La Convention citoyenne pour le climat a rendu publiques 149 propositions adressées au gouvernement. Au-delà du devenir de ces propositions, il faut saluer la démonstration faite par les membres de cette Convention. Malgré le flou entretenu pendant toute la durée de la Convention par le gouvernement sur la façon de traiter ces propositions, et la volonté affichée par Emmanuel Macron de jouer le filtre en dernier ressort, les 150 citoyen·ne·s ont montré une capacité à faire de la politique au sens noble du terme, à partager des informations et des connaissances, à écouter et échanger des arguments contradictoires, à prendre le temps du débat et de la délibération. Autrement dit, malgré les limites imposées et la non-remise en cause des institutions de la Ve République, des non-spécialistes, des non-experts ont su s’approprier des enjeux complexes et définir des priorités politiques, économiques, environnementales et sociales. C’est peut-être d’abord cela qu’il faut retenir de cette Convention, cette capacité de tout un chacun de penser et d’agir, ce qui nécessite du temps, des moyens, et la non-confiscation du débat et de la délibération par la classe politique ou la haute administration. Le travail mené depuis de nombreuses années par les ONG écologistes et altermondialistes sur les enjeux climatiques a permis également aux membres de la CCC de développer des propositions étayées. Dans le camp d’en face, un tel travail ne passe pas, et le Medef a pu déclarer, aussitôt le rapport de la CCC sorti, qu’une partie des mesures proposées étaient irréalistes, et pouvaient « conduire à des destructions d’emplois et nuire à la compétitivité des entreprises » ; en conséquence, il fallait « viser l’efficacité avant la morale ».
Défi démocratique – la CCC étant censée pour E. Macron répondre au déficit démocratique pointé par les Gilets jaunes – autant que social et écologique, cette convention questionne la volonté du gouvernement de réaliser réellement les changements en matière d’objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Elle pose aussi question sur les procédés d’instrumentalisation des démarches citoyennes par nos dirigeants. Si, cet été, le gouvernement pouvait se prévaloir de la démarche qu’il avait initiée avec la CCC, déjà le vernis craque, et les membres de la CCC comptent poursuivre leur travail en toute indépendance. Le fait de se constituer en association et de contrôler ce que le gouvernement fera de leurs propositions est un signal de leur volonté de ne pas être instrumentalisés, ce qui sera d’autant plus facilité si des collaborations se créent avec les mouvements sociaux et les associations écologistes.
I. Des propositions qui tournent le dos au business as usual
Plusieurs points saillants sont à relever dans les propositions de la CCC et qui sont contradictoires avec la politique d’Emmanuel Macron. La reconnaissance du crime d’écocide, largement publicisée par le gouvernement, pourrait, par exemple, donner lieu à des définitions très variables. Si une telle reconnaissance était réellement intégrée dans le droit français, avec une définition suffisamment large pour concerner tous les grands projets inutiles et imposés, cela serait sans doute un outil supplémentaire pour mettre un frein à l’artificialisation des terres et à la destruction des écosystèmes, en visant les gros pollueurs ainsi que les multinationales de l’énergie et de l’agrobusiness.
De même, la lutte contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain est l’un des chapitres qui fait l’objet du plus grand nombre de propositions qui peuvent largement contribuer à transformer l’occupation humaine des sols vers une sobriété des usages, pour minimiser les incidences négatives sur l’environnement. Pour le moment, la politique du gouvernement ne semble pas vouloir arrêter les projets de construction de supermarchés ou de plates-formes Amazon. Or, aujourd’hui, dans une période où de nombreux paysans prennent leur retraite, le devenir des terres agricoles est crucial. Question essentielle de la réorganisation de nos sociétés, la préservation des terres et du vivant enjoint à repenser la ville à taille humaine, relocaliser les activités au cœur des villes et villages, et construire le tissu urbain en cohérence avec les écosystèmes plutôt qu’en les percevant comme un risque ou une opportunité économique. Il est urgent de décloisonner les objectifs environnementaux liés à l’aménagement du territoire et ceux, sociaux, liés au logement et à la mobilité, sous peine, dans le cas contraire, d’ouvrir un nouvel eldorado aux chantres de la densification croissanciste.
