Décodage des conclusions adoptées par le Conseil européen le 21 juillet 2020, par le groupe de travail UE d’Attac

La réunion du Conseil européen du mois de juillet (la plus longue de l’histoire) a pris des décisions très importantes. Deux sujets ont été abordés : le plan de relance de 750 milliards d’euros suite à la pandémie et le Cadre financier pluriannuel (CFP). Les 27 représentants des États membres n’ont pas, à proprement dit, pris de décisions opérationnelles. Ils se sont mis d’accord sur des plans d’actions. La forme que les mises en œuvre vont prendre sera abordée plus tard. Mais les 90 heures de discussions montrent, si besoin, que des tensions énormes existent au sein de l’Union, et, sans nul doute, des visions différentes de l’avenir de l’Union européenne.

Décodage des conclusions adoptées par le Conseil européen le 21 juillet 2020 :
- Plan de relance Next Generation UE,
- Cadre financier pluriannuel (CFP) et autres marchandages

A- Vue générale sur les conclusions du Conseil européen du 21 juillet 2020

Question A-1 : Quelle est la couverture réelle du plan de relance ?

Le plan de relance Next Generation EU, outre un programme principal et spécifique, « Facilité pour la reprise et la résilience », concerne aussi les programmes suivants et préexistants de l’Union européenne :

• REACT-EU est un programme pour les régions, destiné à soutenir en premier lieu les services de santé et les PME, la préservation et la création d’emplois, en particulier pour les personnes en situation de vulnérabilité, l’emploi des jeunes et l’accès aux services sociaux ;

• Horizon Europe (renomination du plan Horizon 2020) est un plan pour la recherche et l’innovation ;

• InvestEU (créé en 2019) est un programme pour l’emploi, la croissance et l’investissement ;

• Développement rural, le deuxième pilier de la PAC ;

• Fonds pour une transition juste, créé en 2020, est un plan visant à aider les régions les plus affectées par la transition vers une Europe « climatiquement neutre » ;

• RescEU est lié au mécanisme de protection civile de l’Union européenne.

Question A-2 : Quelle est l’articulation du plan de relance avec le CFP 2021-2027 ?

Ce plan prévoit une intégration d’une partie des 750 milliards d’euros dans le CFP. À ce jour, 77,5 milliards d’euros sont ainsi d’ores et déjà ventilés dans différents programmes (préexistants) du CFP. Des redéploiements vont notamment impacter, en général à leur détriment, au moins en termes d’objectifs, Horizon Europe, InvestEU, Erasmus+, la garantie pour l’enfance, le Fonds pour une transition juste, le programme pour une Europe numérique, le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, LIFE+, le programme « L’UE pour la santé », le Fonds pour la gestion intégrée des frontières, le programme « Europe Créative », le programme « Droits et valeurs », le Fonds européen de la défense, l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI) et l’aide humanitaire.

Le programme « Facilité pour la reprise et la résilience » se voit doté de 672,5 milliards € et est pour l’instant hors CFP.

Il est aussi à noter que le budget annuel de l’UE, déclinaison annuelle du CFP, sera à partir de 2024 inférieur à celui de 2020, c’est-à-dire qu’il y aura une réduction sensible des moyens d’action de l’UE.

Le Parlement européen a été très rapide à réagir en disant tout le mal qu’il pensait des décisions du 21 juillet..

Question A-3 : Quelles sont ou quelles peuvent être les implications juridiques des conclusions du Conseil ?

Nous ne savons pas les formes juridiques qui vont être utilisées pour rendre l’ensemble de ces décisions opérationnelles. La seule certitude est que celles liées au CFP feront l’objet d’une validation par le Parlement européen, puisque le CFP relève d’une codécision avec le Conseil européen.
La Commission européenne proposait d’instituer le plan Next Generation UE, considéré comme un instrument financier, par un simple règlement. Les modifications apportées par le Conseil européen ont mis en évidence une intensification des contributions financières des États membres.
Dans ce contexte, le Conseil européen a invité le Conseil « à entamer des négociations avec le Parlement européen en vue de mener à bonne fin les travaux sur l’ensemble des actes juridiques conformément à la base juridique pertinente... ». Par la suite, autant que nécessaire, « les États membres procéderont à son approbation dans les meilleurs délais, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».

