Revue des revues

mardi 1er octobre 2019, par Jacques Cossart *

L’histoire attribue l’Odyssée à Homère, dans cette épopée mondialement connue de la Grèce antique, son héros Ulysse se voit indiquer le seul chemin maritime qui pourra le ramener dans son cher Ithaque ; malheureusement l’itinéraire indiqué doit éviter deux montres marins, Charybde et Scylla. Ce sont deux femmes qui furent punies par les dieux, au cours de leurs luttes permanentes pour le pouvoir, en étant transformées en monstres marins et jetées, dit-on, dans le Golfe de Messine. Si l’embarcation téméraire parvenait à éviter le premier écueil, elle devait se garder du second, pire encore.

Charybde et Scylla

L’humanité a, sur sa route aujourd’hui, deux périls mortels ; le réchauffement climatique et l’extinction des espèces. Mais, à la différence d’Ulysse, ce n’est pas quelque dieu malintentionné qui a mis ces embûches sur le chemin de l’humanité, elle-même en est responsable ou, plus précisément, c’est le capitalisme dont elle pâtit depuis des siècles, et par la suite le capitalisme financiarisé aggravant la situation. Si le réchauffement n’est plus guère contesté dans les cercles sérieux, il reste encore, malgré tout un président états-unien et quelques autres, pour le qualifier de fake news, mais surtout les propriétaires du capital qui craignant pour leurs privilèges, agissent comme si de rien n’était.

Mais voilà qu’ils, les riches, vont devoir redoubler d’efforts s’ils veulent ne serait-ce que modérer leur funeste besogne ; depuis leurs luttes tous azimuts, contre les États et les ONG, pour démontrer la parfaite innocuité du tabac, ils connaissent la chanson ! L’histoire, paraît-il, ne repasse jamais les plats ; qu’en est-il de la légende ? Après tout si, tel le joueur de flûte de Hamelin, les peuples, excédés, criaient stop et expulsaient leurs dirigeants ?

En 2005, l’ONU confiait à quatre de ses agences [1] la promotion de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité, connue sous le nom de son sigle anglais IPBES [2]. Le 6 mai 2019, la plateforme comptant désormais 124 États membres et disposant de près de deux mille experts, éditait un rapport approuvé en session plénière à l’unanimité. Il est destiné aux décideurs pour appeler leur attention sur le dangereux déclin de la nature.

De manière très pédagogique, le rapport présente quatre groupes de ce qui est nommé des messages clés qui sont indiqués ci-dessous :

La nature [3], dont la biodiversité, est vitale pour l’homme mais se détériore sur l’ensemble de la planète :

  • la nature est essentielle à la vie humaine et à sa qualité ; beaucoup des contributi ons de la nature ne sont pas entièrement remplaçables et certaines sont irremplaçables ;
  • les contributions de la nature sont, dans le temps et l’espace, réparties de manière inégale, il convient donc d’adopter des compromis ;
  • depuis 1970, le production agricole, la pêche, la production de bioénergie et la récolte des matériaux ont augmenté alors que quatorze des dix-huit contributions répertoriées de régulation de la nature ont diminué ;
  • sur la plus grande partie de la planète, la nature a été modifiée de manière significative par de multiples facteurs humains et la grande majorité des indicateurs d’écosystème et de biodiversité est en déclin rapide ;
  • l’activité humaine n’a jamais autant menacé d’extinction mondiale un aussi grand nombre d’espèces ;
  • les espèces animales et végétales domestiquées sont en train de disparaître [4]. Cette disparition, y compris génétique, fait peser un risque grave sur la sécurité alimentaire mondiale et sur la capacité des systèmes agricoles à la résilience face aux changements climatiques ;
  • les communautés biologiques deviennent de plus en plus similaires que ce soit dans les systèmes gérés ou dans ceux qui ne le sont pas ;
  • les changements de cause anthropique sont très rapides. Les conséquences sont positives ou négatives mais provoquent une incertitude quant à leur durabilité.

Les facteurs directs et indirects de la dégradation se sont amplifiés au cours des cinquante dernières années

  • Pour les écosystèmes terrestres et d’eau douce, le changement d’affectation des sols depuis 1970 a eu le plus grand impact négatif sur la nature, suivi en particulier de la surexploitation, d’animaux, de plantes et d’autres organismes principalement par la récolte, l’exploitation forestière, la chasse et la pêche. Dans les écosystèmes marins, l’exploitation directe d’organismes (principalement la pêche) a eu l’impact relatif le plus important, suivi de la modification des échanges terre/mer.
  • Le changement climatique est un facteur direct qui amplifie l’impact des autres facteurs sur la nature et le bien-être humain
  • De nombreux types de pollution, ainsi que des espèces exotiques envahissantes, sont en augmentation, avec des impacts négatifs pour la nature
  • Au cours des cinquante dernières années, la population humaine a doublé, l’économie mondiale a quadruplé et le commerce mondial décuplé, ce qui a entraîné une augmentation de la demande en énergie et en matériaux.
  • Les incitations économiques ont généralement favorisé l’expansion de l’activité économique, et souvent des dommages environnementaux, par rapport à la conservation ou à la restauration de la nature. Pourtant, l’intégration de la prise en compte des multiples valeurs des fonctions des écosystèmes et de la contribution de la nature à la population a, dans les incitations économiques, permis d’améliorer les résultats écologiques, économiques et sociaux.
  • La nature gérée par les peuples autochtones et les communautés locales est soumise à une pression croissante. La nature diminue généralement moins rapidement sur les terres des peuples autochtones que sur d’autres, mais elle décline néanmoins, tout comme la connaissance de la façon de la gérer. Au moins un quart de la superficie terrestre mondiale est traditionnellement détenu, géré, utilisé ou occupé par des peuples autochtones.

Les trajectoires actuelles ne permettent pas, à l’horizon 2030, de parvenir à l’utilisation durable de la nature ; au-delà, seuls de profonds changements économiques, sociaux, politiques et technologiques y parviendraient.

  • La mise en œuvre de mesures et d’actions politiques visant à préserver la nature et à la gérer de manière plus durable a progressé, produisant des résultats positifs par rapport à des scénarios d’absence d’intervention, mais pas suffisamment pour endiguer les facteurs directs et indirects de dégradation. Il est donc probable que la plupart des objectifs pour la biodiversité ne seront pas atteints.
  • La nature est essentielle à la réalisation des objectifs de développement durable. Cependant, compte tenu du fait qu’ils sont intégrés et indissociables, ainsi que mis en œuvre au niveau national, les tendances négatives actuelles en matière de biodiversité et d’écosystèmes vont nuire aux progrès accomplis dans la réalisation de 80 % (35 sur 44) des objectifs fixés à l’égard de la pauvreté, la faim, la santé, l’eau, les villes, le climat, les océans et les terres.
  • Les régions du monde qui devraient subir des effets négatifs importants du changement climatique, de la biodiversité, des fonctions des écosystèmes et de la ressource apportée par la nature à la population rassemblent également de grandes concentrations de populations autochtones et de nombreuses communautés parmi les plus pauvres du monde.
  • Sauf dans les scénarios qui impliqueraient un changement transformateur, les tendances négatives concernant la nature, les fonctions des écosystèmes et de nombreuses contributions de la nature à la population, devraient se poursuivre jusqu’en 2050 et au-delà, en raison des effets anticipés de la modification croissante de l’utilisation des terres, de la mer, de l’exploitation d’organismes et du changement climatique.
  • Les changements climatiques devraient devenir de plus en plus importants en tant que moteurs directs des changements de la nature et de leur incidence sur la population au cours des prochaines décennies. Les scénarios montrent que la réalisation des objectifs de développement durable (Vision 2050) pour la biodiversité dépend de la prise en compte des impacts du changement climatique dans la définition des objectifs futurs.

La nature peut être préservée, restaurée et utilisée de manière durable à condition que soient menés, de manière urgente et concertée, des changements en profondeur.

