Pour des politiques en faveur des femmes dans l’Union européenne

mardi 21 mai 2019, par Commission Genre d’Attac France *

À l’heure du renouvellement du Parlement européen de mai 2019, Attac constate l’absence de propositions et d’avancées fortes de l’Union européenne en faveur de l’égalité femmes-hommes, et souhaite contribuer au débat en présentant plusieurs revendications. En plus des exigences universelles liées aux droits des femmes (liberté de disposer de son corps, droit à la contraception et à l’avortement, lutte contre la prostitution et contre toutes les violences) et pour lesquelles il reste encore beaucoup à faire, des mesures volontaristes sur quatre thématiques nous semblent incontournables pour parvenir à de véritables progrès dans la condition des femmes européennes : des services publics d’accueil de la petite enfance et d’aide à la prise en charge des personnes dépendantes, la mise en œuvre de mesures volontaristes pour l’égalité, un partage égalitaire de la prise en charge des enfants dans la sphère familiale, et le droit de vivre dans un environnement sain.

1. Développer des services publics de qualité, outils pour l’autonomie des femmes

L’autonomie financière des femmes est indispensable pour leur permettre de sortir du rôle traditionnel qu’elles assument encore aujourd’hui dans la sphère familiale. Partout en effet, les tâches domestiques et parentales, la prise en charge des personnes dépendantes reposent essentiellement sur elles. Il est donc indispensable, pour les décharger de ces tâches, de développer à l’échelle européenne :

-  un service public de la petite enfance avec l’objectif d’accueillir tous les enfants avant l’âge de la scolarisation. Ce service pourra regrouper tous les modes de garde, crèches, haltes-garderies ou jardins d’enfants.

-  un service public d’aide aux personnes dépendantes ou en situation de handicap permettant d’assurer l’hébergement ou les services auprès de ces personnes, à rebours des prestations actuelles soumises à une marchandisation croissante.

Les emplois de ces services, qui doivent être revalorisés, ont vocation à s’adresser aux femmes comme aux hommes.

Pourtant, les politiques néolibérales menées en Europe vont à l’opposé de ces exigences. Le droit de la concurrence conduit à un alignement sur le moins-disant social et fiscal. On assiste ainsi au démantèlement de la protection sociale, à la privatisation des services publics et à la destruction du droit du travail.

Le démantèlement des services publics de santé}

En France, les services rentables du secteur de la santé sont progressivement transférés au secteur privé. De nombreux hôpitaux de proximité, maternités et centres IVG ont fermé. Des regroupements d’hôpitaux sont organisés en s’accompagnant de diminutions d’effectifs. En Grèce, depuis 2010, le financement des hôpitaux publics a diminué de 40 % ; 25 % des effectifs ont été supprimés, et la rémunération des personnels a baissé de 50 %. Depuis 2009, les femmes immigrées doivent payer leur accouchement ! Un tiers de la population n’a plus de couverture de santé et la mortalité infantile a augmenté pour la première fois.

Les politiques d’austérité appliquées suite à la crise de 2007-2008 font payer celle-ci aux salarié·es, aux retraité·es, aux chômeurs et chômeuses, en particulier aux femmes, en épargnant les responsables que sont les grandes banques. Elles se traduisent par des réductions massives des dépenses publiques : coupes budgétaires dans la protection sociale et dans la fonction publique, gel ou diminution des effectifs et des rémunérations.

Dans son rapport sur l’égalité de genre de décembre 2012, le Parlement européen soulignait déjà que les coupes dans les budgets publics affectent les femmes de manière disproportionnée et ont « pour effet d’accroître les inégalités entre hommes et femmes » et « d’accroître la féminisation de la pauvreté ». L’augmentation de la pauvreté touche plus particulièrement les familles monoparentales qui sont, dans la grande majorité des cas, des femmes élevant seules leurs enfants. Face à cette situation, il est urgent de mettre en place dans tous les pays des minimas sociaux à un niveau suffisant pour permettre à toutes les personnes privées d’emploi de vivre décemment.

