Quelques pistes de réflexion sur la dette publique

vendredi 26 juin 2020, par François Chesnais *

Il faut commencer par un rappel théorique essentiel qui distingue une économie qui recoure au crédit de la façon la plus simple et une économie où l’accumulation financière s’installe et avec elle le pouvoir du capital rentier. Dans sa Théorie de l’évolution économique de 1912, le théoricien majeur du développement capitaliste, Schumpeter, pose la nécessité pour « l’entrepreneur » de pouvoir disposer d’un accès au crédit dans des conditions où l’établissement qui crée le crédit est à son service et où le succès de l’innovation lui permet d’éteindre toute obligation à son égard. [1]

Ce n’est pas la voie qu’a suivie le capitalisme mondial de sorte que Keynes a été conduit à recommander en 1936 « l’euthanasie du rentier ». [2] Dans une économie de marchés financiers, un titre de créance crée pour celui qui la détient le droit de percevoir des intérêts de façon régulière ; il met le débiteur dans l’obligation de les payer et le place aussi dans une situation de dépendance associée à la notion de faute, particulièrement forte dans les pays à culture protestante dont l’Allemagne. [3] La Grèce en a souffert de façon particulièrement forte en 2012, l’Allemagne jouant un rôle majeur dans les décisions de la Troïka.

Dans le cas des pays semi-coloniaux, dits autrefois pays du Tiers Monde et aujourd’hui « pays en développement », les pays débiteurs ont été soumis depuis les années 1985-1990 à la fois à une ingérence des prêteurs dans leurs affaires que les fonds de placement financiers ont déléguée pour partie au FMI et à la Banque mondiale (le Consensus de Washington de 1990 avec ses dix préceptes) et à la menace de fuites des capitaux lorsque les fonds d’investissement prenaient peur. Même avant la pandémie, de nombreux pays en développement avaient du mal à rembourser leurs dettes malgré les taux d’intérêt historiquement bas. Le Financial Times du 6 avril 2020 rapporte que le montant de leur dette s’est accru en 2018-début 2019 en raison notamment « de l’ouverture du marché des euro-obligations à des dizaines de pays tandis que les investisseurs internationaux se lançaient toujours plus désespérément dans la recherche de rendements ». Très tôt dans la progression de la pandémie, avant même que la récession n’ait commencé, ces investisseurs ont pris peur et se sont engagés collectivement (par mimétisme) dans un mouvement spectaculaire de fuite de capitaux.

Dans le cas des pays capitalistes avancés où l’endettement des États passe par l’émission des titres sur les marchés obligataires, l’ingérence est celle, anonyme, des « marchés » moyennant les différentiels de taux d’intérêt (les spreads) [4]. Lorsque Christine Lagarde a écarté le 9 avril 2020 sur France Inter l’idée d’annulation globale des dettes contractées par les États de la zone euro dans leur gestion coûteuse de la pandémie du coronavirus comme « totalement impensable », elle s’est exprimée comme ancienne patronne du FMI et présidente de la BCE, mais aussi comme défenseur des « intérêts supérieurs » des détenteurs des dettes publiques, où et qui soient-ils. Dans l’économie libéralisée et dérèglementée d’aujourd’hui ils sont majoritairement étrangers, tandis qu’au plan domestique la dette publique organise non pas une redistribution transgénérationnelle des revenus comme le discours néolibéral essaie de nous le faire croire (nous léguerions une dette insoutenable à nos enfants et petits-enfants) mais une redistribution intragénérationnelle, qui plus est au rebours : des revenus actuels qui ne peuvent échapper à l’impôt vers ceux qui y échappent en bonne partie. Enfin, affirmer, dans le contexte actuel, que l’annulation des dettes (des États comme des ménages) est impensable est une manière d’asséner l’idée qu’aucun autre monde n’est possible.

