Le « Green New Deal » aux États-Unis et en Europe

Atouts et limites d’un concept à géométrie variable
vendredi 3 avril 2020, par Jean Gadrey *

Depuis une dizaine d’années, le New Deal de Roosevelt est redevenu une référence pour une partie des forces de gauche. Au point d’avoir inspiré directement en France la création, en 2013, d’un parti politique, « Nouvelle Donne », faisant suite sans le supprimer à un « collectif Roosevelt » fondé en 2012 par Stéphane Hessel, Edgar Morin, Susan George, Cynthia Fleury et Pierre Larrouturou, entre autres (liste des fondateurs ici). Ce dernier collectif a décidé de se dissoudre en 2018.

Depuis une dizaine d’années, le New Deal de Roosevelt est redevenu une référence pour une partie des forces de gauche. Au point d’avoir inspiré directement en France la création, en 2013, d’un parti politique, « Nouvelle Donne », faisant suite sans le supprimer à un « collectif Roosevelt » fondé en 2012 par Stéphane Hessel, Edgar Morin, Susan George, Cynthia Fleury et Pierre Larrouturou, entre autres (liste des fondateurs ici). Ce dernier collectif a décidé de se dissoudre en 2018.

Rebaptisé et requalifié en « Green New Deal » (GND par la suite), le New Deal semble constituer un symbole positif pour certains écologistes ou pour la pensée « social-écologiste » qui se cherche des repères, en France, en Europe et en Amérique du Nord. Le groupe des Verts/ALE du Parlement européen en avait fait un thème central de son action dès 2010. Et l’on doit à Alain Lipietz (député européen Vert de 1999 à 2009), un livre de fond publié en 2012 : « Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologique ».

Le « Green Deal » (sans référence au New Deal de Roosevelt, un choix significatif que nous commenterons) est présenté comme le grand projet européen de la nouvelle Commission européenne et de sa présidente Ursula von der Layen : un « pacte vert pour l’Europe » ou « European Green Deal  » faisant partie, comme il se doit, d’une « New Growth Strategy ». Une stratégie de croissance verte promise à un aussi bel avenir, si on laisse faire la Commission, que celui de la « stratégie de Lisbonne » ainsi définie en mars 2000 : faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Des annonces sans suite, ou plutôt dont les suites ont été marquées par des régressions sociales et écologiques dont on peut craindre qu’elles se reproduisent avec le GND s’il en restait à la version de la Commission.

Cette variante, dépourvue d’une ambition à la hauteur des enjeux, n’est pas la seule en Europe. Par exemple, celle que défend la coalition « GND for Europe  » (fondée par le DiEM25 de Yanis Varoufakis, par la suite rejointe par de nombreuses ONG) est nettement plus offensive et plus proche des conceptions de la gauche américaine dont nous allons parler. Il en va de même, bien qu’avec des nuances, des idées de la délégation de la gauche sociale et écologiste au Parlement (socialistes, Place Publique et Nouvelle Donne), du groupe des Verts au Parlement (le groupe Verts-ALE), du groupe « de gauche » GUE/NVL et de certaines ONG environnementales. Nous y reviendrons.

Dans ce tour d’horizon déjà long des projets de GND aux États-Unis et en Europe, la question du financement, de son ambition et de ses modalités, a été laissée de côté. Elle est explicitée dans un billet de blog comme complément de cet article.

Le New Deal de Roosevelt

Sans faire un cours d’histoire, il est vrai que ce qui a été accompli sous l’impulsion de Franklin Delano Roosevelt, Président des États-Unis de 1933 à 1945, impressionne, en particulier sous l’angle d’un volontarisme politique capable de refouler les lobbies d’affaires et la finance pour imposer des mesures de progrès social largement plébiscitées par les citoyen.ne.s, ainsi qu’en témoignent les deux réélections faciles de Roosevelt en 1937 et 1940. Voici des extraits du Manifeste du Collectif Roosevelt  : « Quand Roosevelt arrive au pouvoir, les Américains sont dans un très grand désarroi : ’14 millions de chômeurs (25 % de taux de chômage), une production industrielle qui a diminué de 45 % en trois ans. L’Amérique touche le fond de l’abîme… Roosevelt agit immédiatement, avec une détermination qui ranime la confiance. L’activité législative est prodigieuse : en trois mois, Roosevelt fait adopter plus de réformes que son prédécesseur Hoover en 4 ans’ (René Rémond, Histoire des États-Unis, PUF)… Le but de Roosevelt n’est pas de ’rassurer les marchés financiers’ mais de les dompter. Les actionnaires sont furieux et s’opposent de toutes leurs forces à la loi qui sépare les banques de dépôt et les banques d’affaires, comme ils s’opposent aux taxes sur les plus hauts revenus ou à la création d’un impôt fédéral sur les bénéfices, mais Roosevelt tient bon et fait voter quinze réformes fondamentales en trois mois. Les catastrophes annoncées par les financiers ne se sont pas produites. »

Mentionnons, à cet actif du bilan, la création de la sécurité sociale, première expérience d’État-providence dans ce pays, des lois de protection syndicale (le Wagner Act de 1935 a permis la constitution de puissants syndicats dans le secteur privé), ou la politique publique de grands travaux menée par plusieurs grandes agences alors créées, dont la Public Works Administration, qui a employé jusqu’à 3,5 millions de chômeurs en 1938.

