Mais, quand on est aux manettes du capitalisme, c’est-à-dire du monde, on ne prend jamais trop de précautions ; parfois les gens mis en place [3] vont jusqu’à produire des rapports mettant en évidence le résultats de leurs travaux. Les inconscients ! [4]
Il y a près de vint ans, Joseph Stiglitz qui allait se voir attribuer le prix de la Banque de Suède en sciences économiques, abusivement désigné souvent comme le Nobel d’économie, publia Globalization and Its Discontents [5] particulièrement bien documenté qui, aujourd’hui, n’a guère pris de rides.
Ainsi, le locataire actuel de la Maison Blanche, a-t-il désigné un de ses conseillers, David Malpass, pour remplacer Jim Yong Kim démissionnaire de son poste à la Banque mondiale. Malpass fut élu en avril 2019 à l’unanimité des voix du Conseil de la Banque, y compris donc celle de l’administrateur français. Pourtant, l’homme désigné était parfaitement connu avant même d’être économiste en chef du puissant groupe financier Bear Stearns ou chroniqueur au Wall street journal ; il était déjà présent en effet dans les équipes de Ronald Reagan et de Bush père. Il est aussi un fervent climato-sceptique et un ardent contempteur du multilatéralisme ; c’est dire s’il présentait toutes les compétences pour occuper le poste providentiellement vacant à la Banque mondiale.
Il décida d’aller vite en besogne ; on ne sait jamais ! À ses yeux et ceux de son maître, le groupe des économistes de la Banque mondiale n’est guère sûr et il considère beaucoup d’entre eux comme de dangereux satrapes. Il convient donc de nommer quelqu’un qui saura mater cette bande de gauchistes.
Il pense avoir trouvé la perle rare, puisque, le 15 juin 2020, Carmen Reinhart – ancienne directrice adjointe au FMI et précédemment vice-présidente chez Bear Stearns avant que celle-ci soit mise en faillite lors de la crise de 2008 et reprise par JP Morgan Chase – prend ses fonctions de vice-présidente, économiste en chef de la Banque mondiale ; elle se compare elle-même à Sherlock Holmes, dotée d’un sens aigu de pragmatisme. Dans quels limbes obscurs la politique et, maintenant, l’économie, seraient-elles encore sans le pragmatisme ?
Las, quand il s’agit de rigueur, elle n’est jamais véritablement pertinente, selon les bien-pensants, que lorsqu’elle s’applique à la plus grande part de la population mondiale. Selon le World inequality report, on observe en 2050, dans l’une des trois projections étudiées (figure E10), que les titulaires des 1 % des plus hauts revenus pourraient s’approprier en 2050, 28 % du total pendant que la moitié de la population mondiale se verrait gratifiée d’à peine plus de 5 %.
On sait aussi que, à l’aune des mêmes, la dette – publique il va de soi alors que, par définition, celle-ci est toujours remboursable et serait, à l’heure actuelle, la moitié de la dette privée – est le pire des mécanismes à mettre en œuvre. Encore faut-il, quand on est économiste de renom le montrer avec des chiffes. Aussi, madame Reinhart s’était, avec son collègue Kenneth Rogoff, mise à la tâche. Ils concluaient dans leur étude s’étalant sur 200 ans et censée porter sur 44 pays, qu’une dette atteignant 90 % du PIB conduisait immanquablement les pays considérés à la récession. Mais voilà que deux étudiants mirent en évidence plusieurs erreurs grossières qui conduisirent le FMI à publier une étude affirmant qu’il n’existait aucun seuil à partir duquel l’apocalypse se déclenchait. L’organisme gauchiste bien connu sous le nom de Réserve fédérale des États-Unis publia une étude dans laquelle on peut, notamment, lire : « nous constatons que, pour les personnes vivant sous le choc de la Grande récession, les pertes moyennes de bien-être sont notablement plus faibles dans une économie avec sécurité sociale que dans une économie sans un programme de sécurité sociale ». On retrouve encore dans les articles de presse publiés à l’occasion de cette nomination, des références laudatives à cette étude [6]. Monsieur Malpass n’allait d’ailleurs pas se laisser impressionner par ces fausses notes, il présenta ainsi sa recrue « je suis très heureux d’accueillir Carmen […] au moment où nous intensifions nos efforts pour rétablir la croissance et faire face aux crises urgentes de la dette et de la récession ». Comme on dit chez ces gens-là, ce ne sont pas leurs études qui sont fausses mais, tout simplement, les faits qui ne s’y adaptent pas.
Après l’arrivée de Carmen Reinhart à la Banque mondiale telle que voulue par Trump sans qu’aucun pays n’y trouve à redire, on peut être assuré d’au moins un chose, l’établissement ne prêchera ni en faveur de l’environnement ni pour soutenir les pays pauvres.