Que faut-il attendre de la Convention citoyenne pour le climat ?

mardi 29 septembre 2020, par Gilles Rotillon *

La France a voté « vert » aux municipales, et ça tombe bien parce que la Convention citoyenne venait de remettre ses 149 propositions pour la transition écologique à Emmanuel Macron qui nous a assuré qu’il avait compris le message. Deux questions viennent immédiatement à l’esprit dans ce nouveau contexte : sommes-nous vraiment sur un changement de trajectoire et quel crédit accorder à l’engagement présidentiel ?

La stratégie des mille petits gestes

La première question est celle de la stratégie proposée, que j’avais qualifiée de « stratégie des mille petits gestes » dans Faut-il croire au développement durable ? un livre que j’ai publié en 2008 et qui émettait justement des réserves sur cette politique « à la Prévert », consistant à accumuler des propositions les unes derrière les autres, en espérant que leurs effets cumulés permettront de résoudre le problème climatique sur le modèle des petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Appliquée au niveau individuel, elle se traduit souvent par des injonctions morales du type « fermer le robinet quand on se lave les dents », (recommandation nécessaire mais hélas pas suffisante). Au niveau de l’État, on l’a déjà expérimentée sans grand succès avec le Grenelle de l’environnement. Que, malgré toutes les mesures prises à cette occasion, le niveau des émissions ait continué à monter, indique la nature insuffisante de ce type de politique de « petits pas ».

Elle fait cependant les délices des médias télévisés, des publications pédagogiques ou est au cœur des programmes de notre école primaire sur le développement durable. On la trouve par exemple dans l’Atlas environnement [1], où, après l’habituel constat des dérèglements de toute nature, on trouve au chapitre « solutions » une succession de dossiers sur des expériences pilotes ou des projets novateurs (les déchets à Saint Philbert, l’eau à New York, les écovilles en Chine...) dont rien ne dit qu’elles peuvent être généralisées, ni comment elles pourraient l’être. Sur le Net on ne compte plus les sites listant les gestes écolos (www.petitbag.com, www.wwf.fr/agir-au-quotidien/modifier-comportements, e-rse.net pour n’en citer que trois, le dernier vous proposant les cinq gestes qui auront le plus d’impact sur l’environnement [2]). Cette solution est aussi souvent évoquée en rapport avec la responsabilité individuelle de chacun. Sa mise en place repose en général sur l’information et la sensibilisation du public sur les conséquences de ses gestes et sur ceux qu’il devrait faire pour améliorer l’état de l’environnement.

Une étude récente [3] a évalué la relation entre les attitudes des Français face aux questions environnementales et leurs pratiques effectives. Les auteurs cherchent à savoir « dans quelle mesure la sensibilité écologique des individus se traduit par des actes et pourrait ainsi servir de levier pour diminuer l’empreinte écologique des ménages ? » Les résultats obtenus peuvent être généralisés au-delà du cas de la France, la sensibilité écologique des Français étant comparable à celles des autres Européens (en fait elle est légèrement supérieure à la moyenne européenne). 81 % font un lien entre l’activité humaine et les dégradations environnementales et déclarent une forte intention d’agir. Concernant leurs pratiques, ils trient fréquemment de nombreux types de déchets et une grande majorité a des gestes d’économie d’énergie. Toutefois, ces pratiques sont de peu d’effets sur l’empreinte écologique des ménages et, pour ce qui est des pratiques les plus impactantes, les transports, la consommation de viande et l’énergie pour se chauffer, leur engagement est minoritaire. L’étude vérifie si la corrélation entre attitudes et pratiques est positive et elle observe son intensité. Cette dernière étant une mesure indirecte du levier que des attitudes favorables à l’environnement auraient sur l’adoption de bonnes pratiques environnementales. Mais « pour que l’impact environnemental des actions individuelles atteigne son potentiel maximal et génère une baisse significative au niveau national de l’empreinte écologique, il est nécessaire que l’adoption de pratiques environnementales concerne à la fois un grand nombre d’individus et un grand nombre de pratiques. Une corrélation entre attitudes et pratiques positive et forte serait donc profitable pour l’environnement ».