Les historiens et économistes font un bilan plus mitigé des apports de cette politique. L’économie est certes repartie, mais modestement et avec des à-coups, en particulier une récession en 1937. Il y avait encore 9,5 millions de chômeurs (17 % de la population active) en 1939, mais ils étaient indemnisés. La balance commerciale s’est fortement dégradée. Un réel échec concerne la situation des paysans qui se sont plutôt paupérisés. C’est essentiellement l’économie de guerre qui a massivement créé des emplois à partir de 1941.

Le « Green New Deal » de la gauche américaine aujourd’hui

C’est à la fin de l’année 2018 que la proposition d’un GND, qui avait été parfois évoquée auparavant – on cite en particulier le journaliste Thomas Friedman dans le New York Times en 2007 –, a vraiment pris corps aux États-Unis sous l’impulsion notamment d’Alexandria Ocasio-Cortez (AOC dans les médias et l’opinion), élue au Congrès le 6 novembre 2018 à l’âge de 29 ans. Dès le 7 février 2019, elle présentait avec 71 autres personnes une Résolution (projet de loi) sous le titre « Recognizing the duty of the Federal Government to create a Green New Deal ». Un projet dont l’ambition est comparable à celle du premier train de mesures de Roosevelt, même si le contexte et les objectifs diffèrent nettement.

La campagne de Bernie Sanders en vue de l’investiture démocrate est centrée sur ces idées et sur la dénomination de GND. Parmi les nombreuses mesures proposées, on trouve les suivantes :

- 100 % d’énergies renouvelables pour l’électricité et les transports d’ici 2030 et zéro émission nette pour le pays d’ici 2050.

- La création de 20 millions d’emplois pour le climat.

- 16 000 milliards de dollars d’investissements publics, une ambition comparable à celle de l’époque du New Deal et de la Seconde Guerre mondiale.

- Une transition juste pour les travailleurs, avec entre autres une garantie de maintien pendant 5 ans des salaires et allocations en cas de perte d’emploi dans des secteurs en déclin comme celui des énergies fossiles.

- Un grand programme d’isolation thermique des logements et un autre pour des transports publics modernes et propres.

- Rejoindre l’accord de Paris et abonder le Fonds mondial pour le climat à hauteur de 200 milliards de dollars.

- Des investissements publics conséquents pour restaurer les sols, forêts et prairies.

- « Mettre fin à la cupidité de l’industrie fossile, y compris en la faisant payer pour ses pollutions et en la poursuivant en justice pour les dommages qu’elle a causés ».

- Enfin, « ce qui est le plus important, construire un mouvement populaire partant des citoyens (« Grassroots Movement ») suffisamment puissant pour réussir ».

Il s’agit d’un vrai programme de rupture avec le néolibéralisme, de renégociation des accords dits « de libre-échange » et de retour à une intervention publique ayant d’ambitieux objectifs sociaux, fiscaux et écologiques. On en examinera les limites par la suite.

La journaliste et essayiste altermondialiste Naomi Klein a, dès 2018, apporté un soutien enthousiaste aux idées du GND, en particulier dans cet article publié par The Intercept. Elle y revient de façon plus explicite dans son livre de 2019 « On Fire : the (Burning) Case for a Green New Deal  », publié en français chez Actes Sud sous le titre Plan B pour la planète : le New Deal vert. Un titre qui ressemble beaucoup à celui du livre de Jeremy Rifkin, publié presque simultanément : Le New Deal vert mondial : Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028 - Le plan économique pour sauver la vie sur Terre. La ressemblance des titres et la référence commune au GND ne valent nullement concordance des idées (voir ma critique du livre de Rifkin dans ce billet « Jeremy Rifkin, visionnaire écolo ou imposteur techno-libéral ? ».)

Dans ce long entretien (Libération du 3 novembre 2019) autour de son dernier livre, Naomi Klein estime en particulier que « ce qu’il y a de vraiment intéressant avec le Green New Deal, c’est qu’il ne demande pas aux gens de choisir entre la fin du mois et la fin du monde ». Pour elle, le récit et les propositions du GND montrent « une vision du futur dans laquelle on déciderait de changer », permettant de contrer « le ressenti global de désespoir et d’impuissance ».

La question se pose alors : la « vision du futur » associée au GND dans sa version américaine, qui semble la plus ambitieuse des variantes existantes, est-elle compatible avec un combat efficace contre le dérèglement climatique et plus généralement avec la préservation d’un monde habitable ? Malheureusement, la réponse est non. Le compte n’y est pas, en raison de deux failles de grande importance.

Deux grandes failles

Naomi Klein a raison : on ne mobilisera pas la grande majorité des gens si on leur demande de « choisir entre la fin du mois et la fin du monde ». Bien au contraire, l’exigence d’égalité des contributions et des rétributions dans tous les domaines doit prévaloir, tout comme celle du plein emploi, du refus d’un « chômage écologique » et d’une protection sociale ne laissant personne sur le bord du chemin.