  • L’environnement mondial peut être préservé grâce à une coopération internationale renforcée et à des mesures coordonnées au niveau local. L’examen et le renouvellement des objectifs internationaux convenus liés à l’environnement, fondés sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, ainsi que l’adoption et leur financement, d’actions de conservation, de restauration écologique et d’utilisation durable par tous les acteurs, y compris les individus, sont essentiels à cette sauvegarde.
  • Cinq interventions principales, leviers, peuvent générer un changement transformateur en s’attaquant aux facteurs indirects sous-jacents de la dégradation de la nature : (1) les incitations et le renforcement des capacités (2) coopération intersectorielle (3) action préventive (4) la prise de décision dans le contexte de la résilience et de l’incertitude et (5) droit de l’environnement et mise en œuvre.
  • Les transformations vers la durabilité sont plus probables lorsque les efforts sont dirigés vers les points de levier clés suivants, où ils produisent des effets exceptionnellement importants : (1) des visions d’une vie saine, (2) consommation totale et déchets, (3) valeurs et action ; à savoir mobiliser le savoir et la disponibilité des populations largement sous-employés, (4) les inégalités, (5) justice et inclusion dans la conservation, (6) les externalités et les télé-couplages, (7) technologie, innovation et investissement et (8) éducation, production et partage des connaissances.
  • La nature et les trajectoires de la transformation différeront selon les contextes, les défis et les besoins variant, entre autres, dans les pays en développement et les pays développés. Les risques liés aux inévitables incertitudes et complexités des transformations vers la durabilité peuvent être réduits par des approches de gouvernance intégratives, inclusives, informées et adaptatives
  • Reconnaître les connaissances, les innovations et les pratiques, les institutions et les valeurs des peuples autochtones et des communautés locales, ainsi que leur inclusion et leur participation dans la gouvernance environnementale, améliorent souvent leur qualité de vie, ainsi que la conservation, la restauration et l’utilisation durable de la nature, ce qui est pertinent pour la société en général. La gouvernance, y compris les institutions et les systèmes de gestion coutumiers, ainsi que les régimes de cogestion impliquant les peuples autochtones et les communautés locales, peuvent constituer un moyen efficace de préserver la nature et ses contributions à la population, en incorporant des systèmes de gestion adaptés aux conditions locales et des connaissances autochtones et locales.
  • Nourrir l’humanité et améliorer la conservation et l’utilisation durable de la nature sont des objectifs complémentaires et étroitement interdépendants qui peuvent être atteints grâce à des systèmes agricoles, aquacoles et d’élevage durables, à la sauvegarde des espèces, des variétés, des races [5] et des habitats indigènes et à la restauration écologique.
  • Il est possible de préserver et de préserver les espèces et les écosystèmes marins ainsi que les pêcheries grâce à une combinaison coordonnée d’interventions sur les terres, en eau douce et dans les océans, y compris une coordination à plusieurs niveaux entre les parties prenantes sur l’utilisation des océans ouverts.
  • Les activités terrestres d’atténuation des changements climatiques peuvent être efficaces et appuyer les objectifs de conservation. Cependant, le déploiement à grande échelle de plantations pour la bioénergie et le boisement d’écosystèmes non forestiers peuvent avoir des effets secondaires négatifs sur la biodiversité et les fonctions des écosystèmes.
  • Des solutions basées sur la nature peuvent être rentables pour atteindre les objectifs de développement durable dans les villes, qui sont essentiels pour la durabilité mondiale.
  • L’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux en vue de créer une économie mondiale durable, constituant un élément clé des voies durables, s’éloigne du paradigme limité actuel de la croissance économique.

Le rapport dont les points principaux viennent d’être brièvement présentés, montre que la dégradation rapide de la biodiversité est grave et de grande ampleur puisque 10 000 espèces disparaîtraient chaque année – un million d’espèces animales et végétales (8 %) sont menacées d’extinction –, elle touche toute la planète. En outre, cette dégradation est amplifiée par le réchauffement climatique. Toutes les données sont alarmantes mais plusieurs sont effarantes au regard de l’inaction des responsables mondiaux dont on ne peut pas croire une seconde qu’ils ne sont pas informés que 75 % du milieu terrestre sont sévèrement touchés ; qu’un million d’espèces est menacé d’extinction dans les décennies à venir ; que 100 milliards de dollars provenant chaque année des pays de l’OCDE financent une agriculture nocive pour l’environnement et que plus de deux tiers des sommes destinées au soja et au bœuf passent par des paradis fiscaux ; que plus de la moitié de la pêche est de nature océanique, dont une part importante gravement prédatrice, pendant que quelque trente millions de pêcheurs indépendants survivent à peine de leur travail ; que plus de deux milliards de personnes utilisent le bois pour couvrir leurs besoins en énergie primaire ; que plus de 345 milliards de dollars subventionnent les énergies fossiles ; que l’on compte plus de 2 500 conflits armés ayant pour origine les combustibles fossiles, l’eau, la nourriture et la terre ; que près de 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, boues toxiques et autres déchets [6] sont déversées dans les eaux mondiales.

Devant de tels constats, on entend que l’humanité serait folle. Que dire des plus de 80 millions de morts des deux guerres mondiales du vingtième siècle ? Mais s’agit-il de l’humanité ou des quelques-uns ayant conduit ladite humanité à cette folie ? Qui pourrait, valablement, affirmer que le premier des motifs de ces monstruosités ne serait pas l’argent et le pouvoir qu’il instaure ? Après la Première Guerre mondiale mais avant la Seconde, Keynes condamnait ceux qui amassaient des fortunes en les accusant de relever d’un cinglant « état morbide plutôt répugnant, l’une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales » [7]. Mais, à l’époque, on n’avait encore rien vu en la matière ; Milanovic [8] nous montre que si en 1987 la fortune des milliardaires dans le monde s’élevait à 3 % du PIB mondial, elle atteignait déjà 6 % en 2013 [9], comme on voit, ça ruisselle !

Ce n’est bien qu’une infime minorité des 7,5 milliards d’êtres humains qui conduit l’ensemble à l’abîme ; n’oublions pas qu’en 2018, 1 % des plus riches ont émis autant de CO2 que la moitié la plus pauvre de l’humanité et qu’entre 2017 et 2019 en France, les 0,1 % les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat augmenter de quelque 20 % [10] ! Pour permettre aux ploutocrates de continuer à accroître leurs privilèges, tout est bon, même le plus confondant ; ainsi ces experts qui nous alertent sur les dangers du bio ; les surfaces supplémentaires qu’il réclamerait, constitueraient un grand danger pour la biodiversité ! Alors une équipe de 17 chercheuses et chercheurs a jugé utile de faire ce qu’elle sait faire, c’est-à-dire entreprendre une recherche dont les résultats sont publiés en 2019 dans The american journal of clinical nutrition. On peut en résumer la conclusion à ceci, les régimes riches en aliments biologiques sont généralement caractérisés par de forts avantages nutritionnels et environnementaux. Ceux-ci principalement dus à une faible consommation d’aliments d’origine animale et de la réduction globale de l’exposition aux pesticides alimentaires. Gageons que les experts évoqués précédemment n’en auront cure. Mais alors pourquoi cette immense majorité se laisse-t-elle faire ? Sans doute une part importante de celle-ci vit, voire survit, dans des conditions telles qu’elles lui interdisent de réagir et même ne sait tout simplement pas. Néanmoins, plusieurs centaines de millions disposent, si ce n’est de toutes les informations, d’un minimum déjà suffisant pour refuser cette conduite mortifère. Pourquoi ne le font-ils pas ? Le lieu n’est pas de répondre à cette question, cependant une tout autre politique prenant comme instrument de référence le bien public exigeant l’intervention avisée et permanente des citoyens est possible, impérative et urgente. S’agissant de l’atteinte à la biodiversité, il s’agit d’ailleurs de bien public mondial, il en va évidemment de même pour le climat.