Malheureusement, « l’effet des attitudes sur l’empreinte écologique des individus et des ménages est limité. Dans les domaines cruciaux que sont le transport et l’équipement, la corrélation est faible, souvent inexistante et parfois négative, alors qu’il existe une corrélation positive mais modeste entre les différents types d’attitude et les gestes d’économie d’énergie, la fréquence des pratiques de tri et la fréquence de la consommation de produits issus de l’agriculture biologique, trois domaines à l’impact écologique limité. »

Une autre enquête récente [4] cherche justement à évaluer l’impact que l’on peut espérer des petits gestes du quotidien. Partant de la liste des douze « petits gestes » faits quotidiennement tout au long de l’année, présentés dans le tableau ci-dessous, elle estime la réduction de l’empreinte carbone correspondante à 25 % par rapport à l’empreinte actuelle qui est de 10,8 tonnes de CO2 par personne et par an.

Action Hypothèse
Régime végétarien Supprimer la viande et le poisson du régime alimentaire
Vélo pour trajets courts Remplacer les trajets voiture courte distance en milieu urbain par du vélo
Covoiturage sur tous trajets Fixer le taux d’occupation de tous les trajets en voiture, courts et longs, à 2,2 personnes/voiture
Ne plus prendre l’avion Supprimer 100 % des vols domestiques et internationaux
Moins de vêtements neufs Acheter trois fois moins de vêtements neufs
Manger local Consommer l’ensemble de son alimentation en circuit court
Thermostat Baisser la température de consigne de son logement
Électroménager et hi-tech d’occasion Tout acheter d’occasion
Zéro déchet et gourde Supprimer les émissions liées aux emballages
LEDs dans logement Équiper son logement d’un éclairage LED

Ce n’est pas négligeable, mais loin de ce qu’il faudrait atteindre pour simplement respecter les engagements pris à la COP 21, qui sont estimés à 80 % de baisse des émissions carbone des villes d’ici 2050. D’autant plus que l’hypothèse que chacun pratique tous ces petits gestes quotidiennement et toute l’année est très optimiste. De nombreuses contraintes, financières, institutionnelles, technologiques, sociologiques, psychologiques existent et font qu’on ne peut croire que la réduction estimée par Carbone 4 à 25 % de l’empreinte actuelle sera atteinte. L’étude considère qu’en réalité, on peut tabler au maximum sur une réduction comprise en 5 et 10 % pour ce qui concerne les gestes individuels. Si l’on veut aller plus loin, par exemple en incitant les ménages à investir dans des équipements plus « verts » (chauffage, voiture), il y faut des incitations qui sont de la responsabilité de l’État, qui doit en plus donner l’exemple avec ses propres investissements (rénovation des bâtiments publics, décarbonation de ses services) et aussi des changements dans la gestion des entreprises qui doivent décarboner leurs process industriels (transport du fret et des collaborateurs, stratégie d’approvisionnement énergétique, politique d’achats de biens matériels et immatériels, usage de leurs produits et services par leurs clients, intensité carbone de leurs investissements).

Finalement, l’étude conclut que « la responsabilité qui incombe aux pouvoirs publics et aux entreprises pour réduire l’empreinte carbone personnelle des Français est majeure. Pour gagner la bataille, il faut transcender le seul maillon individuel pour accéder à un niveau collectif d’action ».

Une façon diplomatique de dire que si les petits gestes, si appréciés des médias, sont nécessaires, ils ne sont absolument pas suffisants et ne peuvent même pas être le socle principal sur lequel on pourrait mener une lutte victorieuse contre le réchauffement climatique.

Les propositions faites par la Convention citoyenne sont du même ordre et ne s’appuient pas sur un diagnostic des causes du changement climatique, mais se contentent de lister un certain nombre de mesures sectorielles en faisant le pari que leur addition permettra de diminuer sensiblement nos émissions de 40 % en 2030, puisque telle était la feuille de route de cette Convention. Un des signes les plus évidents de cette absence de diagnostic nous a été donné par la décision de la Convention elle-même dans sa dernière séance de ne faire que 149 propositions, en supprimant celle d’une réduction du temps de travail, qui était l’une des rares à mettre l’accent, ne fût-ce que de manière indirecte, sur le mode de production.

Quel crédit doit-on accorder à l’engagement présidentiel ?

D’une certaine manière, la réponse à la première question sur l’efficacité de la stratégie des mille petits gestes donne déjà une réponse. Quelle que soit la confiance qu’on accorde à l’engagement écologique du gouvernement, la nature insuffisante de cette stratégie ne nous permet aucun espoir de changer réellement de trajectoire. Même en admettant que toutes les propositions de la Convention soient retenues et mises en œuvre, elles ne suffiront pas à réduire significativement nos émissions. Mais on peut proposer une autre lecture de la mise en place de cette Convention citoyenne et de ses résultats.