La dette publique française, faits et jugements essentiels

Pour en venir à la dette publique française, actuellement 11,4 % du budget français va au service (intérêts et remboursement) de la dette soit presqu’autant que les dépenses groupées sous le titre « dépenses sociales ». Le montant des intérêts payés se situe maintenant à 2 % du PIB.

Figure 1 : Répartition par grands chapitres des dépenses budgétaire

La direction du Budget a publié l’édition 2019 de son « Budget de ...

Anouk Renaud souligne que 2 % du PIB d’intérêts payés, « c’est tout de même la modique somme d’environ 40 milliards d’euros qui vont chaque année dans les poches des créanciers. Une somme d’argent qui pourrait être investie ailleurs en améliorant par exemple l’état des services publics déliquescents, comme l’éducation, la santé, la culture ».

Figure 2 : Le service des intérêts de la dette publique française de 1978 à 2018 en % du PIB

© Politis

Source : Alternatives Économiques, Ameco

La montée de la dette a épousé le mouvement de la libéralisation financière. Le graphique partant de 1978 montre qu’elle naît et prend son essor seulement à partir de 1982-1983. Les gouvernements de l’Union de la gauche, avec Jacques Delors, puis Pierre Bérégovoy aux Finances, ont libéralisé les mouvements de capitaux et ont procédé au placement sur le marché obligataire spécialisé, créé à la Bourse de Paris, des bons du Trésor et autres titres émis par l’État. Avec la titrisation, la voie est ouverte à l’accroissement de la dette et à une transformation complète du financement des dépenses. La dette est passée de 20 % du PIB en 1980 à 35 % en 1990. Sa croissance s’est ensuite accélérée jusqu’à atteindre 60 % sous le gouvernement Juppé (novembre 1995-juin 1997) et presque 64 % au début de la crise économique et financière mondiale de 2007-2008. L’indemnisation des actionnaires lors des nationalisations de 1980-81 a lancé le mouvement initial. Elle a été un cadeau fait aux propriétaires du capital des groupes. L’État a socialisé les pertes antérieures. Puis il a en organisé et financé la restructuration et en a rétabli la rentabilité avant de les rendre au secteur privé, lors des privatisations des années 1990, premier des deux facteurs d’illégitimité de la dette. Il y a eu aussi les dépenses de la loi de Programmation militaire 1987-1991 (les Rafales et autres porte-avions et sous-marins nucléaires) qui ont encore accru sensiblement le montant de la dette et renforcé le poids économique et politique des grands groupes industriels et politiques de l’armement.

Figure 3 : L’évolution de la dette publique française de 1978 à 2009

A l’encontre » Les dimensions financières de l’impasse du ...

À partir de 1991, l’effet conjugué de taux d’intérêts réels élevés et de la croissance lente due à la négociation avec l’Allemagne du Traité de Maastricht puis à la préparation de l’entrée en vigueur de l’euro, a provoqué, à partir de 1989, ce que les rapports de la Commission des finances du Sénat ont nommé dès 1994 (rapport Auberger) l’effet « boule de neige ». C’est au moment où le service de la dette s’alourdit fortement que commence sous le gouvernement Jospin un processus de baisse de l’impôt sur le revenu, dont le coût cumulé entre 2000 et 2010 a été, selon les calculs faits par le SNUI et le syndicat Sud-Trésor, de 108 milliards d’euros. Les années 2000 sont marquées par la croissance, plus fortement qu’entre 1983 et 1998 (date du rapport du Sénat cité plus haut), du recours accru à l’emprunt, alors que le poids de l’impôt sur le capital et le patrimoine diminue. Dorénavant les gouvernements successifs empruntent de plus en plus à ceux dont ils taxent les revenus et le patrimoine de moins en moins. C’est le facteur qui conduit Attac dans le livre de 2012 à affirmer l’illégitimité de la dette publique. Le service des intérêts opère un transfert de richesse au bénéfice des détenteurs des titres de la dette. Il renforce leur pouvoir économique et leur poids politique. Les « marchés » peuvent alors dicter leur politique aux gouvernements tandis que ceux-ci sermonnent les citoyens sur « l’obligation morale d’honorer les dettes ». Ce n’est plus de « dictature des marchés » qu’il faut parler, mais de profonde complicité des gouvernements avec la finance, tant est flagrante ce que certains nomment leur « soumission volontaire » aux banques et aux Hedge Funds.