Einstein disait, parait-il, que le monde était dangereux d’abord à cause de ceux qui regardent sans rien dire. Cette remarque est encore plus pertinente si ceux qui ne disent rien sont précisément ceux qui ont la responsabilité de faire. Ainsi le G7 Environnement a tenu réunion à Metz les 5 et 6 mai 2019, elle était présidée par la France à qui l’OCDE a remis un rapport intitulé « Financer la biodiversité », agir pour l’économie et les entreprises. On ne s’attardera pas sur le tropisme d’un des cercles les plus fervents du capitalisme envers les entreprises, après tout on sait à quelle table on s’assoit ; point n’est-il peut-être d’ailleurs nécessaire de s’y rendre avec une longue cuillère [11]. En revanche, il faut savoir gré aux rapporteurs d’écrire sans détour « l’érosion de la biodiversité est parmi les principaux risques auxquels est confrontée la société au niveau mondial. La planète fait face à sa sixième extinction de masse, qui aura des conséquences pour l’ensemble des formes de vie dans l’immédiat et pendant des millions d’années. Les activités humaines ont détruit ou dégradé de larges pans des écosystèmes terrestres et aquatiques, y compris marins. Entre 2010 et 2015, 6,5 millions d’hectares de forêts naturelles ont été rayés de la carte chaque année […] tandis que 35 % des zones humides naturelles ont disparu entre 1970 et 2015. Le risque de blanchissement touche aujourd’hui plus de 30 % des coraux, et 60 % des populations de vertébrés ont disparu depuis 1970. Ces évolutions spectaculaires découlent des changements d’affectation des terres, de la surexploitation des ressources naturelles, de la pollution, de l’action des espèces exotiques envahissantes et des dérèglements climatiques ». Ils ne reprennent là que quelques-unes des conclusions du rapport IPBES évoqué précédemment, mais précisément, ils les font leur sans barguigner. C’est bien.

On notera que les messages désignés comme principaux par l’OCDE s’inscrivent parfaitement dans la logique libérale qui veut que tout a un prix. Par exemple, il faudra sans doute en donner un à l’exoplanète Minerva B, a priori similaire à la terre, située à 4,5 années-lumières de celle-ci et vers laquelle les astrophysiciens travaillent sur la possibilité d’un lancement d’un vaisseau qui devrait y parvenir après un périple d’un demi-siècle. Quel sera le prix de Minerva B ? On est là, non seulement aux confins de l’univers mais à ceux de l’ineptie ! Ainsi donc l’OCDE dans son rapport, évalue jusqu’à 145 000 milliards de dollars le prix de la biodiversité ! Stern, en 2006, bien qu’ancien Économiste en chef de la banque mondiale, avait chiffré, lui, non pas le prix de l’univers, mais le montant minimum qu’il fallait consacrer chaque année pour pallier les turpitudes antérieures. On saura néanmoins gré à l’OCDE d’avertir que « les financements nécessaires pour mettre fin à la diminution de la biodiversité sont nettement insuffisants »

Le lancinant problème de la fiscalité

En 1965, Jacques Rueff, qui sera appelé par le Général de Gaulle à présider le Comité d’experts chargé d’étudier comment assainir les finances publiques françaises – on parla à l’époque du plan Pinay-Rueff–, publiait un ouvrage intitulé Le lancinant problème des balances de paiements. Celui qui s’était opposé aux accords de Bretton Woods y développait son aversion à l’égard d’une régulation publique défendue par Keynes et plaidait pour laisser la place à la seule qui vaille à ses yeux, l’autorégulation !

Depuis, beaucoup d’eau a coulé et les temples se lézardent, de l’intérieur même, ainsi du Saint des saints, le FMI qui n’en est pas à son coup d’essai alors que la liste des lancinants problèmes ne fait que s’allonger. Pour l’heure, les propriétaires du capital ne baissent pas la garde, bien au contraire. En 2017, les milliardaires, ou plutôt seulement à peine plus de 2 000 des plus fortunés d’entre eux, étalaient une fortune représentant un montant égal à 11 % du produit brut mondial de la même année : on pourra lire à cet égard Branko Milanovic. Peut-être le travail d’économistes relayés par de nombreuses ONG à travers le monde incitent-ils les experts du FMI à être moins persuadés de la capacité exclusive des marchés à tout réguler. Ainsi, publient-ils en mars 2019 dans la série Policy paper, une étude relative à la fiscalité des entreprises dans l’économie mondiale, qui souligne la nécessité de développer la coopération internationale visant à garantir que les pays, et en particulier les pays à faible revenu, puissent percevoir des recettes d’impôt sur les transnationales.

On reproduit ci-dessous l’évaluation conduite en 2013 de ce que les auteurs appellent les profit shifting, mais que sont donc ces transferts de bénéfices ? Tout simplement un instrument, un de plus, d’évasion fiscale. C’est le fameux commerce intrafirme ; les transnationales en sont friandes, leurs très nombreuses filiales, installées dans des pays à fiscalité douce, voire des paradis fiscaux, leur vendent à des prix élevés des biens ou services ; le bénéfice de la maison-mère sera diminué d’autant, celui de sa filiale installée là où il faut, augmentera mais pas son impôt, ou peu. On estime généralement ce type d’échanges au tiers de total des échanges [12] dans le monde.

Figure 1 présentée page 10 de l’étude FMI

Les auteurs du rapport identifient huit problèmes avec la pratique actuelle :

  • Les pertes de revenus dues aux transferts de bénéfices ont été considérables pour de nombreux pays avancés et plus encore pour les pays en développement (PVD) qui, en pourcentage de leur PIB souffrent davantage que ceux de l’OCDE comme on le voit sur le graphique précèdent.
  • La prévision de transfert des bénéfices reste considérable et ne devrait pas diminuer. On verra sur la figure 1, page 11 du rapport que pour la France, la perte est estimée pour 2018 à 21 % de l’impôt sur les sociétés. Paris détient ainsi la seconde place derrière l’Allemagne pour laquelle la perte est estimée à 28 %.
  • Le projet BEPS [13] et d’autres initiatives multilatérales récentes ont mis l’accent sur l’évasion fiscale plutôt que sur ce qui est sans doute une préoccupation encore plus grande : la concurrence fiscale. Les auteurs ont raison d’appeler l’attention sur la désastreuse concurrence fiscale dans le monde et, en premier lieu au sein de l’Union européenne. Cela étant, pourquoi donc opposer les deux ? L’Europe libérale que l’on a est fort capable de bannir la concurrence fiscale et tolérer l’évasion ! La flat tax d’un Salvini ou la concurrence fiscale d’un Orban ne sont guère de bon augure.
  • La référence aux pratiques fiscales dommageables manque singulièrement de précision pour être adoptée sans autre forme de procès.
  • Si des progrès ont été accomplis à l’égard des PVD, la complexité des règles nouvelles révèlent de réelles vulnérabilité.
  • La capacité des PVD face à la réalité et les problèmes auxquels ils doivent faire face exigent des réponses adaptées.
  • La numérisation est une question centrale en matière de fiscalité des entreprises. Sans doute, mais dans quelle direction doit-elle s’opérer ? Est-il clair que les entreprises doivent payer des impôts avant d’abondamment rémunérer [14] leurs actionnaires ?
  • La disparition de l’exigence de la présence physique pour faire des affaires et l’acquisition non rémunérée d’informations auprès des clients, pour n’être pas nouvelles, ne vont pas sans poser question et exigent des mesures concrètes

Tout cela est bel et bon, on ne va certes pas faire la fine bouche devant ce type d’analyses surtout quand elles viennent du FMI. Pour autant, ne perdons pas de vue qu’une arme efficace pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs en même temps que la lutte contre les extravagances mortifères des revenus des propriétaires du capital, y compris à l’encontre de l’environnement, reste une augmentation des salaires, à commencer par l’instauration généralisée d’une salaire minimum. Bien entendu, tout ne sera pas réglé pour autant puisque l’OIT estime en 2018 que plus de 60 % des travailleurs dans le monde sont employés dans les secteurs informels ! Mais ce pourcentage va diminuant et, à l’inverse, l’augmentation des salaires des 40 % contribue à pousser dans le bon sens. Luttons pour une augmentation généralisée des bas salaires.

Blame Trump !

Autant le haro sur Trump est parfaitement fondé de bien des points de vue, autant il ne doit pas cacher la forêt qui se cache derrière. Ce ne sont pas seulement des Bolsonaro et autres Salvini qui se sont ainsi dissimulés ; ils sont nombreux, en France et en Europe à œuvrer contre l’immense majorité de la population de la planète et de son environnement.

Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde [15], le climatologue Jean Jouzel déclare « en France, les année 1990 sont une décennie perdue ». Il n’est pas impossible que la période qu’il estime perdue soit considérablement plus longue, malheureusement. En revanche, on comprend sa colère quand il rapporte que le ministre de Lionel Jospin, Claude Allègre, avait publiquement traité, lui et tous ses collègues, « d’escrocs » ! Si, heureusement, les climato-sceptiques ne tiennent plus le haut du pavé, les policy makers, comme les nomme le GIEC, n’ont guère changé le comportement des gouvernements. On doit constater que, de manière presque caricaturale [16], la moitié de l’humanité la plus pauvre compte pour 10 % dans les émissions mondiales de CO2 pendant que la moitié de celles-ci est le fait des 10 % les plus riches.

Certes, selon les estimations de la Banque mondiale, l’extrême pauvreté – revenu inférieur à 1,90 $/jour et par personne – a régressé ; le taux de pauvreté ainsi défini est passé de 36 % de la population mondiale en 1990 à 10 % en 2015. Notons que, sur la même période, le produit brut mondial, exprimé lui aussi en dollars courants, a plus que triplé passant de 22 000 milliards à 75 000 milliards. Cependant l’OMS indique qu’en 2018, pour la troisième année consécutive, la faim était en augmentation dans le monde pour atteindre les niveaux d’il y a dix ans. Notons aussi que le Janus Henderson dividend Index, 100 en 2010, était estimé à 190 en 2019 ; ceux qui en bénéficient, il est vrai, ne font pas partie des 10 % qui viennent d’être évoqués, eux ce n’est pas en centièmes qu’ils sont dénombrés mais millionièmes !

Il est vraisemblable que plusieurs personnes nouvellement élues au Parlement européen soient d’authentiques défenseurs de l’environnement, tant mieux. Cependant, comme le démontrent les nombreux rapports mondialement reconnus, l’heure n’est plus à quelques bricolages mais bien à un changement brutal de civilisation, au plan social et au plan écologique. Quand l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Nicholas Stern publiait en 2006 son rapport, il recommandait que chaque année, il soit consacré 1 % du produit brut mondial pour faire face à la dégradation anthropique du climat, dans les années qui suivirent, il reconnut que ses estimations étaient sous-estimées ; plusieurs experts chiffrent en effet, aujourd’hui, les besoins à 5 % du produit brut mondial. Quel que soit le montant nécessaire, les propriétaires du capital et leurs fondés de pouvoir n’en veulent pas, s’il s’agit de 4 000 ou 5 000 milliards par an, de tels montants ne sont pour eux acceptables que s’il s’agit des dividendes qu’il doivent percevoir.

En 2018, William Nordhaus partageait avec son collègue Paul Romer le prix de la Banque de Suède en économie. Nordhaus avait, notamment, élaboré un modèle intégrant le changement climatique dans les calculs. Pour lui, un réchauffement de 2° C ne coûterait que 1 % du produit brut en 2100. On se rassure en constatant qu’il ne fait pas partie des experts du GIEC, mais on est stupéfait qu’un économiste puisse tranquillement écrire ça. Michel Husson avait déjà, en 2000, épinglé ledit Nordhaus. Avec sa pertinence mordante, il disloque la démonstration : « toute la logique de sa modélisation repose sur l’idée suivante : il faut comparer le coût de ces programmes au coût des nuisances liées au réchauffement atmosphérique. Un raisonnement économique classique consiste ensuite à dire qu’un programme de réduction des nuisances est économiquement rentable tant qu’il coûte moins cher que les dommages encourus ». On s’occupe de quantifier le dommage, pas de savoir s’il met en cause la survie de l’humanité. Il termine le portrait de l’impétrant en demandant « pourquoi, tout au long de notre histoire, avons-nous investi dans la santé, dans l’éducation ou dans la culture, alors que ce n’était selon toute vraisemblance pas rentable à l’aune du calcul économique utilitariste ? C’est que, dans l’évaluation des avantages, on a pris en compte des objectifs qualitatifs non marchands et suivi de fait un autre mode de calcul économique dont la question écologique révèle la supériorité ». Il écrivait cela il y a dix ans !

Journalisme de mauvaise qualité ?

Hayek, contemporain de Keynes était, lui aussi, un véritable économiste, en même temps qu’un authentique idéologue qui cependant, Autrichien, n’avait pas soutenu le nazisme, notamment parce que celui-ci était antilibéral à ses yeux. C’est lui qui estimait que la justice sociale relevait « d’un journalisme de mauvaise qualité ». En 1981, il écrivait « au Chili, par exemple, nous assisterons à la transition d’un gouvernement dictatorial vers un gouvernement libéral ».

De mauvaise qualité, Anne Brunner et Louis Maurin ? Le 4 juin 2019, ils publient la troisième édition du Rapport sur les inégalités en France, ouvrage de l’Observatoire des inégalités. Il faut dire que Louis Maurin aggrave son cas en titrant son introduction Une vague de mépris social dans « cette France de l’insécurité sociale » ! On sait que les propriétaires du capital et leurs propagandistes nieront jusqu’à leurs derniers souffles que leur système soit le premier responsable de l’exécrable état de l’humanité et son environnement ; mais on croise souvent bien des humains qui, consciemment ou non, adoptent l’attitude des trois petits singes qui voulaient ne rien voir, ne rien entendre ni ne rien dire selon, prétend-on, les préceptes de Confucius. Jacques Chirac, en 2002, lançait son tonitruant notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Puis, pendant tout un quinquennat, rien de ce point de vue !

L’ouvrage étudie les inégalités en France de cinq points de vue différents : les revenus, l’éducation, le travail, les modes de vie et les territoires. Si on souhaite inclure ce riche travail dans l’histoire et l’étendre au niveau mondial, on pourra se reporter, par exemple, à Branko Milanovic

S’agissant des revenus, l’Observatoire présente page 19 de son rapport le graphique reproduit ci-dessous. Il convient de remarquer que chacune des cinq courbes représentées spécifie non pas une seule caractéristique, seuil de pauvreté, etc. comme il est procédé habituellement, mais six, chacune attachée à la composition du foyer. Ainsi le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian varie de 781 € mensuels pour un foyer comportant une seule personne à 1 928 € pour un foyer de cinq personnes. L’économiste Pierre Concialdi spécialiste reconnu des questions sociales conteste cette présentation en remarquant notamment en résumé, cette méthode de calcul considère que les besoins de toutes les personnes ne sont pas (ou ne devraient pas être ?) les mêmes.

Les rédacteurs ont, à partir des données établies par l’INSEE pour 2016, tracé deux courbes particulières montrant, en fonction de la composition du foyer, les revenus mensuels de ce foyer, l’une se rapporte au seuil de pauvreté défini à 50 % du revenu médian [17] français, l’autre à ce qui est appelé le seuil de richesse défini à 200 % de ce revenu médian. Les experts ont pris le soin de retenir les montants après impôts et prestations sociales ; on sait que, au grand dam des libéraux qui estiment qu’il se dépense là un pognon de dingue [18],la redistribution opérée en France classe le pays dans ce domaine en tête des pays européens. À l’occasion de la publication de l’étude de l’Observatoire des inégalités, Alternatives économiques (AE) a consacré, dans un numéro publié le 5 juin 2019, un article intitulé « Le grand retour de la question sociale » dans lequel on pourra, entre autres, remarquer sur le graphique reproduit ci-dessous que selon les calculs de l’Observatoire, la France se situe, aussi, au deuxième rang, derrière la Suisse, des 23 pays européens pour le niveau de vie mensuel – estimé à au moins 7 000 euros – des 1 % les plus riches. [19]

Comme on peut aisément l’imaginer, l’éducation acquise dans le système scolaire et universitaire français, davantage encore les diplômes qui y sont dispensés, sont très corrélés au milieu social dont sont issues les personnes concernées. Le graphique présenté à la page 73 du Rapport et reproduit ici paraît comme une accusation de notre société ; ce n’était pourtant que la photographie de la réalité de 2017. On pourrait craindre que la représentation de la part des enfants de cadres et d’ouvriers dans les SEGPA [20] et les écoles normales supérieures, relève de la caricature, mais non. Pierre Bourdieu écrivait à propos de la famille qu’elle était « un des lieux par excellence de l’accumulation du capital sous ses différentes espèces et de sa transmission entre les générations » [21].