Le texte de la CCC porte un certain nombre de propositions relatives aux accords commerciaux. Si ces propositions ne règlent pas l’ensemble des problèmes soulevés par le libre-échange (qui vont au-delà du climat), et si certaines de ces propositions sont insatisfaisantes, la CCC prend le contre-pied de l’exécutif et de la majorité en demandant que la France ne ratifie pas le CETA et les autres accords en cours de négociation. Cependant, sans doute qu’il faudrait envisager en la matière des mesures plus contraignantes que la transparence et le contrôle démocratique de la politique commerciale de la France ou la réforme de quelques clauses internes aux accords de libre-échange.
En indiquant vouloir « continuer à évaluer le CETA » avant de prendre une décision sur la ratification ou non-ratification de l’accord (alors que la commission Schubert a rendu un rapport à ce sujet dès septembre 2017), et en noyant dans un flou rhétorique les autres propositions sur le libre-échange de la CCC, Emmanuel Macron, au mépris de sa propre parole, a délibérément évacué les trois paquets de propositions sur le libre-échange de la CCC. Ce qui en fait autant de « jokers » cachés ! Le CETA va continuer à s’appliquer alors que le processus de ratification n’est toujours pas achevé, prolongeant une situation totalement extravagante. Cependant, depuis lors, des avancées se sont fait jour sur un autre dossier touchant au libre-échange. En effet, après une longue campagne citoyenne et de critiques de nombreuses organisations, suite également à l’avis critique de la Commission d’évaluation de l’accord UE-Mercosur, le gouvernement français a opté pour une position de refus de cet accord. Cela reste à confirmer au niveau européen, lors du Conseil des ministres des affaires étrangères du 9 novembre prochain ; on verra alors quelle est la position de la France, notamment face à la position de l’Allemagne qui souhaite toujours adopter cet accord.
La CCC propose que « les entreprises qui distribuent plus de 10 millions € de dividendes annuels participent à l’effort de financement collectif de la transition écologique, à hauteur de 4 % du montant des dividendes distribués, chaque année ». Emmanuel Macron rejette d’emblée cette proposition, alors qu’elle permet d’associer justice fiscale et financement de la transformation écologique. Selon les propos présidentiels du 29 juin 2020, une taxe de 4 % sur les dividendes réduirait « notre chance d’attirer des investissements supplémentaires ». Or, aucune projection appuyée sur des données solides ne permet de dire qu’une telle taxe, dont les recettes devraient atteindre environ deux milliards d’euros par an selon l’estimation de l’Institut de l’économie pour le climat, dégraderait l’activité économique en France.
La CCC propose plusieurs pistes pour financer ses propositions, notamment des réformes de la fiscalité. Ces propositions vont à l’encontre de la politique fiscale menée depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui creuse les écarts entre niveaux de vie des plus riches et des plus pauvres. Plusieurs sont proches des propositions formulées par Attac. C’est le cas notamment :
- du renforcement de la taxation des transactions financières et de son extension à l’ensemble des transactions ;
- du renforcement de la progressivité de l’impôt sur le revenu par la création d’une nouvelle tranche supérieure (Attac propose de créer plusieurs nouvelles tranches) ;
- du rétablissement d’un impôt sur la fortune ;
- du rétablissement de la progressivité de l’impôt sur les revenus financiers en supprimant la flat tax ou prélèvement forfaitaire unique (PFU) ;
- de la remise en cause de niches fiscales inutiles (notamment le Crédit d’impôt recherche) ou anti-écologiques (notamment les subventions aux énergies fossiles).
En ce qui concerne la taxation des GAFA, s’il est louable de vouloir la renforcer, la mesure proposée ne nous semble pas adéquate. En effet, étant donné les limites de la ’taxe GAFA’ française, augmenter son taux de 3 à 4 % du chiffre d’affaires n’est pas suffisant. La taxation unitaire, défendue par de nombreuses associations et des économistes, serait une piste plus efficace pour mettre fin à l’évasion fiscale des multinationales.
La troisième loi de finance rectificative au budget 2020, qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale, aurait pu être l’occasion de voter ces mesures. En effet, de nombreux amendements allant dans le sens de ces propositions avaient été déposés par les groupes insoumis, communiste et socialiste. Tous ont été rejetés par la majorité LREM, après avis défavorable du gouvernement. Il s’agissait pourtant d’une bonne occasion de concilier la justice climatique et la justice fiscale.