Question A-4 : Quelle est l’articulation avec les mesures prises par différentes institutions européennes au printemps ?

Le plan de relance constitue une suite indépendante aux premières mesures initiées par le Conseil européen lors de sa réunion du 23 avril 2020 pour répondre en urgence de la crise de la Covid-19 et fondées sur les dispositions de l’article 122 du TFUE qui prévoit d’accorder une assistance financière aux États membres en difficulté (cf. fiche spécifique).

Ces mesures d’urgence étaient essentiellement constituées, sans conditionnalités, de prêts pour un montant total de 540 milliards d’euros :

  • prêt de la Banque européenne d’investissement (BEI) aux entreprises (200 milliards d’euros) ;
  • prêts du Mécanisme européen de stabilité financière (MES) destinés principalement aux mesures sanitaires (240 milliards d’euros) ;
  • prêts aux États (Support to mitigate Unemployment Risks in Emergency) financés par un emprunt commun pour conserver les ressources humaines dans les entreprises (100 milliards d’euros).
    Par ailleurs, des subventions de soutien notamment aux secteurs de l’agriculture et de la pêche sont inscrites par redéploiement au sein du budget de l’UE (37 milliards d’euros). Une augmentation minime du budget de l’UE (3,1 milliards d’euros) a été prévue pour le soutien à la politique sanitaire et le Fonds de solidarité a été mobilisé (0,8 milliard d’euros).

Ces mesures mises en œuvre aux cours de l’année 2020 n’impactent donc que légèrement le Cadre financier pluriannuel en cours (2014-2020) et sont sans incidence sur le prochain.

B- Les emprunts de l’Union européenne

Question B-1 : Des emprunts pour quoi faire ?

La Commission est autorisée à emprunter des fonds au nom de l’Union sur les marchés des capitaux à hauteur d’un montant maximal de 750 milliards d’euros. Les fonds empruntés peuvent être utilisés pour des prêts aux États membres à hauteur d’un montant maximal de 360 milliards d’euros, ainsi que pour des subventions et pour des dépenses communautaires à hauteur d’un montant maximal de 390 milliards d’euros.

Le produit sera transféré aux programmes de l’Union, dont essentiellement au programme « Facilité pour la reprise et la résilience » : 672,5 milliards d’euros dont 360 milliards de prêts et 312,5 milliards de subventions. Ces subventions sont les premières jamais accordées par l’UE directement à des États membres.

À noter que, pour ce programme, le « fer de lance » de Next generation UE, les subventions sont inférieures aux prêts, contrairement à l’annonce globale qui inclut les autres programmes.

Question B-2 : Comment les emprunts de l’UE seront effectués ?

La Commission européenne est autorisée à émettre les emprunts à hauteur maximale de 750 milliards d’euros.

Cette possibilité d’émettre des emprunts, de manière échelonnée selon les besoins, cessera au plus tard fin 2026.

La Commission européenne est chargée d’assurer une gestion harmonisée des instruments financiers du plan de relance, en particulier dans le domaine de la comptabilité. La Banque européenne d’investissement (BEI), créée par le traité de Rome, sera sollicitée, via éventuellement sa filiale, le Fonds européen d’investissement créé par le traité de Maastricht.

Question B-3 : Comment les emprunts de l’UE doivent-ils être remboursés ?

Les emprunts sont prévus d’être remboursés, de 2028 jusqu’en 2058, à partir d’une part d’une augmentation des contributions des États membres au budget de l’UE, et d’autre part de nouvelles ressources levées directement par l’UE.