Il a alors fallu brouiller les pistes, rendre les citoyens responsables de l’endettement, alors que c’est sur eux que pèse, du fait notamment de la TVA, le poids le plus lourd de la fiscalité. On invente donc ce qui deviendra l’accusation qui deviendra dorénavant une antienne « La France vit au-dessus de ses moyens  ». L’expression figure dans la lettre de mission envoyée par le gouvernement Raffarin à Michel Pébereau, Président de BNP Paribas. Elle commande l’orientation du rapport de 2006 sur la dette publique qui porte son nom. Des données bien choisies permettent au rapport de proclamer que « ce sont fondamentalement nos pratiques politiques et collectives, notamment notre préférence pour la dépense publique, qui sont à l’origine de notre situation financière actuelle » [5]. Avec la crise économique et financière mondiale de 2007-2009 le sauvetage des banques a porté le niveau de la dette de 64 % à près de 78 % du PIB. Mais deux rapports rappellent que cette hausse a été consolidée par des décisions budgétaires. Le premier a été préparé sous la responsabilité du directeur général de l’Insee et de son prédécesseur [6]. Il y est écrit brièvement mais clairement ceci : « Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2000 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008 (….). À titre d’illustration, en l’absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui (2010) qu’elle ne l’est, générant ainsi une économie annuelle de charges d’intérêt de 0,5 point de PIB. » Peu de temps après, un autre rapport a été publié sous la signature du député Gille Carrez, rapporteur général UMP de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en préparation du débat d’orientation budgétaire [7]. Selon ce rapport, sans les baisses d’impôts, les déficits publics de 2010 auraient été seulement de 1,8 %. Le rapport identifie également les principaux bénéficiaires des 77,7 milliards d’euros de baisses d’impôts votés depuis 2000 : « La moitié des allègements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l’impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s’établit en effet à environ 2 % de PIB, contre 0,6 % de PIB pour la TVA et 0,5 % de PIB pour l’impôt sur les sociétés ». L’ensemble de ces mécanismes ont été la « contribution française » au processus mondial qui a vu les actifs financiers croître à un rythme bien supérieur au PIB mondial. Ils passent de 100 % à 200 % du produit brut mondial entre 1990 et le début de la crise économique et financière mondiale de 2007-2009.

Figure 4 : Croissance des actifs financiers globaux et du produit brut mondial 1990-2010 (axe de gauche et en rouge les actifs financiers globaux comme % du PIB mondial ; axe de droite leur montant en milliers de milliards de dollars aux taux de change de 2011.)

Source : McKinsey Global Institute

Après avoir répondu aux questions pourquoi l’État s’est endetté et quelles ont été les conditions et modalités d’emprunts publics, il reste à examiner qui détient la dette. Quatre des cinq rubriques de la figure 4 sont aisément indentifiables, sachant que les OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières) sont des fonds investis placés en valeurs mobilières. Ce sont à côté du Livret A l’instrument financier de l’épargne des ménages. La rubrique banques correspond à leurs opérations sur fonds propres. Pas de mystère pour celle des compagnies d’assurance. Enfin, il y a le cinquième rubrique non-spécifiée, « autres (français) ». Il s’agit en fait de la fraction détenue par la Banque de France moyennant son rachat d’obligations émises par l’État pour financer le déficit budgétaire.