Accompagnée d’un système de bonus-malus pour l’imiter l’usage des véhicules polluants, l’interdiction en 2025 des véhicules neufs très émetteurs de gaz à effet de serre a l’intérêt de rompre avec la liberté des entreprises de produire ce qu’elles veulent. Elle permet également de ramener dans le temps court la mesure gouvernementale consistant à faire de 2040 la date de fin de mise en circulation des véhicules thermiques. Or, en la matière, la montée en puissance des SUV est une preuve supplémentaire de l’absence de volonté de l’industrie automobile de s’adapter un tant soit peu aux nécessités des changements climatiques. Si une telle interdiction ne peut suffire à elle seule, elle porte l’ambition d’un contrôle public sur ce qui est produit, ce qui est une nécessité pour des politiques climatiques à la hauteur.
II. Du côté du gouvernement, l’imposture en marche
Profitant des institutions anti-démocratiques de la Ve République, Emmanuel Macron s’arroge le droit d’édicter les modalités d’arbitrage des propositions de la CCC. En dépit d’une demande explicite des 150 membres de la Convention de considérer leurs propositions comme un tout cohérent, Emmanuel Macron a choisi de les « éparpiller façon puzzle » : en refuser certaines, en transmettre un bout au gouvernement pour application rapide, un autre pour que l’Assemblée nationale se prononce via une loi, et, enfin, envisager un référendum. Il s’est aussi réfugié derrière des « jokers » qui sont en réalité des vétos sur des points essentiels et qui diminuent la portée des propositions. Au cours de l’été, l’autorisation des néonicotinoïdes a donné une bonne indication des arbitrages qu’envisage le gouvernement en matière écologique ; il suffit qu’un lobby patronal ou industriel – ici celui de la culture intensive de betteraves – fronce les sourcils pour que le gouvernement lui donne raison. Quant aux propos du président sur les Amish et la lampe à huile, ils ne font que révéler le vieux fond anti-démocratique et sourd aux alertes de ce gouvernement néolibéral. En effet, de telles déclarations qui tracent une ligne droite entre les Lumières et la 5G (« La France c’est le pays des Lumières, le pays de l’innovation. Beaucoup des défis que nous avons sur tous les secteurs se révéleront par l’innovation »), sont une réponse à une demande de moratoire sur le déploiement de la 5G afin de permettre un débat public sur le sujet, soit la même demande que celle formulée par la CCC.
Mais cette attitude du gouvernement était déjà perceptible lorsque la CC a publié ses propositions. En effet, c’est dès le 30 juin qu’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, avait confirmé le lancement des enchères d’attribution des premières fréquences 5G. Et après ceux d’Emmanuel Macron, les jokers des ministres se sont multipliés : Bruno Le Maire, moins de 24 h après le discours présidentiel commentant les travaux de la CCC, donnait déjà de sérieux coups de frein, en prenant ses distances avec l’idée d’interdire la publicité sur les produits les plus émetteurs de CO2 (dont les SUV) et avec l’éventualité de réduire la TVA sur les billets de train de 10 % à 5,5 %. De même, alors que la Convention citoyenne suggère une interdiction pure et simple de tout projet de nouvel aéroport ou d’extension des aéroports existants, le ministre de l’économie n’envisagerait, lui, que de « réexaminer » ces projets. Sur le fond des autres propositions, la moulinette réglementaire, législative ou référendaire risque de dénaturer le projet de la CCC, qui cherche à présenter un plan d’ensemble dont les différentes dimensions s’articulent. Déjà, plusieurs propositions ont été rejetées lors du vote à l’Assemblée nationale du troisième projet de loi de finance rectificative du budget 2020 : la mise en place des éco-conditionnalités « climat » pour les entreprises qui reçoivent des aides publiques, l’élargissement des aides à la rénovation performante aux propriétaires bailleurs et à tous les déciles. Rejet également des propositions visant à pénaliser les véhicules lourds via un malus « poids » ou à baisser la TVA sur les billets de transport collectif, notamment le train. Quant au plan de relance présenté par le gouvernement début septembre, il ne conditionne aucune aide aux entreprises à une bifurcation écologique et poursuit le « business as usual ».
III. Des débats à poursuivre avec la CCC
Si nous prenons au sérieux le travail réalisé par la CCC, il faut discuter de ce que nous estimons être des limites ou des désaccords avec certaines des propositions. Sans couvrir l’ensemble des mesures proposées, nous voudrions pointer quelques aspects qui nous semblent mériter discussion.