En revanche, il va falloir choisir entre la fin du monde et le maintien des modes de vie actuels, en particulier dans les pays riches. Le GND ignore cela. C’est sa première grande faille : l’absence de la sobriété matérielle et énergétique comme exigence incontournable pour réduire fortement la pression anthropique sur la biosphère (mais aussi sur les ressources du sous-sol). Il n’y a rien dans le GND de Sanders et d’AOC qui permettrait de freiner l’avidité consumériste propulsée par la publicité et le crédit, le déploiement sans limite des réseaux techniques, le recours à l’automobile, à l’avion, au transport routier de marchandises. Rien sur la transformation des habitudes alimentaires. Pas de critique du productivisme. Tout ce qui fait la valeur, en France, des scénarios négaWatt et Afterres sous l’angle de la sobriété, est ignoré. Ajoutons qu’il n’y a rien non plus sur la réduction du temps de travail, la croissance verte étant supposée produire le plein-emploi.

Comment les partisans du GND américain s’y prennent-ils pour fixer des objectifs climatiques ambitieux sans recourir à la sobriété, comme s’ils reprenaient implicitement la fameuse phrase de Georges Bush (père) en 1992 au sommet de Rio : « le mode de vie des Américains n’est pas négociable » ? C’est la deuxième grande faille : les investissements de haute technologie et la recherche scientifique sont supposés y pourvoir. Cela va de la voiture électrique supposée propre alors qu’on sait que « la voiture propre n’existe pas  », aux camions du futur eux aussi électriques et « clean », et même à la « décarbonisation du transport aérien et maritime…, faisant des États-Unis un leader mondial dans ce domaine », ce qui relève d’un pari insensé. Bien d’autres propositions vont dans le même sens, comme l’expansion d’un Internet à très haut débit, l’électrification généralisée (sans le nucléaire) de l’énergie pour les habitations, bâtiments et entreprises, une abondance énergétique permettant de répondre à « the nation’s growing needs », des besoins toujours croissants.

On rejoint incontestablement ici les rêves d’une croissance verte, dans une vision « high tech » proche de celle de Rifkin, sans se poser des questions aussi centrales que celles des ressources matérielles pourtant limitées, et pour certaines en voie d’extinction – tout comme la biodiversité en chute libre -, pouvant alimenter cette fuite en avant supposée verte. On est à l’opposé des arguments en faveur des « low tech  » associées à la sobriété des usages. À l’opposé aussi de ce qui fait la crédibilité des scénarios négaWatt : ne reposer que sur des technologies existantes, sans aucun pari sur d’éventuelles découvertes scientifiques capables de sauver le climat et le reste. On peut noter que Naomi Klein, auteure notamment en 2000 du livre anti-publicité « No logo », insiste au contraire, dans son livre récent « On Fire » (page 86 de la version originale) sur la nécessité de combattre le consumérisme et de prendre des distances avec le discours de la croissance verte.

Pourquoi cet aveuglement, ce déni des limites matérielles, y compris dans les discours les plus progressistes et les plus conscients de la gravité du désastre climatique ? Dans le cas américain, une explication possible est fournie par Naomi Klein  : « Quand les Européens débarquent en Amérique du Nord pour la première fois, ils n’arrivent pas à croire à la quantité de nature qui les entoure. Ils n’en reviennent pas ! Pour eux, c’est le jackpot au moment où les grandes forêts d’Europe disparaissent, où les zones de pêche sont épuisées, où les grands animaux d’Europe ont été chassés jusqu’à l’extinction. D’un coup, ils découvrent cette doublure, ce continent de rechange, bien plus immense que ce que leurs esprits d’Européens leur permettent de concevoir. On le voit dans les écrits de l’époque : ils n’ont de cesse de décrire cette idée d’infinitude, plus de poissons que de grains de sable, des arbres à perte de vue… Cette idée (« the story of endlessness ») d’une nature infinie, inépuisable, est restée centrale dans nos récits nationaux. L’idée qu’il faudrait mettre, logiquement, des limites est inimaginable, particulièrement pour les gens les plus attachés à ces récits nationaux. Il existe une forme de rage profonde face à l’idée qu’on veuille nous imposer des limites. »

Bien entendu, Naomi Klein estime qu’il faut combattre cette « rage profonde » aujourd’hui incarnée de façon caricaturale par Donald Trump, mais elle apporte toutefois un appui presque inconditionnel au GND de Sanders et AOC comme levier de transformation pouvant obtenir un soutien populaire, dans un contexte où aucune autre issue progressiste ne semble exister dans ce pays.