Figure 5 : Détention des titres de la dette négociables de l’État par groupe de porteurs dernier trimestre 2019

Source : https://www.aft.gouv.fr/fr/principaux-chiffres-dette

Maintenant que nous disposons des principales informations sur l’origine de la dette publique, les facteurs qui conduisent à en affirmer illégitimité et enfin l’identité de ses détenteurs par grande catégorie, il faut en venir à la place donnée par la dette publique par les partis et syndicats et aux choix faits par eux entre les différentes solutions offertes pour l’annuler ou la rendre plus supportable économiquement et socialement. Ces choix ne sont pas nécessairement ceux qui ont leur préférence. Ils seront déterminés par l’état des rapports de force entre le travail et le capital tels qu’ils sont perçus par les organisations politiques, syndicales et associatives qui œuvrent ou qui disent œuvrer dans ce sens. La perception de ces rapports de force peut également peser sur les stratégies conçues et les décisions prises pour contribuer à les changer.

Les réponses à l’endettement de l’État [8]

Il existe trois réponses à l’endettement de l’État : 1) payer la dette même si cela prend des années ; 2) en réduire le poids en partie par différentes méthodes, dont l’augmentation des impôts sur les hauts revenus et le patrimoine ; 3) l’annuler complètement par la répudiation.

La première réponse est celle des gouvernements et des intérêts capitalistes qu’ils servent où il faudrait, comme l’a déclaré le gouverneur de la Banque de France « dans la durée, rembourser la dette publique contractée pour faire face à la pandémie  ». Elle appelle de notre part résistance et combat. Elle appartient au scénario nommé par Alain Bihr « de la reprise et la poursuite du business as usual néolibéral. Il présuppose que le rapport de force entre capital et travail restera ce qu’il a été globalement ces dernières décennies, c’est-à-dire fondamentalement favorable au capital. » On entend des personnalités de la REM et le LR défendre de nouveau l’austérité budgétaire préconisée par Pébereau et mise en œuvre à partir du gouvernement Fillon. Les recettes fiscales diminuant et l’endettement étant une « atteinte contre les générations futures », il faut faire des coupes sombres dans les dépenses budgétaires, geler les salaires des agents de l’État, « réformer les retraites », entamer la « réforme de l’État » – réduction du nombre des fonctionnaires et démantèlement du statut de la fonction publique – et accélérer la privatisation des hôpitaux, de l’enseignement et de ce qui reste des services publics. C’est clairement dans ce scénario que s’est placé le gouvernement Macron.

Le second scénario que Bihr nomme « à caractère social-démocrate », même si la social-démocratie a disparu comme réalité organisationnelle, exige que se produise une « inflexion du rapport de force entre capital et travail, dont l’ampleur et la durée dépendraient du degré de leur radicalité et, partant, de leur orientation dominante ». L’inflexion viendrait « de mouvements sociaux demandant aux gouvernants des comptes quant à leur responsabilité dans cette affaire et leur imposant des inflexions par rapport aux orientations antérieures. » Bihr fait l’hypothèse que « ces mouvements trouveraient facilement à s’alimenter du discrédit de ces gouvernants, né du spectacle de leur impéritie, de la colère et des frustrations engendrées par le confinement, de la volonté de trouver des responsables et des coupables à ce fiasco de grande ampleur. Ce discrédit pourrait rejaillir sur l’ensemble des politiques néolibérales antérieures dont le caractère néfaste et proprement criminel a été démontré à grande échelle par la crise sanitaire engendrée par le délabrement du service public de santé, dont ces politiques sont directement responsables. » Si une telle inflexion avait lieu et si elle trouvait un débouché politique (un si moins certain que le premier), une série de propositions techniques sont prêtes à être mises en œuvre, les plus détaillées étant celles de Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers et Dominique Plihon [9]. Leur horizon est celui d’une « transformation systémique » intégrant les questions du changement climatique et des inégalités sociales profondes. Elles comprennent une réforme globale du système fiscal pour éliminer les sources principales des déficits et de la dette publics : les cadeaux fiscaux aux riches et aux multinationales, et l’évasion fiscale. L’étude qu’ils ont faite pour Attac estime que les ressources fiscales dégagées pourraient être de l’ordre de 200 milliards d’euros, donc largement supérieures au déficit public. Pour ce qui est de la dette publique, sa restructuration « peut prendre plusieurs formes : un rééchelonnement (recul des échéances), une dispense de paiement des intérêts, et une annulation partielle ou totale. » Mais pour Harribey, Jeffers et Plihon, le financement monétaire par la BCE est la principale mesure qui devra être prise, car « elle a le double mérite d’assurer une mutualisation des dettes publiques à l’échelle de la zone euro et de permettre une annulation des dettes. (Elle) se décompose en trois étapes : (1) l’achat des dettes publiques à l’émission par la BCE ; (2) leur transformation en dette perpétuelle, non remboursable, et (3) le reversement des intérêts perçus par la BCE aux États membres. » [10] Elle permettrait donc de supprimer 20 % de la charge de la dette publique (intérêts et remboursements).