Déplacements
La CCC a développé des propositions sur le redéploiement du rail pour le transport collectif ou le fret, comme si le statut de la SNCF était encore public. Or, avec la libéralisation du secteur ferroviaire et l’ouverture à la concurrence progressive des lignes, y compris de passagers, le grand plan massif d’investissements proposé par la CCC risque surtout de reposer sur un accroissement de la dette publique. Seules les compagnies privées de services ferroviaires tirent profit de ces politiques qui, de plus, n’ont aucune conséquence bénéfique sur les tarifs ou sur les volumes transportés. La CCC n’évoque pas notamment la suppression progressive des lignes de fret comme celle de Perpignan-Rungis.
Autre problème, la CCC propose un grand programme industriel pour développer les voitures électriques et les piles à combustibles. Ce programme est dans la droite ligne de ce qu’avait proposé Nicolas Hulot avant de quitter le ministère de l’écologie. Mais, répétition n’est pas raison, et ce projet passe outre à un certain nombre d’alertes exprimées par les économistes et les écologues : tout d’abord, le gain en termes d’émissions de GES sur la totalité de la vie des véhicules est relativement faible puisque, dans les conditions actuelles de production, une batterie de 100 kWh nécessite 17 tonnes de CO2 juste pour sa fabrication, soit l’équivalent de 130 000 km de trajets pour un véhicule à essence. Ensuite, pour les piles à combustible, c’est l’hydrogène qui est pénalisant : environ 100g de CO2/km, soit l’équivalent d’un moteur diesel récent, sans oublier qu’il lui faut également une batterie. De plus, la production de véhicules électriques ne limite aucunement notre dépendance aux chaînes de production mondialisées et aux importations provenant de pays où les entreprises multinationales n’ont pas nécessairement à respecter ni le droit du travail ni la protection sanitaire des travailleurs, et encore moins le droit de l’environnement. Enfin, faire la promotion de ces véhicules impose qu’on se repose sur l’énergie nucléaire, faisant l’hypothèse que cette énergie ne poserait pas de sérieux problèmes écologiques et sanitaires.
Produire et travailler
Les objectifs du chapitre « Produire et travailler » concernent notamment l’accompagnement de la reconversion des entreprises et la transformation des métiers. C’est sans doute un des domaines où les propositions de la CCC ne prennent pas en compte la réalité du monde du travail, de ses rapports de force, de la dégradation du droit du travail par les gouvernements successifs, et de l’absence de volonté de nombreuses entreprises de faire évoluer leurs objectifs et leurs moyens de produire. Certes, le maintien du niveau des salaires, la nécessité de créer et financer les formations professionnelles initiales et continues et d’accompagner les personnes qui perdraient leur emploi font partie, à juste titre, des mesures préconisées ; mais de quelle nature doit être cet accompagnement ? Et quels secteurs doivent être transformés en profondeur ? Au moment même où le chômage grimpe en flèche, la revendication d’une sécurité sociale professionnelle qui maintienne les revenus et le niveau de qualification de chaque salarié·e est une exigence d’autant plus cruciale. Par ailleurs, les propositions concernant le sauvetage des entreprises sous-traitantes sont relativement floues. Les conseils et les aides techniques et financières risquent de ne pas suffire à maintenir des activités. Or, si la sous-traitance existe, c’est du fait des grandes entreprises donneuses d’ordres qui profitent de conditions avantageuses et souvent d’une situation de monopole, pour se garantir une rentabilité financière importante et pouvoir verser d’importants dividendes. Préserver l’emploi et le revenu des salarié·e·s, celles et ceux de la sous-traitance comme les autres, devrait alors passer par un financement mutualisé au sein de branches industrielles, voire de l’ensemble des entreprises françaises, pour abonder le budget d’une sécurité sociale professionnelle.
D’une certaine façon, un problème semblable se pose pour l’agriculture. Nombre de propositions de la CCC vont dans la bonne direction (la transparence dans les négociations commerciales, la réorientation des aides vers l’actif agricole en renforçant leur conditionnalité, l’accompagnement des paysan·ne·s dans la transition, la prise en compte de la précarité alimentaire, la défense des circuits courts, la formation aux agricultures alternatives en lycée agricole, etc.), mais manquent les demandes pour « mieux protéger et rémunérer paysannes et paysans face à la logique néolibérale dominante » et exiger un revenu paysan nécessitant de « s’extraire de la concurrence intra et extra européenne par une régulation des marchés, une maitrise des volumes et la fin du dumping social et environnemental », pour reprendre les termes de la Confédération paysanne.