Pour ce qui concerne le premier type de ressources, le plafond des contributions annuelles des États membres passe de 1,40 % à 1,46 % de leur RNB (revenu national brut). Quoique « le remboursement [soit] programmé, conformément au principe de bonne gestion financière, de manière à garantir la réduction constante et prévisible des engagements jusqu’au 31 décembre 2058 », il y a fort à parier que ce plafond et sa nouvelle valeur deviennent la règle. À titre indicatif, pour la France, 0,6 % de RNB représente (valeur 2018) 1,67 milliard d’euros. [1]

Pour ce qui concerne les nouvelles ressources, il est acté des recettes – dont les mécanismes restent à définir – liées à l’utilisation des emballages en plastique (avec toutefois des limitations pour que les États membres ne soient pas trop pénalisés...), à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (de l’UE) et à une redevance numérique. Sont également envisagées une proposition révisée relative au système d’échange de quotas d’émission, éventuellement étendu à l’aviation et au transport maritime, ainsi que la sempiternelle taxe sur les transactions financières.

Question B-4 : Quelle est la portée des « corrections » de contribution accordées à certains États membres ?

Pour la période 2021-2027, des corrections forfaitaires réduiront la contribution brute annuelle au budget de l’UE du Danemark, de la Suède, des Pays-Bas, de l’Autriche et de l’Allemagne d’un montant (prix de 2020 ) de :

• Danemark : 0,377 milliard d’euros ;

• Autriche : 0,565 milliard d’euros ;

• Suède : 1,069 milliard d’euros ;

• Pays-Bas : 1,921 milliard d’euros ;

• Allemagne : 3,671 milliards d’euros.

Ces réductions brutes sont financées par tous les autres États membres en fonction de leur quote-part annuelle (déduite de leurs RNB respectifs) au budget communautaire. Rapporté sur les 7 ans de la période du CFP, le montant total des ces transferts entre les 5 États membres bénéficiaires et les 22 États membres « donateurs » est de 53,21 milliards d’euros. Les rabais pour les bénéficiaires seront ainsi de 2,6 milliards d’euros pour le Danemark, de 4,0 milliards d’euros pour l’Autriche, de 7,5 milliards d’euros pour la Suède, de 13,4 milliards d’euros pour les Pays-Bas et de 25,7 milliards d’euros pour l’Allemagne. Pour la France le surcoût de contribution brute se montera à 15,4 milliards d’euros. [2]

À propos des rabais accordées à certains États membres


Chaque État membre participe au budget de l’UE en fonction de son RNB. Les fonds reçus par chaque État, à partir de ce budget peuvent être inférieurs ou supérieurs à sa contribution.
En 1973, la PAC représentait 42 % du budget communautaire, et le Royaume-Uni, plus industriel qu’agricole, en bénéficie moins en entrant dans l’Union. Mme Thatcher est alors l’auteur de la fameuse remarque : « I want my money back ». Elle obtiendra satisfaction en 1984 avec la mise en place d’un mécanisme de compensation destiné à corriger les contributions financières considérées comme excessives.

Dans le CFP 2014-2020, on a relevé un rabais annuel de 0,130 milliard d’euros pour le Danemark, 0,695 milliard d’euros pour les Pays-Bas et 0,185 milliard d’euros pour la Suède. L’Autriche a aussi bénéficié d’une réduction jusqu’en 2016.

Par ailleurs, dans le budget de l’UE, il y a également une taxe de 0,30 % prélevée sur la TVA (unifiée) dans chaque État membre. Pour l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède cette taxe est abaissée à 0,15 %.

C- Les subventions

Question C-1 : Quel est le mécanisme d’attribution des subventions aux États membres ?