Une analyse de l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) résume assez bien l’inspiration de l’actuel GND américain : « Inspiré par le programme de grands travaux d’infrastructures lancé en 1933 par le Président Roosevelt en réponse aux impacts de la crise de 1929 (le New Deal), le GND consiste à mobiliser un volume massif d’investissements publics et privés afin d’enclencher la transformation vers une économie bas-carbone, d’investir dans l’innovation et les technologies de pointe, de moderniser les infrastructures obsolètes du pays et de créer des millions d’emplois de qualité – c’est-à-dire décemment rémunérés et protégés. »

Cette attirance de la gauche américaine pour les années Roosevelt a pour équivalent, en France, la référence aux « Trente Glorieuses » : mobilisatrice pour certains (une période de progrès social, de quasi plein emploi et d’inégalités faibles, avec un État puissant et une finance sous contrôle), peu enthousiasmante voire dissuasive pour d’autres : c’est à la fin de cette période de formidables gains de productivité que l’empreinte écologique de l’humanité a dépassé la capacité de production de ressources renouvelables par la nature et que les émissions de gaz à effet de serre ont excédé la capacité de leur séquestration naturelle. Ces « Trente Glorieuses » étaient aussi à leur façon un « deal » entre le capital et le travail dans les pays occidentaux, un deal où chacun estimait gagner suffisamment pour le faire durer, un deal qui a pourtant fait deux grands perdants : la Nature et le « Tiers-Monde ».

Qu’en est-il avec le GND en Europe, en commençant par les institutions européennes ?

Le Green New Deal en Europe, vu du Parlement

Nous avons mentionné en introduction la Commission von der Layen et sa variante pour l’instant très pâle du GND. Pour être précis, ce n’est pas un Green New Deal mais un Green Deal, ce qui résulte d’un choix délibéré : les néolibéraux qui dominent la Commission évitent soigneusement toute référence aux réformes de Roosevelt qui s’appuyaient sur le rôle central de l’intervention publique dans la crise, le contrôle de la finance, sans parler d’une fiscalité bien plus progressive et de réglementations strictes auxquelles se sont vivement opposés à l’époque les milieux d’affaires et les banquiers. Nous ne développons pas dans cet article la contradiction entre l’affichage d’objectifs climatiques forts (« becoming the world’s first climate-neutral continent by 2050) et le choix d’instruments politiques trop peu contraignants et d’indicateurs de découplage inadaptés, une contradiction bien décortiquée par Éloi Laurent dans The european green deal, OFCE, janvier 2020.

Intéressons-nous à des groupes d’élus plus ambitieux, comme la délégation de la gauche sociale et écologiste (socialistes, Place Publique et Nouvelle Donne) et le groupe des Verts-ALE au Parlement. Le groupe GUE/NGL (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique) est également engagé dans « l’équité dans la lutte contre le changement climatique », sous la dénomination de « Green and Social New Deal for Europe ».

Le groupe des Verts, pionnier sur ce thème au Parlement, avait publié dès 2011 un document « Le Green New Deal au Parlement européen ». Son examen détaillé montre qu’on y trouve une partie de l’ambition du GND américain actuel, avec, dès l’introduction, cette mention absente des variantes américaines : « aligner nos modes de vie – la manière dont nous vivons, produisons et consommons – sur les limites physiques de notre planète ».

Mais malheureusement, en lisant chacune des grandes rubriques qui suivent, on ne retrouve guère de référence aux modes de vie et encore moins à la sobriété. Pour l’énergie, l’accent est mis sur l’efficacité, la sobriété énergétique n’est pas citée. Pour l’industrie (dont « l’avenir dépend de sa capacité d’innovation »), la compétitivité (durable) et l’efficacité sont au centre, en dépit de bonnes idées sur le recyclage et l’éco-innovation. Pour la mobilité (« essentielle à la prospérité économique »), on trouve certes une importante orientation consistant à « vaincre la dépendance à la voiture » mais aussi un accent sur la « mobilité électrique ». La rubrique économie, introduite par Pascal Canfin, insiste sur la réglementation financière et sur la fiscalité verte, mais la croissance n’y est pas remise en cause. Il n’y a rien sur l’agriculture, ce qui est sidérant. Rien non plus sur la réduction du temps de travail (RTT). Il faut attendre la conclusion, présentée par Philippe Lamberts, pour trouver une trace de ce qui fait défaut dans toute l’analyse : « il nous faut aller au-delà de la recherche d’une croissance infinie et de notre obsession du PIB. À présent, la question est de savoir comment nous pouvons modifier nos comportements et nos modes de vie afin de réduire notre empreinte carbone, tout en encourageant l’équité et en améliorant la qualité de vie de chacun. Le Green New Deal implique l’abandon d’une vision limitée à la croissance économique et le développement d’une conception plus large de la prospérité. »

Même absence de critique du culte de la croissance, du productivisme et du consumérisme, même absence de l’exigence de sobriété et du thème de la RTT dans le document pourtant très engagé du groupe « de gauche » GUE/NGL « Towards a green and social new deal for Europe  ».