La question du travail et de son organisation est un enjeu qui n’a échappé ni aux membres de la CCC, ni à Emmanuel Macron. Une des propositions les plus ambitieuses, débattue mais finalement rejetée, par la CCC était la réduction du temps de travail sans perte de salaire dans un objectif de sobriété et de réduction de gaz à effet de serre. La réponse d’Emmanuel Macron en la matière est édifiante : « Mais, si nous disions collectivement : « pour réussir ce défi écologique, il faut moins travailler, moins produire », j’aurais une réponse simple à vous apporter : je vous dirais, en bonne foi, si nous produisons moins, nous travaillons moins, nous ne pourrons plus financer le modèle social qui est le nôtre. (…) On voit bien que le choix de la décroissance n’est pas une réponse au défi climatique non plus. » Un président qui s’acharne contre « le modèle social qui est le nôtre » ne devrait pas dire ça ! On retrouve là une défense de la croissance plus ou moins verte, qui, depuis des années, est le discours des chefs d’entreprise qui veulent verdir leur image sans résoudre les problèmes.
Protection des écosystèmes et de la biodiversité
Plusieurs propositions importantes ressortissent de cette partie :
- la demande de constitution d’une cour juridique spécialisée en droit de l’environnement : si les juges étaient spécifiquement formés sur le sujet, cela réduirait l’influence des experts auprès des tribunaux qui sont bien souvent d’une mauvaise foi indigne, voire incompétents ;
- la pérennisation de l’interdiction de la culture de plants OGM ;
- un moratoire sur les projets miniers en Guyane.
Mais, un des problèmes récurrents autour de ces questions tient au décalage entre la structure administrative, et parfois législative, et la volonté politique. Les procédures de contrôle des politiques environnementales existent bel et bien, mais sont souvent inefficaces car très peu appliquées, ou circonscrites à des procédures minoritaires qui excluent la majorité des enjeux réels. En effet, à chaque avancée vers une meilleure prise en compte de l’environnement, l’État finit par mettre en place des pare-feu qui bloquent leur fonctionnement. La police de l’environnement voit régulièrement ses dossiers bloqués avant de passer devant le tribunal, de même que d’autres institutions dont la capacité d’agir efficacement est fortement limitée. Les consultations du public sur l’impact des textes de lois ne sont qu’une formalité administrative non contraignante. Le code de l’environnement est dégradé par touches successives. L’autorité environnementale, qui n’a qu’un avis consultatif, est particulièrement sensible au lobbying et aux pressions préfectorales sur l’ensemble des petits projets locaux. Surtout, le préfet a désormais tous les droits, notamment celui de déroger au code de l’environnement pour des projets de développement économique (décret du 8 avril 2020). Pour une réelle protection des milieux et une lutte efficace contre le changement climatique, il faudrait que les contre-pouvoirs qui existent déjà soient véritablement opérationnels, qu’ils soient indépendants des contingences politiques et des visions à court-terme de nos gouvernements, avec une véritable autorité environnementale indépendante et un renforcement de l’information et du contrôle par les citoyen·ne·s. La préservation de la biodiversité épouse la même trajectoire que celle des luttes pour une justice sociale : elle doit être inclusive, collective et pensée au-delà du carcan technocratique dans lequel elle est enfermée aujourd’hui.
Prise en compte des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen
La CCC propose un ajustement carbone aux frontières de l’UE (en fonction de l’empreinte carbone) et la prise en compte des enjeux de redistribution pour éviter de peser sur les ménages les moins favorisés. Cela passerait par une taxe pour chaque produit, en fonction de l’empreinte carbone liée à son importation. Ainsi, « le prix des produits importés rendra mieux compte du contenu en carbone de ces derniers ». Notons qu’une telle taxe carbone aux frontières, pour être compatible avec les règles de l’OMC, devra également être appliquée aux biens et services produits en Europe, ce que n’évoque pas la Convention citoyenne, qui ne semble pas en avoir pris la mesure. La CCC elle-même souligne les difficultés d’une telle taxe sur les biens, tout en affichant un objectif de non-augmentation des prix pour les consommateurs. Il y a là une difficulté qui ne semble pas avoir été levée. Or, si taxe carbone il doit y avoir, c’est d’abord en visant les entreprises les plus polluantes, qui sont souvent exonérées de telles taxes.