Femmes et secteur public

Les femmes sont doublement touchées par la baisse des dépenses publiques [1], d’une part en tant qu’employées, car le secteur public emploie majoritairement des femmes ; d’autre part en tant qu’usagères, car elles assument les responsabilités principales dans la famille. Du fait des coupes budgétaires dans les crèches, les écoles maternelles, les services de santé, les maisons de retraite et en matière de protection sociale, elles sont alors obligées d’assurer les services qui ne sont plus pris en charge par l’État et la collectivité. Leur temps de travail dans la sphère privée (invisible) s’allonge, ce qui se fait au détriment de leur emploi rémunéré et de leur développement professionnel. Elles se trouvent souvent contraintes de réduire leur temps de travail ou parfois même de se retirer de l’emploi.

2. Ne plus tolérer les inégalités dans le monde du travail et donner aux femmes les moyens d’être économiquement indépendantes

Les législations des États membres sont très disparates en ce qui concerne les protections liées au travail. Par contre, il existe une constante : les femmes y sont moins payées que les hommes, elles travaillent plus souvent à temps partiel et les emplois les plus féminisées sont dévalorisés. 

Cette situation des femmes européennes sur le marché du travail est en contradiction totale avec le principe d’égalité femmes-hommes inscrit dès le traité de Rome en 1957 et réaffirmé régulièrement depuis dans tous les textes.

Face à cette situation, nous exigeons un contrôle plus strict et des sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale : en France, celle-ci est inscrite dans les lois depuis 1972, mais, faute de sanctions dissuasives, les inégalités de salaire entre femmes et hommes se situent toujours à 24 % tous temps de travail confondus. 

Inégalités : un constat accablant}

En 2017 [2], les femmes européennes sont payées en moyenne 16,3 % de moins par heure que leurs collègues masculins. Par ailleurs, 66,5 % des femmes européennes ont un emploi contre 78 % des hommes : un écart de 11,5 points, sans autre raison que la différence de rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes ! Environ un tiers des femmes travaillent à temps partiel, pourcentage quatre fois plus élevé que chez les hommes. Elles subissent les déréglementations imposées par l’Union européenne sur le marché du travail, qui ont comme conséquence notamment une augmentation des temps partiels subis et des contrats précaires et flexibles. Seulement 33 % des postes de cadres sont occupés par des femmes.

Les emplois à dominante féminine doivent être revalorisés par application du principe légal « à travail de valeur égale, salaire égal », car les compétences qu’ils requièrent, pourtant bien réelles, sont considérées comme « naturelles ».

Parmi les priorités concernant de très nombreuses femmes, nous demandons l’adoption et/ou la revalorisation d’un salaire minimum (SMIC) dans tous les États : ce sont en majorité des femmes qui sont payées aux plus bas niveaux de salaires et qui pâtissent de leur insuffisance pour vivre dignement. En France, par exemple, 62 % des smicards sont des smicardes. Afin de réduire le chômage et de mieux partager le travail, il est nécessaire de diminuer la durée du travail, de s’opposer aux pratiques actuelles qui visent à amplifier la flexibilité des temps travaillés et de mieux indemniser les périodes de chômage. 

Des emplois féminins dévalorisés

La répartition des emplois en Europe dépend fortement du sexe. En 2016, les emplois les plus féminisés étaient le soin à la personne (féminisé à 89 %), le ménage (84 %), l’emploi de bureau (80 %). On retrouve les hommes dans le BTP (métiers à 97 % masculins) le transport (96 %), la métallurgie (96 %) ou dans les emplois scientifiques et d’ingénierie. Ces emplois sont mieux valorisés et mieux payés que ceux à dominante féminine. Salaires plus faibles et carrières professionnelles plus courtes se répercutent ensuite bien sûr sur les droits à la retraite : en France, les femmes perçoivent ainsi des pensions de 40 % inférieures à celles des hommes.