Quand Pierre Bourdieu fait référence à l’accumulation du capital, il évoque d’abord là le capital intellectuel mais, évidemment aussi, le patrimoine qui – issu en grande partie de l’héritage – prend une part considérable dans la reproduction des inégalités sociales. Le numéro d’AE évoqué plus haut cite ainsi le Rapport « la répartition du patrimoine est bien plus inégalitaire que celle des revenus » et présente les graphiques reproduits ci-dessous. On note que, en 2015 ceux qui font partie du 1 % des plus fortunés détiennent 17 % du patrimoine, pendant que du 1 % au 5 % , il s’agit de 14 % et des 10 % aux 5 %, ils disposent de 16 % du patrimoine recensé en France. Cela signifie que 10 % de la population française disposent de la quasi-moitié (47 %) de ce patrimoine pendant que les 50 % les moins fortunés disposent seulement de 8 % du patrimoine total. Le rapport World inequality montre dans le graphique E8, qu’au niveau mondial, le patrimoine du 1 % le plus fortuné qui avait décru depuis 1913 jusqu’aux années 1980, avait de nouveau augmenté durant les décennies suivantes.

Dans le chapitre consacré au travail, la question du chômage est importante, le Rapport présente page 91 un graphique reproduit ici qui trace du début des années 1980 à la fin 2015, par catégorie socio-professionnelle, l’évolution du taux de chômage ; on remarque que les ouvriers non qualifiés en sont les premières victimes qui, sur toute la période, présentent un taux supérieur de l’ordre de 15 points de pourcentage en moyenne, par rapport aux cadres. Ce sont aussi les personnes de cette catégorie qui sont les moins bien rémunérées ; selon l’INSEE, en 2015, le salaire moyen net des cadres était 2,4 fois supérieur à celui des ouvriers toutes catégories confondues.

En éclairage complémentaire du graphique de la page 73, celui de la page 95 est significatif :

Si l’origine sociale est un facteur déterminant pour le devenir professionnel, on constate qu’elle l’est tout autant quant au chômage ; son taux est pratiquement près de quatre fois supérieur pour ceux qui sont sans diplôme.

À propos de l’insécurité sociale,Louis Maurin accuse : « la masse des mal-employés sont des jeunes qui n’ont pas réussi à obtenir un titre scolaire, mais aussi des femmes qui ont cru pouvoir s’arrêter temporairement pour élever leurs enfants et qui n’arrivent plus à reprendre pied dans l’emploi, ou encore des plus âgés qui baissent les bras ». La remarque à propos des femmes [22] qui n’arrivent plus à reprendre pied dans l’emploi illustre dramatiquement l’état de l’emploi dans ce pays. L’OIT note d’ailleurs dans son rapport 2019 que le taux d’activité beaucoup plus faible des femmes, qui était de 48 pour cent en 2018, contre 75 pour cent pour les hommes, signifie qu’environ trois personnes sur cinq sur les 3,5 milliards de personnes qui composaient la population active mondiale en 2018 étaient des hommes. Quand on observe le chômage selon le sexe en 2018 publié par l’INSEE, on serait tenté de se réjouir, si on ose écrire ; en effet, sur les courbes du chômage en France allant de 1975 à 2018, on remarque que, à partir de 2008, celui des femmes est inférieur à celui des hommes pour aboutir en 2018 à 1 318 000 chômeuses et 1 392 000 chômeurs. On peut craindre qu’il s’agisse là, d’abord, de la difficulté soulignée par Louis Maurin de reprendre pied dans l’emploi.

{}À propos de la précarité, AE rendant compte du Rapport, a tracé la courbe du nombre de salariés précaires de 1982 (taux de précarité 5,3 %) à 2017 (taux de précarité 13,6 %). Allez savoir, peut-être ce graphique n’avait-t-il pas été transmis au Premier ministre quand, le 12 juin 2019, il a prononcé sa Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Que voulait donc cacher la ministre du Travail ? Trop empressée à impressionner les foules en déclarant, au magazine Challenges il est vrai, que 20 % des demandeurs d’emploi gagnaient davantage en étant indemnisé plutôt qu’à travailler, a-t-elle voulu embellir sa copie ? Si beaucoup peuvent être Tatuffe [23], tous ne sont capables de se hisser à l’analyse de Molière. Toujours est-il que, pour mettre fin à ce scandale, désormais pour prétendre à une indemnité chômage, il faudra travailler, sur une période plus longue, pendant au moins six mois et non plus quatre.

Parfois, on comprend mal comment fonctionne le ruissellement. De 2015 à 2018, le Janus Henderson global dividend index qui collecte ses données auprès de 1 200 compagnies représentant 90 % du total des dividendes distribués dans le monde, nous apprend que ceux versés au cours de ces quatre années, se sont élevés à près de 5 000 milliards de dollars et que les choses vont s’améliorant puisqu’au premier trimestre 2019, les dividendes payés, soit 263 milliards de dollars, ont augmenté de 7,8 % par rapport à la même période de 2018. Que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas là de pognon de dingue, mais de juste rémunération !

Récemment, dans une classe de cours préparatoire (CP) du 7e arrondissement parisien, l’institutrice avait affiché, en grand, la pyramide publiée par le Crédit suisse dans son Global Wealth Report 2018. Imprudente, ou pédagogue, elle avait tenté d’expliquer ce que pouvait bien être le ruissellement. Tous ces bambins essayaient de comprendre comment 42 millions de personnes seulement dans le monde pouvaient avoir réussi à accumuler autant d’argent et comment surtout ces quelques-uns de la pointe parvenaient à capter près de 45 % du tout. La maîtresse faisait quelques tentatives quand tout à coup une charmante gamine leva le bras ; oui, Awa tu penses à quoi ? Ben, c’est simple répondit-elle, il suffit de mettre la pointe de la pyramide en bas. La fameuse pyramide du Crédit suisse, qui figure à la page 20 du rapport, est reproduite ci-dessous.

Simple en effet !

Mince, ça baisse !

Chaque année, Capgemini publie un panorama des avoirs des milliardaires dans le monde. Le denier World wealth report 2019 est paru les 9 juillet 2019, dans lequel on retrouve en page 10 une autre version, de même nature évidemment, de la pyramide reproduite dans l’article précédent.

Après sept années de croissance continue, la fortune de milliardaires dans le monde aurait régressé de 3 % en 2018. Pour ces premiers de cordées, sans lesquels ce miraculeux ruissellement péricliterait, c’est autrement plus grave que la profonde et brutale dégradation du climat et de la biodiversité dans le monde.

Souvent, dit-on souvent, un malheur n’arrive jamais seul ! Ainsi, cette régression est supportée par les ultra-riches qui sont pour 75 % dans cette baisse. On imagine la fortune de ces pauvres 168 000 personnes pour être en mesure de peser à hauteur des trois quarts sur le résultat final relatif à 18 millions d’individus ! Tranquillisons-nous cependant, comme on le voit sur la figure 2 présentée à la page 7 du rapport et reproduite ici, la fortune de ces 18 millions de personnes a enregistré, de 2011 à 2017, une croissance annuelle (GAGR compound annual growth rate) de près de 9 % [24]. Cependant, ce n’est guère que moins de 1 % de ceux-ci qui pèse vraiment [25], les ultras-riches qui, pour appartenir à ce club doivent, chacun, détenir, au moins 30 millions de dollars de cash. Comme on le voit, chez les riches, n’est pas premier de cordée qui veut ! Mais, dans ce monde, au bout du compte, tout va globalement bien. L’indice de confiance que ces gens-là accordent à leurs sociétés de gestion – celles qui connaissent le moindre recoin de paradis fiscal – a augmenté de trois points (91 % aux États-Unis).

Le graphique 3 présenté à la page 9 du rapport et reproduit ci-après spécifie parfaitement où se trouvent les maîtres du monde : aux États-Unis, notamment. Là où ils savent mettre aux commandes qui leur convient ; on peut lire à cet égard Trump et le coup d’État permanent des multinationales. Tout ira bien pour lui, tant que-il obéira aux ordres.