La délégation (française) de la gauche sociale et écologiste (socialistes, Place Publique et Nouvelle Donne) n’est pas en reste sur le thème du GND. Elle ne comporte que cinq eurodéputés, mais elle est rattachée au Groupe de l’alliance progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen. Ce dernier groupe S&D a publié une lettre de propositions adressée au Vice-Président Frans Timmermans, sur le thème du Green Deal européen. L’esprit est assez semblable, en plus vague et plus mou, à celui du GND de la gauche américaine, atouts et limites comprises : en résumé, rien sur la sobriété, ni sur la religion de la croissance, ni sur la réduction du temps de travail. Rien non plus sur les énergies fossiles, contrairement au GND américain très offensif sur ce point.

Au Parlement européen, certaines personnalités se distinguent autant qu’elles le peuvent. C’est notamment le cas de deux femmes (ce n’est pas un hasard) eurodéputées françaises. D’une part, Aurore Lalucq, qui préside un intergroupe Green New Deal de plus de 150 parlementaires et qui propose un programme détaillé et très élaboré de renouveau écologique, social et économique « post-croissance » (voir également sa longue interview dans Le vent se lève du 1er mars 2020). D’autre part, Marie Toussaint, cofondatrice de l’association Notre affaire à tous et initiatrice entre autres de cet appel remarquable « Le Green Deal ne peut pas être une rustine verte sur un capitalisme prédateur » (Le Monde, 15 janvier 2020).

Du côté des ONG environnementales et sociales

La coalition « GND for Europe  » est une campagne inter-ONG lancée en avril 2019 par le Democracy in Europe Movement (DiEM25), appuyée par 16 autres ONG dont la New economics foundation, Tax justice network, le pacte finance/climat, etc. Elle a reçu l’appui de parlementaires de plusieurs groupes, dont la Française Aurore Lalucq, ainsi que du fondateur de l’association 350.org, Bill McKibben. Son document de décembre 2019 « For Europe’s Just Transition  » (94 pages), très critique des insuffisances du GND de la Commission, est l’un des plus intéressants sur le sujet. Il résulte du travail collectif d’un grand nombre de contributeurs, majoritairement membres d’ONG. Certes, son orientation macroéconomique reste celle d’un keynésianisme vert et sa référence au New Deal de Roosevelt est appuyée et non critique. Mais y figurent des propositions essentielles absentes dans la variante de la gauche politique américaine tout autant que dans les idées des groupes parlementaires européens se référant au GND.

On trouve d’abord cette recommandation, malheureusement dépourvue de toute explication : « passer à un indicateur de progrès véritable remplaçant le PIB dans toutes les institutions de l’UE ». On trouve ensuite et surtout des analyses de la mobilité durable (page 43) remettant fortement en cause le recours aux véhicules motorisés individuels (y compris électriques, y compris l’avion) au bénéfice de la sobriété et de modes de transports doux ainsi que des transports collectifs publics. Il en va de même de l’exigence de sobriété numérique et de la création de plateformes coopératives. La transformation de l’agriculture en agroécologie est longuement détaillée. Et la réduction du temps de travail fait partie du projet. Le rapport se termine par des propositions législatives ambitieuses.

Pour aller un cran plus loin dans l’analyse et les propositions, il faut s’appuyer sur les évaluations du GND de la Commission par les Amis de la Terre – Europe. Si ces derniers saluent comme tout le monde un affichage devenu très vert sous l’influence des mouvements citoyens et des constats scientifiques, ils sont très négatifs sur l’état actuel du projet. Leur Directrice Jagoda Munić estime ainsi que « nous sommes dans un train fou filant vers un effondrement écologique et climatique et la Commission enclenche les vitesses en douceur au lieu d’appuyer à fond sur le frein… La Présidente von der Leyen reste accrochée aux vieilles conceptions économiques obsédées par la croissance. Sa Commission va continuer à promouvoir les énergies fossiles tueuses du climat, le marché carbone qui a échoué, la surconsommation, et potentiellement autoriser de nouveaux OGM dans notre alimentation… Une véritable transition ’ juste ’ ne peut pas continuer à renflouer les gros pollueurs des énergies fossiles ».

Quant au « lobby citoyen » Pacte Finance-Climat initié en France par l’économiste Pierre Larrouturou (devenu député européen) et le climatologue Jean Jouzel, et soutenu par une impressionnante liste de personnalités et de scientifiques, il est certes ambitieux dans ses propositions de financement via une banque européenne du climat et de la biodiversité et d’un « fonds européen » correspondant, mais il n’entre pas dans l’analyse du changement de paradigme socio-économique et de la révolution des modes de vie et de production : c’est un green new deal du financement, résumé par quelques formules chocs : « L’Europe est née avec le charbon et l’acier, elle pourrait renaître avec le climat et l’emploi », il faut « un plan Marshall pour le climat », ou « si le climat était une banque, on l’aurait déjà sauvé ». Et plus récemment : « pour gagner, un green new deal a besoin de green new money ».

