Éditorial : Qu’est-ce qu’une convention ?

mardi 29 septembre 2020, par Jean-Marie Harribey *, Jean Tosti *

Le mot « convention » a été, cette année, mis à l’honneur parce que la Convention citoyenne pour le climat a réuni cent-cinquante Français tirés au sort pour présenter des mesures susceptibles de lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Et l’histoire est ponctuée d’événements conduits par des assemblées politiques statuant sur le droit ou sur des traités internationaux. Ainsi, par exemple, la Convention nationale, élue en septembre 1792 au suffrage universel masculin, chargée de rédiger une nouvelle constitution, instaurée la République et, pour faire face à la contre-révolution, ouvre la période de la Terreur, et s’achève en 1795 pour laisser la place au Directoire, après la chute de Robespierre en juillet 1794.

Autre exemple célèbre : les Conventions de Genève. La première, en 1864, signée par douze États européens, donne naissance au droit international humanitaire pour protéger les personnels de secours. C’est l’époque où naît aussi la Croix rouge. Les quatre Conventions de 1949, signées par un beaucoup plus grand nombre de pays, développent la protection des civils et des blessés. Parmi d’autres encore, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, signée à ce jour par 147 pays.

Le mot « convention » peut donc désigner à la fois l’institution « instituante » et l’objet du droit, c’est-à-dire l’accord auquel les contractants sont parvenus. Au-delà du domaine juridique, le mot est également utilisé dans les sciences sociales. Il désigne la procédure par laquelle des individus ou des groupes définissent des règles de comportement, de coopération et de décision. L’économiste John Maynard Keynes en a donné le sens lorsque les individus sont plongés dans une incertitude radicale quant à l’avenir ou à la décision des autres. La formation d’une convention stipule que la rationalité ne préside pas à la prise de décision, car elle est limitée et la convention vise justement à réduire l’incertitude. Les conventions collectives signées entre le patronat et les syndicats de salariés portant sur le droit du travail, l’organisation du travail, sa durée ne sont jamais gravées dans le marbre. Elles sanctionnent à un instant donné le rapport de force établi entre ceux que la convention sémantique dominante qualifie de « partenaires sociaux ».

Il s’ensuit que, au sein d’une société, les conventions retenues sont des constructions sociales dont le résultat est l’adoption généralisée de codes sociaux. En cette rentrée scolaire fortement perturbée par la pandémie du coronavirus Covid-19, une controverse a jailli au sein de l’éducation nationale au sujet de la tenue vestimentaire des jeunes filles dans les lycées : faut-il interdire les tenues qui dévêtissent trop le corps de ces jeunes filles et exiger d’elles une « tenue normale, républicaine », comme le dit le ministre Jean-Michel Blanquer ? Aussitôt, sont nés des hashtags comme #14septembre et #balancetonbahut pour dénoncer le harcèlement dont sont victimes les porteuses de « crop top » ou de décolletés trop profonds. « Exiger des lycéennes qu’elle couvrent leur poitrine, leurs épaules, leurs jambes montre encore la puissance du contrôle social sur les corps féminins » explique la professeure Camille Froidevaux-Metterie [1]. Et la sociologue Camille Lavoipierre confirme : « Jupe trop courte ou robe trop décolletée pour les filles, jogging, casquette, capuche pour les garçons : dans les écoles, les restrictions vestimentaires ciblent ceux qui ne sont pas dans la norme scolaire. » [2] Autrement dit, les tenues « anormales » reprochées aux filles rompent avec la convention du sexisme traditionnel et avec le patriarcat. Mais la difficulté de l’affaire pour l’analyste tient à ce que l’adoption par les filles et la plupart des femmes de tenues que la convention sexiste semble condamner signifie, elle aussi, une forme d’obéissance à une nouvelle convention en butte avec la première, par la généralisation de nouveaux codes sociaux. La liberté revendiquée de se dévêtir partiellement n’est peut-être que la conformité à une convention dictée par une société qui, d’un côté, exalte dans la publicité le corps dénudé des femmes, et, de l’autre, appelle tout d’un coup à la pudibonderie. Les conventions ne sont donc pas exemptes d’idéologie.

La Convention citoyenne pour le climat a t-elle échappé aux normes idéologiques de la société ambiante ? A-t-elle fait preuve de liberté ou cette liberté a-t-elle été téléguidée par un pouvoir macronien, englué dans les contradictions sociales et écologiques d’un modèle qu’il ne veut surtout pas modifier ?