Une proposition alternative ciblée sur les investissements écologiques entrant dans ce scénario, a été faite par Bridonnaux et Scialom pour qui, « une fois le combat contre le coronavirus gagné, il restera à engager vraiment et sans tarder la bataille contre le réchauffement climatique. Ce qui implique des investissements massifs dans la reconversion écologique de nos économies et donc de dégager des marges de manœuvre budgétaires. » Ils proposent une annulation partielle des dettes publiques détenues par la BCE, conditionnelle au réinvestissement des mêmes montants dans des investissements publics ‘verts’, par une nouvelle émission de dette. Les États pourraient financer les investissements de la transition écologique en s’endettant, sans que le ratio dette/PIB n’augmente. Tout nouvel endettement en vue d’investissements bas carbone coïnciderait avec l’annulation d’un volume de dette de même ampleur par la BCE. Ce mécanisme de conditionnalité orienterait de facto le plan de sortie de crise vers la transition écologique. » Le tabou du financement monétaire des dépenses publiques a été sérieusement écorné par la Banque d’Angleterre et le Trésor britannique qui ont annoncé que les dépenses publiques liées à la crise sanitaire pourraient être financées directement par la banque centrale. Harribey, Jeffers et Plihon l’ont bien relevé, notant par ailleurs que même Alain Minc prône la conversion des titres publics achetés par la BCE en une « dette publique à perpétuité ».

Le troisième scénario envisagé par Bihr relève « d’une rupture révolutionnaire qui exploiterait les brèches dans le système capitaliste et le dispositif politique bourgeois. » Elle comporterait une modification importante des rapports politiques entre le capital et le travail. Dans ce scénario, il s’agirait d’annuler non seulement les 20 % détenus par la Banque de France, mais aussi les 6,3 % des banques françaises détenus en fonds propres et aussi les 53,60 % de part détenue par les non-résidents dont les titres seraient répudiés. L’ouverture des comptes des sociétés d’assurance permettrait de faire le partage entre l’épargne des ménages tenues en assurance-vie et les bénéfices des sociétés. La survenue du troisième scénario supposerait l’irruption politique de « celles et ceux qui ont connu et qui connaissent plus que jamais, du fait de la pandémie et des politiques de remise en marche de la production de plus-value, une dégradation accrue de leur situation sur le marché du travail et sur les lieux de production, comme de leurs conditions d’existence quotidienne
. De cette situation pourrait naître « sous la pression de la nécessité mais aussi sous l’effet de la solidarité entre ’ceux-celles d’en bas’ conscients de l’incurie et de l’indifférence de ’ceux-celles d’en haut’ » des mouvements sociaux radicaux. Je suis prêt à accepter le constat de Bihr qu’on « a vu se mettre en place et se développer, un peu partout, au niveau local, des pratiques et des réseaux d’entraide pour faire face aux difficultés et problèmes résultant du développement de la pandémie et des mesures de confinement, notamment en faveur des plus démunis d’entre ces expropriés que sont par définition les prolétaires ».