Les économistes de la gauche européenne s’y mettent… un peu

Leur principal réseau est celui des « économistes européens pour une politique économique alternative en Europe » ou « EuroMemo Group ». Il est né en 1995 et il publie depuis, tous les ans, un mémorandum traduit en plusieurs langues, à la fois très critique des politiques néolibérales et formulant des propositions alternatives issues de réflexions collectives. Il compte plusieurs centaines d’économistes de tous pays. Il aura fallu attendre cette année 2020 pour qu’enfin un mémorandum annuel centre son analyse sur la catastrophe écologique et climatique, avec comme titre « A Green New Deal for Europe - Opportunities and Challenges  ». Cela donne une idée à la fois du retard considérable des économistes les plus progressistes du continent depuis un quart de siècle sur les enjeux écologiques, et de la (petite) révolution intellectuelle qui marque aujourd’hui aussi bien les institutions européennes que les économistes eux-mêmes, le tout sous l’influence déterminante des constats scientifiques relayés par des mouvements citoyens et notamment les plus jeunes, désormais en pointe.

Ce mémorandum 2020 contient une vive critique du projet de la Commission et de ses lacunes et faiblesses, et de nombreuses propositions assez semblables à celles de la coalition « GND for Europe  ». Mais, venant d’économistes d’inspiration keynésienne, on ne sera pas étonné d’y trouver des lamentations sur la trop faible croissance résultant des politiques d’austérité, et même cet argument : le changement climatique est l’un des facteurs qui pèsent sur la croissance… C’est finalement le volet social du GND qui occupe le plus de place, sous le vocable de « croissance inclusive ». Autrement dit, la (petite) révolution verte de ces économistes ne remet pas encore en cause leurs croyances du passé. Leur credo actualisé est la croissance verte et inclusive. C’est incontestablement préférable à la croissance polluante et « excluante »…

Green New Deal : une vision mobilisatrice ?

La référence au GND, tant en Europe qu’aux États-Unis, est de fait un appui à certaines mobilisations. C’est assez net aux États-Unis compte tenu de la force symbolique du New Deal de Roosevelt pour les mouvements et politiques de gauche et écologistes. C’est moins clair en Europe, où il faut distinguer les mobilisations « en haut » (élus, intellectuels, élites progressistes diversement converties à l’écologie) et les actions citoyennes. Pour ceux et celles qui tentent d’arracher des victoires pour l’instant timides au Parlement européen, le GND est un cheval de bataille plus ou moins obligé dans le contexte actuel, pour deux raisons. Le première est la grande flexibilité de ses interprétations et de son contenu, entre un ambitieux projet écologique et social et du greenwashing largement discursif. Le combat d’idées et de projets peut alors porter sur la consolidation du contenu de cette appellation flexible de GND, en termes d’ambition financière, d’investissements, d’emplois et de justice. Qui plus est, la langue anglaise est un véhicule qui reste dominant dans ces instances, même après le Brexit…

La seconde raison est que, dans pratiquement toutes ses versions existantes, le GND est un compromis ou pacte (deal) reposant sur la promesse d’une abondance verte, d’une croissance verte comme condition d’un plein emploi vert, ce qui autorise sans doute des « alliances de promesses » entre élus de bords différents. Mais pour ceux qui estiment, comme l’auteur de cet article, qu’il est impossible de « sauver le climat » en perpétuant le culte de la croissance, ce compromis est insatisfaisant, même s’il marque une avancée. La poursuite de la croissance, verte ou pas, est un mythe [1], une croyance économique dont il faut se débarrasser au plus vite, ainsi que l’argumentait une tribune d’intellectuels et d’universitaires européens en septembre 2018, ou encore nombre d’analyses convergentes dont celles de Gaël Giraud, de Philippe Bihouix (« la croissance verte est une mystification absolue ») et l’analyse plus ancienne (2010) de Michel Husson « Croissance sans CO2  », qui se conclut ainsi : « les objectifs de réduction de CO2 fixés par le GIEC semblent hors d’atteinte, à moins d’une inflexion monumentale du rythme de croissance, voire d’une inversion ». Plus récemment, le rapport « Decoupling Debunked  » du Bureau européen de l’environnement (2019) démontre la même chose.

Pour revenir à l’efficacité mobilisatrice de la symbolique du GND, il n’est pas certain en revanche qu’en Europe les « activistes du climat » et plus généralement les ONG, à commencer par les plus jeunes, dont beaucoup de femmes, voient dans cette appellation d’origine contrôlée une perspective enthousiasmante, un imaginaire positif, sans parler des citoyen.ne.s moins engagé.e.s bien que concerné.e.s. Outre le fait qu’un symbole en langue anglaise directement emprunté à la culture américaine des années 1930 et 1940 aura du mal à faire recette en Europe comme en France (et l’invocation du Plan Marshall encore moins), cette appellation visant un deal politique au sommet est loin d’être compatible avec des imaginaires de rupture qui montent en puissance aujourd’hui : « changeons le système, pas le climat », « extinction rébellion », « un autre monde », « pas de nature, pas de futur », « justice climatique maintenant », « désobéissance civile », etc. Ajoutons-y cette citation de Greta Thunberg : « Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! ».

Cette autre citation de la même Greta Thunberg illustre ce qui différencie les discours du GND, avec son insistance sur le « deal » politique, et ce qu’il faudrait faire : « tant que vous ne commencez pas à vous concentrer sur ce qui doit être fait, plutôt que sur ce qui est politiquement possible, il n’y a aucun espoir ».