C’est ce que nous avons voulu savoir en ouvrant dans ce numéro des Possibles un dossier sur la suite de la Convention citoyenne pour le climat. Nous commençons par la publication du témoignage de Pierre Ruscassie, heureux membre d’Attac tiré au sort parmi les cent-cinquante citoyens. Il ironise en grinçant : « Le président de la République pourra dire qu’il a adressé ’sans filtre’ nos propositions aux parlementaires et aux conseillers d’État, mais elles seront ’adaptées’ par amendements ou par transcription de la loi. »

Le groupe de travail « Écologie et société » d’Attac a publié, après la remise du rapport de la Convention, une « Note » pour critiquer « l’immobilisme politique face à une ambition citoyenne », et en propose ici une synthèse.

L’une des 149 propositions de la Convention est d’instituer dans la Constitution française le concept d’écocide. Marine Calmet et Valérie Cabanes montrent la portée de cette « incrimination pénale chargée d’une dimension écosystémique ». Marie Toussaint explique ensuite la genèse de ce concept au vu des multiples dégâts humains et écologiques constatés. Elle plaide pour la reconnaissance de l’écocide en droit international.

Pour Esther Jeffers, il est important de regarder les propositions de la Convention « avec des lunettes féministes », parce qu’elles « doivent intégrer la dimension genre pour avoir des chances de réussir ».

La Convention citoyenne pour le climat a écarté la proposition de réduire le temps de travail. Jean-Marie Harribey montre comment la RTT financée par une diminution des inégalités de revenus pourrait venir à bout du chômage.

Jacques Testart, l’un des inventeurs de l’idée de « convention de citoyens » explique pourquoi ladite Convention citoyenne pour le climat n’était pas une convention de citoyens, mais une simple conférence de citoyens, et il décortique les pratiques qui ont prévalu dans cette instance.

Gilles Rotillon se demande quel crédit on peut accorder au président Macron. Il examine à la loupe les raisons pour lesquelles celui-ci a écarté d’emblée la proposition de taxer les sociétés ayant versé plus de 10 millions de dividendes à hauteur de 4 % de ceux-ci.

André Bellon s’insurge contre la pratique consistant à contourner la démocratie représentative au profit des initiatives citoyennes. Il accuse les partisans de celles-ci de « haine pour le peuple » et il oppose le suffrage universel à ses « substituts » représentés par les « conventions citoyennes ».

Pierre Khalfa ferme ce dossier par un propos plus nuancé sur la portée et les limites du tirage au sort. Il en rappelle l’origine dans le Grèce antique, et il situe l’évolution de la démocratie représentative. Selon lui, il « s’agit [de mettre en œuvre] une égalité de participation aux pouvoirs existants dans la société, pouvoirs qui se reconfigurent régulièrement ». Cela permet d’avoir un regard nouveau sur une convention de citoyens « quand elle opère sur un terrain déjà bien labouré par le débat public et quand un consensus relatif existe sur la question à résoudre ou sur le sujet à traiter. »

La partie « Débats » de ce numéro s’ouvre sur une contribution du groupe de travail d’Attac sur l’Union européenne pour décortiquer minutieusement les décisions du Conseil européen de juillet 2020 qui prévoient une relance de 750 milliards d’euros. D’où vient cet argent et où ira-t-il ? nous expliquent les auteurs de ce texte.

Daniel Hofnung complète cette analyse en expliquant pourquoi les aides agricoles européennes devraient être conditionnées au stockage du carbone, au lieu d’être versées au prorata de la taille des exploitations.

Claude Calame revient sur un thème que la revue avait commencé à aborder dans les numéros précédents : comment définir ce que serait une société écosocialiste après avoir remis en cause le capitalisme exploiteur et productiviste ?

Jacques Testart engage une réflexion méthodologique sur la science, dont on voit pendant la pandémie actuelle à quel point elle peut être prise au dépourvu. Et surtout, c’est l’occasion de rappeler que la méthode scientifique procède par tâtonnements et corrections successives d’erreurs. Le mythe de la « maîtrise et de la possession de la nature » en prend un coup.

Jean-Marie Harribey propose une recension du livre d’Alain Bihr et Michel Husson, Thomas Piketty, une critique illusoire du capital. Il s’avère que les données recueillies par Piketty sur les inégalités sont très utiles, mais que sa construction théorique est fragile et ses propositions de « socialisme participatif » réformistes.

On terminera ce panorama en convenant que les termes des débats de société ne peuvent pas être considérés comme des vérités universelles et définitives. Aussi bien les objets des discussions que les méthodes pour les analyser sont des constructions sociales, qui se traduisent à un moment donné par des conventions ; ces dernières sont les reflets des rapports sociaux, souvent de force, et des représentations que les individus intériorisent.

Notes

[1Camille Froidevaux-Metterie, « Quand les femmes ne seront plus définies par leur corps », Libération, 21 septembre 2020.

[2Camille Lavoipierre, « Derrière la règle floue de la tenue normale, se cachent les discriminations », Libération, 21 septembre 2020.

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