3. Adopter un congé de paternité et un congé parental européen pour mieux partager l’éducation des enfants

La réduction des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes est inséparable d’un partage égalitaire des tâches domestiques et parentales au sein de la famille. Toutes les études montrent que l’arrivée d’un enfant pénalise fortement la carrière professionnelle des femmes (même sans enfant, la « suspicion de maternité » est responsable de discriminations). Le rôle du père est aussi important que celui de la mère auprès de l’enfant dès la naissance, et doit être rendu possible dès les premiers jours au sein du foyer. C’est pourquoi il est important que la société instaure une norme avantageuse de congé paternité et de congé parental [3] au niveau européen.

En janvier 2009, une directive accordant un congé de paternité optionnel de 10 jours aux pères, rémunéré au niveau du congé maladie, a été adoptée. Loin donc des 4 semaines qui étaient proposées par la Commission européenne. De même, la proposition prévoyait pour chaque parent le droit à un congé parental de quatre mois non transférables et rémunérés sur la base des arrêts maladie, bien plus favorable elle aussi à l’implication des pères. Cette proposition a été refusée notamment par la France en juin 2018 !

L’importance de rendre obligatoire le congé paternité (ou congé du second parent) est reconnue comme centrale pour faire progresser la prise en charge de l’éducation des enfants par les deux parents. Le congé maternité a été rendu obligatoire pour protéger les femmes de toute éventuelle pression des employeurs visant à les faire renoncer à ce congé. De la même manière, un congé paternité obligatoire permettra d’éviter tout risque de stigmatisation par les supérieurs ou les collègues. L’obligation est un moyen puissant de changer une norme sociale qui aujourd’hui valide et encourage l’inégale répartition des tâches familiales.

Une grande diversité de congés de paternité, en durée comme en rémunération

Parmi les pays les plus progressistes, se trouvent ceux d’Europe du Nord. La Norvège propose 14 semaines avec salaire intégral ; la Suède, 12 semaines avec 80 % du salaire. Plus au sud, l’Espagne propose 8 semaines avec 100 % du salaire, la France 11 jours seulement, avec un plafonnement à 87,71 euros par jour. En queue de peloton, se trouvent l’Italie ou la Grèce avec 2 jours seulement. Et en Allemagne, en Slovaquie ou en Tchéquie, le congé paternel n’existe tout simplement pas ! Seul est proposé un congé parental, peu rémunéré en général et majoritairement pris par les femmes.

De telles disparités sont permises par l’absence de législation européenne sur le congé de paternité, contrairement au congé de maternité, investi par l’Union européenne, qui prévoit 14 semaines d’arrêt de travail dont 2 obligatoires. Les congés de paternité, quand par chance ils existent, ont l’inconvénient d’être optionnels avec, dans le cas le plus favorable à l’égalité, des droits qui ne sont pas transférables. Le Portugal, en rendant obligatoire un congé de paternité de 10 jours, a innové.

Pour cela, il est nécessaire d’instaurer au niveau européen :

-  un congé paternité obligatoire à minima d’un mois, indemnisé à 100 % du salaire,

- un congé parental d’une durée égale pour les deux parents, non transférable et bien rémunéré de manière à ne pas dissuader les pères comme c’est le cas actuellement. 

4. Réussir la transition écologique pour le droit de vivre dans un environnement préservé : un enjeu pour et avec les femmes

Dans la plupart des États membres, les règles européennes de limitation des dépenses publiques empêchent d’initier les investissements pourtant indispensables pour répondre au défi du changement climatique.

En France, le mouvement des Gilets jaunes a mis dans le débat public les thèmes de justice fiscale, sociale, climatique et de démocratie. La forte présence des femmes dans ce mouvement a été soulignée de nombreuses fois. Le 8 mars 2019, journée des droits des femmes, les jeunes femmes qui “marchent pour le climat” ont décidé de mettre en lumière le lien étroit entre féminisme et écologie.

