siècles ? En faisant appel aux cosmogonies de ces peuples, il raconte comment, dans le monde amazonien, les humains ne sont pas des êtres d’exception, comment l’humain n’est pas l’Homme, comme figure transcendante s’opposant à la nature. Citant Eduardo Viveiros de Castro qui a rédigé une postface au livre, Ailton Krenak ajoute que les humains tels que nous les pensons ne sont pas les seuls à avoir une « perspective » sur l’existence, une subjectivité. Peuvent naître alors des formes singulières de résistance et de protection face à l’agro-industrie et l’extractivisme, telle la florestania, la citoyenneté de la forêt, tissée d’alliances entre de multiples espèces et cultures.

Viveiros de Castro, dans une belle postface, cite Ailton Krenak déclarant chercher à écrire « l’histoire de la découverte du Brésil par les Indiens ». Un chemin pour la décolonisation de la pensée.

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