Ça va mieux !

Comme dit le proverbe, au pays des aveugles … On peut craindre qu’en matière de fiscalité, on en soit un peu là !

On pourra lire, entre autres, Fiscalité et spéculation financière, on y verra que les mille milliards d’euros d’optimisation fiscale annuelle au sein de l’UE perdurent. Rappelons aussi que cette optimisation, si elle est légale, n’en n’est pas moins profondément contraire à de correctes mœurs citoyennes ; c’est la loi qu’il faut changer. Il s’agit, en effet, pour les transnationales particulièrement, de diminuer les bénéfices qui vont être soumis à l’impôt. N’importe quel comptable saura, avec l’absolution des administrations fiscales, établir le siège social dans un pays fiscalement arrangeant [26], faire jouer à plein les prix de transfert et autres connivences.

En juin 2019, l’OCDE publiait, pour le G20 réuni à Fukuoka au Japon, un rapport faisant état des avancées réalisées depuis la demande présentée en 2008, lors de la réunion du G20 tenue à Sao Paulo. L’OCDE annonce que depuis cette date, 47 millions de comptes offshore d’une valeur totale de quelque 5 000 milliards d’euros ont fait l’objet d’échanges d’informations dans le cadre du BEPS Base Erosion and Profit Shifting visant à lutter contre l’érosion des recettes fiscales grâce aux échanges de données bancaires. Et de préciser notamment que 21 000 informations fiscales – les fameux tax rulings – autrefois secrètes ont été échangées et que le shopping fiscal privant les États de milliards d’euros serait ainsi en voie d’extinction. Il est vrai que le travail mené en la matière par l’OCDE, dans lequel son directeur des politiques fiscales, Pascal Saint-Amans, s’est investi depuis plusieurs années, est pour quelque chose dans cette affaire. Le rapport nous dit que, grâce aux échanges automatiques d’informations, les dépôts bancaires auraient diminué de 20 à 25 % dans ce qui est appelé centres financiers internationaux.

Tant mieux, mais il en reste, continuons le combat !

En effet, on peut consulter, une note du CEPII de juin 2019 ; elle nous apprend que, en 2015, les transnationales installées en France se sont abstenues de payer quelque 14 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés [27]. Il faut bien qu’elles vivent, déjà qu’elles sont harcelées par un État prévaricateur ! Dans un article du 13 juin 2019 d’Alternatives économiques, Christian Chavagneux traduit dans le graphique reproduit ci-dessous les informations tirées de l’étude du CEPII où sont clairement montrés dans quels pays sont allés se cacher, en 2015, les 38 milliards d’euros non déclarés à l’administration fiscale française. Comme on le voit sur ce graphique, si la Suisse figure en bonne place, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Luxembourg, à l’époque, tous fleurons de l’Union européenne, sont les tout premiers.

Calomniez … il en restera toujours quelque chose

L’air de la calomnie est depuis longtemps entonné partout dans le monde mais souvent aussi dénoncé comme par Voltaire ou par Beaumarchais même si la formule ne semble avoir été employée telle quelle ni par l’un ni par l’autre.

Quand les temps changent, il faut changer. Ainsi est-il souvent moins payant aujourd’hui, quand on est scientifique, de se proclamer climato-sceptique ou même de montrer de l’étonnement à propos de la baisse de la biodiversité ; aussi est-il alors séant d’essayer de se laisser porter par les modes. Évoquer le bio conduit à s’assurer quelques lecteurs. Alors pourquoi se priver d’affirmer qu’une culture conduite, au plan mondial, de manière respectueuse de l’environnement et de l’être humain, provoquerait davantage d’émission de CO2, que la culture industrielle ? Surtout si vous pouvez être publié dans Nature, même sous la forme de l’une des simples Letters paraissant dans l’hebdomadaire. La démonstration serait, en la matière, d’une simplicité biblique, si on ose écrire dès lors que la foi, surtout si elle est mauvaise, est sollicitée. Puisque l’agriculture industrielle produit davantage à l’hectare que l’agroécologie, 19 % à l’échelle de la planète nous dit-on, il s’ensuivrait pour cette dernière, une émission de CO2 supplémentaire pour la même quantité produite. Les auteurs de l’article semblent cultiver leur originalité dans ce domaine et paraissent peu enclins à considérer d’autres publications démontrant tout l’inverse [28]. On lira sur le sujet un excellent article d’Antoine de Ravignan paru le 11 juillet 2019 dans Alternatives économiques. Il cite, en particulier une étude publiée en avril 2019 dans The American journal of clinical nutrition. Les 17 auteurs appuient leurs conclusions sur les réponses, très détaillées, scrupuleusement collectées auprès de 29 000 adultes regroupés selon leurs habitudes alimentaires et classés du « tout bio » au « non bio ». Leur conclusion générale est sans appel : un consommateur non bio aurait besoin pour se nourrir de 4 522 hectares alors que son parallèle bio n’en requerrait que 3 492, en particulier grâce à une moindre consommation de viande conduisant à des superficies requises très sensiblement inférieures même si on retient des rendements moindres à l’hectare. !

Ainsi, l’être humain pourrait ne pas être qu’une machine à consommer pour soi mais serait capable d’apprécier ce qui, bon pour l’environnement, le serait en même temps pour lui-même !

Mais l’affaire va au-delà s’il faut en croire une méta-étude parue cette fois dans la revue Nature elle-même en juin 2018 et corrigée en février 2019. Ainsi peut-ont lire dans la présentation fournie par les auteurs, de manière tout à fait frappante, les impacts des produits d’origine animale ayant le plus faible impact sont généralement supérieurs à ceux des substituts en légumes, fournissant de nouvelles preuves de l’importance des changements alimentaires. L’étude s’appuie sur l’observation minutieuse à travers le monde de 38 000 fermes produisant 40 denrées différentes montrant que le passage à un régime alimentaire végétal permettrait à la Grande-Bretagne, et plus généralement à l’Europe du Nord, de libérer 76 % des terres mobilisés par l’agriculture qui seraient alors potentiellement disponibles pour d’autres écosystèmes et animaux sauvages. L’équipe a calculé que la Grande-Bretagne pourrait alors, sans importation supplémentaire, nourrir toute sa population tout en absorbant neuf années de sa production actuelle de CO2.

Ils ont pris la Bastille !

En juillet 2019 à l’occasion de la Fête nationale, la France officielle affichait sans retenue, sa crânerie militaire arrogante en faisant, par exemple, voler à quelques mètres du sol des soldats en armes. Bel exploit pour le pays réputé des droits humains tout en occupant la quatrième place mondiale des dépenses militaires, très loin il est vrai des États-Unis qui à eux seuls absorbent pas loin de la moitié du total mondial, soit 3,2 % du PIB 2018 de ce pays, sensiblement moins cependant que les quelque 6 % des années 1960. Il est vrai qu’en matière de classement, bien des pays se battent comme des lions pour les premières places, ainsi pour l’Arabie saoudite, en faveur de laquelle la France peut s’enorgueillir de n’être pas pour rien dans ce succès, il s’agit de 8,8 %. On devrait pourtant se réjouir puisque tous les rapports nous montrent que le nombre de morts, par violence, est en constante diminution dans le monde depuis des siècles. Tant mieux, évidemment.

C’est entendu, au XXIe siècle, on meurt beaucoup moins par le glaive ; voir le taux de mortalité par violence dans le monde, passer pour 1 000 personnes de 17 en 1960 à 7 en 2017 est une bonne nouvelle. Pour autant, peut-on se satisfaire de la violence extrême des différences de mortalité dans le monde selon le lieu et la catégorie sociale de naissance ? des inégalités d’espérance de vie allant, à la naissance, de plus vingt années de vie entre la plupart des pays riches et beaucoup des PVD ? tout aussi grave, les considérables inégalités de revenu et de patrimoine ne constituent-elles pas une authentique barbarie ?