Agir pour aider à la modification des rapports politiques, lier les revendications à la dette

Si les différentes solutions au paiement de la dette publique sont conditionnées par l’état des rapports politiques entre le capital et le travail, cela ne signifie pas qu’il faille attendre passivement leur modification. Il faut tenter de contribuer à la consolidation de la prise de conscience chez les travailleurs y compris les chômeurs de la faisabilité des solutions défendues. Le danger existe que la perception de l’état des rapports de force pèse sur les mots d’ordre et la présentation des stratégies. Ainsi, si le moment où la répudiation des dettes serait possible n’est pas venu, le mot d’ordre de leur annulation totale est néanmoins impératif. Les formes d’annulation partielles associées au scénario « social-démocrate » peuvent pâtir d’une présentation trop timide. Dans le cas de l’étude de Harribey, Jeffers et Plihon, l’angle qu’ils ont choisi dans leur tribune pour Libération était trop théorique (nature de la monnaie) pour obtenir un large soutien populaire sur la question du paiement de la dette. Heureusement, la page d’accueil d’Attac-France affiche maintenant leur étude intitulée « La monnaie au service de la société », mais aussi en accès libre le livre d’Attac de 2012, « Le piège de la dette », dont le titre est dénué de toute ambiguïté. Du côté de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a posté en avril, donc il y a déjà un mois, un long article sur son blog. Il y renvoie à la sous-section sur la dette de son programme de 2016. Dans l’hebdomadaire du NPA L’Anticapitaliste il y a eu en tout et pour tout un article d’Henri Wilno [11] Le mot dette ne figure pas sur la page d’accueil du NPA.

Il est dommage que la question de la dette publique ne figure pas au programme de la CNCL d’Attac du 13 juin. Car l’un des enjeux est de former les militant.e.s de façon à engager le dialogue avec les secteurs les plus mobilisés et les plus organisés comme celui de la santé publique. Fin avril l’appel « Bas les masques ! lancé par des soignant.e.s en vue de construire un mouvement populaire » a été publié et défendu à l’aide d’une vidéo très offensive. [12] Il fait une brève allusion à la dette. C’est aux auteurs de cet appel et aux intervenants dans la vidéo, habités par la rage et la détermination, qu’il faudrait chercher à parler, comme à celles et ceux qui ont rédigé le Manifeste des soignants du collectif Les jours heureux. Il est centré sur la situation des hôpitaux publics mais il a une portée tout à fait générale et peut inspirer d’autres mouvements.

Notes

[1Joseph Schumpeter, Théorie de l’évolution économique, Traduction française, Dalloz, 1936, pages 376-377.

[2John M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Traduction française, Payot, 1949, pages 389-390.

[3Voir l’article de Huber de Vauplane sur « L’Éthique de la dette » : « Dans les langues indo-européennes, les mots qui signifient « dette » sont synonymes de ceux qui veulent dire « péché » ou « culpabilité », ce qui illustre les liens entre la religion, le paiement, et la médiation entre les sphères du sacré et du profane par la « monnaie ». C’est particulièrement vrai en allemand où le mot dette, die Schuld, signifie aussi culpabilité, faute. »

[4Le spread est une prime de risque. Appliquée aux emprunts elle traduit le jugement des investisseurs sur la fiabilité des emprunteurs. Le spread est alors l’écart entre le taux d’intérêt d’un emprunt donné et un taux dit de référence sur la même maturité.

[5Michel Pébereau, Rompre avec la facilité de la dette publique, Paris, La Documentation française, 2006.

[6Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis, Rapport sur la situation des finances publiques,

[79. Assemblée nationale, Rapport de M. Gilles Carrez sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année, 2009 (n°2651).

[8Cette section de l’article et la suivante reprennent des développements de l’article mis en ligne sur le site Alencontre.org. Mais elle bénéficie des commentaires d’Esther Jeffers, Gaston Lefranc et Jean-Marie Burgeaud de sorte que plusieurs arguments ont été reformulés.

[9Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers et Dominique Plihon Note pour Attac, « La monnaie au service de la société », avril 2020.

[10Ibid.

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