En fait, elle a d’abord été voulue par Emmanuel Macron après le mouvement des Gilets jaunes, pour désamorcer la contestation sociale. Il le dit dès son discours du 29 juin 2020 quand il a reçu à l’Élysée les membres de la Convention : C’est « en avril 2019, à la fin du Grand Débat national qui succédait au mouvement des Gilets jaunes, qu’en effet la décision de créer cette Convention citoyenne a été prise ». Il ne faisait en cela que suivre le célèbre conseil de Clémenceau de juin 2014 : « Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission ». La révolte des Gilets jaunes avait été suffisamment puissante pour que la « commission » devienne une Convention étendue à 150 membres.

On peut évidemment s’interroger sur la démarche. En quoi des citoyens, a priori mal informés, puisqu’il a fallu que des « experts » viennent leur expliquer les enjeux et les pistes à suivre, seraient-ils mieux en mesure d’éclairer le gouvernement sur les mesures à prendre, quand celui-ci peut dialoguer directement avec ces mêmes experts (et bien d’autres). D’autant qu’aucun diagnostic n’a été fait sur les causes qui font que le réchauffement climatique se produit. Loin de mettre en cause un mode de production capitaliste, pour lequel la rentabilité est l’alpha et l’oméga des décisions, et qui fait que tant que l’émission d’une tonne de CO2, l’extraction d’un baril de pétrole ou le licenciement d’un travailleur seront rentables, cette émission, cette extraction et ce licenciement se feront, par-delà tous les discours enflammés sur la préservation de notre planète.

Les 149 propositions qui ont été faites, étaient d’ailleurs pour la plupart sur la table depuis longtemps et on ne voit pas très bien ce qui empêchait le gouvernement de les mettre en œuvre. Et je ne crois pas prendre beaucoup de risques en affirmant que les valeureux citoyens tirés au sort seront bien déçus du résultat de leur travail. Ils doivent d’ailleurs l’être avant même d’attendre 2030, si on en juge par leur réception par Emmanuel Macron, à l’occasion de laquelle il a « utilisé son joker » pour refuser trois propositions, dont la plus audacieuse était la taxation des entreprises distribuant des dividendes. Sans remettre en cause le capitalisme, elle posait de fait la question d’une répartition socialement plus équitable des efforts à faire dans le financement d’une politique climatique. Le motif avancé pour la refuser c’est la crainte de ne plus attirer les investisseurs. Ce qui montre que le président espère que l’épargne ainsi créée par la distribution de dividendes financera les entreprises qui pourront alors créer des emplois en innovant. Il l’a d’ailleurs justifié dans son discours du 29 juin : « Je ne dis pas qu’il ne faut pas réorienter une partie des investissements vers des investissements plus verts, mais mettre sur tous les investissements une taxe, c’est réduire notre chance d’attirer des investissements supplémentaires. Je crois à la croissance de notre économie, je crois à un modèle qui innove. Nos entreprises ont besoin d’innover. Elles ont donc besoin d’attirer des capitaux, français et étrangers, sur notre sol pour innover et changer le modèle ».

C’est croire à la théorie du ruissellement qui suppose que les pauvres ont tout à gagner d’une augmentation de la richesse des riches, en bénéficiant de l’augmentation de leurs dépenses. Ce qui faisait souhaiter à Emmanuel Macron que plus de jeunes aient envie de devenir milliardaires. Malheureusement, cette théorie a le grand inconvénient de n’être qu’une fable [5] qui n’a jamais reçu la moindre confirmation.

Mais ce n’est pas tout, car en plus de ces jokers utilisés pour refuser trois propositions, il en a aussi repoussé à plus tard une autre, concernant la non-ratification du CETA, cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. La raison invoquée est la nécessité d’en évaluer l’impact sur la promesse de ne pas le ratifier s’il s’avère qu’il n’est pas conforme à l’accord de Paris. Or, non seulement le CETA est appliqué « provisoirement » depuis le 11 septembre 2017, au mépris d’un débat démocratique, alors qu’il n’a pas été ratifié, mais il a déjà été évalué par une commission présidée par Katheline Schubert, professeur à l’Université Paris 1 et spécialiste d’économie de l’environnement, dont la conclusion du rapport réalisé sur le sujet est que « le grand absent de l’accord est le climat ».