Les subventions décidées dans le cadre de ce plan – les 312,5 milliards d’euros du programme « Facilité pour la reprise et la résilience » – seront versés aux États membres selon la clé de répartition proposée par la Commission dès le 27 mai. Ces clés ont été établies en fonction de critères économiques. Il est à noter que, pour l’année 2023, le critère du chômage au cours de la période 2015-2019 est remplacé, en proportions égales, par le critère de la perte de PIB réel observée au cours de l’année 2020 et le critère de la perte cumulée de PIB réel observée au cours de la période 2020-2021, qui seront chiffrés au plus tard le 30 juin 2022. Ces aides seront versées aux États membres après examen du dossier fourni par chaque État (cf. question C-2).

70 % des subventions fournies par la « Facilité pour la reprise et la résilience » sont engagés au cours des années 2021 et 2022. Les 30 % restants sont intégralement engagés d’ici la fin de 2023.
Le préfinancement aux États membres par la « Facilité pour la reprise et la résilience » sera payé dès 2021 et devrait être de 10 %.

Question C-2 : Quelles sont les contreparties auxquelles un État membre aura à se soumettre ?

La mise en œuvre du plan de relance s’accompagne d’un cortège de contrôles étroits de la part des instances européennes.

Tout d’abord, les plans nationaux pour la reprise et la résilience élaborés par les États membres pour les années 2021-2023 sont évalués a priori par la Commission dans les deux mois qui suivent leur présentation selon des critères économiques, sociaux et environnementaux. L’évaluation de ces plans est ensuite approuvée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, dans un délai prévu de quatre semaines. Ensuite, la Commission sollicite l’avis du Comité économique et financier pour évaluer les demandes de paiement qui sont subordonnées au respect des objectifs intermédiaires et finaux correspondants. En cas de désaccord, les États membres peuvent demander au président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la question. Aucune décision de la Commission ne pourra alors intervenir avant que le Conseil européen ait débattu de cette question de manière exhaustive.

Majorité qualifiée

Procédure décisionnelle du Conseil

La majorité qualifiée constitue la procédure décisionnelle de droit commun du Conseil (art. 16.4 du TUE).

Une décision est adoptée à la majorité qualifiée si deux conditions sont remplies :

* 55 % des États membres ont exprimé un vote favorable, soit 15 sur 27,

* la proposition est soutenue par les États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE.

Toutefois, une minorité de blocage peut intervenir lorsqu’elle comprend au moins quatre membres du Conseil représentant plus de 35 % de la population.

Observation : À titre d’exemple, la France et l’Allemagne comprennent plus de 30 % de la population de l’UE. Il leur suffit donc de rallier deux autres pays pour obtenir une minorité de blocage.

La cohérence avec les objectifs du semestre européen est un des critères fondamentaux (’Les critères de cohérence avec les recommandations par pays, ainsi que de renforcement du potentiel de croissance, de la création d’emplois et de la résilience économique et sociale de l’État membre, doivent obtenir le score le plus élevé de l’évaluation’). Au reste, le Conseil européen souhaite « mettre davantage en valeur le rôle que joue le budget de l’UE »... « notamment en renforçant le lien entre le budget de l’UE et le Semestre européen ».

Semestre européen

À la suite de la crise financière de 2007-2008, le Conseil européen a décidé la mise en place du « semestre européen » afin de renforcer la gouvernance économique de l’Union. Il s’agit d’organiser, au cours du premier semestre de chaque année civile, un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires autour de trois axes : les réformes structurelles, les politiques budgétaires et la prévention des déséquilibres macroéconomiques excessifs. Chaque État membre doit alors élaborer son budget et ses projets de réforme pour l’année suivante en tenant compte de la recommandation qui lui a été notifiée par la Commission et le Conseil. La recommandation 2019 pour la France préconisait ainsi de ’ réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite’.

D- Les prêts

Question D-1 : Quel est le mécanisme d’attribution des prêts aux États membres ?

C’est le même que celui décrit dans la partie subventions (cf. question C-1).