À la veille de la Révolution française, il n’y avait guère que la Reine pour, dit-on, s’inquiéter de faire distribuer de la brioche à la populace. La France de 1788 qui comptait quelque 26 millions d’habitants était profondément inégalitaire. La noblesse et le clergé, répartis eux-mêmes de façon très inégalitaire, ne représentant pas davantage que 3 % environ de la population, détenaient la totalité du pouvoir politique. L’immense majorité de ces 26 millions était pauvre, cependant une minorité bourgeoise fortunée composée de ce qu’on n’appelait pas encore des banquiers et des industriels, amassait déjà des fortunes. Un demi-million ne paie aucun impôt et ne travaille pas ; on estime que le quart de la population est sous-nutri. La libéralisation, déjà, du commerce de grains par Turgot en 1774 déclencha ce qui est connu sous l’appellation de guerre des farines, provoquant de nombreuses émeutes. Aujourd’hui, les statistiques de la Banque mondiale indiquent que, de 2000 à nos jours, la sous-alimentation de la population mondiale a sensiblement baissé à partir de 2003 et chuté de cette date pour parvenir en 2015 à 10,5 % de la population mondiale sous-alimentée et remonter au cours des trois années suivantes de telle sorte qu’en 2018 ce sont de nouveau 10,8 % de la population mondiale, c’est à dire 820 millions d’êtres humains, en état de sous-nutrition. On trouve ces données dans un rapport publié en juillet 2019, conjointement par la FAO, le PAM, l’UNICEF et l’OMS. Ne serait-ce pas de la violence extrême que pas même 170 000 personnes dans ce monde réussissent à accaparer, sans que toutes les autorités mondiales n’y mettent le holà, plus du tiers de 70 000 milliards de dollars environ de fortune confisquée par les riches [29]. Un graphique pourrait bien traduire cette sorte de sauvagerie de notre modernité. C’est celui qui est présenté dans le figure 1 de la page 6 du rapport et reproduite ci-dessous. Pendant les dix années de 2005 à 2015, la sous-alimentation a baissé régulièrement pour toucher encore néanmoins plus de 785 millions de femmes, enfants et hommes ; pour remonter ensuite et affecter plus de 821 millions d’êtres humains de la planète. Serait-il incongru de faire observer qu’au cours des années 2016, 2017 et 2018 les dividendes versés dans le monde ont respectivement augmenté, d’une année sur l’autre, de 0,1 %, 7,7 % et 9,4 % atteignant cette année-là 1 371 milliards de dollars ? Sans doute le ruissellement !

Pourtant, ce rapport souligne que la quantité de nourriture produite est suffisante pour nourrir correctement 7,7 milliards de personnes, c’est l’humanité qui a un accès profondément inégalitaire à une nourriture suffisante et saine ! Les transnationales du négoce auraient-elles quelque chose à voir dans l’affaire ?

Le rapport 2019 fait droit à une demande ancienne des ONG et syndicats quant à la publication d’un indicateur complémentaire à celui de l’insécurité alimentaire. Celui de la sous-alimentation – rapportant la dépense énergétique à l’apport de calories – qui, malheureusement, garde toute sa pertinence pour mesurer l’insécurité alimentaire sévère. Mais, à cet indicateur est ajouté, depuis cette année, celui de l’insécurité alimentaire dite modérée qui entend mettre en évidence comment s’exerce l’accès régulier pour tous à une nourriture saine équilibrée et nutritive. On peut donc désormais observer l’insécurité alimentaire sévère à laquelle sont condamnés plus de 700 millions de personnes et l’insécurité alimentaire modérée subie par 1,3 milliard d’individus. La planète voit donc aujourd’hui à la fois la fortune des riches s’accroître sans modération et 2,6 milliards d’êtres humains être frappés par la pénurie alimentaire entraînant des effets néfastes sur la santé publique provocant aussi bien la malnutrition que le surpoids. Le progrès quoi !

On va nous dire que le fait que le monde paysan soit le plus touché par les insécurités alimentaires constitue un paradoxe, c’en est un en effet ! Mais pourquoi, alors que plus de 70 % de la nourriture mondiale est fournie par les paysannes et paysans, ceux-ci sont-ils les premiers touchés par ce fléau [30] ? Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour considérer que l’agriculture industrielle étant aussi celle qui consomme tous les intrants agricoles produits par les transnationales, est évidemment celle qui a la seule considération des propriétaires du capital. C’est catastrophique pour le climat et pour la population ; peut-être mais entre profits et avenir de l’humanité, il faut savoir choisir !

Parmi ses messages clés, le rapport souligne que la pauvreté extrême est l’une des causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition, mais les personnes aux prises avec ces deux maux ne font pas pour autant systématiquement partie des ménages les plus pauvres. Aujourd’hui, les populations souffrant de la faim et de la sous-alimentation vivent pour la plupart dans des pays à revenu intermédiaire. Et quoi encore ? Vous n’allez pas prétendre que c’est de la quasi-totalité de l’humanité dont il faut se préoccuper, en plus de la biodiversité et du réchauffement climatique. Salauds de pauvres ! On verra dans la figure 35 publiée en page 98 du rapport et reproduite ci-dessous, que les inégalités mondiales sont véritablement parmi les sources de tous les maux connus aujourd’hui.

L’un des pays les plus emblématiques pour ses inégalités est le Brésil ; les auteurs ont eu la bonne idée de présenter à la page 100 de leur rapport, la figure qui est reproduite ici quant à l’évolution au cours des années 2000 de l’incidence de la pauvreté et celle de l’indice de Gini.

Gageons qu’après les présidences Lula Roussef, à propos desquelles il y eut à dire, l’irruption, en janvier 2019 de Bolsonaro, admirateur de la dictature militaire brésilienne et de Trump, saura mettre fin à ce pognon de dingue ayant sauvé de la faim quelque 50 millions de Brésiliens.

C’est à moi, ça !

Dans les cours de récréation de nos enfances, il arrivait que, matamore, un garçon décrète en pointant quelques billes, qu’elles lui appartenaient. Quelques horions, tout au plus, réglaient l’affaire.

Les quelque sept millions de kilomètres carrés qui couvrent le bassin du plus long fleuve du monde, l’Amazone [31], sont appelés l’Amazonie qui s’étale aujourd’hui sur neuf pays. Telle est, selon Monsieur Bolsonaro [32], l’enclave terrestre qui, abritant la majorité de la biodiversité et le plus grand bassin versant de la planète, appartiendrait, à l’heure actuelle après que dix millions d’Amérindiens en furent chassés, au Brésil qui en détient officiellement un peu plus de 60 %. S’il ne s’agissait d’une déclaration d’un Chef d’État, on aurait pu penser qu’elle était le fait d’un quelconque histrion ignare mais il s’agit d’une déclaration du Président du plus grand pays du continent Sud américain.

C’est grâce à la terre sur laquelle nous vivons, que nous nous protégeons et nous nous nourrissons, aussi si nous voulons y survivre, il est indispensable de la sauvegarder. Or la gestion actuelle des terres n’est pas durable. Tel est l’avertissement lancé le 7 août 2019 par le GIEC réuni à Genève. Comme à l’accoutumée, on trouve notamment dans la publication, le rapport scientifique, celui-ci de 1 200 pages, et un résumé [33] destiné aux responsables [34] politiques. Pourtant, un éditorialiste renommé du The Guardian, George Monbiot [35] s’en prend vigoureusement au GIEC qu’il accuse, le 8 août 2019, de ne pas crier sur tous les toits que le monde ne peut pas continuer à manger comme il le fait actuellement. D’autres ne sont pas les derniers à mettre en cause les travaux de la multitude des experts sollicités par le GIEC, mais cette fois pour des motifs clairement idéologiques. Trois scientifiques, un États-unien, un Franco-américain de Californie et un Australien ont publié dans Nature Communications une méta-étude pour comparer la place médiatique faite aux climatologues mettant en évidence la robustesse de la démonstration de la lourde dérégulation climatique de nature anthropologique et celle réservée au même nombre de climato-sceptiques, 386 de part et d’autre. On reproduit ci-après la figure 3 figurant à la page 5 de l’article publié à partir des 100 000 documents analysés par l’équipe. Même des yeux non-daltoniens seront étonnés de la différence entre l’importance de la publication scientifique des premiers comparée à celle des valeureux chevaliers de la terre plate [36], en revanche, c’est tout l’inverse pour la place attribuée à ceux-ci dans la presse, en premier lieu anglo-saxonne. Malheureusement, les fake news, comme on dit aujourd’hui, ont souvent plus de succès que les véritables restitutions de la réalité.