Il y a dans les discours du « deal » ou « pacte » l’espoir vain d’un compromis « politiquement possible » entre toutes les parties prenantes « au sommet », élites politiques et élites économiques. Or il n’y a aucune chance de parvenir à bifurquer vraiment sans s’en prendre, par des réglementations contraignantes, à l’ébriété matérielle et financière du capitalisme, au consumérisme et au productivisme, sans définir démocratiquement et imposer des quotas et des interdictions : sur l’exploitation des énergies fossiles, sur le nucléaire, le transport aérien, la production de SUV et ensuite tous les véhicules motorisés climaticides, les pesticides, les produits financiers spéculatifs, les paradis fiscaux, l’artificialisation des terres, les OGM, etc. Il faut évidemment y ajouter des plafonds imposés de revenus et de richesse des individus. Certains enjeux vitaux ne sont plus négociables au sens d’un deal politique où tout le monde gagnerait : dominants et dominés, humains et Nature, travail et capital.

Un autre imaginaire est possible et nécessaire

Sans vouloir opposer les combats parlementaires et ceux de « la base militante », car ils peuvent parfois se conforter, il est clair que si, aujourd’hui, des inflexions timides se produisent « en haut », c’est avant tout parce que les actions militantes, souvent appuyées sur des collectifs de scientifiques lanceurs d’alertes, ont fait bouger les représentations des priorités et des urgences dans l’opinion des citoyen.ne.s. Pour que ces représentations bougent encore beaucoup plus, ce n’est pas de l’imaginaire du New Deal dont les citoyen.ne.s européen.ne.s et français.e.s ont d’abord besoin, mais de deux types d’appels à une mobilisation générale, à la « rébellion », à la résistance, à la désobéissance. D’une part, des arguments de rupture, de bifurcation radicale, avec des mots antisystèmes condamnant le système politique, le système économique du capitalisme financier, les systèmes liés du consumérisme et du productivisme, le système de la croissance comme horizon indépassable. D’autre part, des arguments et des mots décrivant une perspective de vie meilleure, que l’on trouve du côté du « bien vivre dans les limites de la planète », de la sobriété démocratiquement choisie, du « prendre soin » (des humains, de la société, de la nature), et, comme on va le voir, dans une éthique pacifiée du rapport entre les humains et la Nature.

Rien de tout cela ne relève du New Deal Vert, qui est le cousin modernisé et anglicisé du développement durable. Cela ne veut pas dire que les notions de transition ou même de développement durable ne sont pas, ou n’ont pas été, efficaces dans certains contextes et pour des acteurs, locaux en particulier – on pense aux « villes en transition » –, capables de s’en saisir pour provoquer des changements profonds. Mais, vu l’urgence et l’inaction criminelle de la plupart des cercles dominants, il faut aujourd’hui aller plus loin, quitte à emprunter des symboles liés aux situations de « guerre et paix » : mener une guerre contre l’effondrement climatique et écologique en cours pour préserver les chances d’une pacification des relations entre humains, et entre les humains et la Nature.

Plus fondamentalement, l’imaginaire d’une mobilisation générale ou d’une rébellion a besoin que l’on précise ses finalités éthiques au-delà des termes indispensables mais encore trop techniques de climat ou de biodiversité. Même la justice climatique, si important que soit ce slogan, est une référence trop étroite, car ce qui est en jeu est le rapport entre les humains et la Nature dont ils font partie. Ce qui est en jeu est l’anthropocentrisme comme représentation multiséculaire des relations humains/Nature. Dominique Méda a plusieurs fois attiré l’attention sur Lynn White, historien médiéviste américain auteur notamment en 1967 d’un article qui a fait date : « Les racines historiques de notre crise écologique ». Il a donné lieu, sous ce titre, à un petit livre en langue française, publié en 2019, préfacé et longuement postfacé de façon critique par Dominique Bourg.

Lynn White développe plusieurs thèses, qui ont suscité des controverses dont la dernière en date est le fait du Pape François dans son encyclique « Laudato Si’ » (2015). La première thèse est que le bouleversement écologique contemporain ne s’explique pas d’abord par la multiplication des techniques ou des inventions destructrices de nature, mais par les représentations des rapports entre humains et Nature : « Ce que font les gens dépend de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes en lien avec les choses qui les entourent ». La seconde thèse est que le christianisme occidental ou latin a constitué dès l’origine « la religion la plus anthropocentrique à avoir jamais existé ». La victoire du christianisme sur l’animisme païen, qui constituait comme une barrière protectrice pour la nature, a été une « révolution psychique et culturelle majeure dans l’histoire humaine ». Dans cette conception du monde, l’humain ne fait plus partie de la nature : il la considère comme un objet à mettre en forme et exploiter pour son usage. Troisième idée : c’est la rencontre entre cet anthropocentrisme chrétien et la science moderne (elle-même fortement influencée, dès sa naissance, par la pensée chrétienne), à partir du XVIIe et du XVIII e siècle, qui a créé les conditions de l’exploitation sans limite de la Nature et préparé le franchissement des limites écologiques. Il manque sans doute à cette thèse celle de la rencontre entre les deux précédents facteurs de désastre et le capitalisme, dont le principe d’accumulation sans borne et d’appropriation sans limite des biens communs a propulsé plus loin encore la domination des activités humaines sur la Nature (et l’exploitation des travailleurs). Quant à la quatrième thèse, elle est formulée ainsi : « Plus de science et plus de technologie ne nous tireront pas de la crise écologique actuelle ». En résumé, « on peut en discuter indéfiniment, mais à la fin, on en revient toujours aux structures de nos valeurs ».