En principe, le volume maximal des prêts pour chaque État membre n’excédera pas 6,8 % de son RNB.

Question D-2 : Quelles sont les contreparties auxquelles un État membre aura à se soumettre ?

Ce sont les mêmes que celles décrites dans partie subventions (question C-2).

Question D-3 : Que se passe-t-il si un EM ne peut pas rembourser un prêt ?

Il s’agir d’un contentieux entre un État membre défaillant et l’Union européenne. Vu le caractère éminemment politique du problème, il fera l’objet d’une négociation au sein des États membres et avec les instances de l’Union européenne. A priori, deux développements seront possibles :

1) un accord moyennant un « plan structurel » pour l’État membre défaillant (scénario de la crise grecque mais a priori sans troïka, sauf en cas de crise plus globale de l’État membre vis-à-vis des marchés financiers et/ou mettant en cause le système monétaire international) ;

2) un désaccord débouchant sur un « bras de fer », les sanctions financières via la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) faisant partie de l’arsenal de l’UE.

Dans tous les cas, les autres États membres seront obligés, pour éloigner le spectre d’un éclatement de la zone euro, d’assumer collectivement sur les marchés financiers la défaillance de l’un d’entre eux (négociation d’allongement de la durée de remboursement d’une partie des prêts et/ou surplus de contribution des autres États membres, etc.).

E- Le contribuable

Question E : À quoi peut s’attendre le contribuable ?

Emmanuel Macron a annoncé que la France allait bénéficier de 40 milliards d’euros (chiffres sortis de calculs de la Commission à partir des clés de répartition et arrondis, semble-t-il, vers le haut par le président).

Outre que ces prêts et subventions sont des maximums, que leurs objets sont soumis à l’approbation des autres États membres, et que donc cette somme annoncée de 40 milliards d’euros est un maximum, faire le bilan de ce que la France a réellement obtenu impose impérativement de lui retirer deux éléments :

1) le financement des rabais de contribution brute au budget communautaire obtenus par certains États membres, auquel la France est conviée à participer ;

2) la contribution au remboursement des emprunts passés par la Commission (comme tout autre État membre).

Pour ce qui concerne le premier élément, il se chiffre (cf. plus haut) à 15,430 milliards d’euros pour les 7 ans du CFP.

Pour ce qui concerne le deuxième élément, une contribution supplémentaire de 0,6% de RNB se chiffrerait pour la France à environ 1,67 milliards d’euros annuels jusqu’en 2058 (cf. plus haut).

F – Dans quelle mesure le plan Next Generation UE constitue-t-il un pas vers le fédéralisme européen ?

Question F-1 : Un pas vers plus de fédéralisme ?

Lors de son discours du 9 mai 1950 proposant la mise en commun des productions de charbon et d’acier, Robert Schuman déclarait : « Par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix ».

La conception de fédération européenne, communément admise aujourd’hui, consiste en l’exercice en commun de la souveraineté au niveau européen pour les domaines où ce partage de souveraineté est nécessaire. Il convient de constater que le développement de l’intégration européenne a été plus économique que politique. Il n’y a pas eu création d’une autorité politique européenne issue d’un réel processus démocratique.

On observe que, dans le cadre du projet de plan de relance, les institutions européennes ont prévu une série de mesures inédites tendant à accentuer la solidarité entre les États européens :

1- émission d’un emprunt solidaire de 750 milliards d’euros alors que les règles budgétaires interdisent le recours à l’emprunt dans le cadre du budget (cf. art. 17 du Règlement 2018/1046 relatif aux règles financières) ;

2- augmentation sans précédent du Cadre financier pluriannuel 2028-2035 ;

3- fléchage de 312,5 milliards d’euros du budget de l’Union comme subventions en faveur des États les plus fragiles ;

4- recherche de nouvelles ressources propres telles qu’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (de l’UE) ou une redevance numérique.