Au-delà d’une affaire de couleurs, il y va de la démocratie qui exige la meilleure mise à disposition des populations, des connaissances scientifiques. On comprend qu’à l’heure des Bolsonaro, Salvini et autres Trump, c’est tout simplement le devenir de l’humanité qui est en cause.

Valérie Masson-Demotte, la paléoclimatologue française coprésidente du groupe n° 1 du GIEC, résume parfaitement la situation en notant que le rapport présenté à Genève « montre à quel point les terres sont sous pression humaine, le changement climatique ajoutant une pression supplémentaire. Il montre aussi que notre gestion des terres fait à la fois partie des problèmes et des solutions. Mais il insiste également sur le fait que ces solutions ont des limites : elles ne peuvent remplacer une action rapide et ambitieuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans tous les autres secteurs ». Une fois encore est soulignée ici l’extrême urgence des décisions à prendre. En effet, le rapport précise que plusieurs facteurs – dont la production de nourriture pour animaux – « ont entraîné des taux sans précédent d’usage de terres et d’eau douce ». Or, nous disent les experts, si le couvert végétal et boisé est de première importance pour faire face au réchauffement, il est tout autant déterminant pour notre propre subsistance et nos conditions de vie. Pourtant, bien qu’une majorité de la population mondiale soit nourrie par l’agriculture paysanne c’est l’autre, l’agriculture industrielle qui absorbe la majeure partie des 70 % de l’eau consommée par l’agriculture mondiale, soit le double de la consommation de 1970 [37]. C’est elle encore qui achète, chaque année, aux transnationales leur quelque 5 000 millions de tonnes de pesticides. Mais que voulez-vous, il faut bien accélérer le développement de l’agro-industrie puisque « la consommation par habitant de denrées, d’aliments pour animaux, de fibres, de bois et d’énergie entraîne des taux sans précédent d’usage de terres et d’eau douce » ! Allons-y carrément puisqu’on ne peut plus rien pour 500 millions de personnes qui ont le mauvais goût de s’être installées sur des terres – en particulier en Afrique et en Asie – en voie de désertification. Or, les terres végétales et boisées absorbent 30 % du CO2 produit par l’activité humaine, pendant que l’agriculture et l’exploitation forestière produisent 23 % de ce gaz carbonique. Bolsonaro a bien raison d’accélérer la destruction de l’Amazonie !

Pour autant, le rapport souligne que, pour nécessaire que soit ce changement profond de l’alimentation humaine, il restera insuffisant à la limitation drastique de l’accroissement de la température due à l’activité humaine.

La prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch [38] rapporte, parmi la foultitude des témoignages qu’elle livre après la catastrophe de Tchernobyl dans son ouvrage La Supplication, celui d’une jeune femme qui pleure en avouant « J’ai peur … J’ai peur d’aimer. J’ai un fiancé. Nous avons déjà déposé notre demande de mariage à la mairie ».

Pauvres êtres humains que nous sommes, puissions-nous avoir peur de laisser faire.

Notes

[1Agences de l’ONU : PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), PNUD (Programme des Nations unies pour le développement, Organisation des Nations unies pour l’éducation la science et la culture (UNESCO), Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

[2IPBES Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.

[3Par nature, les experts de l’IPBES, entendent l’ensemble des éléments et des espèces animales, dont l’homme évidemment, et végétales de l’univers.

[4Pour produire 1 kg de bœuf il faut 10 000 litres d’eau.

[5Il s’agit évidemment de races animales

[6Au rythme actuel, la quantité de déchets produite en 2050 serait de 3 milliards de tonnes.

[7J.M. Keynes, Lettre à nos petits-enfants, Paris, LLL, 2017.

[9Dans son Billionaires report 2018, l’UBS indiquait que 2 158 milliardaires possédaient une fortune de 8 900 milliards de dollars soit 11% du produit brut mondial 2017.

[11Raymond Barre qui, lui, choisissait ses commensaux parmi les meilleurs mais a su infliger à des milliers d’étudiants en économie son manuel Le Barre, affirmait on ne déjeune pas avec le diable, même avec une longue cuillère.

[12En 2016, les exportations de bien et services étaient estimées à plus de 28 % du produit brut mondial (plus de 76 000 milliards $ courants) selon la Banque mondiale.

[13BEPS Base erosion and profit shifting lancé par le G20 en 2012 et opéré par l’OCDE.

[14Janus Henderson Global Dividend Index, mai 2019, 1 430 milliards de dollars, soit 4,2 % de plus que l’année précédente.

[15Le Monde 1er juin 2019 Jean Jouzel

[17Revenu médian calculé comme étant celui qui partage la population étudiée en deux parties égales de part et d’autre dudit revenu. On lira la pertinente analyse de Didier Gelot à propos des seuils de pauvreté, « Changer la mesure de la pauvreté : une fausse bonne idée » ; 23 octobre 2018.

[18On peut lire sur le sujet « Pédagogie des dépenses publiques, Éloge de la redistribution », Revue des revues n° 18, Le « pognon de dingue » investi dans la protection sociale est efficace, Le Monde, 21juin 2018.

[19La Tribune du 3 septembre 2018 indiquait que les 0,1 % les plus riches disposaient d’un revenu mensuel compris entre 260 000 € et 700 000 €

[20Section d’enseignement général et professionnel adapté.

[21Actes de la recherche 1993, A propos de la famille comme catégorie réalisée.

[22Lire l’intéressant et souvent pertinent ouvrage de Katerine Marçal, Le dîner d’Adam Smith, Paris, Les Arènes, 2019. L’auteure y fustige, entre autres, l’auteur de La Richesse des nations pour diverses raisons dont celle qu’il est évident que son non moins célèbre homo œconomicus « n’est pas une femme ». On peut cependant regretter que ce qu’elle attribue, de manière constante, à l’économie devrait l’être d’abord au capitalisme.

[23Couvrez ce sein, que je ne saurais voir/Par de pareils objets les âmes sont blessées/Et cela fait venir de coupables pensées, Le Tartuffe, Molière.

[24En France, sur la même période, le SMIC horaire est passé de 9,19 € à 9,76 €.

[26On estime le montant de l’impôt sur les sociétés qu’aient dû payer, en France, les GAFAM en 2017 à quelque 600 millions d’euros

[27Ce sont en 2015, 29 % de l’IS français

[28Se reporter, par exemple, à L’agroécologie

[29Lire dans ce numéro Mince, ça baisse !

[31Selon l’INPE brésilien, la longueur de l’Amazone serait de 6 992 kilomètres et celle du Nil de 6 852 kilomètres.

[32On le comprend, puisque, selon ses propres termes, il est « là pour accomplir la mission de Dieu ».

[33Il n’est pas inutile de rappeler que chacun de ses termes est négocié et accepté par tous les représentants des 195 pays et de l’Union européenne, tous membres de la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques) ; on comprend que pareil consensus ne peut être obtenu qu’au prix de compromis, même si Valérie Masson-Delmotte considère que ce texte a été obtenu « sans aucune tension, crise ou clash ».

[34L’expression anglaise, policymakers, traduit autant la réalité que l’état de la démocratie.

[35George Monbiot, diplômé de Oxford est un éditorialiste régulier dans les quotidien britannique The Guardian. Il est coutumier de prises de position capables de prêter à des polémiques. Cependant il prend soin de largement documenter ses prises de position.

[36En 2007, était publié dans RealClimate une réponse scientifique aussi solide que pleine d’humour aux célèbres climato-sceptiques français, Allègre et Courtillot, qui bien qu’authentiques scientifiques, s’étaient laissés égarés par une sorte de pitoyable c’est nous qu’on a raison.

[37Pendant la même période, la population mondiale a, elle aussi doublé, cependant l’agriculture industrielle prétend être la seule à pouvoir nourrir l’humanité ; à quel prix pour la santé et l’environnement ? L’UE consomme 1kg de pesticides par hectare ; on trouvera toutes les données voulues sur Faostat, mis en place par la FAO.

[38Svetlana Alexievitch, La Supplication, Paris, JC Lattès, 1998

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