Énergie
La question énergétique est un autre domaine où les propositions de la CCC méritent discussion. Les propositions touchent beaucoup à l’architecture institutionnelle qui organise la production et la distribution d’énergie, mais peu de propositions touchent aux entreprises mêmes du secteur énergétique. Alors que l’énergie devrait relever d’un service public à différentes échelles, la notion de service public est essentiellement envisagée sous l’angle d’un réseau de guichets uniques destinés à accompagner les ménages pour la rénovation des logements. Quid alors des grands groupes de l’énergie qui imposent leur loi en la matière ? Quid de la financiarisation du secteur, y compris de la distribution avec l’interconnexion des réseaux européens et la création de bourses dédiées ? Quid du nucléaire, jamais évoqué ? Quid du poids des lobbys qui freinent toute alternative visant la décroissance des consommations ? Comment envisager un passage à un système décarboné et sans nucléaire sans un service public rénové, qui s’appuie sur des coopératives de production et de distribution et des initiatives locales, tout en garantissant un égal accès à l’énergie ?
Se loger
Pour la rénovation, la CCC propose de nombreuses mesures pertinentes à délais courts, basées sur les revenus des propriétaires. Certaines de ces mesures sont déjà présentes dans des lois, et il suffirait de les appliquer. Par contre, la « rénovation globale » proposée par la Convention n’impose l’utilisation de matériaux biosourcés qu’à l’État pour la rénovation de tous ses bâtiments chauffés (universités, hôpitaux, mairies, écoles, musées, etc.) et le comité logistique ne reprend même pas cette obligation de matériaux biosourcés dans la définition de la « rénovation globale » qu’il propose. De même, la Convention, si elle insiste sur la formation des professionnels du bâtiment à des pratiques pour construire et rénover à bas carbone, elle ne précise pas la provenance des matériaux. Sachant que les matériaux à base de pétrochimie et autres composants issus de l’industrie délocalisée, le plus souvent en Asie, sont une énorme source de GES et de destruction de la biodiversité au niveau mondial et que les isolants pétrochimiques sont moins efficaces que les isolants biosourcés face aux fortes températures, il conviendrait donc d’imposer pour toute rénovation le réemploi des matériaux avant leur recyclage et de privilégier des matériaux biosourcés, produits localement (par agriculteurs et artisans), en privilégiant ceux qui, en prime, stockent le carbone (bois, paille, chanvre), de subventionner les artisans qui les utilisent, de former les autres à ces matériaux, et de créer ainsi de nombreux emplois qualifiés et locaux. Les financements investis reviendraient de cette manière sur les territoires, tout en retissant un lien entre villes et campagnes.
Pour imposer les propositions de la CCC, développons nos mobilisations
Les quelques points évoqués dans cette note sont loin de couvrir l’ensemble des mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat. Par ailleurs, le débat sur ces propositions ne fait que s’ouvrir. Face à tous les conservatismes qui s’expriment déjà, venant notamment des cercles néolibéraux et productivistes qui veulent pouvoir continuer à polluer en paix, Attac France exprime, sans retenue, un soutien au virage écologique et social que les 150 membres de la Convention citoyenne souhaitent insuffler. Attac tient néanmoins à souligner que mettre des mesures, aussi ambitieuses soient-elles, sur la table de gouvernements libéraux, productivistes et croissancistes ne sauraient suffire pour qu’elles soient mises en œuvre. L’appel formulé par les membres de la CCC à ce que « nos concitoyennes et concitoyens se saisissent de tous les sujets que nous avons travaillés pendant neuf mois » afin de se faire entendre auprès des élus, indique par contre que les choses ne vont pas s’arrêter là. Contre l’inertie de l’exécutif et son refus de transformer l’économie française et européenne, Attac estime donc qu’obtenir un virage écologique nécessite de construire de puissants rapports de force s’appuyant sur des mobilisations d’ampleur dans la société, afin qu’un changement systémique s’impose comme issue aux différentes crises économiques, sociales, écologiques et démocratiques que vit notre pays, en solidarité avec les peuples et les mouvements sociaux des autres pays.