Usine Ford : toujours en lutte contre la fermeture

mardi 21 mai 2019, par Philippe Poutou *

L’homologation par l’État du plan de licenciements et de fermeture de l’usine Ford, le samedi 4 mars2019, a acté la fermeture de l’usine. Ni les médias ni personne n’en parlent plus publiquement. C’est comme si tout était plié, comme s’il fallait passer à autre chose. Comme si la liquidation de cette usine avec la disparition de ses 870 salarié.e.s directs,avec en plus celle d’environ 2000 emplois induits dans la région, n’était pas si grave et qu’on allait vite s’en remettre.

D’ailleurs, comme par hasard, plusieurs annonces de créations d’emplois ont été faites depuis. Safran au Haillan, Lu à Cestas, qui recruteraient, s’agrandiraient, sauveraient même quelques dizaines d’ouvriers Ford. Ouf ! Mais qui contrôle ce genre d’informations ? C’est balancé sans rien vérifier : est-ce-que ces emplois seront bien créés et combien seront-ils ?

Ces silences et ces rumeurs révèlent la même volonté de dédramatiser ou de banaliser une réalité sociale très grave. Une fermeture d’entreprise a des conséquences qui marquent une région, on ne perd pas des centaines et des milliers d’emplois sans laisser des traces importantes. Ne plus en parler ou faire un peu d’intox, c’est la meilleure façon de banaliser la situation.

Il se trouve que la bataille contre la fermeture de l’usine Ford n’est pas terminée. Ce que nous n’avons pas obtenu par la mobilisation, les manifestations, les actions diverses ces derniers mois, ce que ni l’État ni les collectivités territoriales n’ont obtenu par leur intervention, peut-être pourrons-nous l’obtenir par décision de justice.

C’est en tout cas, ce que nous tentons. Le 6 mai, le syndicat Cgt-Ford a assigné Ford au Tribunal de Grande instance de Bordeaux. Nous attaquons Ford sur deux aspects : l’absence de motif économique qui justifierait une fermeture d’usine et l’abus du droit de refuser un repreneur. Nous remettons en cause le droit, c’est-à-dire la légitimité de la multinationale Ford à fermer et à licencier.

Ford fait d’énormes profits (autour 7 milliards de dollars annuels), sa situation financière mondiale se porte bien, même son usine de Ford Aquitaine Industries (FAI)est appréciée comme « rentable ». Alors où est le problème ? Même si le pouvoir patronal, surtout du côté des grands et très grands patrons, est devenu presque sans limite, il reste que, dans le droit français, il n’est toujours pas possible de licencier sans cause « réelle et sérieuse », sans motif économique. Et optimiser ou réorganiser une production, ce n’est pas un motif économique.

Nous dénonçons aussi l’abus du droit de propriété de Ford, un abus de pouvoir, celui de refuser le seul repreneur qui s’était présenté, un repreneur considéré comme sérieux et solide par l’État. La loi Florange oblige Ford (le « lâcheur ») à chercher un repreneur avant de licencier et fermer. Mais cette loi très peu contraignante n’oblige pas de trouver un repreneur. Et Ford, qui maîtrise bien la législation française, a facilement contourné l’esprit de la loi, ne cherchant que formellement, se permettant même de refuser le repreneur trouvé par l’État.

Pour nous, mais pas seulement, durant des mois(tendus en fin 2018), pour les collectivités territoriales, les pouvoirs publics jusqu’au plus haut niveau de l’État, Ford n’a pas joué le jeu, s’est comporté déloyalement, a trahi tout le monde en rejetant le projet de reprise. Tous ont protesté, mais sans moyen de contrainte, l’État est allé se plier aux décisions de Ford. Une impuissance d’État terrible qui, faute d’oser aller à la confrontation jusqu’au bout, va finir par capituler.

Une bataille est perdue, mais il reste une possibilité, un outil est encore à notre disposition : le tribunal. Parce que nous sommes déterminés, parce qu’il n’y a pas de raison d’abandonner, parce que tant qu’il y a une chance, un espoir, on continuera la bataille, alors c’est logiquement que nous nous appuyons sur le droit qui existe encore pour empêcher Ford d’aller au bout de sa logique destructrice, et donc pour l’interdire de licencier. Certes, on l’a bien compris, le droit ne permet pas à la collectivité de réquisitionner ou de se réapproprier un outil de production pourtant largement public, grâce à l’argent public perçu par Ford durant les 45 ans passées à Blanquefort.

Nous avons comme atout le travail que nous faisons depuis des mois avec notre expert économique. Nous avons aussi les positionnements et déclarations du ministre de l’économie Bruno Le Maire comme ceux du Président Emmanuel Macron. Lesquels ont dénoncé la « trahison » de Ford, sa déloyauté, la non-justification de la fermeture de l’usine et même des déclarations rendant hommage à notre détermination à vouloir sauver les emplois.

Nous avons d’ailleurs sollicité leur soutien. Autant aller jusqu’au bout. État, pouvoirs publics et syndicats, salariés peuvent mener la bataille de l’emploi « ensemble », se coordonner dans l’action, car nous avons logiquement un intérêt commun, celui de l’ensemble de la population, en préservant une activité industrielle et des milliers d’emplois dans la région.

Le président, comme le ministre, peuvent être « intervenants volontaires » dans notre action en justice. C’est ce que nous leur avons proposé. Bon, c’est vrai, ils n’ont pas encore répondu, hésitent-ils, les mettons-nous dans l’embarras ? C’est possible, tant c’est inhabituel. Mais il est évident que s’ils s’en mêlent, cela ne peut qu’aider à faire pencher la balance de la justice dans le bon sens.

Et puis, ce serait l’occasion de rompre avec la posture de l’impuissance chronique de l’État. Ce pourrait être le début de l’inversion de la courbe de la résignation. Nous avons besoin de perspectives, de quoi se raccrocher pour mener la lutte, pour contester l’impunité patronale, pour contrer l’arrogance et l’égoïsme de classe des capitalistes.

Nous n’en sommes pas encore à une victoire, seulement à une possibilité. Mais c’est déjà cela.

Aujourd’hui, la juge a accepté la procédure d’urgence et l’audience est fixée au 4 juin2019. Une décision de justice est donc possible en juillet, soit avant nos licenciements programmés au 1eroctobre. L’espoir est encore là, l’exploit est possible.

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