L’alliance des droits de la Terre et des droits humains

Beaucoup d’autres écrits de la pensée écologique (voir ce lien) développent des idées proches, que l’on trouve aussi chez l’anthropologue Philippe Descola (« Par-delà nature et culture », 2005) pour qui la civilisation occidentale est la seule à avoir séparé nature et culture. Fort peu de ces écrits adoptent une approche sociale-écologique, et fort peu prennent en compte l’influence propre du capitalisme sur la destruction de la Nature. On peut toutefois en retenir l’importance extrême des représentations, religieuses ou non, du monde et de l’agir humain, à commencer par ce point clé : les humains doivent-ils ou non agir en considérant la Nature comme ayant des « droits » de même niveau que les droits humains, et si oui lesquels ? Des « droits de la Terre » ayant une valeur morale, mais pouvant aussi revêtir une valeur juridique.

C’est à cette cause que sont consacrées les actions d’ONG internationales comme Wild Legal, Nature Rights, la très vaste Global Alliance for the Rights of Nature, End Ecocide on Earth et beaucoup d’autres. Il s’agit pour ces acteurs, qui marquent des points dans le monde, de « reconnaître les écosystèmes et entités du Vivant comme sujets de droits et membres de la communauté interdépendante de la vie : la Communauté de la Terre… Les Droits de la Nature, ou Droits de la Terre, sont un ensemble de règles et principes visant à protéger les entités de la biosphère telles qu’une rivière ou une montagne en les reconnaissant comme personnes ou êtres vivants dotés de droits propres au titre de leur valeur intrinsèque… Les Droits de la Nature associent ainsi une approche biocentriste (aux antipodes de l’anthropocentrisme [2]), issue notamment de la vision des peuples autochtones, à des mécanismes juridiques occidentaux » (source). Un livre superbe relevant de cette dernière approche est la « Lettre à la Terre » de Geneviève Azam (Seuil, 2019). Il faut au plus vite rompre avec le rapport de conquête et de destruction de la Nature par les humains et par leur « système d’exploitation » qu’est le capitalisme et mettre en place un rapport de respect, d’attention, de « care » (prendre soin des patrimoines essentiels en les préservant et les gérant comme des biens communs), ce qui vaut aussi pour les rapports entre humains et pour le patrimoine des liens sociaux, de la solidarité.

Pour tous les mouvements militants, activistes du climat, de la biodiversité, des luttes contre les pollutions, zadistes et opposants aux « grands projets inutiles », ONG anti-nucléaires, altermondialistes, associations féministes et éco-féministes, objecteurs de croissance, « effondristes », « dé-consommateurs » etc. ; pour les syndicats aussi, comme avocats des conditions de travail et d’emploi de plus en plus conscients des risques écologiques ; pour tous ces mouvements dont dépend avant tout la radicalité de la révolution culturelle exigée par les désastres en cours, le Green New Deal n’est pas d’un grand secours comme imaginaire mobilisateur, en dépit de ses atouts : sa double dimension sociale/écologique et son attention à l’emploi. Il peut même constituer un écran de fumée verte s’il ne se fonde pas sur l’alliance des droits de la Terre et des droits humains. Ce n’est pas avec son appellation d’origine issue du New Deal américain qu’il y parviendra, au moins dans les réseaux citoyens de base les plus engagés. Cela dit, l’insurrection des consciences, et les mobilisations qu’elle doit susciter, n’ont pas nécessairement besoin d’un unique mot d’ordre, slogan, ou mythe mobilisateur, parce que la grande bifurcation, pour devenir effective, doit avoir des origines et des niveaux d’action multiples. Encore faut-il que les diverses appellations ou symboles mis en avant soient compatibles ou puissent converger. Ce n’est pas encore le cas.

Notes

[1Parmi les nombreux ouvrages ayant développé ces idées on peut citer, en se limitant aux années récentes, « Prospérité sans croissance » de Tim Jackson (2009), « Adieu à la croissance » de Jean Gadrey (2010), « La mystique de la croissance » de Dominique Méda (2013), « Faut-il attendre la croissance ? » de Florence Jany-Catrice et Dominique Méda (2016) et « Sortir de la croissance » d’Éloi Laurent (2019). Mais des précurseurs avaient ouvert la voie dès les années 1970.

[2« La pensée biocentriste envisage l’ensemble des entités du Vivant en tant que composantes égales d’un même tout, la communauté de la vie. L’Homme y est appréhendé comme un membre de cet ensemble, à la vitalité duquel il doit contribuer positivement. »

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