De nombreuses problématiques sont à l’intersection du social, de l’écologie et du féminisme. Mais le lien entre écologie et féminisme n’a rien à voir avec une prétendue proximité entre les femmes et la nature, qui renverrait à l’image de la « mère nourricière ». L’oppression des femmes et la destruction de la nature sont deux processus qui trouvent leur origine dans les mêmes structures de domination, celles des sociétés patriarcales et capitalistes : égalité des genres et transition écologique ne sont pas séparables l’une de l’autre. L’enjeu est de faire converger ces luttes pour empêcher toutes les formes de domination.

Le fonctionnement du système capitaliste est néfaste à la fois pour les femmes et pour l’écosystème. L’inaction contre la crise climatique ne peut qu’accroître les inégalités. Car les premières victimes sont les plus pauvres, parmi lesquelles une majorité de femmes, particulièrement les cheffes de famille monoparentales, les migrantes, les réfugiées et demandeuses d’asile, les femmes âgées seules. Elles sont nombreuses à connaître la précarité énergétique, les logements insalubres, l’isolement en milieu rural faute de moyens et de transports adaptés, l’insécurité liée à des modes d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui ne prennent pas en compte leurs besoins, leurs parcours ou leurs temps de vie.

La santé des femmes affectée de diverses manières

Les problèmes de santé et les coûts sanitaires liés aux dérèglements climatiques et à l’usage de pesticides dans l’agriculture intensive ont beaucoup augmenté, ils sont de plus en plus documentés et ont été abordés lors de la COP 23 [4]. Les femmes et les fillettes sont impactées, comme en témoigne l’exemple des perturbateurs endocriniens disséminés dans l’environnement, induisant des pubertés précoces et des cancers du sein liés à des facteurs environnementaux. Les contaminants chimiques, la pollution à l’intérieur des appartements, les pesticides sont en grande partie responsables de l’augmentation de nombreux troubles et pathologies chez les femmes (infertilité, cancers hormono-dépendants, diabète, etc.).

La transition écologique implique le développement de nombreux emplois dans certains secteurs, mais aussi la reconversion de nombreux autres. Si nous voulons réussir la convergence entre écologie et féminisme, nous devons veiller à assurer que cette transition aura un impact positif sur l’emploi des femmes et l’égalité. Or, les femmes sont actuellement sous-représentées dans les secteurs où l’opportunité de création d’emplois est importante : la construction, la production et la distribution d’eau et d’énergie, l’assainissement et les traitements des déchets, l’industrie. Elles sont également moins nombreuses dans les domaines de la science, de la technologie, de l’ingénierie écologique, de la climatologie.

Le manque de mixité et de diversité ne peut que freiner la transition écologique. Pour cette raison, nous devons exiger :

-  l’inclusion systématique d’une perspective d’égalité hommes-femmes dans les politiques de création d’emplois nécessaires à la transition, à tous les niveaux,

-  l’accès de toutes et tous à des modes de transport communs, adaptés et accessibles, en ville comme à la campagne,

-  la construction de logements écologiques et de qualité.

En conclusion

Il est urgent de faire avancer de façon significative les droits des femmes européennes. D’autant plus qu’on assiste, dans un certain nombre de pays, à un retour à l’ordre moral et aux valeurs traditionnelles de la famille se traduisant par la remise en cause d’acquis fondamentaux pour les femmes (tentative de remise en cause de l’avortement en Espagne, importantes manifestations en France contre le mariage pour tout·es, etc.) En Irlande néanmoins, grâce à une forte mobilisation, les femmes ont obtenu que l’avortement devienne enfin légal. C’est bien par l’unité et par les mobilisations que nous pourrons obtenir que l’égalité soit concrètement réalisée.

Mai 2019

Référence :

Blog de la Commission Genre

Notes

[1Voir dans Travail, genre et sociétés n° 33, Avril 2015, le dossier « Au nom de l’austérité ».

[2Les données suivantes sont issues d’Eurostat.

[3Congé à destination de l’un ou l’autre des parents lui permettant de s’arrêter totalement ou partiellement de travailler pour l’éducation d’un enfant.

[4Conférence de l’ONU sur les enjeux du climat de novembre 2018 à Katowice, Pologne.

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