Pour autant, outre qu’il convient de remarquer que le volume financier de ce plan reste limité comparé aux RNB nationaux et à d’autres plans de relance « Covid » lancés ailleurs dans le monde (cf. le premier plan de relance des USA de 2 000 milliards de dollars soit environ 1 700 milliards d’euros pour une population équivalente aux trois quarts de la population de l’UE), il semble difficile, au-delà de certaines proclamations médiatiques, de le considérer comme un pas décisif vers le fédéralisme :

1- ce projet initié par la Commission européenne (avec les dirigeants allemand et français) et son résultat ont fait l’objet d’âpres négociations au sein du Conseil européen, de nature clairement interétatiques, puisque le Conseil européen est composé des chefs d’État ou de gouvernement ;

2- les modalités juridiques de sa mise en œuvre restent incertaines, notamment sur la répartition des compétences entre le Conseil et le Parlement européen, colégislateurs ;

3- le Conseil européen mentionne que « Le pouvoir d’emprunter conféré à la Commission est clairement limité en termes de volume, de durée et de portée ». Il s’agit donc de dispositions exceptionnelles dont le renouvellement ne semble pas être envisagé, et le montant du budget de l’UE restera vraisemblablement limité à environ 1,1 % du produit brut européen.

4- la notion de souveraineté européenne, avancée par Emmanuel Macron, dont le Parlement serait le dépositaire légitime, reste un point ouvert, en soi et parce que la séparation des pouvoirs n’est pas assurée.

Les seuls abandons de souveraineté des États membres se situent dans les événements qui sont susceptibles d’intervenir lors de la déclinaison concrète du plan à travers la conditionnalité de l’octroi des prêts et subventions, et éventuellement en cas de défaut de remboursement d’un prêt accordé par la Commission. Mais, dans le principe, avec notamment le pacte de croissance et de stabilité et le semestre européen, ces types d’abandons de souveraineté sont déjà largement présents dans le projet UE.

Question F-2 : Quelle est la nature du plan de relance ?

L’UE va donc emprunter en vue d’accorder des prêts et des subventions aux États membres et à des programmes de l’UE. Mais le prix à payer pour bénéficier de ces facilités risque d’être lourd, car il n’y aura pas de miracle financier. D’abord, les États membres devront financer le remboursement des emprunts de l’UE par une hausse de leur contribution au budget européen. Ensuite ils devront aussi rembourser les prêts particuliers que l’UE leur aura accordés, ou, en cas de défaut de paiement, risquer de se voir traités comme la Grèce en 2015. Le prix global sera plus lourd pour certains États membres que pour d’autres (notamment ceux ayant obtenu des rabais). Enfin, voire surtout, en amont, l’octroi des prêts et subventions sera soumis à la mise en œuvre de mesures et de politiques « dans le moule » : l’esprit des traités, le pacte de stabilité et de croissance et le semestre européen ont de beaux jours devant eux. Il convient aussi de noter que ce plan prend bien garde de ne pas prendre d’engagement contraignant vis-à-vis du problème climatique (« En règle générale, toutes les dépenses de l’UE devraient concorder avec les objectifs de l’accord de Paris. »). Quant à la thématique du « respect de l’État de droit » mise en avant par les laudateurs de ce plan, la seule phrase y faisant allusion n’apporte strictement rien de plus que ce qu’il y a dans les traités (« Le Conseil européen souligne l’importance que revêt le respect de l’État de droit ») …

Il semble bien que ce plan de relance s’inscrive en fait dans une stratégie du choc : profiter des circonstances pour aller toujours plus loin dans la mise en œuvre de politiques publiques sous la coupe de la logique et du projet néolibéraux.

Pour le groupe de travail « UE-commission », Paul Bocquet, Jean Michel Coulomb, Patrick Fodella, Claude Layalle

Notes

[1Sources du calcul : OCDE : ici et .

[2Sources utiles au calcul : ici et .

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