Mais, d’une manière générale, même si la démarche de cette Convention citoyenne, en s’apparentant à la stratégie des mille petits gestes, (ici réduits à 146 avec les jokers présidentiels et l’abandon de la proposition de la réduction du temps de travail par la Convention elle-même et de fait à 145 avec le recul sur le CETA), obère fortement ses chances de succès, il n’en reste pas moins symbolique qu’une de ses propositions les plus « audacieuses » soit justement celle qui soit refusée immédiatement. On ne pouvait guère donner de signal plus clair que la lutte contre le réchauffement climatique n’est pas une lutte pour la sortie du capitalisme. Ce qui est encore plus confirmé avec la poursuite de l’application du CETA. Non seulement on ne touche pas aux dividendes, mais on continue à dégrader le climat en refusant de renégocier le CETA, (et cela au lendemain d’un vote aux municipales où les préoccupations environnementales ont été un des enseignements majeurs de ce scrutin). Emmanuel Macron pouvait difficilement faire mieux pour montrer aux Français la sincérité de son engagement écologique et le grand cas qu’il fait de leurs avis, qu’ils soient ceux d’une Convention qu’il avait lui-même initiée et à laquelle il avait promis de retenir « sans filtre » ses propositions, ou ceux du peuple s’exprimant dans les urnes.

Et ce ne sont pas les premières réunions de travail qui ont eu lieu au ministère de la transition écologique pour que les propositions deviennent des actes qui permettent d’y croire davantage. Ce que Le Monde appelle pudiquement une prise de conscience de « la complexité du travail qui reste à faire » est surtout une mise en évidence des résistances et des intérêts divergents qui les expliquent. C’est ainsi que le patronat, comme l’explique un des conventionnels a « besoin de tout repasser à (son) tamis », qui risque fort d’être à mailles serrées, au nom de la liberté de choix des citoyens ou de l’importance de la publicité pour la presse, comme l’a dit un représentant du Medef. Ou que la défense de la publicité pour les SUV par Bruno Lemaire se fait sur la seule mesure des émissions par kilomètre sans tenir compte de toute la chaîne de production et de l’ensemble de ses impacts environnementaux, (notamment ceux liés aux matériaux nécessaires à toute l’électronique embarquée sur ce type de véhicules). Ce que le ministre défend, au détriment d’une réflexion de long terme sur l’avenir de l’automobile et plus largement des formes de la mobilité de demain, c’est le maintien à court terme de la production de la Peugeot 3008 hybride à Sochaux.

Mais il n’est pas besoin d’attendre les textes qui sortiront de ces séances de travail pour comprendre d’ores et déjà qu’il n’y a que peu de choses à attendre de cette Convention pour lutter contre le réchauffement climatique. L’absence de filtre promise par Emmanuel Macron s’est déjà révélée une promesse non tenue avec son refus de la taxation des dividendes, une des rares propositions qui dépassait le cadre des mesures catégorielles. D’autant que la pandémie et ses conséquences économiques, loin de questionner le gouvernement sur notre mode de production et de consommation, le pousse au contraire à chercher à reconstruire le monde d’avant le plus vite possible, construit sur une croissance dont le contenu importe peu tant qu’il parvient à « attirer les capitaux français et étrangers ». C’est-à-dire à mettre en avant la compétitivité au détriment de la coopération, engageant le monde dans une concurrence de tous contre tous au détriment de l’environnement et du développement humain. Penser qu’en faisant cela on va « changer de modèle » comme l’affirme Emmanuel Macron dans son discours du 29 juin, c’est d’une naïveté sans bornes ou d’une grande hypocrisie. Je pencherai pour la seconde hypothèse.

Notes

[1Hors-série, Le Monde diplomatique, 2007.

[2Changer un peu de modes de transport (et vivre en ville), bien choisir et entretenir son logement (voire le rénover), réduire (ou changer) sa consommation d
e viande (et de produits laitiers), partir en vacances et en week-end plus près de chez soi (et bien choisir ses loisirs), vivre en communauté, partager, échanger. Mis à part le dernier, ces conseils visent plutôt des cadres supérieurs ayant les moyens que des chômeurs et on voit mal les premiers vivre en communauté !

[3Maël Ginsburger, Ivaylo D. Petev, « Des attitudes aux pratiques environnementales : les fondements sociaux d’une association modeste »,, dans Commissariat Général au Développement Durable, Modes de vie et pratiques environnementales des français, 2018.

[4Carbone 4, « Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique », 2019.

[5Pour ceux qui en douteraient, je conseille de lire le petit livre d’Arnaud Parienty, Le mythe de la « théorie du ruissellement » (La Découverte, 2018) ou celui de John Quiggin, économiste réputé, professeur à l’université de Qeensland en Australie, Zombie economics (Princeton university press, 2012), chapitre 4.

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org