Les objectifs de cette publication sont principalement de relier
- des travaux académiques sur les langues et sur les cultures ;
- les problématiques des langues et cultures minoritaires, celles des régions historiques et ultramarines de France (occitan, basque, créole…) et des Suds (d’Afrique subsaharienne et du Maghreb…) ;
- au plan citoyen, les objectifs de démocratie et de développement, en fonction de l’adage « Pas de développement sans démocratie, pas de démocratie sans développement ».
Un contexte géo-politique sous le signe des aspirations identitaires
L’accent est mis au départ sur les recompositions géopolitiques qui se manifestent dans le contexte de la mondialisation, mais aussi du fait de la crise du système néolibéral. Si, en négatif, celles-ci se traduisent par des nationalismes xénophobes voire guerriers, les formes progressistes des aspirations identitaires sont effectives également, en particulier sur le terrain régional. Le panorama est ainsi éclairé par des fulgurances, marquées par une logique d’ensemble, à en juger à l’actualité écossaise, catalane, corse, camerounaise anglophone, néo-calédonienne, kurde…
Les prérogatives des sciences sociales et du langage
La structuration de ces événements s’opère à partir d’une quadrilogie – langue, culture, ethnie [2] et territoire–, leur promotion politique étant de l’ordre du « nationalitaire », c’est-à-dire fondée sur leur reconnaissance institutionnelle en matière de dignité, de droits et de pouvoirs décisionnels. Ces mobilisations de peuples ou de communautés apparaissent en fait comme un recours face à l’hégémonie néolibérale d’obédience économiciste et technocratique, un regain du débat démocratique sur des critères jusque-là négligés par les États-nations et par l’économie globalisée.
Pour mieux les comprendre, le lecteur est invité à se réenraciner dans une « culture seconde », dont les fondamentaux sont d’ordre anthropologique. D’une manière générale, les outils sont ceux de sciences sociales – ethno-linguistique, anthropologie culturelle, géo-politique, linguistique du développement… – des lettres et arts, du tourisme culturel, d’institutions comme l’UNESCO qui a déclaré l’année 2019 « année des langues autochtones »…
La finalité est celle du rééquilibrage des relations internationales, intercommunautaires, par l’émancipation à l’égard de logiques de domination et de « soumission volontaire », devenues anachroniques en ces temps d’émergence de villes-monde et d’espaces créoles. Dans le cadre d‘un « développement inégal et combiné » comme écrivait Samir Amin, il reste à conjuguer cosmopolitisme dans les aires dominantes et développement autocentré dans les sphères dominées.
Le cas de la France est paradoxal dans la mesure où centralisme autoritaire et pluralité des langues et cultures historiques et ultramarines [3] cohabitent, avec des dynamiques très inégales de rejet (de la part des pouvoirs publics) et d’attraction (au niveau de l’opinion).
La situation des enseignements linguistiques en France
Pour résumer les chapitres qui portent sur cette problématique : au nom d’une logique austéritaire, les options en langues vivantes 3 – italien, portugais, russe…– en lycée général ont été supprimées en 2009. La réforme du bac sous le ministère Blanquer supprime la garantie pour les langues régionales d’être enseignées à titre d’options, mettant en péril leur avenir. L’enseignement de l’arabe et du tamazight est beaucoup trop marginalisé : l’arabe est la seconde langue parlée dans le pays, en particulier dans les quartiers populaires qui pâtissent d’un manque de reconnaissance socio-culturelle, ce dont profite la mouvance intégriste (islamiste). Le français, « langue de l’identité nationale », subit un repli de type patrimonial ainsi qu’une paupérisation d’ordre cognitif.
Cette tendance lourde sera-t-elle infléchie ou bien le système valorisera-t-il davantage encore l’enseignement des pôles dominants que sont le français et l’anglais, avec en arrière-plan une technoscience arrimée à des objectifs mercantiles de croissance ?
Expertise d’une publication académique et citoyenne
Selon l’équipe des auteurs, l’une des réponses à cette crise systémique (qui est à la fois celle des modèles de développement et des systèmes démocratiques) réside dans la promotion de la diversité et de l’interculturel. Il s’agit d’un recours face à la montée des nationalismes, des xénophobies, du terrorisme religieux, de la glottophobie…
Parmi les préconisations, citons la promotion
- au plan institutionnel, de la défense juridique des langues, d’une Francophonie décolonisée et inclusive, d’un alter-développement via le recours aux langues autochtones… ;
- au plan académique, de l’interdisciplinarité (géo-politique, linguistique du développement, anthropologie culturelle, macro-économie…) ;
- en termes méthodologiques, du plurilinguisme, du comparatisme, de l’intercompréhension ;
- au plan éducatif, de l’enseignement des langues-cultures minoritaires ;
- au plan citoyen, de l’engagement associatif pour des relais dans l’opinion, les médias et auprès des pouvoirs publics.
Pour conclure
Cet ouvrage est un outil au service de la cause altermondialiste, qui fait suite à Urgence antiraciste – Pour une démocratie inclusive – (Éd. du Croquant, 2017), également coordonné par Martine Boudet. Dans les deux cas, le projet est de renouer avec une pensée internationaliste vivante, sur la base des expertises et expériences d’équipes mixtes, d’intellectuels originaires du Sud et du Nord.